Annexion de la Moselle (1940)

Annexion de la Moselle (1940)

La seconde annexion de la Moselle par l'Allemagne eut lieu le 25 juillet 1940, avec le rétablissement des frontières de 1871.

Sommaire

Contexte historique

La première annexion de la Moselle est entérinée par le traité de Francfort, le 10 mai 1871. La première annexion s’inscrit dans le processus de formation du second empire allemand. La plus grande partie de l’ancien département de la Moselle de 1792 est annexée pour former avec l'Alsace le Reichsland Elsass-Lothringen ou « Elsaß Lothringen ». La Moselle restera allemande pendant quarante-huit années, avant d’être reconquise par la France. En 1940, elle sera de nouveau annexée, cette fois de facto, et séparée du reste de la Lorraine. La Moselle, ou CdZ-Gebiet Lothringen, est alors intégrée au Gau Westmark.

La seconde annexion de la Moselle se traduisit par quatre années de souffrances pour les Mosellans, expulsés, transplantés ou opprimés, et par la disparition de milliers de jeunes «malgré-nous» sur le front de l’Est, et de civils sous les bombes des belligérants.

Chronologie

Année 1939

Dès la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, près de 30 % du territoire de la Moselle se trouve entre la Ligne Maginot et la frontière allemande[1]. 302 732 personnes, soit 45 % de la population du département, sont évacuées pendant le mois de septembre 1939 vers des départements du Centre et de l'Ouest de la France, essentiellement la Charente, la Charente inférieure, la Vienne, la Haute-Vienne et enfin la Haute-Loire qui accueillent les mineurs[2]. L'ordre d'évacuation pour les villages frontaliers comme Oberdorff est donné dès le 1er septembre[3]. Parmi les quelque 300 000 évacués, 200 000 reviendront après la défaite[4].

Année 1940

Sepp Dietrich décorant des soldats de la 1re Division SS, après la campagne de France, à Metz, été 1940

De la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne le 3 septembre 1939, à juin 1940, la "drôle de guerre" donne l’illusion à la France qu’elle tiendra ses positions grâce à la ligne Maginot et à la vaillance de ses troupes, et quelle obtiendra la victoire, comme en 1918.

Le 14 juin 1940, Metz est déclarée "ville ouverte". Le 17 juin 1940, l’entrée des troupes allemandes dans cette ville marque le début d’une répression brutale, dont les Messins et les Mosellans ne se relèveront qu’en 1945. Le lendemain, le représentant de l’État à Metz, le préfet de la Moselle, est arrêté, signe de la défaite de la France. Quatre jours plus tard, la signature à Rethondes d’un traité d'armistice, entre la France et l’Allemagne, ôte les derniers espoirs aux Mosellans.

Pourtant un mouvement de résistance, l'Espoir français, se forme en juillet 1940, pour conjurer le mauvais sort et préparer le retour des troupes françaises. Il sera actif plusieurs mois. Dans le même temps les premières expulsions ont lieu dans la plupart des villes de Moselle. L’ancienne frontière de 1871 est rétablie le 25 juillet, marquant de facto l’annexion du département de la Moselle au Reich allemand.

Le Gauleiter Josef Bürckel prend ses fonctions le 7 août 1940 à Sarrebruck, en tant que nouveau chef de l'administration civile allemande en Moselle. Le "CdZ-Gebiet Lothringen" remplace officiellement le département de la Moselle. Le 8 août 1940, le préfet Bourrat est naturellement expulsé de ce nouveau territoire allemand. Les Messins résistent en silence et organisent une manifestation patriotique, place Saint-Jacques à Metz : la statue de Notre-Dame est fleurie aux couleurs tricolores. Les autorités allemandes réagissent immédiatement et expulsent le lendemain l'évêque de Metz, Mgr Heintz. Des milliers de messins, fonctionnaires, patriotes, ou anciens militaires, sont à leur tour expulsés.

Pour conjurer la résistance passive des Messins, le Gauleiter Bürkel organise en grandes pompes son entrée officielle à Metz, le 21 septembre 1940. Il se fait remettre les clés de la cité par Roger Foret, le dernier maire allemand de la ville en 1918[5]. Résidant principalement à Neustadt dans le Palatinat, il ne reviendra que rarement à Metz. Informé des contrariétés de Bürkel au sujet des Lorrains mosellans, Hitler donnent des ordres pour que la Moselle soit «germanisée en 10 ans». Une ordonnance porte donc le 28 septembre 1940 sur la germanisation obligatoire du nom des habitants mosellans.

