Ignorance de l'histoire

Ignorance de l'histoire

Histoire

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L’histoire est à la fois l’étude des faits, des événements du passé et, par synecdoque, leur ensemble.

Historia, allégorie de l'histoire
Peinture de Nikolaos Gysis (1892).

L'histoire est un récit, c'est la construction d'une image du passé par des hommes (les historiens) qui tentent de décrire, d'expliquer ou de faire revivre des temps révolus. Par delà les époques et les méthodes, et quel que soit le but sous-jacent du travail de l'historien, l'histoire est toujours une construction humaine, inscrite dans l'époque où elle est écrite. Comme le souligne l'historien Antoine Prost, « l'histoire, c'est ce que font les historiens »[1].

L'histoire est un récit, construit non par intuition intellectuelle, mais à partir de sources. Elle s'attache avec ces sources à reconstruire plusieurs pans du passé. Au cours des siècles, les historiens ont fortement fait évoluer leurs champs d'intervention et réévaluer leurs sources, ainsi que la manière de traiter ces sources.

L'histoire, qui n'est pas seulement une réflexion sur le passé, se construit selon une méthode. Celle-ci a évolué au cours des temps, évolution qu'on appelle l'historiographie, littéralement l'histoire de l'écriture de l'histoire. La méthode historique s'appuie sur un ensemble de sciences auxiliaires qui aident l'historien à construire son récit.

Enfin, l'histoire est une pratique sociale : elle s'inscrit fondamentalement dans son époque, y joue un rôle, elle est convoquée quelles que soient les époques pour soutenir, accompagner ou juger les actions des Hommes.

Sommaire

Étymologie

Article détaillé : Histoire sur le Wiktionnaire.

Le mot « histoire » vient du grec ancien historia, signifiant « enquête », « connaissance acquise par l'enquête », qui lui-même vient du terme ἵστωρ, hístōr signifiant « sagesse », « témoin » ou « juge ». Il a pour origine les Enquêtes (Ἱστορίαι / Historíai en grec) d'Hérodote. Littéralement, le mot ionien Historíai signifie « recherches, explorations », et dérive selon toute vraisemblance de la racine indo-européenne *wid- qui signifie voir, ou savoir pour avoir vu[2].

Le mot est introduit en français au début du XIIe siècle avec le sens de « relation des événements marquants d'une vie, d'un règne » ou de « chronique d'un peuple »[3]. Il prend aussi le sens général d'histoire (au sens de récit), polysémie qu'il a conservé jusqu'à ce jour en Français comme en Allemand. C'est à partir du XIIIe siècle, comme peut en témoigner l'usage qu'en fait Brunetto Latini dans son Livre dou Trésor, que le terme commence à recouvrir le sens de « récit historique »[4]. On peut noter qu'au Moyen Âge, la forme ordinairement employée du mot était Estoire : ce n'est qu'à partir de la Renaissance que l'on reviendra à la graphie antique[5].

Le mot connaît de nombreux dérivatifs. 1213 voit ainsi la première occurrence de historien et de historiographe (emprunt au latin historiographus. Le verbe désuet Historier apparaissant au XIVe siècle, et l'adjectif historique survenant en 1447 (emprunt du latin Historicus, lui-même emprunt du grec historikos. Le diminutif historiette remonte à 1657 (premier emploi par Tallemant des Réaux dans le titre d'un de ses ouvrages)[6]. Le vocabulaire savant du XVIIIe et du XIXe siècle permet ensuite l'apparition d'un vocabulaire plus spécialisé : préhistoire (en 1872), anhistorique…

Histoire, temps et mémoire

« un besoin de l'humanité [7] », « libération du passé[8] », « moyen d’organiser le passé pour l’empêcher de trop peser sur les épaules des hommes[9]. » mythes et histoire primitive témoignage, récit

Si les faits historiques furent conservés pendant longtemps du fait de la tradition orale[10], c'est avec l'invention de l'écriture qu'apparaît le récit historique, qui est de beaucoup antérieur à la conceptualisation de la discipline historique.

Les premiers textes historiques

Articles détaillés : Annales et Chroniques.
Hérodote et Thucydide, musée archéologique de Naples.

