Caritas in Veritate

Caritas in Veritate
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Caritas in Veritate (en latin : L'amour dans la vérité) est le titre de la troisième encyclique du pape Benoît XVI. Venant après les deux premières encycliques Deus Caritas Est et Spe Salvi, Caritas in Veritate est la première encyclique sociale du pape. La dernière encyclique sociale remonte à 1991 avec Centesimus annus de Jean-Paul II.

Initialement annoncée pour le 1er mai 2008, le jour de la fête de saint Joseph, saint patron des travailleurs, sa publication a été plusieurs fois reportée. Finalement signée le 29 juin 2009, jour de la fête des saints apôtres Pierre et Paul[1], elle a été publiée le 7 juillet.

Ce report est lié à la crise financière, qui semble avoir poussé le pape « à agir ainsi et, peut-être, à retravailler et à infléchir le texte lui-même. Cette encyclique, la première depuis 18 ans dans ce domaine, intervient en effet à un moment clé de l'évolution sociale mondiale »[2].

Parmi les grands changements intervenus au niveau mondial depuis Centesimus annus et qui justifiaient un nouveau document majeur du Magistère sur sa pensée sociale :

Benoît XVI avait assuré lors de l'angélus, lundi 29 juin 2009, que ce document serait « une nouvelle contribution de l'Église destinée à l'humanité dans ses efforts pour un développement durable dans le plein respect de la dignité humaine et des exigences réelles de tous ».

Selon les propos du cardinal Tarcisio Bertone, « le pape ne veut pas répéter des lieux communs de la doctrine sociale de l'Eglise, mais veut apporter quelques éléments originaux, conformément aux défis de l'époque » [3].

Sommaire

Résumé

Introduction

Lamour, aussi appelé charité (caritas) est une force qui pousse les hommes à poser des actes pour la justice et la paix. Cest une force qui trouve son origine en Dieu. Lamour est au cœur de nos relations avec Dieu, avec le prochain (micro-relations), et également entre les hommes constitués en corps sociaux (macro-relations). La charité doit saccompagner de la vérité, au risque de tomber dans le sentimentalisme et devenir la proie des émotions et de lopinion contingente des personnes. Cest le risque majeur dans notre monde moderne. « Sans vérité, sans confiance et sans amour du vrai; il n'y a pas de conscience ni de responsabilité sociale, et l'agir social devient la proie d'intérêts privés et de logiques de pouvoir, qui ont pour effets d'entrainer la désagrégation de la société » (N°5)

La vérité est logos qui crée un dia-logos (une communication et une communion). La vérité doit saccompagner de la charité. En aidant les hommes à aller au-delà de leurs opinions, la vérité leur permet de se rencontrer dans la reconnaissance de la substance et de la valeur des choses, et notamment de lamour de Dieu.

La charité est un amour à la fois reçu (une grâce, sa source étant en Dieu) et donné (les hommes sont eux-mêmes instruments de la grâce en tissant des liens de charité). La Doctrine sociale de l'Église répond à cette dynamique, en proposant dans les sujets de société de vivre de la charité dans la vérité.

La charité nexiste jamais sans la justice (reconnaissance des droits légitimes des individus et des peuples) mais elle la dépasse également dans la logique du don. Aux côtés du bien individuel exprimé par la justice, se trouve le bien commun, celui des institutions qui structurent la société (familles, corps intermédiaires, etc) et qui permettent aux personnes darriver plus efficacement à leur bien.

Reprenant lenseignement de Paul VI en 1967 dans Populorum Progressio, qui posait lannonce du Christ comme principal facteur de développement, Benoît XVI précise que seule la charité éclairée par la lumière de la raison et de la foi permettra un développement plus humain pour notre monde.

Chapitre 1 : le message de Populorum Progressio

Benoît XVI replace Populorum Progressio dans le contexte de laprès Concile Vatican II, mais rappelle que la Doctrine sociale de l'Église tire son origine de la tradition de la foi des Apôtres dans la continuité de la Tradition de lÉglise, dont le Concile Vatican II est l'un des éléments.

