- Le rhinocéros dans l'art
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Rhinocéros dans l'art
Le rhinocéros, dont le nom, déjà fixé à l'époque romaine, signifie littéralement corne sur le nez, est un animal qui a toujours impressionné l'homme par son aspect terrifiant et massif. Représenté dès les temps préhistoriques, il a, au cours des siècles, été souvent l'objet d'estampes, de tableaux ou de sculptures. Ce thème apparaît également dans la littérature ou le cinéma.
Le rhinocéros dans l'art préhistorique européen
Bien qu'il ne soit pas aussi souvent représenté que d'autres espèces animales, le rhinocéros est figuré dans de nombreuses grottes ornées dont les Combarelles, la grotte Chauvet, la grotte Margot, Cussac, Arcy-sur-Cure. Des rhinocéros laineux sont attestés à Lascaux et à Rouffignac.
Les figurations aurignaciennes (- 32 000 à - 29 000 ans) de la grotte Chauvet comprennent une représentation de deux rhinocéros s'affrontant et une tête rhinocéros à deux cornes. Les techniques utilisées sont parfois plus qu'une simple esquisse au charbon. En particulier, les artistes ont utilisé une technique de préparation par raclage de la paroi pour faire ressortir l'animal, représenté avec un trait noir sur fond blanc [1]
Le rhinocéros dans l'Antiquité
Les archéologues ont mis au jour dans la vallée de l'Indus, sur le site de Mohenjo-daro, des tombes attribuées à la période -2400 -1800. Ils y ont trouvé des cachets rectangulaires en stéatite blanche portant de courtes inscriptions et des représentations animales dont celles de rhinocéros indiens.
Le rhinocéros a été assez peu représenté par les artistes dans l'Antiquité. En Égypte, on peut toutefois citer une représentation de Thoutmôsis III (environ -1450) chassant le rhinocéros. Il y a également un rhinocéros à deux cornes sur la Mosaïque Barberini de Préneste (Palestrina), qui reproduit un original égyptien du IIe s. av. J.-C., et un rhinocéros (indien ?) assez maladroitement représenté sur un fresque d'un tombeau de Marisa, dans le Negev (Israël), également au IIe s. av. J.-C.
Aux trois premiers siècles, les bronziers gallo-romains ont fabriqué de petites statuettes de rhinocéros en bronze. L'une est au Musée d'archéologie nationale (Saint-Germain-en-Laye) ; une autre, représentant un rhinocéros "noir" africain d'une manière très réaliste, a été retrouvée dans l'épave de Port-Vendres III et est datée de la fin du IIe siècle.
Certaines mosaïques romaines du IIe au IVe siècle représentent des rhinocéros. Il y en a un, peu réaliste, sur une mosaïque de Pérouse (IIe s.) représentant Orphée charmant les animaux, un autre sur une mosaïque de Lydda (Lod, Israël) du IVe siècle, où il fait face à un éléphant dans un paysage africain. La plus belle (et énigmatique) est un détail de la mosaïque de la "Grande Chasse" à Piazza Armerina (Sicile), également du IVe siècle, où un groupe de soldats romains capture au lasso un rhinocéros indien dans un marécage.
Le Rhinocéros et la Renaissance
Il faut attendre 1515 et la gravure de Dürer pour que l'image du rhinocéros fasse un retour en force dans l'iconographie. Le Rhinocerus de Dürer était peu réaliste, avec son armure et sa petite corne de licorne sur l'épaule. Pourtant c'est cette image, répandue dans toute l'Europe, qui sera fidèlement reproduite par presque tous les peintres, illustrateurs, sculpteurs, graveurs, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle et la tournée de Clara.
Au XVIe siècle le Rhinocerus de Dürer figure ainsi sur les armes d'Alexandre de Médicis, duc de Florence, sa tête sculptée en marbre orne la Fontana Pretoria de Palerme en Sicile, sa reproduction plus ou moins fidèle illustre les livres d'Ambroise Paré, la Cosmographie de Sebastian Münster, le livre sur les animaux de Conrad Gessner, et un grand nombre d'autres ouvrages. La France n'est pas en reste : dans le programme monumental réalisé à Paris pour l'entrée d'Henri II, le 16 juin 1548, figurait une statue du Rhinocerus de Dürer écrasant un lion, un ours et d'autres animaux sauvages, et surmonté d'un obélisque portant une allégorie de la France victorieuse.
Le Rhinocéros baroque
Cet animal semi-mythique continue au XVIIe et au XVIIIe siècle d'apparaître assez fréquemment dans les arts décoratifs (tapisseries, fresques, décor de céramique, illustrations de livres) sans toutefois inspirer de réalisations aussi monumentales que celles du XVIe siècle. Signalons toutefois un bas-relief de bronze par Giambologna sur une porte de la cathédrale de Pise (Italie).