Les premières chroniques mésopotamiennes remontent ainsi au début du IIIe millénaire et se dégagent de toute influence mythologique à partir du début du IIe millénaire. Il s'agit de renseignements utiles aux dynasties, de listes décrivant année par année les événements d'un règne (celui d'Hammurabi), d'un État (Mari), voire, dans le cas de la chronique synchronique, de plusieurs États (la Babylonie et l'Assyrie). La vocation de ces listes est purement mémorielle et didactique, et elles ne sont pas exemptes d'un certain parti pris : il s'agit de faire connaître à la postérité sous un jour positif les faits et gestes de son souverain[11].

L'histoire en Grèce antique conserve certains de ces aspects en développant parallèlement des préoccupations littéraires et scientifiques comme en témoignent les œuvres d'Hérodote, de Thucydide et de Polybe. Hérodote (-484 ou -482, -425) est un savant grec qui parcourt durant sa vie l'Égypte actuelle et le Moyen-Orient, allant jusqu'à Babylone. Dans ses Enquêtes, il veut faire œuvre de mémorialiste et raconte des événements récents, les guerres médiques, « afin que le temps n'abolisse pas les travaux des hommes ». Il se place donc dans une perspective historique qui fait qu'on a pu le qualifier de « père de l'histoire »[12].

Si Hérodote est vu comme l'initiateur du récit historique, c'est Thucydide (vers -460 - vers -400) qui le premier a posé la méthode historique, dans le sens d'une recherche de vérité dans le récit, et non plus simplement de mémoire. Dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, il s'attache à relater les causes de la guerre, les faits déclencheurs, puis il raconte chronologiquement cette guerre, restant au plus près des événements, afin de donner un portrait fidèle de ce conflit qu'il considère être fondamental dans l'histoire du monde et qu'il veut expliquer aux générations futures. Il a également une vision assez rationnelle des faits, ne voyant pas dans l'enchaînement de ceux-ci l'intervention des dieux mais la conséquence des actions des hommes.

Peu d'œuvres historiques grecques ont été conservées après celle de Thucydide : aussi bien les œuvres de Timée, d'Ephore de Cumes, rédacteur en -340 de la première histoire du monde, que celles des historiens d'Alexandre ne nous sont parvenues autrement que de manière fragmentaire. La principale étant celle de Polybe : son histoire en cinquante livres, ayant l'ambition de traiter l'histoire du monde antique de -220 à -150, avec comme point de repère l'ascension de la république romaine. La méthode de Polybe, tout comme celle de Thucydide, se veut rigoureusement rationnelle et pragmatique : il interroge les survivants, se rend sur les lieux des événements décrits etc. De cette œuvre très vaste, qui anticipe sur les grandes synthèses historiques modernes, un tiers, tout au plus, a survécu.

Avec l'avènement de l'Empire romain, la discipline historique tend à perdre de son indépendance et à ne devenir qu'un moyen au service d'une fin politique (chez Tite-Live) ou morale (chez Salluste). « Dans l'ensemble les Romains s'intéressaient plus aux mérites littéraires de leurs livres d'histoire qu'à rapporter avec précision ce qui s'était réellement produit[13]. ». Cette tendance de la discipline a pu être qualifiée d'« histoire pragmatique »[14].

Il revient finalement à Lucien de Samosate d'écrire le seul traité historiographique qui ait été conservé de l'antiquité, Comment l'on écrit l'histoire. Dans cette critique sévère des historiens de son temps, il écrit notamment : « La tâche de l'historien, il n'y en a qu'une ; dire les choses telles qu'elles se sont passées[15] », et « l'historien ne saurait écrire à la manière des rhéteurs : ce qu'il a à dire a déjà été dit et sera dit par d'autres, car ce sont des faits accomplis ; il faut simplement les mettre en ordre et les exposer ; il n'a pas à chercher ce qu'il doit dire, mais comment il le dira[16] ».

S'ils réduisent l'histoire à un rang d'auxiliaire de la théologie, les auteurs chrétiens tiennent néanmoins cette discipline en grande estime, et lui permettent de survivre à la disparition de l'empire romain d'Occident. En témoignent les œuvres d'Eusèbe de Césarée, d'Isidore de Séville, ou de Bède le vénérable. Parallèlement se maintient une histoire séculière sous la forme de chroniques, telle que celle d'Eginhard.

