Jean de batz

Jean de batz

Jean-Pierre, baron de Batz

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Jean-Pierre de Batz
Jean-PierreBatz.jpg

Nom de naissance Jean-Pierre de Batz
Naissance 1754
Goutz-les-Tartas
Décès 1822 (à 68 ans)
Chadieu
Nationalité France France
Profession(s) Financier
Autres activités Constituant

Jean-Pierre, baron de Batz, né le 26 janvier 1754 à Goutz-les-Tartas, en Gascogne, mort le 10 janvier 1822 au château de Chadieu, près de Vic-le-Comte, est un financier, député à l’Assemblée constituante et contre-révolutionnaire français.

Sommaire

Origines

L’origine comme la date de naissance du baron de Batz, encore plus célèbre dans la littérature romanesque que dans l’histoire, a longtemps constitué une énigme qui a ajouté à sa légende. Il est officiellement issu d’une famille roturière qui possédait des biens à Gouts et à Bégaar sur la rive droite de la Midouze, au grand et au petit Armanthieu, et ses représentants étaient qualifiés seigneurs ou co-seigneurs.

Bertrand, père du baron, était, d’après un extrait de baptême conservé à la municipalité de Tartas[1], fils posthume de Jean-François de Batz qualifié seigneur d’Armanthieu et de Dême, chevalier, conseiller du roi, lieutenant criminel en la Sénéchaussée de Tartas, qui habita la petite ville de Gouts en 1715 après avoir épousé Quitterie de Chambre en 1713. Qualifié écuyer, seigneur d’Armanthieu – il signait Batz-Armanthieu–, il fut avocat au Parlement en 1744, vécut et est mort à Goutz le 17 frimaire an X. Le 26 avril 1752, il avait épousé Jeanne-Marie-Catherine de Laboge, dame de la baronnie de Sémimian[2], née en 1730 à Laubarède.[3] qui constitua en dot les biens de campagne appelés Campets et Sainte-Croix, des meubles, une somme de 4000 livres se réservant sa chaise à porteur garnie à ses armes. Le futur apportait sa seigneurie d’Armanthieu avec ses quatre métairies nobles dans la paroisse de Bégaar et ses droits fiefs, cens et rentes. Le couple eut une fille, morte en bas âge, et deux fils, dont l’aîné Jean-Pierre, futur baron de Batz, né à Tartas le 26 janvier 1754[4].

Malgré l’opposition du généalogiste Chérin, Jean-Pierre de Batz voulut faire valider sa généalogie comme noble en prétendant que la famille de sa mère descendait d’une branche des Batz-Lomagne, famille éteinte dans les mâles. Une commission à laquelle participa Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil qui en a gardé trace dans ses papiers personnels[5] appuya ces prétentions qui furent reçues en 1780, malgré Chérin[6].

Bien qu’il se présentât en 1787 comme très haut et très puissant seigneur Jean, baron de Batz-Lomagne, des vicomtés de Lomagne et d’Auvillard[7], le baron de Batz appartenait à une famille de parlementaires qui ne se rattachait pas aux Batz-Lomagne. Il avait bien présenté de faux titres provenant soi-disant de sa mère à la commission chargée d’établir sa filiation[8].

Ce constat trouve un écho dans la légende troublante accompagnant la gravure d’un portrait de profil à la sanguine de J.-P. de Batz d’après Louis-Roland Trinquesse, et réalisée en 1775 :

Ami de tous les arts, il vole à leur rencontre,
Sa naissance il la cacha et son âme la montre[9].