Hitler et des officiers de la Waffen-SS fêtant Noël, à Metz, le 26 décembre 1940

Les Mosellans étant toujours réticents face à l’occupant, 60 000 Mosellans francophiles, ou francophones jugés indésirables sont expulsés vers la France, du 11 au 21 novembre 1940. Le 30 novembre, la Moselle est réunie à la Sarre et au Palatinat pour former une nouvelle province allemande, le Gau Westmark. Conscient du ressentiment des Mosellans, le Führer Adolf Hitler ne fera pas de long discours à la population civile lors de sa venue à Metz, le 26 décembre 1940. Hitler se contentera de rendre visite à la 1ère division SS, stationnée à Metz, passant la nuit de Noël à l'Hôtel des mines[6]de l'avenue Foch, en compagnie de Sepp Dietrich et des cadres de cette unité[7]. Hitler repassera à Metz, cette fois secrètement, dans la nuit du 16 au 17 juin 1944, pour se rendre au Wolfsschlucht II de Margival.

Année 1941

Le 25 janvier 1941, un appel veut inciter les Mosellans à entrer dans l’organisation des Hitlerjugend. La germanisation des esprits se poursuit lentement, mais sûrement[8]. Les Bund Deutscher Mädel ( BDM ) recrutent activement dans les écoles mosellanes. Pour échapper à cette pression quotidienne, 6 700 optants émigrent vers la France entre le 6 avril et le 3 mai 1941.

La répression policière se fait plus brutale, et les premières condamnations prononcées par le tribunal spécial de Metz tombent le 20 avril de la même année. Le 23 avril, le décret d'incorporation des Mosellans, garçons et filles de 17 à 25 ans, dans le Reichsarbeitsdienst ( RAD ) est publié en Moselle.

Le 18 juin 1941, un an après l’appel du général De Gaulle, des membres du mouvement «l'Espoir français» sont arrêtés. Un mois plus tard, le groupe «Mario» se forme autour du résistant communiste Jean Burger. Le 28 juillet, 101 prêtres sont expulsés vers la France.

Année 1942

Le Grand Séminaire de Metz, devenu inutile, devient une prison de Police. Le groupe gaulliste de J. Dehran se crée le 30 janvier 1941, peu de temps avant le démembrement de la filière d’exfiltration de Sœur Hélène Studler. Pour faire face aux pertes allemandes de plus en plus nombreuses, le KHD (Kriegshilfsdienst) enrôle de force des auxiliaires féminines en Moselle, à partir du 16 juillet 1942 : les "Malgré-elles". La police allemande arrête les membres d’un réseau d'évasion à Rombas, le 30 juillet 1942.

Alors que la Hitlerjugend devient obligatoire pour les jeunes mosellans le 4 août 1942, une ordonnance instituant le service obligatoire dans la Wehrmacht pour les Mosellans est promulguée le 19 août 1942. Dix jours plus tard, une seconde ordonnance, portant sur l'octroi de la nationalité allemande à l'ensemble des Mosellans, rend applicable l'incorporation des jeunes gens dans l'armée allemande, les futurs "Malgré-nous"[9]. Tous les habitants de l'Alsace-Moselle annexée au IIIe Reich savaient comment Hitler, et les nazis, avaient anéanti en Allemagne toute opposition au régime. Refuser la germanisation et la nazification était donc suicidaire. Pourtant, certains choisissent de s'engager dans la résistance.

Le procès des membres de l'Espoir français se tient le 30 septembre 42. Les premières condamnations de Mosellans tombent dès le 2 octobre pour faire sentir aux civils le pouvoir coercitif de l’Allemagne Nazie. Le 18 octobre de la même année, l’incorporation dans l'armée allemande des premiers Mosellans, des classes 1922, 1923 et 1924, marque pour certains le début d’un cauchemar sans nom, qui se terminera au mieux, dans les camps d’internement soviétiques.

L’arrestation en novembre 42 des membres des réseaux d'évasion de Forbach et de Lorquin rappelle aux Mosellans l’emprise impitoyable de la gestapo sur la population civile.