LÉglise promeut le développement intégral de lhomme, par sa doctrine et par ses actes (assistance, éducation, etc). Elle dispose dune position privilégiée car le le développement ne peut se passer de Dieu, au risque dêtre déshumanisé (il sagit en effet pour nous de ne pas voir dans lautre que lautre, mais limage de Dieu).

La charité chrétienne est une force principale au service du développement. Ainsi, Paul VI avait pris position dans dimportantes questions morales de son époque. Dans la lettre apostolique Octogesima Adveniens, il avais mis en garde contre les idéologies qui nient lintérêt du développement (au mépris des capacités humaines, car le développement et progrès font partie du dessein de Dieu sur lhomme) et celles qui, à lopposé, font du progrès un absolu. Deux autres textes de Paul VI marquent également le lien impératif entre morale et éthique sociale : lencyclique Humanae Vitae (qui dessine la signification pleinement humaine de la sexualité, et dont Evangelium vitae qui la prolonge précisera quune société ne peut tolérer la violation de la vie humaine) et lexhortation Evangelii Nuntiandi (qui lie Doctrine sociale de l'Église et foi, car le témoignage de la charité à travers les œuvres du Christ fait partie de lévangélisation).

Paul VI rappelle également que le développement suppose la liberté responsable, les situations de sous-développement dépendant essentiellement de la responsabilité humaine, avec notamment en cause un déficit de réflexion (sur les moyens à mettre en œuvre pour sortir du sous-développement), et un désintérêt des devoirs de solidarité. En effet, la société toujours plus globalisée nous rapproche mais elle ne nous rend pas frères, ce que seul peut faire le constat dêtre des fils du même Père.

Pour être authentique, le développement doit être intégral, c'est-à-dire promouvoir tout homme et tout lhomme. La vérité du développement réside dans son intégralité, y compris dans son aspect spirituel (lhomme ne peut pas faire moins que souvrir à lappel divin).

Chapitre 2 : le développement humain aujourdhui

Par le terme développement, Paul VI désignait lobjectif de faire sortir les peuples de la misère. Ce développement économique a bien eu lieu, pour les milliards de personnes, mais il a été et continue dêtre affecté par des déséquilibres profonds, mis encore davantage en relief par lactuelle situation de crise. Les déséquilibres actuels sont la conséquence de problèmes différents de ceux auxquels avait été confronté Paul VI : une activité financière mal maîtrisée, des flux migratoires gérés de façon inappropriée, lexploitation anarchique des ressources de la terre. La crise doit dune part être une occasion de discernement sur les pratiques actuelles, et dautre part permettre de redécouvrir les valeurs de fond.

La ligne de démarcation entre pays riches et pays pauvres nest plus aussi nette quau temps de Populorum Progressio, les zones pauvres souffrant elles aussi de fortes inégalités (entre les classes gouvernantes et le peuple), les droits des travailleurs étant violés aussi bien par les multinationales que par des groupes locaux, le détournement des aides internationales étant causé par des irresponsabilités dun côté comme de lautre de la chaîne. Enfin, il faut noter que certaines normes sociales de comportement ralentissent le processus de développement des pays pauvres.

Paul VI, dans Populorum Progressio, assignait à juste titre un rôle central aux pouvoirs publics. Mais face à la globalisation des problématiques et au défi lancé par la crise actuelle, les États doivent redéfinir leur rôle[4]. Benoît XVI exhorte également les citoyens à porter une attention et une participation plus larges à la res publica.

Dun point de vue social, les difficultés que connaissent les systèmes de protection sociale, dans un environnement économique profondément modifié (délocalisations dans des pays à faible coût de main dœuvre), remettent en cause leur capacité à poursuivre leur objectif de justice sociale. Linvitation faite par la Doctrine sociale de l'Église de créer des associations de travailleurs reste de pleine actualité, dans un contexte daffaiblissement des organisations syndicales. La mobilité du travail, liée à la déréglementation généralisée est bonne dans son essence, mais doit être encadrée afin de limiter ses conséquences négatives (instabilité rendant difficile la vie extraprofessionnelle, chômage, dépendance excessive envers lassistance publique).

Sur un plan culturel, il est regrettable que la mondialisation ait pour conséquence un relativisme culturel (cultures substantiellement équivalentes et interchangeables entre elles) qui rend difficile tout dialogue authentique et induit une uniformisation des comportements et des styles de vie.