Agioteur et spéculateur

On ignore presque tout de sa jeunesse mais le jeune homme bénéficia d’une éducation soignée qui lui permit de faire valoir son goût et ses talents pour le commerce et la haute finance. Breveté baron de Sainte-Croix par Louis XVI[10], il fut admis au régiment du Royal infanterie où le chevalier de Coigny, qui le connaissait, dit qu’il ne mit jamais les pieds. Des passeports indiquent qu’il était blondin, yeux bleus, « assez gentil de figure » mais de petite taille (cinq pieds, une taille à peine la taille moyenne d’une femme). Courtisan, diplomate, très astucieux, il était fort bien introduit dans la maison du vieux marquis de Brancas et se fit des relations avec des gens de la cour, principalement la marquise de Brancas, née Catherine-Frédérique van Nyvenheim van Neukerque, une fort belle femme, hollandaise, sœur de la fameuse marquise de Champcenetz aimée de Louis XV. Or cette dame qu’il voyait régulièrement sous la Révolution était aimée du puissant ministre dit des lettres de cachet, le baron de Breteuil, gentilhomme de la chambre du roi, que Batz rencontra avant 1780. Ces relations laissent penser qu’il fut reçu à Versailles et peut-être dans le cercle rapproché de la reine. Devenu le chargé d’affaires du baron de Breteuil mais agissant aussi pour son compte personnel, il investit dans la Compagnie des Indes, et fut partie prenante dans la grande spéculation orchestrée par l’abbé d’Espagnac et d’autres financiers avec l’aval du contrôleur général Calonne qui laissa s’opérer ce qu’on appelle aujourd’hui un « délit d'initié ». Ces spéculateurs achetèrent ainsi des actions des Indes tant qu’elles étaient au plus bas pour, dès l’annonce par Calonne de la fin du monopole et la création de la nouvelle compagnie des Indes entraînant une remontée immédiate des valeurs, réaliser d’immenses profits[11].

Batz comme les autres (dont son nouvel ami Jean-Jacques Duval d'Eprémesnil), retira de substantiels bénéfices de cette opération. Il réinvestit ses fonds en rachetant des bâtiments du quartier de la Comédie italienne appartenant à la succession du duc de Choiseul, placements locatifs, entre autres rue Favart. Ces placements lui permirent d’investir dans des compagnies financières existantes mais surtout de créer la première Compagnie royale d’assurances sur la vie (10 juin 1788), lucrative institution financière à laquelle il associa son ami le financier suisse Étienne Clavière[12].

Par ses sens des affaires, par la grâce de ses protecteurs, particulièrement le baron de Breteuil, gentilhomme de la Chambre dont il servit continûment les intérêts jusqu’au Directoire, Batz s’était enrichi prodigieusement en cinq ans, ce qui l’amena à racheter les seigneuries de Sainte-Croix et Carcarès, domaines de son pays d’origine, où il fit édifier le château de Goutz dont les travaux n’étaient pas terminés en 1792 et restaurer la bâtisse féodale de Sainte-Croix[13]. Grâce à son anoblissement appuyé par ses amis et protecteurs, il avait pu intégrer le Régiment des Dragons de la reine puis recevoir du comte de Latour d’Auvergne des lettres de provision de Sénéchal d’Épée du duché d’Albret[14] en remplacement de feu le marquis de Pons[15].

Il avait aussi acquis divers domaines en Île de France - dont la seigneurie de Gérouville dépendante de celle de Crosne -, et surtout, un petit bijou d’architecture situé sur le grand chemin de Bagnolet, à l’est de Paris, qu’on appelait couramment l’ermitage de Bagnolet. Il en avait passé acte le 12 juin 1787, avec Simon Ferrand de Sandrecourt, au prix de 36 000 livres. Cette maison dont les murs furent témoins de scènes dramatiques – l’arrestation de ses amis en 1793 –, était composée d’un grand salon de rez-de-chaussée, « orné de peintures », doté de vastes ouvertures de plain pied sur un magnifique parc paysager. Une cour comportait des écuries « pour dix chevaux » et une remise, un logement de jardinier, des serres et autres bâtiments, un jardin fruitier, un jardin potager, des vignes, des bois, des pièces d’eau provenant des chutes de l’étang de Launay, le tout s’étendant sur plus de 16 arpents.

On ne sait si c’est lui ou un de ses homonymes qui fut envoyé en mission officielle en Espagne pour resserrer l’alliance contre l’Angleterre, il obtient à Madrid un brevet de colonel de cavalerie.

En 1788, il devient correspondant de la noblesse du duché d'Albret, avant de se faire élire député de la noblesse de Nérac aux États généraux.

Membre du comité de liquidation de la Constituante

Sous la Constituante, il fut d’abord nommé membre du comité des rapports en octobre 1789 mais sa réputation de financier avisé lui valut d’être adjoint le 28 mai 1790 au comité de liquidation, créé en janvier et dont le rôle était d’entamer la vérification de l’énorme masse des dettes et arriérés souscrites par l’ancienne monarchie à l’égard de tiers. Il s’agissait d’évaluer au cas par cas les charges vénales à liquider et de proposer au remboursement par le Trésor celles qui mériteraient d’être retenues. À cette liquidation qui portait sur plusieurs centaines de milliards furent affectés dès l’origine des centaines de millions d’assignats fraîchement créés. Aucun comité d’assemblée ne revêtait alors autant d’importance que celui de liquidation parce que touchant à tout il pouvait tout paralyser. Batz avait compris que c’était là que battait le pouls du pays.

