- Indépendance (probabilités)
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L'indépendance est une notion probabiliste qualifiant de manière intuitive des événements aléatoires n'ayant aucune influence l'un sur l'autre. Il s'agit d'une notion très importante en statistique et calcul de probabilités.
Par exemple, la valeur d'un premier lancer de dés n'a aucune influence sur la valeur du second lancer. De même, pour un lancer, le fait d'obtenir une valeur inférieure ou égale à quatre n'influe en rien sur la probabilité que le résultat soit pair ou impair[1] : les deux événements sont dits indépendants.
L'indépendance ou non de deux événements n'est pas toujours facile à établir.
Sommaire
Indépendance de deux évènements
La définition mathématique de l'indépendance de deux évènements est la suivante :
Définition — A et B sont indépendants
La définition mathématique ci-dessus est assez peu parlante. Le lien entre le concept intuitif d'indépendance et la "formule produit" ci-dessus apparaît plus clairement si l'on introduit la notion de probabilité conditionnelle :
Définition — Si la probabilité conditionnelle de A sachant B, notée est définie par la relation ci-dessous :
En excluant les cas particuliers peu intéressants où B est impossible, et où B est certain, on peut alors reformuler la définition de l'indépendance de la manière suivante
Définition — Lorsque la probabilité de B n'est ni nulle, ni égale à 1, A et B sont indépendants si l'une des conditions suivantes, toutes équivalentes, est remplie :
Ainsi les évènements A et B sont dits indépendants si notre pronostic sur l'évènement A est le même :
- si on sait que l'évènement B s'est produit (pronostic ),
- si on sait que l'évènement B ne s'est pas produit (pronostic ),
- si on ne sait rien sur le statut de l'évènement B (pronostic ).
Autrement dit, A est dit indépendant de B si notre pronostic sur l'évènement A n'est affecté par aucune information concernant B, ni par l'absence d'information concernant B. On peut échanger les rôles de A et de B dans la définition utilisant les probabilités conditionnelles, à condition bien sûr d'exclure les cas particuliers peu intéressants où A est impossible, et où A est certain.
Bien que la définition utilisant les probabilités conditionnelles soit plus intuitive, elle a l'inconvénient d'être moins générale, et de ne pas faire jouer un rôle symétrique aux deux événements A et B.
Notons par ailleurs qu'un évènement certain A est indépendant de tout évènement B quel qu'il soit. Un évènement impossible est également indépendant de tout autre évènement. En particulier, un événement A est indépendant de lui-même à la condition que A soit soit certain, soit impossible. En effet, si l'événement A est indépendant de lui-même, on peut écrire :
et on en déduit que la probabilité de l'événement A vaut soit 0, soit 1.
Indépendance de n évènements
La notion d'indépendance peut être étendue à n événements, via la notion d'indépendance des tribus, mais on va plutôt donner ici deux critères plus lisibles :
Critère 1 — n événements sont dits indépendants si et seulement si, pour toute partie on a
Le nombre total de conditions à vérifier est donc le nombre de parties possédant au moins deux éléments, à savoir :
L'indépendance des n évènements entraîne que
ce qui correspond au choix particulier mais est une propriété beaucoup plus faible que l'indépendance. Dans le même esprit, comme on le constate dans l'exemple ci-dessous, n événements peuvent être indépendants deux à deux, ce qui correspond à vérifier la propriété pour toutes les parties à 2 éléments, sans pour autant être indépendants :
Exemple :On lance deux dés et on pose
- A1 : le résultat du lancer du dé n°1 est pair,
- A2 : le résultat du lancer du dé n°2 est pair,
- A3 : la somme des résultats des 2 lancers est impaire.