Eliminer la faim dans le monde est un enjeu majeur, afin de répondre à cette exigence primordiale de justice mais également de sauvegarder la paix et la stabilité. La faim est souvent essentiellement la conséquence à des carences sociales (instabilité politique, désorganisation des institutions économiques), plutôt que dune carence de ressources matérielles. Un soutien économique aux pays pauvres est également nécessaire (investissements, introduction de techniques de culture nouvelles pour peu quelles soient reconnues convenables).

Le respect de la vie est un thème majeur du développement, car on remarque que de nombreux pays subissent des pratiques de contrôle démographique, qui diffusent la contraception et vont jusquà imposer lavortement. Les pays économiquement développés cherchent à transmettre aux pays pauvres leur mentalité antinataliste. « Quand une société s'oriente vers le refus et la suppression de la vie elle finit par ne plus trouver les motivations et les énergies nécessaires pour œuvrer au service du vrai bien de l'homme. Si la sensibilité personnelle et sociale à l'accueil d'une nouvelle vie se perd, alors d'autres formes d'accueil utiles à la vie sociale se dessèchent » (N°28)

Dieu est le garant du véritable développement de lhomme. La négation du droit à la liberté religieuse porte par conséquent atteinte au développement, mais également le terrorisme de nature fondamentaliste et la promotion de lindifférence religieuse ou de lathéisme (les pays riches exportent vers les pays pauvres un sous-développement moral).

Le développement nécessite dêtre orienté. Les problèmes sont complexes et exigent une interdisciplinarité ordonnée, relevée avec le sel de la charité, et un lien entre sciences humaines et métaphysique. À titre dexemple, il est indispensable que les choix économiques ne fassent pas augmenter de façon excessive et moralement inacceptable les écarts de richesse. Si la mondialisation a permis à des régions entières de sortir du sous-développement, et représente en soi une grande opportunité, seule la charité dans la vérité permettra de se prémunir du risque de création de nouvelles fractures au sein de la famille humaine.

Chapitre 3 : fraternité, développement économique et société civile

Les effets pernicieux du péché originel sétendent au domaine de léconomie. La conviction dêtre autosuffisant a poussé lhomme à faire coïncider le bonheur avec des formes immanentes de bien-être matériel, cette autonomie ne tolérant pas dinfluences de caractère moral. Les systèmes nés de ces convictions ont foulé aux pieds la liberté de la personne, et nont pas apporté le bonheur quils promettaient. Cest au contraire de lespérance chrétienne que doivent se nourrir nos systèmes économiques, celle-ci encourageant la raison, orientant la volonté, et nourrissant la charité dans la vérité. Parce quelle est un don que tous reçoivent, la charité dans la vérité est une force qui constitue la communauté et lui permet d'être pleinement fraternelle.

Le marché est linstitution économique qui permet aux personnes de se rencontrer en tant quagents économiques. Pour quil puisse remplir sa fonction, il faut quil soit fondé sur une confiance réciproque et générale, soumis aux principes de la justice et offrant des formes internes de solidarités. Il est faux de penser que léconomie de marché ait besoin dun quota de pauvreté : les pays riches bénéficient du développement des pays pauvres. La logique marchande doit viser la recherche du bien commun, cest pourquoi il ne faut pas séparer agir économique (produire de la richesse) et agir politique (recherche de la justice au moyen de la redistribution).

Le marché nest donc pas de lui-même le lieu de la domination du fort sur le faible. Mais léconomie et la finance, en tant quinstruments, peuvent être mal utilisés quand celui qui les gère na comme point de référence que des intérêts égoïstes. Ce nest pas linstrument qui doit être mis en cause mais lhomme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale (N°36). La sphère économique nest par nature ni inhumaine ni antisociale. Des relations damitié et de socialité peuvent être vécues au sein de lactivité économique.