Le rôle quasi discrétionnaire qu’il partagea avec ses collègues du comité sur l’évaluation de certains droits féodaux supprimés le 4 août et certaines rentes anciennes, le remboursement d’emprunts consentis par des particuliers avec des intérêts courant parfois depuis un demi-siècle, était exorbitant. Mais la masse des députés était peu ouverte à ces questions, réservant son temps et son énergie à l’examen des questions de politique générale.

Un examen rapproché indique que la gestion de Batz au comité de liquidation fut assez déplorable pour les intérêts de la nation et profitable à ceux de la contre-révolution. Il apparaît même que plusieurs liquidations de créances frauduleuses sont passées, grâce à Batz, qui avait su envelopper ses rapports d’une aura technique désarmante. Il couvrit même des opérations de spéculation sur des créances appartenant à des personnes pressées d’en finir et qui étaient prêtes à vendre leurs créances aux amis de Batz, ensuite de quoi ces derniers se les faisaient rembourser avantageusement. Toutes ces opérations furent décrétées par l’assemblée qui, apparemment, avait la tête ailleurs. De même, lorsque le 25 juin 1790, il prétendit que la dette publique s’élevait à sept milliards beaucoup de ses contradicteurs étaient dans l’incapacité de fourbir les justes contre arguments. Batz a beaucoup joué de sa supériorité, d’abord en se servant lui-même (obtention d’une « indemnité pour l’aliénation d’un droit de péage de son domaine de Sainte-Croix »[16], etc.) et en servant ceux à qui il était redevable d’une protection intéressée, c’est-à-dire, principalement, le baron de Breteuil, sa fille la duchesse de Matignon, et la belle duchesse de Brancas Villars maîtresse de Breteuil, qui bénéficièrent en 1791 de remboursements substantiels[17].

Agent royaliste

Dans le même temps, le baron de Batz était devenu l’un des conseillers occultes de Louis XVI, chargé d’organiser le financement de la politique parallèle et secrète mise en œuvre au château des Tuileries sous Montmorin (ancien ministre des affaires étrangères), laquelle était destinée à défendre les intérêts supérieurs des Bourbons, et qui se poursuivit au moins jusqu’au 10 août 1792. Cette politique, qui a été partiellement étudiée, avait plusieurs finalités. Le principal objectif auquel s’intéressa tout particulièrement le financier Batz fut la recherche de fonds privés[18] qui s’ajouteraient à ceux de la liste civile et permettraient la mise en œuvre de plusieurs actions. Il avança à Louis XVI, pour son propre compte, une somme dépassant les 500 000 livres.

Ces actions étaient, grosso modo, de trois ordre : la mise en place d’une diplomatie parallèle à celle, officielle, du ministère (ou département) des affaires étrangères; la seconde action visait à l’embauchage de personnalités diverses, notamment les journalistes et les écrivains, mais surtout les personnalités les plus populaires dans les clubs, dont l’influence et les services rendus seraient monnayés; la dernière action – évidemment la plus importante – consistait à acheter des suffrages ou des consciences parlementaires, pour exercer en quelque sorte un lobbying politique actif tel qu’il se pratique couramment aujourd’hui dans les démocraties parlementaires d’Europe et d’ailleurs.

Copieusement enrichi par la spéculation financière où il excellait, Batz fut en mesure de consentir des avances à la caisse noire des Tuileries sur laquelle veillaient l’intendant de la Liste civile, Arnault de Laporte, le banquier de cour Joseph Duruey et Maximilien Radix de Sainte-Foix, ancien contrôleur des finances du comte d’Artois. Radix, qui avait été exilé sous l’ancien régime était revenu de Londres à Paris avec l’intention de soutenir la monarchie parlementaire telle qu’elle avait été mise en place sous la Constituante et telle que les membres du club des Feuillants entendaient la consolider contre les partisans d’une république.