Au milieu du XVIIIe siècle, le rhinocéros en armure est un thème conventionnel clairement lié à celui du décor exotique et de la chinoiserie. En témoignent la tapisserie du « Cheval rayé » de la Suite des Indes, ou encore ces statuettes qui font partie des chefs d'œuvre de la porcelaine de Saxe.
Avec la tournée de Clara les choses changent. L'image du rhinocéros indien a supplanté celle du monstre cuirassé de Dürer. Le Hollandais Vandelaar réalise deux gravures quasi surréalistes avant la lettre (où Clara, alors encore toute jeune, broute dans un décor de ruines accompagnée d'un squelette humain); l'Allemand Elias Ridinger réalise d'après nature dessins et gravures plus conventionnels. À la demande de Louis XV, Clara pose pour le peintre animalier Jean-Baptiste Oudry, dont le tableau monumental fut exposé au Salon de 1751, tandis qu'à Venise Pietro Longhi réalise deux versions de la Mostra del Rinoceronte, d'un réalisme outrancier.
Statues monumentales (XIXe et XXe siècles)
Le XIXe siècle en France sera celui du réalisme animalier, qui prend des proportions monumentales. Pour l'Exposition universelle de 1878 à Paris, Henri-Alfred Jacquemart réalise un rhinocéros, fondu en 1878 à Nantes dans les usines de J. Voruz Aîné. D'une hauteur de 2,86 m et d'une largeur de 2,29 m, il fait partie d'un ensemble de quatre statues de fonte (dorées à l'origine) monumentales (un cheval, un taureau, un éléphant et un rhinocéros) entourant la fontaine devant le Palais du Trocadéro. Démonté en 1935 lors de la démolition du Palais du Trocadéro, le rhinocéros de Jacquemart fut installé Porte de Saint-Cloud jusqu'en 1985. Avec le cheval et l'éléphant (le taureau est à Nîmes), ce rhinocéros est aujourd'hui sur le parvis du Musée d'Orsay.
Toujours à Paris, Auguste Cain réalise en 1882 sur commande de l'État le groupe "Rhinocéros attaqué par des tigres" en 1882. L'original en plâtre (aujourd'hui perdu ?) est présenté hors-concours au Salon 1882, et sa version monumentale en bronze est placée en 1884 dans le Jardin des Tuileries, où il se trouve toujours.
La statue de Jacquemart a sans doute inspiré en 1930 la jeune artiste américaine Katharine Ward Lane (1899-1989) qui devait décorer la façade des nouveaux laboratoires de biologie de l'Université de Harvard à Cambridge, Massachusetts. La Fondation Rockefeller avait financé le projet pour 2 millions de dollars de l'époque. De 1932 à 1937, date de l'inauguration, elle réalisa deux colossales statues en bronze de rhinocéros indiens, de la taille dit-on des plus gros spécimens connus. Traditionnellement surnommés Bessie et Victoria, ces deux rhinos comptent parmi les plus grosses statues de bronze fondues au XXe siècle aux États-Unis.
Enfin Salvador Dalí a conçu "le Rhinocéros habillé de dentelle", rhinocéros dürérien associé à des tests d'oursins. Cette statue de bronze a été produite à de nombreux exemplaires, la plupart de simples statuettes, mais une version monumentale de 3,52 m de haut et de 3,6 tonnes se trouve aujourd'hui à Marbella (Espagne). Il existe d'autres exemplaires de ce colosse.
Le Rhinocéros à l'Obélisque : du Songe de Poliphile au Rhinocéros cosmique.
C'est au XVe siècle que l'auteur du Songe de Poliphile avait imaginé un monument constitué d'une statue colossale d'éléphant portant sur son dos un obélisque égyptien. L'influence de cette œuvre inclassable fut immense aux XVIe et XVIIe siècles, notamment pour la conception de jardins. L'éléphant portant un obélisque fut réalisé par plusieurs artistes (il y en a un sur la Piazza della Minerva à Rome, œuvre d'Ercole Ferrata en 1667). Un sculpteur français - était-ce Jean Goujon ? - associa cet éléphant (qu'il ne connaissait que par les illustrations du Songe de Poliphile) au Rhinocerus de Dürer, et réalisa un rhinocéros portant un obélisque pour l'entrée solennelle du roi Henri II à Paris le 16 juin 1549. Le monument a hélas disparu, il n'en demeure qu'une gravure.
Récupéré par les surréalistes, ce thème a été repris au XXe siècle. Dans un des tableaux du Casanova de Federico Fellini, le décor du palais romain d'un diplomate britannique, dans lequel se déroule une orgie, comprend un rhinocéros dürérien rose portant sur son dos une colonne ornée d'une spirale (comme les colonnes Trajane ou Antonine) et terminée par un demi-globe, symbole sexuel évident.