On a
alors que, pourtant, pour choisis arbitrairement,
Critère 2 — n événements sont dits indépendants si et seulement si, pour tout choix de on a
où, par convention, et
Indépendance des variables aléatoires
Définitions
Il y a plusieurs définitions équivalentes de l'indépendance d'une famille finie de variables aléatoires. On peut en particulier définir l'indépendance d'une famille de tribus, et voir ensuite l'indépendance des évènements et l'indépendance des variables aléatoires comme des cas particuliers de l'indépendance des tribus. Cela permet de démontrer certains résultats généraux sur l'indépendance une seule fois, pour les tribus, puis d'en déduire la version "évènements" et la version "variables aléatoires" de ce résultat général immédiatement (un exemple est le lemme de regroupement). Cependant, il est peut-être préférable de donner d'abord deux définitions de l'indépendance des variables aléatoires qui soient opératoires pour les applications, et quelques critères commodes. Dans ce qui suit on considère une suite de variables aléatoires définies sur le même espace de probabilité , mais éventuellement à valeurs dans des espaces différents :
Définition — est une famille de variables aléatoires indépendantes si l'une des deux conditions suivantes est remplie :
- on a l'égalité
- pour n'importe quelle suite de fonctions définies sur à valeurs dans dès que les espérances ci-dessus ont un sens.
Les espérances ci-dessus ont un sens si les sont mesurables, et si est intégrable, ou si les sont mesurables et positives ou nulles. Typiquement, dans les applications, Dans le cas de deux variables aléatoires réelles cela donne :
Définition — Deux variables aléatoires réelles X et Y sont indépendantes si l'une des deux conditions suivantes est remplie :
- pour tout couple de fonctions boréliennes et dès que les espérances ci-dessous ont un sens, on a
Les définitions précédentes traitent de familles finies de variables aléatoires, numérotées de 1 à n par commodité, sans que cela restreigne la généralité des énoncés : en effet, on peut toujours numéroter de 1 à n les éléments d'une famille finie de variables aléatoires. De plus, les définitions font jouer des rôles symétriques à chaque élément de la famille, si bien que le choix d'une numérotation ou d'une autre est sans effet sur la vérification de la définition.
L'indépendance d'une famille quelconque (éventuellement infinie) de variables aléatoires est la suivante :
Définition — Une famille quelconque de variables aléatoires définies sur est une famille de variables aléatoires indépendantes si et seulement si toute sous famille finie de est une famille de variables aléatoires indépendantes (c'est-à-dire, si et seulement si, pour toute partie finie I de J, est une famille de variables aléatoires indépendantes).
Cas des variables aléatoires à densité
Soit une suite de variables aléatoires réelles définies sur le même espace de probabilité
Théorème —
- Si possède une densité de probabilité qui s'écrit sous forme "produit" :
- où les fonctions sont boréliennes et positives ou nulles, alors est une suite de variables indépendantes. De plus, la fonction définie par
- est une densité de probabilité de la variable aléatoire
- Réciproquement, si est une suite de variables aléatoires réelles indépendantes de densités de probabilité respectives alors possède une densité de probabilité, et la fonction définie par
- est une densité de probabilité de
Démonstration dans le cas de deux variablesSens direct.
Comme la densité est sous forme produit, on a
et par suite
Par construction les fonctions sont d'intégrale 1, donc
Ainsi les fonctions sont les densités de probabilités marginales des deux composantes de Par suite, pour tout couple de fonctions et tel que le premier terme ci-dessous ait un sens, on a
ce qui entraine l'indépendance des variables et
Sens réciproque. Il suffit de montrer que
où est la loi de et où est la mesure ayant pour densité Or
où est la classe des pavés boréliens :
En effet
On remarque alors que est un π-système et que la tribu engendrée par est donc, en vertu du lemme d'unicité des mesures de probabilités,
Cas des variables discrètes
Dans le cas des variables discrètes, un critère d'indépendance utile est le suivant :
Cas discret — Soit X=(X1, X2, ... , Xn ) une suite de variables aléatoires discrètes, et soit (S1, S2, ... , Sn ) une suite d'ensembles finis ou dénombrables tels que, pour tout i≤n, Alors la famille (X1, X2, ... , Xn ) est une suite de variables aléatoires indépendantes si, pour tout
Loi uniforme sur un produit cartésien :- Soit (E1, E2, ... , En) une suite d'ensembles finis, de cardinaux respectifs #Ei, et soit X=(X1, X2, ... , Xn ) une variable aléatoire uniforme à valeurs dans le produit cartésien :
- Alors la suite X est une suite de variables aléatoires indépendantes, et, pour chaque i, la variable aléatoire Xi suit la loi uniforme sur Ei . En effet, considérons une suite Y=(Yi )1≤i≤n de variables aléatoires indépendantes, chaque Yi étant uniforme sur l'ensemble Ei correspondant. Alors, pour tout élément x=(x1, x2, ... , xn ) de E,
- la deuxième égalité résultant de la formule donnant le nombre d'éléments d'un produit cartésien d'ensembles, la 4ème de l'indépendance des Yi , les autres égalités résultant de la définition de la loi uniforme. Ainsi les suites X et Y ont même loi, ce qui entraîne bien que X est une suite de variables aléatoires indépendantes dont les composantes suivent des lois uniformes.