Année 1943

Poursuivant la politique de germanisation, plus de 10 000 patriotes ou résistants à l'annexion sont expulsés de leurs foyers et transportés, par la Gestapo, en Silésie, en Pologne, ou dans les Sudètes, entre le 12 et le 28 janvier 1943. Ces familles d’agriculteurs, de travailleurs ruraux ou de mineurs sont ainsi contraintes d’enrichir le Reich, sans espoir de retour.

Pourtant, les Mosellans continuent à se rebeller et le train qui conduit les recrues du RAD, de Sarrebourg à Sarreguemines, est mis à sac, le 18 février 1943. Le 12 mai, l’arrestation des passeurs du réseau de Rehtal[10] allonge la liste des condamnations. Preuve de la révolte contre l’occupant Nazi, 1 250 incorporables mosellans, ayant déjà servi dans l'armée française se rebellent à Sarreguemines le 25 juin 1943.

Le 20 septembre, le chef du réseau Mario, Jean Burger, est arrêté. Pour faire face à l’insoumission, ou aux désertions des Mosellans, une ordonnance consacre la responsabilité collective du "clan" en cas de défaillance d'un appelé, le 1er octobre 1943. L’insoumis expose donc maintenant sa famille à des représailles implacables. La répression se faisant plus brutale encore, le fort de Queuleu devient un camp d'internement en octobre et le camp de Woippy ouvre en novembre 1943. Le 15 décembre de la même année, les membres du groupe Derhan[11] sont à leur tour arrêtés.

Année 1944

"Reichsgaue" et "Generalgouvernement", en mai 1944

À partir du printemps 1944, les bombardiers américains se succèdent par vague au-dessus de la Moselle, faisant d’énormes dégâts collatéraux. Les populations civiles seront durement touchées et les dégâts matériels seront immenses[12]. Les dévastations sont généralisées dans la vallée de la Seille, entre Dieuze et Metz, et au nord d'une ligne Forbach-Bitche. 23% des communes de la Moselle seront détruites à plus de 50%, et 8% des communes le seront à plus de 75%[13]. Dans la seule journée du 7 novembre 1944, pas moins de 1 300 bombardiers lourds déversèrent des centaines de tonnes d'explosifs et de napalm sur les forts de Metz et les points stratégiques situés dans la zone de combat de la IIIe armée en Moselle[14]. Ce funeste ballet aérien ne prendra fin, au-dessus de la Moselle, qu’en mars 1945, lorsque le département sera entièrement libéré.

Le 3 juin 1944, l’armée allemande mène une expédition punitive contre le maquis de réfractaires de Longeville-lès-Saint-Avold. L’étau se resserre inexorablement sur la population mosellane. Au cours du mois de juin, des représailles sont décidées aussi à Porcelette, à Honskirch et à Vittersbourg, à l’encontre des insoumis mosellans. A l’été 1944, la roue du destin tourne en faveur des Alliés et des Mosellans. Les résistants Alfred Krieger et son adjoint Scharff en profitent pour structurer les FFI dans la région. Le 17 août, le fort de Queuleu est évacué dans la hâte. En septembre 44, la brigade Alsace-Lorraine est créée. Elle permet aux mosellans de se battre pour leur pays. Alors que la bataille de Metz commence, le camp de Woippy est abandonné, le 1er septembre 44. Le 20 septembre, le Gauleiter Bürckel déclare la partie sud-ouest du CdZ-Gebiet Lothringen "zone des armées". Il est par conséquent interdit de franchir une ligne allant d'Apach au Donon, et passant par Sierck, Courcelles, Faulquemont, et Sarrebourg[15]. Le Gauleiter Bürckel se suicidera peu après, le 28 septembre 1944. Après trois mois de combats, la bataille de Metz prend fin. La ville est enfin libérée le 22 novembre 1944, après quatre ans d’annexion. Les combats se poursuivent maintenant à l'Est du département, sur la Sarre.

Année 1945

Alors que l'Opération Nordwind de l’armée allemande déstabilise les troupes américaines, et inquiète les populations civiles en Moselle, la France annule les mesures prises par le Reich en Moselle, le 12 janvier 1945. Le département ne sera entièrement libéré que le 21 mars 1945, après de durs combats, qui éprouveront autant les soldats que les populations civiles.

Alors que l’armée allemande capitule à Reims le 7 mai 45, les dirigeants nazis sont arrêtés un peu partout en Europe. Le tribunal international de Nuremberg ouvre un procès qui durera de novembre 1945 à octobre 1946 : il reconnaît l'incorporation de force des malgré-nous comme un crime de guerre, refermant la page de cet épisode tragique de l’histoire de la Moselle.