Maximilien Radix de Sainte-Foix, conseiller occulte de Louis XVI aux Tuileries dépensa beaucoup d’argent pour un résultat très catastrophique. Outre Batz, il s’était entouré de plusieurs membres de sa propre famille, principalement son neveu Omer Talon et le beau-frère de celui-ci, un richissime banquier belge nommé Jean-Baptiste de Pestre de Séneffe qui avait la confiance de puissantes maisons de finance européennes, notamment Walckiers, Herries, Laborde, Boyd, etc. À Radix de Sainte-Foix s’agrégeaient enfin trois diplomates qui firent carrière sous Napoléon, à savoir Benoist d'Angers, Maret et Sémonville, lui-même parent de Radix. Le baron de Batz n’était qu’un pion parmi d’autres et sa spécialité fut moins la diplomatie que les questions financières rapportées à la politique intérieure. Ses connaissances et son audace inquièteront au plus au haut point les Conventionnels de 1793, tel Robespierre, peu versés en matière de finance.

Le meilleur allié de Batz fut le ministre des finances de la Convention, Étienne Clavière qui fut son principal collaborateur et ami dans divers les projets financiers qu’ils avaient développé sous l’Ancien régime. C’est sous couvert de missions à l’étranger dont le chargeait Étienne Clavière qu’il effectua plusieurs voyages à l’étranger entre mars 1792 et janvier 1793.

Revenu à Paris en janvier 1793, le baron de Batz aurait tenté de faire évader Louis XVI sur le chemin de l’échafaud. Cette histoire est née d’une dénonciation de Châtelet agent du Tribunal révolutionnaire, qu’aurait confirmée Pierre Devaux, secrétaire de Batz fort maltraité en prison et dont la tête et celle de sa jeune femme ne tenaient qu’à un fil. Arrachée par la violence par la police politique de prairial an II, cette dénonciation validée par Devaux a été utilisée Élie Lacoste dans son rapport sur la conspiration de l’étranger qui a été publié. le fait a ensuite été repris par le comte d’Allonville qui était friand d’anecdotes secrètes, par l’auteur des Mémoires de l’abbé Edgeworth et d’autres auteurs de la Restauration. Or le doute provient du fait qu’il n’existe pas de documents d’archives tels que rapports de police, procès-verbaux d’interrogatoire ou ordres d’écrou datés du mois de janvier 1793 laissant penser que Batz, entouré de gentilshommes à sa dévotion, aurait cherché à soulever la foule et à enlever Louis XVI dans le quartier de Bonne Nouvelle. il est difficile de trancher, et on peut se borner à penser que le projet était « dans l’air », même s’il n’a pas abouti.

Depuis son retour d’Angleterre, Batz qui redoutait d’être considéré comme un émigré rentré, était demeuré dans une semi-clandestinité jusqu’à ce qu’il puisse obtenir un certificat de non émigration qui lui fut délivré au mois de juin 1793.

Il ne logeait plus rue de Ménars chez ses amis Griois mais rue Helvétius chez le citoyen Roussel, puis il déménagea chez le citoyen Cortey, rue de la loi (de Richelieu). Mais il est certain qu’il résida souvent dans la propriété de Charonne qu’il avait vendue fictivement à Marie de Grandmaison, sa maîtresse. Celle-ci y séjournait volontiers, y recevant ses proches et ses amis parmi lesquels les célèbres peintres François-André Vincent et sa compagne Adélaïde Labille-Guiard – le peintre Vincent et sa sœur, Catherine-Suzanne Griois, étaient locataires à Paris de Marie de Grandmaison –, ainsi que la talentueuse Marie-Guilhelmine Benoist, née Leroulx de Laville, cette dernière accompagnée de son mari l’avocat et diplomate Benoist d’Angers, agent principal d’Omer Talon à Paris, et l’un des principaux agents contre-révolutionnaires chargé de développer la corruption au sein des institutions républicaines. C’est Benoist d’Angers, sans doute plus que Batz, qui était en mesure de pratiquer des ouvertures auprès de Hébert et des membres de la Commune, grâce à son « pays » Delaunay d’Angers lui-même membre du Comité de sûreté générale.

Le Protée des comités de gouvernement

Selon une déclaration faite plus tard de prison par le député François Chabot, à la demande du Comité de sûreté générale, le baron de Batz avait, tout le printemps 1793, fréquenté aussi bien des meneurs de la Commune de Paris que des conventionnels comme Chabot lui-même, Basire, Julien de Toulouse ou Delaunay d’Angers qui appartenaient tous les quatre au Comité de sûreté générale, et de qui il obtint des services rémunérés pour lui ou pour ses amis. Chabot qui avait été pris la main dans le sac dans l’affaire de friponnerie de la Compagnie des Indes à laquelle Batz n’eut aucune part, a aussi affirmé que celui-ci avait eu des entretiens avec des banquiers suisses et allemands, notamment les banquiers autrichiens Junius Frey et son frère Emmanuel, le Bruxellois Proly, l’Espagnol Andres Maria de Guzman, le Portugais Pereira.