Par ailleurs, le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de fraternité, doivent trouver leur place au sein de lactivité économique normale. Il nest plus possible dans une économie mondialisée de confier en premier lieu à léconomie la tâche de produire des richesses, remettant ensuite à la politique la tâche de les distribuer. Jean-Paul II, dans Centesimus annus, avait révélé la nécessité dun système impliquant trois acteurs, le marché, lÉtat et la société civile, et avait désigné la société civile comme le cadre le plus approprié pour une économie de la gratuité. À lépoque de la mondialisation, le marché ne peut plus faire abstraction de la gratuité, qui répand et alimente la solidarité (se sentir responsables de tous). La charité dans la vérité signifie alors quil faut donner forme et organisation à des entités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de léchange et du profit comme but en soi. Il sagit ainsi dun agir gratuit, de nature différente du donner pour avoir (logique de léchange) et du donner par devoir (propre à laction publique, réglée par les lois de lÉtat).

La taille des entreprises, de la même manière que des phénomènes comme les délocalisations, atténuent chez lentrepreneur le sens des responsabilités vis-à-vis des porteurs dintérêt (travailleurs, fournisseurs, consommateurs, environnement naturel). Toutefois, aux côtés de managers cosmopolites formatés, on trouve de nombreux managers qui se rendent compte des liens entre leur entreprise et son territoire. Enfin, de la même manière que Jean-Paul II observait quinvestir revêt une signification morale, il est nécessaire de rappeler que linvestissement ne doit pas se limiter à la recherche du profit, mais également rechercher le service précis de lentreprise à léconomie réelle et la promotion dinitiatives en faveur des pays pauvres. Malgré tout, il ne faut pas nier que le phénomène de délocalisations peut être bénéfique sous certains aspects aux populations des pays pauvres.

Aux côtés de laide internationale, le rôle des États ne doit pas être minoré. La construction ou la reconstruction de lÉtat est un élément clef du développement de nombreuses nations. Il nest pas non plus nécessaire que lÉtat ait partout les mêmes caractéristiques.

La mondialisation est à la fois un processus socio-économique et la réalité dune humanité qui devient de plus en plus interconnectée. La mondialisation nest dans son essence ni bonne ni mauvaise : elle est ce que les hommes en feront. En effet, les processus de mondialisation offrent la possibilité dune grande redistribution de la richesse au niveau planétaire, mais sils sont mal gérés ils peuvent au contraire faire croître la pauvreté et les inégalités et contaminer le monde entier par une crise. Paul VI, dans Populorum progressio, rappelait que lon ne peut accepter que les pays pauvres soient volontairement maintenus dans un stade préétabli de développement, soumis à la philanthropie des peuples développés. Laccès des pays pauvres au développement ne doit pas non plus être freiné par des projets égoïstes ou protectionnistes de la part des pays développés.

Chapitre 4 : développement des peuples, droits et devoirs, environnement

Nous sommes aujourdhui témoins dune grave contradiction : tandis que dun côté sont revendiqués de soi-disant droits, de nature subjective et voluptuaire, dun autre côté les droits élémentaires dune grande partie de lhumanité sont ignorés ou violés. Cette relation est due au fait que les droits individuels, détachés des devoirs, alimentent une spirale de requêtes privée de repères. Les devoirs délimitent les droits parce quils renvoient à la réalité dun cadre anthropologique et éthique dans lequel les droits sinsèrent. Par ailleurs, avoir en commun des devoirs réciproques (notamment celui de la solidarité universelle) mobilise beaucoup plus que la seule revendication de droits. La solidarité universelle est l'un de ces devoirs.

Laugmentation de la population nest pas la cause première du sous-développement. La baisse de la natalité est même un fait préoccupant dans de nombreux pays. Dans sa vision de la procréation responsable, lÉglise affirme quon ne peut réduire la sexualité à un pur fait hédoniste et ludique, et quon ne peut limiter léducation sexuelle a une instruction technique (contraception, utilisation du préservatif contre le Sida). Accompagnent souvent les conceptions matérialistes de la sexualité différentes formes de violences (planification forcée des naissances). De manière générale, louverture à la vie est une richesse sociale et économique (dynamisme, sauvegarde des systèmes dassistance sociale mis en difficulté par le vieillissement de la population, enrichissement des relations sociales et des solidarités traditionnelles au sein de familles unies et nombreuses). Les États sont appelés à soutenir fermement la famille et linstitution du mariage.