Lors de l'épuration en Moselle, la France prit en compte le statut particulier du département pendant la guerre. 4178 jugements furent prononcés par la Cour de Justice de la Moselle[16]. Sur ce nombre, il y eut 859 acquittements et 3243 condamnations, dont 28 à la peine capitale, 288 aux travaux forcés, 952 à des peines de prison[17]. Sept exécutions sommaires[18]seulement, ont été à déplorer sur l’ensemble du département.

Au sortir de la guerre, le bilan humain est très lourd en Moselle. Aux soldats mosellans morts pour la France entre 1939 et 1945, ou pour l’Allemagne entre 1942 et 1945, il faut ajouter des milliers de civils qui périrent dans les camps d’extermination[19], ou sous les bombes des Alliés. La population mosellane passa de 696 246 habitant en 1936, à 622 145 habitants au recensement de 1946[13], soit une perte de plus de 11% de la population[20].

Notes et références

  1. Bernard Le Marrec, Gérard Le Marrec, Les années noires, la Moselle annexée par Hitler, Éditions Serpenoises, 1990, (p.25).
  2. Le Marrec, op. cit., p.27
  3. Eugène Jager et Victor Starck, dans 39-45 dans nos villages, destin frontalier des communes de Château-Rouge, Heining, Oberdorff, Tromborn et Voelfing, 1997
  4. Le Marrec, op. cit., p.133
  5. Jacques Lorraine, Les Allemands en France : L’Alsace et la Lorraine, terre d’épreuve (IV), éd. du Désert, Alger-Oran, 1945 (p. 120).
  6. L'"Hôtel Royal" servira de PC à l'armée américaine le 22 novembre 1944. in Anthony Kemp: Lorraine - Album mémorial - Journal pictorial : 31 août 1944 - 15 mars 1945, Heimdal, 1994, (pp.340-341).
  7. Hans Quassowski : "Twelve Years With Hitler: A History of 1. Kompanie Leibstandarte SS Adolf Hitler 1933-1945" , Schiffer Publishing Ltd, 1999, page 121. (Discours à la LSSAH, le 26 décembre 1940 à Metz).
  8. L'apprentissage de l'Allemand à l'école se fait notamment par des comptines allemandes, comme "Hänschen klein" pour les plus jeunes, ou l'apprentissage de l'histoire mouvementée des Germains pour les plus âgés.
  9. L'incorporation dans les troupes allemandes de plus de 380 000 Alsaciens-Lorrains en 1914, et leur conduite exemplaire pendant la Première guerre mondiale, servit de prétexte à la propagande nazie, qui voulait exploiter la fibre patriotique des anciens combattants. Le résultat fut pour le moins mitigé, et la plupart des officiers mosellans de la Grande Guerre refusèrent de prendre la carte du NSDAP et les privilèges qu’elle conférait.
  10. Emile ERB : "Le réseau d’évasion du Rehtal". Récit ronéoté, 1978.
  11. Joseph Derhan, ouvrier à Hagondange avait formé dès 1942 un "groupe gaulliste"
  12. En 1951, on recensa 44 600 bâtiments totalement détruits et 141 009 partiellement atteints.
  13. a et b "Bilan", in 1944-1945, Les années Liberté, Le Républicain Lorrain, Metz, 1994 (p.54).
  14. Colin, Jean (Général) : Contribution à l'histoire de la libération de la ville de Metz; Les combats du fort Driant (Septembre-Décembre 1944), Académie nationale de Metz, 1963 (p.13).
  15. 1944-1945, Les années Liberté, Le Républicain Lorrain, Metz, 1994. (p.35)
  16. Une section fut ouverte à Metz du 18 juin 1945 au 19 décembre 1947, et une autre à Sarreguemines, du 18 juillet 1945 au 17 janvier 1947.
  17. Article Libération-épuration in 1944-1945, Les années liberté, Le Républicain Lorrain, Conseil Général de la Moselle, Metz, 1994.
  18. Cinq exécutions ont eu lieu entre le 11 septembre et le 5 octobre 1944 et deux en 1945, après la libération du département.
  19. La seule communauté juive de Metz a perdu plus de 1600 âmes dans les camps de concentration.
  20. Les cantons de Bitche et de Volmunster ont le plus souffert avec une diminution de plus de 40% de la population. (Le Républicain Lorrain)

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