Il est certain que, après le 2 juin 1793, n’ayant pas pu sauver les Girondins parmi lesquels il avait des amis, Batz pourrait avoir été tenté un mois durant de manipuler certains administrateurs ou élus corrompus pour obtenir des papiers en règle.

A-t-il, comme cela a été suggéré, cherché à faire évader Marie-Antoinette ? La dénonciation à ce sujet émane de François Chabot qui, le 26 frimaire an II[19] a affirmé à Maximilien de Robespierre qu’il avait été approché par la ci-devant marquise de Janson, une dame royaliste un peu exaltée, revenue de Suisse pour préserver sa fortune, et qui avait réussi à se faire « désémigrer ». Elle aurait, dit Chabot, demandé à Batz de lui avancer un million pour acheter des complicités et pouvoir prendre la place de Marie-Antoinette à la Conciergerie[20].

Or - comme le dit assez justement Alexandre de Lameth - si Batz n’avait pas le million nécessaire pour sauver Louis XVI, comment l’aurait-il trouvé pour sauver Marie-Antoinette ? Une seule dénonciation, et surtout celle de Chabot à qui il avait été bien recommandé de compromettre Batz aux yeux de Robespierre s’il voulait se sortit de l’ornière où il était et sauver sa tête, n’est pas une preuve. D’après son passeport, Batz devait se rendre au Havre où il retrouva ses amis d’Eprémesnil dans leur propriété où il passa une partie de l’été. C’est là probablement que se noua son idylle avec Melle Thilorier[21], la fille cadette d’un premier mariage de Mme d'Eprémesnil.

Grâce à Lullier, président du directoire du département, il avait réussi à se faire donner les papiers nécessaires (certificats de non émigration) à l’obtention d’un passeport en règle – les déplacements en province nécessitaient une autorisation –, et il était au moment du départ à la date bien précise du 8 juillet 1793. Toutes les mentions ou allusions à sa présence à Paris après août 1793, et cela pendant plus d’un an, sont erronées. Tous les dossiers de police de la Révolution au Consulat (alors que son dossier était encore en cours de traitement) confirment qu’il a constamment voyagé en province et en Suisse entre l’été 1793 et la fin de ventôse an III. Les visas divers apposés sur son passeport ont été apposés par diverses municipalités et prouvent que Batz n’a pas menti et qu’il ne se cachait pas à Paris au moment de l’affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes.

C’est depuis la province qu’il a su combien, à Paris, on se servait de son nom agité dans les comités comme un épouvantail. Il était partout et nulle part. Le grand conspirateur était, à en croire certains membres des comités dont Barère de Vieuzac, un Protée que l’on pouvait s’attendre à voir surgir n’importe où n’importe quand, et cette invisibilité le rendait d’autant plus dangereux. Grâce à cette intoxication, comme on dirait aujourd’hui, on pouvait donner un visage et une identité aux complots royalistes de l’intérieur.

Or ce leurre a été totalement inventé par Barère, qui s’appuya sur des dénonciations de commande, pour fixer l’attention de Robespierre et des Jacobins sur les « complots ». Beaucoup plus influençable qu’on ne l’imagine, l’Incorruptible a fermement cru à cette fable qui a été soigneusement entretenue par ses faux amis Barère, Collot, Billaud et le Comité de sûreté générale de l’an II, pendant une période qui se situe entre le moment où l’on a découvert la « Lettre anglaise » (juillet 1793) et celui (15 juin 1794) où Élie Lacoste a officialisé dans son rapport la conspiration de l’étranger dont Batz était supposé tirer les ficelles. Cette extraordinaire fable à laquelle Robespierre et de nombreux conventionnels ont cru de bonne foi, a ensuite été reprise à leur compte par des générations d’historiens dont G. Lenotre et Alain Decaux qui, prenant les déclarations d’Élie Lacoste pour argent comptant, en en rajoutant encore, se sont vainement efforcé de « prouver » la véracité des agissements extraordinaires de Batz.