On parle beaucoup aujourdhui déthique dans le domaine économique (formations en business ethics, microcrédit: ces processus méritent un large soutien. Toutefois, il est essentiel dœuvrer non seulement pour que naissent des secteurs et lignes éthiques dans léconomie et la finance, mais pour que toute léconomie et la finance soient éthiques. La distinction faite jusquici entre entreprises à but lucratif (profit) et organisations à but non lucratif (non profit) ne soit plus en mesure dorienter efficacement lavenir. Doivent se développer les initiatives dentreprises traditionnelles qui par exemple souscrivent un pacte daide aux pays sous-développés, ou qui soient à lorigine de fondations, en un mot qui nexcluent pas le profit mais le considèrent comme un instrument pour réaliser des objectifs humaines et sociaux.

Paul VI soulignait déjà la nécessité que les peuples pauvres soient ouvriers de leur propre développement, tout en précisant quils ne le réaliseront pas dans lisolement. Ils doivent également être associés à la préparation des programmes de développement. Les organismes internationaux doivent sinterroger sur lefficacité de leurs structures bureaucratiques et administratives, souvent trop coûteuses.

Lenvironnement a été donné par Dieu à tous, et son usage représente une responsabilité à légard de lhumanité tout entière (la famille humaine entière doit trouver les ressources nécessaires dans la nature pour vivre correctement) et des générations à venir. « Nous devons avoir conscience du grave devoir que nous avons de laisser la terre aux nouvelles générations dans un état tel qu'elles puissent elles aussi l'habiter décemment et continuer à la cultiver. » (N°50) La foi donne ce sens à lenvironnement, et permet de sécarter de deux attitudes erronées qui consistent à la considérer comme une réalité intouchable, ou au contraire à en abuser. Il est en effet juste que lhomme puisse exercer une maîtrise responsable sur la nature, pour la cultiver et la mettre en valeur avec les technologies avancées.

La façon dont lhomme traite lenvironnement influence la manière avec laquelle il se traite lui-même et réciproquement. Cest pourquoi la société actuelle doit revoir son style de vie trop porté à lhédonisme et au consumérisme. Par ailleurs, en stimulant le développement économique et culturel des populations pauvres, on protège aussi la nature (ressources souvent dévastées par les guerres, désertification et baisse de production des régions agricoles pauvres). De manière plus générale, pour préserver la nature, il nest pas suffisant dintervenir au moyen dincitations ou dinterdictions : le point déterminant est la tenue morale de la société, une écologie humaine (malheureusement mise à mal par le non-respect du droit à la vie et à la mort naturelle, le sacrifice dembryons humains) devant être intimement liée à une écologie environnementale.

Il n'est pas possible de passer sous silence les problématiques énergétiques, aujourdhui majeures. Laccaparement injuste des ressources naturelles par certaines États, groupe de pouvoir ou entreprises engendre de fréquents conflits entre nations ou à lintérieur de celles-ci. Les sociétés technologiquement avancées doivent de leur côté diminuer leur propre consommation énergétique.

Chapitre 5 : la collaboration de la famille humaine

Lhomme souffre de la solitude, vis-à-vis des autres et de Dieu (refus de lamour de Dieu). Souvent même la pauvreté matérielle provient de lisolement. Le développement des peuples nécessité que tous nous reconnaissions que nous formons une seule famille (impératif de solidarité). Lhomme se réalise dans les relations interpersonnelles, avec les autres et avec Dieu. Dieu lui-même veut nous associer au modèle de communion quest la Sainte Trinité. Lunité du genre humain fait partie de la révélation chrétienne, et présuppose la reconnaissance dune vérité qui unit les esprits. Au contraire, le monde daujourdhui isole lhomme dans la recherche dun bien-être individuel limité à son bien-être immédiat.

