- Occupation des îles anglo-normandes
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Occupation des îles anglo-normandes
L'occupation des îles anglo-normandes renvoie à la période de l'histoire où les îles anglo-normandes furent militairement occupées par l'Allemagne pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette occupation couvre la période allant du 30 juin 1940 à la libération, le 9 mai 1945. Les îles anglo-normandes recouvre les dépendances de la Couronne des bailliages de Jersey et de Guernesey (qui ne font pas partie du Royaume-Uni) ainsi que les îles plus petites d'Aurigny et de Sercq. Ces îles furent les seuls territoires des Îles britanniques à avoir été envahies par la Wehrmacht pendant la guerre.
Sommaire
Avant l'occupation
Démilitarisation
Le 15 juin 1940, le gouvernement britannique décida que les îles anglo-normandes n'avaient pas d'importance stratégique et ne seraient pas défendues. Londres avait pensé que la défense des îles ponctionneraient des forces allemandes (plusieurs dizaines de milliers) qui, obligées de stationner sur les îles, ne seraient pas sur d'autres fronts plus stratégiques. Ainsi, et en dépit de la réticence du Premier Ministre Winston Churchill, le gouvernement britannique abandonna la plus ancienne Dépendance de la Couronne "sans avoir tiré le moindre coup de feu"[1]. L'occupation des îles anglo-normandes n'a servi à aucun autre dessein des Nazis que de celui d'une propagande quant à l'occupation d'un territoire britannique. Les "îles anglo-normandes [ont donc] été démilitarisées et déclarées comme… ville ouverte"[2].
Évacuation
Le gouvernement britannique consulta les autorités des îles, dans le but d'instaurer une politique d'évacuation des citoyens. La division des opinions ne permit pas de mener une politique commune et cohérente, ce qui entraîna des prises de position divergentes entre les différentes îles. Le gouvernement britannique décida alors que la meilleure politique était de mettre à disposition autant de bateaux que possible et qu'ainsi les habitants auraient la possibilité de partir s'ils le désiraient. Les autorités d'Aurigny recommandèrent à tous ses habitants d'évacuer, et presque tous le firent. À l'opposé, la Dame de Sercq, Sybil Mary Collings Beaumont, a encouragé les Sercquiais à rester. À Guernesey, les autorités décidèrent l'évacuation des enfants d'âge scolaire, si les parents le souhaitaient. Ils avaient alors la possibilité de partir avec eux. La majorité des Jersiais décidèrent de rester.
Invasion
Les Allemands, ignorant que les îles avaient été démilitarisées, eurent une approche très précautionneuse de leur invasion. Le 28 juin 1940, ils envoyèrent un escadron de bombardiers en mission au-dessus des îles et bombardèrent les ports de Jersey et de Guernesey. À Saint-Pierre-Port, la mission de reconnaissance allemande crut voir des véhicules militaires de transport de troupes mais il s'agissait en fait de convois chargés de tomates pour les personnes évacuées. Durant ces raids aériens, quarante-quatre insulaires furent tués.
Alors que l'armée allemande se préparait à une opération d'invasion avec deux bataillons, le pilote d'un avion de reconnaissance qui s'était posé sur Guernesey reçut la reddition officielle de l'île, le 30 juin 1940. Jersey se rendit le 1er juillet. Aurigny, où il ne restait presque plus personne, fut occupé le lendemain et un petit détachement allemand alla de Guernesey à Sercq qui se rendit officiellement le 4 juillet.
Occupation
Les forces allemandes consolidèrent rapidement leurs positions. L'infanterie s'y installa, des réseaux de communication furent créés, ainsi qu'une défense anti-aérienne. Un service aérien fut créé entre les îles et la France occupée.
Gouvernement
À Guernesey, le bailli, Sir Victor Carey, et les États de Guernesey (le parlement de Guernesey) cédèrent le contrôle aux autorités allemandes. La gestion des affaires courantes de l'île fut confiée à un Comité de Contrôle, présidé par Ambrose Sherwill.
Une monnaie d'occupation (scrip) a été émise à Guernesey pour garder une certaine activité économique. Les militaires allemands utilisèrent une forme propre de scrip pour le paiement de biens ou de services.
Les autorités allemandes changèrent les îles de fuseau horaire, les faisant passer du fuseau UTC+0, c'est-à-dire le fuseau de l'Europe de l'Ouest, au fuseau UTC+1, c'est-à-dire le fuseau de l'Europe centrale. Les numérotations des routes furent aussi changées ainsi que le sens de circulation, les véhicules devant rouler à droite comme sur le continent, et non plus à gauche comme dans les îles britanniques.
Camps de concentration d'Aurigny
Les Allemands construisirent quatre camps de concentration sur l'île d'Aurigny, qui dépendaient du camp principal de Neuengamme, en Allemagne. Les quatre camps reçurent le nom d'une des Îles de la Frise : le Camp Norderney situé à Saye, le Camp Borkum à Platte Saline, le Camp Sylt situé près de l'ancienne tour télégraphique à La Foulère et le Camp Heligoland dans l'extrémité nord-ouest d'Aurigny. L'Organisation Todt opéra dans chaque camp et utilisa le travail forcé pour construire des bunkers, des abris anti-aérien et diverses fortifications.