Ainsi, pour les royalistes en mal de romantisme, le baron de Batz est longtemps apparu comme une réincarnation de d’Artagnan et son personnage fantasmé a assurément inspiré Alexandre Dumas pour le Chevalier de Maison-Rouge, qui emprunte autant à Batz qu’à Rougeville. Et cela malgré les dénégations de Batz qui a inlassablement répété être demeuré étranger à cette affaire effrayante. De fait, ses prétendues conspirations se sont limitées à un certain savoir-faire en matière financière au temps de la Constituante et de la Législative.

Les deux complots de l’étranger

Le dispositif destiné à donner une réalité au complot de Batz ou de l’étranger s’est fondé sur les dénonciations de commande produites à partir de décembre 1793 par Chabot puis, de façon systématique par Dossonville et ses créatures, à savoir, le repris de justice Armand et l’aristocrate taré Louis-François de Ferrières-Sauvebeuf, condamnés à mort virtuels et tous les deux dénonciateurs en sursis. Ce complot dit de Batz fut donc véritablement un complot chimérique destiné à masquer un complot d’une autre envergure dont le point d’orgue fut le 9 thermidor an II, et les agissements politiques de certains membres des comités de gouvernement, particulièrement Barère de Vieuzac. Cette opération politico-policière permit des mois durant, de concentrer l’attention des Jacobins sur les prétendus dangers que Batz et ses complices faisaient courir à la Convention, dans le but de la dissoudre. Et ces dénonciations et accusations, comme tous les grands mensonges d’état, mêlaient le vrai et le faux.

Après la découverte, fin octobre 1793, d’une tentative d’escroquerie de quatre députés dans la liquidation de l’affaire de la liquidation de la compagnie des Indes, le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale, entraînés par Barère de Vieuzac, avaient désigné Batz comme étant le chef de ce complot visant à avilir les institutions républicaines. À cette époque, Bertrand Barère de Vieuzac, rapporteur au Comité de salut public et supervisant les affaires diplomatiques, cherchait à justifier la Terreur qu’il avait mise à l’ordre du jour, comme instrument de gouvernement en arguant de la réalité de complots multiples et en agitant le spectre de la patrie trahie et vendue à l’étranger. On accusa également Batz, au lendemain d’une tentative d’évasion de la reine, d’être l’un des instigateurs du projet ; on l’accusa enfin d’avoir cherché à corrompre des députés pour les dresser contre le Gouvernement révolutionnaire et à favoriser la contre-révolution, voire en utilisant les excès des ultra-révolutionnaires tels que Chaumette, Gobel et Hébert, notamment la déchristianisation.

Son nom est ainsi apparu dans l’affaire dite des Exagérés, le 14 mars 1794, lorsque plusieurs proches de la Commune de Paris, proches des Cordeliers, et à leur tête Vincent, Ronsin et Jacques-René Hébert, furent guillotinés comme complices de l’étranger avec les nommés Anacharsis Clootz, Jacob Pereira et Berthold Proly, tous les trois ressortissants étrangers. Puis à nouveau, le 5 avril suivant, Danton, Camille Desmoulins, Philippeaux et diverses personnes qui ne se fréquentaient pas, furent amalgamées les unes aux autres et exécutées avec les députés compromis dans le prolongement judiciaire de l’affaire de la Compagnie des Indes dont on accusait couramment, depuis les déclarations arrachées à Chabot, le ci-devant baron de Batz d’être l’instigateur principal : c’est lui, disait-on, qui avait soudoyé Chabot, Basire, Delaunay d’Angers et Fabre d'Églantine, c’est lui encore qui les avait mis en rapport avec des marchands d’argent dont l’abbé d’Espagnac, Andres Maria de Guzman et les Frey.

Or tout était faux, tout reposait sur de fausses déclarations signées par François Chabot et Claude Basire qui savaient risquer gros depuis qu’ils avaient été officiellement mis en cause par leur ancien complice Amar dans son rapport sur la falsification du décret de liquidation de la Compagnie des Indes.