- Une application de ce critère est l'indépendance des composantes du code de Lehmer d'une permutation, qui permet d'obtenir simplement la fonction génératrice des nombres de Stirling de première espèce.
- Un autre application est l'indépendance des chiffres du développement décimal d'un nombre uniforme dans l'intervalle [0,1], indépendance qui est la clé de la démonstration du théorème des nombres normaux par Émile Borel.
Autres critères d'indépendance
Par exemple,
Critères — Soit X et Y deux variables aléatoires réelles définies sur un espace probabilisé
- Si, pour tout couple (x,y) de nombres réels,
- alors X et Y sont indépendantes.
- Si Y est à valeurs dans et si, pour tout couple
- alors X et Y sont indépendantes.
- Bien sûr, si X et Y sont à valeurs dans et si, pour tout couple
- alors X et Y sont indépendantes.
Par exemple, on peut utiliser le deuxième critère pour démontrer que dans la méthode de rejet, le nombre d'itérations est indépendant de l'objet aléatoire (souvent un nombre aléatoire) engendré au terme de ces itérations.
On peut généraliser ces critères d'indépendance à des familles finies quelconques de variables aléatoires réelles, dont certaines, éventuellement, sont des variables discrètes, à valeurs dans des parties finies ou dénombrables de éventuellement différentes de La démonstration de ces critères se trouve à la page "Lemme de classe monotone".
Indépendance et corrélation
L'indépendance implique que la covariance, et donc la corrélation, entre les deux variables est nulle:
Théorème — X et Y sont indépendantes
DémonstrationCette propriété se déduit très facilement si l'on exprime la covariance comme: . Comme on l'a vu, l'indépendance de X et Y entraîne que , donc .
La réciproque du théorème est fausse, comme le montre l'exemple suivant:
Exemple :Cet exemple est tiré de Ross (2004, p. 306)
- Soit X une variable aléatoire discrète telle que .
- Définissons Y en relation avec X :
- On calcule .
- On voit aussi que .
- donc: .
- Pourtant les deux variables ne sont bien évidemment pas indépendantes!
La non-corrélation entre X et Y est une propriété plus faible que l'indépendance. En fait l'indépendance entre X et Y est équivalente à la non-corrélation de φ(X) et de ψ(Y) pour tout choix de φ et de ψ (tels que la covariance de φ(X) avec ψ(Y) soit définie ...).
Indépendance des tribus
Définition — Dans un espace probabilisé
- une famille finie de tribus incluses dans est une famille de tribus indépendantes si et seulement si
- une famille quelconque de tribus incluses dans est une famille de tribus indépendantes si et seulement si toute sous famille finie de est une famille de tribus indépendantes (c'est-à-dire, si et seulement si, pour toute partie finie I de J, est une famille de tribus indépendantes).
Lien avec l'indépendance des évènements
Définition — Une famille d'évènements (i.e. d'éléments de ) est une famille d'évènements indépendants si et seulement si est une famille de tribus indépendantes.