Le Camp Norderney reçut des prisonniers européens (principalement de l'Europe de l'Est et de Russie mais aussi d'Espagne). Le Camp Sylt reçut des prisonniers juifs. Les deux autres camps étaient des camps de travail accueillant des travailleurs volontaires : le Camp Borkum accueillait des travailleurs d'Allemagne et d'autres pays européens et le Camp Heligoland accueillait des travailleurs de Russie recrutés par l'Organisation Todt.
En 1942, les camps Norderney et Sylt, contenant les prisonniers européens et juifs, furent placés sous l'autorité du Hauptsturmführer SS Max List. Plus de 700 prisonniers décédèrent et les survivants furent transférés dans d'autres camps en Allemagne en 1944.
Résistance et Collaboration
Il n'y a pas eu de mouvement de résistance dans les îles à un niveau comparable à celui de la France occupée. Ceci est dû à un faisceau de facteurs, comprenant l'éloignement géographique des îles, la densité des troupes allemandes (presque un soldat allemand pour deux insulaires), la petite taille des îles (ce qui amène de fait peu de possibilités de caches ou de dépôts) mais aussi l'absence de Gestapo pour ces territoires. De plus, une grande partie de la population en âge de combattre (et donc la plus à même de mener des mouvements de résistance) avait quitté les îles pour intégrer l'armée britannique.
Des actes de résistance passive eurent toutefois lieu, incluant des actes mineurs de sabotage, des aides pour cacher des prisonniers et les aider à s'évader (comme pour Albert Bedane) et la publication de journaux clandestins reprenant les informations de la BBC. Les habitants des îles ont aussi rejoint la campagne de Winston Churchill du signe V en recouvrant les symboles nazis (sur les affiches, …) par cette lettre V (pour Victoire). Un autre acte de résistance passive fut d'écouter de manière privée les émissions de radio de la BBC, ce qui était interdit lors des premières semaines d'occupation, et (de manière surprenante vu la politique appliquée ailleurs en Europe occupée) toléré par la suite avant d'être de nouveau prohibé. Plus tard, cette politique fut même portée à un degré supérieur, avec l'interdiction d'écouter quelque programme radio que ce soit (y compris les radios allemandes et le programme anglophone nazi du propagandiste William Joyce) et la confiscation de tout poste radio sans fil. Néanmoins, beaucoup d'habitants réussirent à cacher leurs postes aux autorités allemandes, ou à bricoler des récepteurs à cristal et purent donc continuer à écouter la BBC malgré le risque que cela représentait. Il faut noter aussi que, l'information circulant entre voisins, il suffisait qu'un petit nombre seulement de personnes écoutassent ces programmes pour permettre à une grande majorité de la population de se tenir au courant.
Plusieurs habitants des îles réussirent à s'en enfuir (comme Peter Crill), et ceci augmentant encore une fois le Jour J passé, alors que les conditions de vie dans les îles étaient devenues plus difficiles à cause du ravitaillement depuis le continent qui ne se faisait plus et que la volonté de participer à la libération de l'Europe occupée grandissait parmi les habitants.
La politique générale des dirigeants des îles, telle qu'elle avait été définie par le Gouvernement britannique, était une politique de co-opération passive, malgré les critiques qui ont pu être formulées (notamment par rapport à la question du traitement des juifs dans les îles). Les quelques juifs résidents des îles (pour la plupart des membres de l'Église d'Angleterre qui avaient un ou deux grand-parents juifs et qui étaient donc considérés comme des juifs par les nazis) furent frappés par les neuf Mesures contre les Juifs (Orders Pertaining to Measures Against the Jews), qui comprenaient : fermeture des commerces ou des entreprises tenus par des juifs (ou placement de ces commerces sous administration aryenne), confiscation de tous les postes radio sans fil, résidence forcée à domicile mis à part une autorisation de sortie d'une heure par jour…
Quelques femmes des îles eurent des relations avec des soldats allemands, bien que cela soit décrié par la majorité des habitants. Ces femmes reçurent le sobriquet péjoratif de Jerry-bag.
Le manque de monnaie à Jersey amena les allemands à demander à l'artiste jersiais Edmund Blampied de dessiner de nouvelles pièces pour des valeurs de 6 pence, 1 shilling, 2 shillings, 10 shillings et 1 pound, qui sortirent en 1942. Un an après, il lui fut demandé de dessiner 6 nouveaux timbres pour le service postal des îles. À cette occasion, Edmund Blampied accomplit un acte de résistance, en incluant de manière cachée, les initiales GR sur le timbre de 3 pence, comme signe de sa loyauté au roi George VI.