Le baron de Batz, qui était loin de Paris, apprit ainsi avec consternation que ses intimes et la plupart de ses relations avaient été arrêtés, les six premiers - dont Marie de Grandmaison - dès septembre 1793 dans la villa dite l’Ermitage de Charonne, et les autres au fur et à mesure. L'arrestation de son ex-maîtresse, puis celle de Mme d'Eprémesnil et de sa fille cadette qui réchappa seule à l'hécatombe, le bouleversèrent assurément, mais il ne pouvait rien pour elles. Tous et toutes avaient été disséminés dans les prisons de Paris puis rassemblée en germinal et floréal, après le procès de Danton, dans une seule et même prison, Sainte-Pélagie, d’où ils partirent pour la conciergerie et le Tribunal révolutionnaire régi par la loi du 22 prairial, sans débats contradictoires. Pour donner vraisemblance à un complot imaginaire dont Batz serait le centre, il fallait recueillir un certain nombre de dénonciations qui serviraient à bâtir un acte d’accusation que les accusés, privés de parole, ne pourraient pas réfuter. Or il n’y avait rien de tangible à reprocher aux amis de Batz sinon le fait qu’ils l’avaient connu, plus ou moins, selon les cas. Pour contourner la difficulté, la police politique chargea son agent Jean-Baptiste Dossonville de se charger du montage policier de cette affaire.

Les chemises rouges

Ainsi, le 17 juin, parmi les soixante condamnés des chemises rouges, une vingtaine de personnes innocentes des complots dont les dénonciateurs gagés les accablaient étaient des amis ou des intimes de Batz. À ces malheureux, on avait adjoint d’autres que, pour des raisons diverses et toujours monstrueuses, on voulait se défaire. Les relations de Batz étaient principalement le sieur Devaux, dont l'épouse née Saint-Haon était incarcérée, le ci-devant marquis de La Guiche dont l'épouse était émigrée, le ci-devant comte Théodore de Marsan, Melle Marie-Madeleine Babin de Grandmaison et sa suivante Nicole Bouchard, Mme d'Eprémesnil, née Sentuary, et ses logeurs Mme Griois, née Vincent, et les citoyens Cortey et Roussel. D'autres étaient des membres de la commune hébertiste à qui il aurait eu plus ou moins affaire pour des raisons administratives, mais aussi, semble-t-il, pour favoriser un projet chimérique d'évasion de Marie-Antoinette qui se révélait impraticable tant les incertitudes étaient grandes.

Après la Terreur

Revenu en France en l’an III, Batz fut mêlé à l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (25 octobre 1795). Arrêté, emprisonné, il dut son salut à la présence d'esprit de Melle Thilorier, sa future épouse, et de la ci-devant marquise de Janson[22], qui enlevèrent ses papiers avant la pose des scellés à son domicile[23].

Après le coup d'État du 18 fructidor an V, il se réfugia en Auvergne, où il avait acheté un château. Découvert, il fut arrêté, mais s’évada lors de son transfert vers Lyon et passa en Suisse.

Revenu à Paris sous le Consulat, il obtint, grâce à Regnaud de Saint-Jean d'Angély, d’être radié de la liste des émigrés. Il voyagea à l'époque de la paix d'Amiens et ne participa pas aux conspirations royalistes contre Bonaparte. En 1808, il s'agrégea à la famille de Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély et de Mme de Bonneuil, ses amis de toujours, en épousant Melle Augustine-Michelle - dite Désirée - Thilorier, fille cadette du premier mariage de Mme d'Eprémesnil guillotinée avec son mari en 1794[24]. Il abandonna toute activité politique pour s’occuper de son domaine de Chadieu, en Auvergne.

Sous la Restauration, il obtint le grade de maréchal de camp et la croix de Saint-Louis pour ses services, ainsi que le commandement militaire du Cantal, qui fut supprimé après les Cent-Jours. Retiré dans son domaine de Chadieu, il y meurt le 10 janvier 1822. Sa belle-sœur, Mme Legras de Bercagny qui vivait chez lui y mourut à son tour. La baronne de Batz mourut à Paris sous le second Empire.

Représentations littéraires

Jean de Batz est le héros d’une série de romans de Juliette Benzoni, le Jeu de l’amour et de la mort.