Salvador Dali, quant à lui, a conçu deux sculptures. L'une représente l'éléphant du Poliphile, surmonté d'un obélisque et intitulée "l'Eléphant Spatial", l'autre le rhinocéros dürérien portant sur son dos un empilement de tests d'oursins ayant la forme d'un obélisque, et intitulée "le Rhinocéros cosmique". Les deux animaux ont les pattes démesurément allongées comme celles d'un insecte. Dali a déclaré que si la ville de Paris devait un jour lui élever une statue, il souhaitait une version colossale du Rhinocéros cosmique, surmontée de son buste par Arno Breker, et installée dans les jardins du Trocadéro, là même où s'était dressé le rhinocéros de Jacquemart.
Œuvres contemporaines
Niki de Saint-Phalle a revisité, elle aussi, le Rhinocerus de Dürer. Rehaussé de couleurs vives, elle l'a adapté sur différents supports, dont une série de bouées gonflables.
Le rhinocéros au cinéma
Au cinéma, les rhinocéros n'ont jamais joué que les figurants, sans jamais obtenir le premier rôle comme les ours et les tigres chez Jean-Jacques Annaud ou les manchots empereurs de Luc Jacquet. Toutefois, le rhinocéros a été jugé digne de figurer dans quelques scènes, dont certaines sont demeurées célèbres.
- Dans E la nave va de Federico Fellini, le paquebot qui sert de cadre au film transporte dans sa cale un gros rhinocéros. Celui-ci sera à la fin l'unique rescapé du naufrage avec le narrateur. Peut-être s'agit-il d'un hommage à la pièce Rhinocéros d'Eugène Ionesco : le rhinocéros vu comme symbole du fascisme et du totalitarisme qui marque le XXe siècle. L'action du film de Fellini se déroule en 1914, quand débute vraiment le XXe siècle. Le naufrage du paquebot est celui du monde ancien, la fin de la "Belle époque", et tout ce qu'il en reste est un rhinocéros.
- Dans le film d'animation Le Roi et l'Oiseau, de Paul Grimault (1980); on peut voir une statue représentant le Roi Charles 5 + 3 = 8 + 8 = 16 de Takicardie tuant un gigantesque rhinocéros. Ainsi, le film fait à de multiples reprises référence au thème de l'art au service de la propagande.
- Dans Les Dieux sont tombés sur la tête, film de Jamie Uys réalisé en 1980, dont l'action se déroule dans la brousse du Botswana, un rhinocéros-pompier intervient à plusieurs reprises pour éteindre un départ de feu. Une légende prétend en effet que le rhinocéros se dirige instinctivement vers un feu pour l'éteindre en le piétinant.
- Dans La Cité de la Peur, d'Alain Berbérian (1994), un commissaire de police donjuanesque ayant réussi à entraîner une attachée de presse jusqu'à sa garçonnière lui fait visionner sur sa télévision un film érotique représentant l'accouplement laborieux de deux rhinocéros indiens.
- Dans Jumanji, de Joe Johnston (1995), des rhinocéros en images de synthèse chargent à travers un mur et une bibliothèque, à la tête de toute une troupe d'animaux sauvages africains.
- Dans le film d'animation James et la Pêche géante, de Henry Selick (1996); la vie heureuse de James sur la côte anglaise s'arrête brusquement lorsque ses parents sont tués par un rhinocéros.
- Le péplum Gladiator de Ridley Scott (2000), qui met notamment en scène les jeux du cirque de la Rome impériale, prévoyait un combat de gladiateurs contre un rhinocéros dans le Colisée. La scène n'a finalement pas été réalisée.
- Dans le premier volet de l'adaptation cinématographique du Monde de Narnia, Le Lion, la sorcière blanche et l'armoire magique d'Andrew Adamson (2005), un rhinocéros courageux, allié du lion Aslan, prend une part active à la bataille contre les hordes de la sorcière blanche.
- Le péplum 300 de Zack Snyder (2007), qui représente la bataille des Thermopyles entre la phalange des Spartiates et l'immense armée perse, dote les Perses de rhinocéros de combat, dont les cornes sont armées de pointes métalliques. Il s'agit là d'une réminiscence de l'âge baroque (des auteurs espagnols des XVIe et XVIIe siècle ont imaginé de tels rhinocéros de combat dans les armées indiennes ou chinoises).
Références
- ↑ La grotte Chauvet sur Hominidés.com
Liens externes
- La licorne et le rhinocéros, extrait de la thèse de doctorat de Bruno Faidutti
- Documentaire sur l'Histoire Prodigieuse de la Dentellière et du Rhinocéros, de Salvador Dali
Catégorie : Thème artistique
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