La réaction du gouvernement britannique
La réaction du gouvernement britannique à l'invasion allemande des îles a consisté tout d'abord par la tenue d'une information à la presse par le Ministre de l'Information quelque temps après l'arrivée des Allemands.
Le 6 juin 1940, le 2nd lieutenant Hubert Nicolle, un Guernesiais servant dans l'Armée Britannique, a été envoyé sur Guernesey pour une mission de collecte d'informations. Il a été déposé au sud de la côte de Guernesey par un sous-marin et a gagné le rivage avec un canot, sous le couvert de la nuit. Cela a été la première des deux visites que Nicolle a effectué dans les îles. Après la seconde visite, il n'a pas réussi à atteindre son point de rendez-vous pour le récupérer et le ramener en Angleterre. Il se cacha alors sur l'île, mais après un mois et demi de cache, il se livra lui-même aux autorités allemandes et fut envoyé dans un camp allemand de prisonnier de guerre.
Durant la nuit du 14 juillet 1940, l'Opération Ambassador a été lancée sur l'île de Guernesey. Mais celle-ci fut un échec car les troupes allemandes étaient introuvables sur l'île et les Britanniques durent rembarquer sans avoir réussi à engager le combat ni à détruire d'infrastructures militaires allemandes.
Durant la nuit du 3 au 4 octobre 1942, un commando britannique mena une opération sur l'île de Sercq, l'Opération Basalt.
En 1943, le Vice-amiral Louis Mountbatten proposa un plan pour reprendre les îles, l'Opération Constellation, qui ne fut finalement pas monté.
Fortification
En tant que partie prenante du Mur de l'Atlantique, les forces allemandes d'occupation ainsi que l'Organisation Todt construisirent, de 1940 à 1945, des fortifications le long des côtes des îles.
La plupart de la main-d'œuvre constitua en soldats allemands, mais certains prisonniers de guerre russes furent aussi mis à contribution de manière forcée. Le camp de concentration Sylt, sur Aurigny, envoya de nombreux prisonniers à cette fin.
Les îles furent considérablement fortifiées, devenant de véritables places fortes, notamment l'île d'Aurigny, la plus proche des côtes françaises. Hitler décréta que 10% de l'acier et du béton dédié à la constitution du Mur de l'Atlantique serait affecté à la fortification des îles, notamment dans la volonté de garder, pour la propagande, des territoires britanniques sous domination allemande. Un grand nombre de bunkers et d'installation allemandes peuvent encore de nos jours êtres vus sur les îles, certains ont été restaurés et ouverts au public.
Déportation
En 1942, les autorités allemandes décrétèrent que tous les habitants des îles qui n'étaient pas nés dans les îles, ainsi que tous les hommes ayant servi comme officiers durant la Première Guerre Mondiale, allaient être déportés. La majorité d'entre eux a été envoyée dans deux camps d'internement dans le sud de l'Allemagne : Ilag V-B à Biberach an der Riß en Bade-Wurtemberg et Ilag VII à Laufen en Bavière. Cela correspond à un ordre direct d'Hitler, en représaille à la déportation et l'internement par les Britanniques de civils allemands en Iran, et cela pour un ratio de vingt habitants des îles internés pour un allemand qui l'ait été.
Représentation à Londres
En tant que dépendance de la Couronne auto-gérée, les îles n'avaient pas de représentants au Parlement du Royaume-Uni. Dans le but d'assurer aux insulaires qu'ils n'étaient pas oubliés, cette représentation fut assurée par des personnes évacuées des îles ou vivant déjà au Royaume-Uni avant l'occupation. Une association, la Jersey Society in London, créée dans les années 1920, fut le point de raliement de la plupart des exilés insulaires. En 1943, plusieurs exilés de Guernesey firent de même pour leur île en créant la Guernsey Society, faisant ainsi bénéficier d'un point de chute et d'un réseau aux personnes originaires de Guernesey. Ces groupes ont aussi servi à lancer des réflexions sur la reconstruction économique et sur les réformes politiques à mener une fois l'occupation terminée et les îles revenues sous giron britannique. Le pamphlet Notre Île (titre original), publié à Londres en 1948 par un groupe de Jersiais, a été très influent, notamment lors de la réforme de la constitution du bailliage.
Bertram Falle, un Jersiais, a été élu député de Portsmouth en 1910. Huit fois élu à la Chambre des communes, il a été membre de la Chambre des Lords en 1934 avec le titre de Lord Portsea. Durant l'occupation, il a représenté les intérêts des insulaires et a pressé le gouvernement britannique de les aider au maximum dans leur situation critique, notamment après le Jour J alors que les îles n'avaient pas encore été libérées et été donc coupées à la fois des zones encore occupées par les Allemands et des zones déjà libérées par les Alliés.
Des comités d'insulaires se sont montés aussi un peu partout dans l'Empire britannique, pas uniquement en Grande-Bretagne. Un exemple fut la fondation par le journaliste et écrivain Philip William Luce de la Vancouver Channel Islands Society en 1940, dont le but était de récolter de l'argent en faveur des évacués.
Notes et références
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