Notes

  1. Cité dans de Bonald, François Chabot, 1908, pp.238-239
  2. C’est sur ce titre de noblesse dont la légitimité est très douteuse qu’ont porté les discussions sur les origines nobles de Batz
  3. Contrat passé chez Labeyrie notaire à Mugron
  4. Archives de la Municipalité de Tartas, GG20; inscrit « 1755 » sur la généalogie de Batz conservée dans les papiers d’Eprémesnil
  5. Papiers d’Eprémesnil, « tableau de la généalogie produite par M. le baron de Batz » AN, 158AP (3) dossier 11
  6. Concernant la « seigneurie d’Armanthieu », il y a aussi un problème car il a existé une autre famille de ce nom dont Jean-Pierre de Batz, seigneur d’Armenthieu, qui eut un fils guillotiné à Saint-Sever en mars 1794. Peut-être le baron de Batz voulait faire valoir cette prétention du fait que sa mère, Marie de Laboge, avait été mariée en premières noces avec Pierre-Hector de Junca, gentilhomme, allié à cette famille par sa mère Marguerite de Batz, fille de Louis de Batz et de Jeanne d’Artigues, elle-même fille de Guillaume d’Artigues, bourgeois de Saint-Sever, et de Marguerite d’Armanthieu. Cette Marguerite de Batz était sœur de cet autre Jean-Pierre de Batz, seigneur d’Armanthieu, capitaine au régiment de Lorraine, qui eut plusieurs enfants dont l’héritier fut Antoine de Batz d’Armanthieu, guillotiné à Saint-Sever le 27 mars 1794, d’où postérité.
  7. AN, Minutier central, étude Minguet le 12/6/1787
  8. Il semble qu’il ait racheté vers 1777 à un membre de la famille noble du Lin de Marsan les titres d’une famille landaise de Galard de Marsan, du Lau du Lin de Marsan, Marsan de Sainte-Croix, possédant la baronnie de Séminian, d’où ce nom de Laboge-Marsan et cette terre noble de Séminian dont il a qualifié feue sa mère.
  9. Sanguine originale, signée et datée 1775, in exposition rétrospective « Alfred de Dreux », Galerie La Cimaise, 174, faubourg Saint-Honoré, reproduite dans Catalogue de gravures du XIXe siècle, Paris, 1988.
  10. Le 29 décembre 1776.
  11. En 1787, il possédait 680 actions des Indes formant 692 073 livres et six sols : AN, T699.
  12. Il possédait 745 actions de la compagnie d’assurance sur la vie formant en 1787 la somme de 1 307 820 livres et 80 sols, AN, T 699
  13. Il était aussi propriétaire du châteaux de Loustalau que l’on peut identifier avec celui de Goutz (?)
  14. Les 30 aout 1788 et date 28 janvier 1789.
  15. Il obtint aussi un brevet de lieutenant de vaisseau par le comte de Chalais
  16. Le 21 juillet 1791.
  17. Sur Batz financier au comité de liquidation, voir principalement Arnaud de Lestapis, Batz et la créance Guichon, Annales historiques de la Révolution, p. 195 ; Jean Bouchary, Les Manieurs d’argent, Paris, 1941-1943, vol. I, II et III.
  18. Il est probable que des sommes d’argent issues du remboursement de créances opéré par le comité de liquidation furent ensuite affectées à la cause royale.
  19. Desessarts, Procès fameux, III, p. 31
  20. Lettre de son fils à Decazes, BHVP, Ms.882 fol.253).
  21. Augustine-Françoise dite Désirée Thilorier qui remplaça Melle de Grandmaison, et qu’il épousa en 1808.
  22. Condamnée par contumace depuis le rapport d'Élie Lacoste comme « agente enragée de la conspiration, chargée de suborner Chabot et d'enlever la femme Capet », bénéficiant, depuis, de la protection de son cousin Barras.
  23. D'Allonville, Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État
  24. Sa sœur Marie-Antoinette Thilorier, dite Chloé, avait épousé en 1794 l'ex-abbé Claude Armel Legras de Bercagny, comapagnon de d'Eprémesnil sous la Révolution, devenu préfet de Napoléon

Sources

  • Olivier Blanc, Les Hommes de Londres, histoire secrète de la Terreur, Paris, Albin Michel, 1989.
  • Olivier Blanc, La corruption sous la Terreur, Paris, Robert Laffont, 1993.
  • Roger Dupuy, « Jean, Baron de Batz », in Albert Soboul (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989 (rééd. Quadrige, 2005, p. 96-97)
  • Noëlle Destremau, Le Baron de Batz un étonnant conspirateur, Nouvelles Éditions latines.
  • G. Lenotre, Le Baron de Batz, Librairie académique Perrin et Cie
  • Robert Schnerb, « À propos d’Admirat et du baron de Batz », Annales historiques de la Révolution française, 1948, p. 471-488.
  • Baron de Batz, La Vie et les conspirations de Jean, baron de Batz, 1754-1793, - Les conspirations et la fin de Jean, Baron de Batz, 1793-1822, Calmann-Lévy, 1910-1911.
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