La véritable liberté religieuse nimplique pas que toutes les religions soient équivalentes. Un travail de discernement doit être effectué pour estimer la contribution des cultures et religions à lédification de la communauté sociale, en particulier par ceux qui exercent le pouvoir politique. À titre dexemple, certaines croyances magiques sont un frein au développement. La religion chrétienne ne peut apporter sa contribution au développement que si Dieu a sa place dans la sphère publique, ce qui est niée par le laïcisme de nos sociétés. « L'exclusion de la religion du domaine public, comme par ailleurs le fondamentalisme religieux empêchent la rencontre entre les personnes et leur collaboration en vue du progrès de l'humanité. La vie publique s'appauvrit et la politique devient opprimante et agressive. Les droits humains risquent de ne pas être respectés, soit parce qu'ils sont privés de leur fondement transcendant, soit parce que la liberté personnelle n'est pas reconnue. Dans le laïcisme et dans le fondamentalisme, la possibilité d'un dialogue fécond et d'une collaboration efficace entre la raison et la foi religieuse s'évanouit » (N°56)

La raison politique a besoin dêtre purifié par la foi, afin que tous les droits humains puissent être respectés parce quils ne seront pas privés de leur fondement transcendant et parce que la liberté personnelle sera reconnue. La subsidiarité assure lefficacité de lautorité et le maintien de la liberté. Par ailleurs, la solidarité sans subsidiarité se transforme en assistanat, notamment dans le cadre des aides internationales au développement. Sans collaboration étroite avec les gouvernements des pays intéressés, les acteurs économiques locaux et les églises locales, les programmes daide internationale risquent de maintenir les peuples pauvres dans un état de dépendance et favoriser des situations de domination locale. Dans le domaine économique, les pays pauvres ont essentiellement besoin dune aide qui permette à leurs produits de parvenir sur les marchés internationaux et à leur économie de réaliser des gains de productivité.

La coopération au développement doit être aussi une occasion de rencontre culturelle et humaine. Tout dialogue se nourrissant de laltérité, les pays développés doivent prendre en compte leur propre identité culturelle, et les pays pauvres doivent rester fidèles à tout ce qui est authentiquement humain dans leurs traditions (risque duniformisation culturelle).

Les pays riches doivent augmenter la part de leur PIB destinée à laide au développement des pays pauvres. À cette fin, ils pourront trouver des ressources supplémentaires dans la refondation de leurs systèmes de protection sociale (introduction dune plus grande subsidiarité, lutte contre le gaspillage et les indemnités abusives) et dans la mise en place dune subsidiarité fiscale (les citoyens décident de la destination dune partie de leurs impôts).

Laide au développement nest pas uniquement financière. Sur le plan de léducation, il faut prévoir un meilleur accès à léducation, pas seulement professionnelle mais également morale. De même, les pays pauvres doivent veiller à ce que leur rapport aux pays riches ne soit pas occasion dexploitation et de déchéance morale (exemple du tourisme sexuel, avec laval ou le silence de gouvernements locaux). De même, pour poursuivre sur le thème du tourisme, celui-ci doit être repensé comme une rencontre véritable entre personnes, tout le contraire dune évasion réalisée dans un esprit de consommation et de manière hédoniste.

Une concertation au sujet des migrations doit être engagée entre pays dorigine et pays daccueil, devant un phénomène massif qui soulève des problématiques lourdes (sociales, économiques, politiques, culturelles, religieuses), afin de définir les devoirs des migrants (vis-à-vis des pays daccueil) et des pays daccueil (respects des droits fondamentaux de la personne).

La pauvreté résulte souvent dune violation de la dignité du travail, soit parce que les possibilités de travail son limitées (chômage, sous-emploi), soit parce que les droits du travailleur sont bafoués (juste salaire, sécurité du travailleur et de sa famille, trop peu de temps pour retrouver ses racines au niveau personnel, familial et spirituel). On observe que laction des syndicats catégoriels se limite trop souvent à la défense dintérêts particuliers, sans indépendance assez grande avec la sphère politique.

La finance doit être productrice de richesses et de développement, au service de léconomie réelle. En toutes circonstances, elle doit être éthique, mue par une intention droite. En particulier, elle ne doit pas faire un usage abusif dinstruments sophistiqués qui peuvent servir à tromper les épargnants (importance de la réglementation afin de protéger les plus faibles). De nouveaux instruments, comme ceux de microfinance, peuvent permettre de limiter les pratiques usuraires et de favoriser léclosion dinitiatives tout en faisant appel à la responsabilité des emprunteurs.