Comme la tribu engendrée par est décrite par :
la définition donnée dans cette section pour une famille quelconque d'évènements, une fois particularisée à une famille de évènements, apparaît comme plus forte que les deux critères donnés plus haut. En effet, pour un choix approprié des évènements dans la définition
donnée dans cette section, on retrouve le critère 1 (choisir tantôt tantôt dans ) et le critère 2 (choisir tantôt tantôt dans ). Pourtant les critères 1 et 2 sont effectivement équivalents à la définition via les tribus, donnée dans cette section, mais cela mérite démonstration.
Lien avec l'indépendance des variables aléatoires
Définition — Une famille de variables aléatoires définies sur est une famille de variables aléatoires indépendantes si et seulement si est une famille de tribus indépendantes.
Comme la tribu engendrée une variable aléatoire définie de dans est définie par :
la définition donnée dans cette section pour une famille quelconque de variables aléatoires, une fois particularisée à une famille de variables aléatoires, est clairement équivalente à la définition de la section Indépendance des variables aléatoires. En effet
est un abus de notation pour
et
est un abus de notation pour
Propriétés élémentaires
Propriétés —
- Une sous-famille d'une famille de tribus indépendantes est une famille de tribus indépendantes : si la famille est une famille de tribus indépendantes et si alors est une famille de tribus indépendantes .
- Si, pour tout la tribu est incluse dans la tribu et si la famille est une famille de tribus indépendantes, alors la famille est une famille de tribus indépendantes.
Pour démontrer le premier point on applique la définition de l'indépendance à la famille en spécialisant à une famille d'évènements telle que Le second point est immédiat : il suffit d'écrire la définition de l'indépendance de la famille
Lemme de regroupement
Lemme de regroupement — Dans un espace probabilisé soit une famille quelconque de tribus indépendantes incluses dans Soit une partition de Notons
la tribu engendrée par
Alors la famille est une famille de tribus indépendantes.
Applications :Le lemme de regroupement est utilisé, en probabilités, très souvent et de manière quasi-inconsciente. Citons quelques exemples :
- l'inégalité de Kolmogorov ;
- la propriété de Markov pour les processus de Galton-Watson ;
- le principe de Maurey, ou méthode des différences bornées.
De manière plus élémentaire,
- dans le cas fini, si (X1 , X2 , X3 , X4 , X5 ) est une famille de variables indépendantes, et si ƒ et g sont deux fonctions quelconques (mesurables), alors, par application du lemme de regroupement, ƒ(X2 , X3 , X5 ) et g(X1 , X4 ) sont deux variables indépendantes, car {2, 3, 5} et {1, 4} forment une partition de {1, 2, 3, 4, 5}.
Indépendance et information
Une autre façon d'appréhender cette notion d'indépendance entre deux événements est de passer par l'information (au sens de la théorie de l'information) : deux événements sont indépendants si l'information fournie par le premier événement ne donne aucune information sur le deuxième événement.
Soit à tirer deux boules (rouge et blanche) d'une urne. Si on réalise l'expérience sans remettre la boule tirée dans l'urne, et que la première boule tirée est rouge, on peut déduire de cette information que la deuxième boule tirée sera blanche. Les deux événements ne sont donc pas indépendants.
Par contre, si on remet la première boule dans l'urne avant un deuxième tirage, l'information du premier événement (la boule est rouge) ne nous donne aucune information sur la couleur de la deuxième boule. Les deux événements sont donc indépendants.
Cette approche est notamment utilisée en analyse en composantes indépendantes.
Voir aussi
- Lemme de Borel-Cantelli
- Loi du 0-1
- Nombre univers
- Loi des grands nombres
- Théorème de la limite centrale
- Marche aléatoire
- Tribu (mathématiques)
- Analyse en composantes indépendantes
Notes
- En effet
Références
- T.-A. Banh, Calcul des probabilités, Ed. ULg, 1995.
- A. Hyvärinen, E. Oja, Independent Component Analysis, Neural Networks, 13(4-5):411-430, 2000.
- Sheldon M Ross, Initiation Aux Probabilités, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2004, Trad. de la 4e éd. américainee éd., p. 458
- (en) Olav Kallenberg, Foundations of Modern Probability, Springer, coll. « Probability and Its Applications », 1997 (réimpr. 2001), 638 p. (ISBN 0-387-95313-2)
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