Acheter nest pas seulement un acte économique, cest également un acte moral. Des efforts exempts didéologie doivent être faits pour dune part consommer de manière plus sobre et dautre part favoriser de nouvelles formes de commercialisation des produits en provenance des régions pauvres (rétribution décente des producteurs, transferts de compétence professionnelle et technologique).

Enfin, devant les déséquilibres mondiaux actuels et la faillite des organismes de régulation économiques et politiques (ONU), il est urgent de mettre en place une Autorité politique mondiale, que Jean XXIII appelait déjà de ses vœux, destinée à concrétiser la responsabilité de protéger (dans les domaines économique et politique, plus particulièrement concernant lassainissement des économies frappées par la crise, la sécurité alimentaire, la paix, la protection de lenvironnement et la régulation des flux migratoires). Il est indispensable dy associer les pays pauvres afin que le droit international ne devienne pas otage des puissants.

Chapitre 6 : le développement des peuples et la technique

Nous devons faire face à la prétention prométhéenne dun développement basé sur les seules forces humaines (à titre dexemple, les soi-disant prodiges de la technologie ou de la finance).

En tant que tel, le progrès technologique répond à la vocation même du travail humain. La technique nest par ailleurs jamais uniquement technique : elle manifeste lhomme et son aspiration au développement. Mais lorsque ses seuls critères de discernement sont lefficacité et lutilité, sans la responsabilité morale, le développement est automatiquement nié.

A titre dillustration, la biomédecine met lhomme devant le choix entre la raison close dans limmanence technologique (la raison sans la foi) et la raison ouverte à la transcendance (la raison et la foi saidant réciproquement). Il est très inquiétant pour lavenir de lhomme que la culture contemporaine croie être parvenue à dissiper tous les mystères de la vie (fécondation in vitro, recherche sur les embryons, clonage et hybridation humaine). Il est dailleurs logique que cette culture fasse preuve dindifférence devant des situations humaines difficiles (notamment la situation des pays pauvres), ayant perdu le sens de lhumain (atteintes contre lêtre humain dans lavortement ou leuthanasie).

Laliénation sociale et psychologique de nos sociétés (drogue, désespoir) sexplique notamment par des causes dordre spirituel (le vide auquel lâme se sent livrée, sans Dieu, produit une souffrance). Le développement doit impérativement intégrer une croissance spirituelle, et pas seulement matérielle. Le développement de lhomme et des peuples demande des yeux et un cœur nouveaux, capables de dépasser la vision matérialiste des événements humains et dentrevoir dans le développement un au-delà que la technique ne peut offrir.

Conclusion

Face aux énormes problèmes du développement des peuples qui nous pousseraient presque au découragement, Notre Seigneur nous exhorte : Sans moi, vous ne pouvez rien faire. Dieu donne la force de lutter et de souffrir par amour du bien commun. La plus grande force au service du développement, cest donc un humanisme chrétien, qui ravive la charité et se laisse guider par la vérité, en accueillant lune et lautre comme des dons permanents de Dieu. Inversement, un humanisme sans Dieu (quil soit athéisme idéologique ou indifférence) est un humanisme inhumain, courant le risque doublier les valeurs humaines.

Le développement a besoin de chrétiens qui ont les mains tendues vers Dieu dans un geste de prière, conscients du fait que lamour riche de vérité (caritas in veritate) d procède lauthentique développement, nest pas produit par nous, mais nous est donné.

Le chrétien désire ardemment que toute la famille humaine puisse appeler Dieu Notre Père, et Lui demander, avec les mots que Jésus lui-même a enseignés, de savoir Le sanctifier en vivant selon Sa volonté, et ensuite davoir le pain quotidien nécessaire, dêtre compréhensifs et généreux à légard de leurs débiteurs, de ne pas être mis à lépreuve à lexcès et dêtre délivrés du mal (Mt 6, 9-13).

Notes et références

  1. Dépêche Catholic News Agency, 24 avril 2009, citant le cardinal Renato Martino
  2. Article des Semaines sociales de France.
  3. Dépêche Zenit
  4. « La société toujours plus globalisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères. La raison, à elle seule, est capable de comprendre l'égalité entre les hommes et d'établir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à créer la fraternité (N°19) »

Voir aussi

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