Comput pascal Premières histoires nationales, Bède le Vénérable Histoire ecclésiastique du peuple anglais

Les champs de l'histoire

Selon les époques et le rôle qu'a tenu l'histoire au cours des siècles, les champs d'étude de l'historien ont fondamentalement évolué. Au début, centré sur l'histoire militaire, l'histoire politique et l'histoire religieuse, l'histoire a vu son champ s'élargir progressivement vers l'histoire diplomatique, l'histoire sociale, l'Histoire culturelle ou encore l'Histoire économique.

Elle est le plus souvent partagée en périodes historiques, qui varient fortement selon les pays et les civilisations. Selon ces périodes, les champs étudiés par l'historien varient aussi, puisque l'état des sources n'est pas le même à toutes les époques. Les historiens de l'École des Annales ont au XXe siècle fait éclater le cadre rigide de l'histoire événementielle en mettant en évidence le concept de longue durée qui rend davantage compte des mouvements lents et fondamentaux des sociétés humaines[17]. L’Ecole des Annales, enfin, considère que l’Histoire n’est pas l’histoire des nations ni des grands hommes mais bien l’histoire de tout ce qui est humain.

Aujourd'hui, seule l'étude des premiers hominidés échappe encore aux travaux d'historiens universitaires : seul le Collège de France assure cet enseignement ; cette partie de la préhistoire n'est donc pas encore intégrée de plein droit sous l'appellation d'« histoire ».

En revanche, les chaires de proto-histoire et de pré-histoire existent au sein de l'Université française : l'historien a « colonisé » ce territoire, notamment sous la direction d'André Leroi-Gourhan, préhistorien français emblématique. Ce dernier rappelle d'ailleurs que la différenciation entre l'archéologue et le préhistorien s'est s'opérée au XIXe siècle pour des questions d'approches disciplinaire.

Les sources de l'histoire

Fragment de papyrus, IIe siècle Papyrology Rooms, Sackler Library, Oxford

Le passé humain n'est jamais saisi directement par l'historien[18]. Ainsi, traces[19], archives, témoignages, documents sont les matériaux et les objets de la discipline historique qui ne permet ni expérimentation, ni observation immédiate[20]. Il existe une extrême diversité de nature de ces traces. Il est d'usage d'opérer une distinction entre sources écrites et non écrites, les premières ayant été pendant longtemps utilisées exclusivement. L'histoire a connu une réflexion sur l'élargissement de la notion de sources[21].

Cependant, ces traces, ces sources deviennent documents par une construction de l'historien et résultent d'une sélection et d'un questionnement particulier. Ainsi, Henri-Irénée Marrou propose la définition suivante pour le document historique : « Est un document toute source d'information dont l’esprit de l’historien sait tirer quelque chose pour la connaissance du passé humain, envisagé sous l’angle de la question qui lui a été posée[22]. »

Les sciences auxiliaires de l'histoire

Article détaillé : Sciences auxiliaires de l'histoire.

L'expression « sciences auxiliaires » désigne l'ensemble des disciplines scientifiques, sociales, littéraires et philologiques qui peuvent permettre l'exploitation ou la critique des sources utiles au travail historique. Au XIXe siècle, un cloisonnement profond sépare l'histoire enseignée et la recherche historique. Cette séparation, déplorée dès 1891 par Ferdinand Lot, attaquée dans le première numéro des Annales en 1929, est remise en cause au XXe siècle. L'histoire s'adjoint dès lors l'assistance de disciplines autonomes comme autant d'instruments de recherche dans une perspective d'interdisciplinarité. Si l'École des Annales peut à l'occasion adopter une attitude dominatrice par rapports aux autres sciences sociales, des rencontres peuvent émerger et donner naissance à des nouvelles voies de recherche, comme en témoigne le développement de l'anthropologie historique ou le renouveau de la diplomatique[23].


Les objets de l'histoire

Dans son ambition d'établir des discours sur le passé humain, l'histoire a pu varier ses objets d'étude. Ainsi, la « civilisation » et la guerre longtemps été les principaux objets de cette réflexion historique qui se présentait comme une « mémoire de l'humanité »[24]. Elle a souvent porté son attention vers des objets uniques, des réalités distinctes, dans une démarche individualisante.

Une discipline scientifique ?

L'histoire moderne, en tant que discipline intellectuelle, ne fait pas partie des sciences dites « exactes » ou « dures » mais des sciences dites « sociales » et « humaines », avec la sociologie, l'ethnologie, la psychologie, etc. C'est une science sociale dans le sens où elle s'attache d'abord à l'étude de l'Homme dans les sociétés par un travail d’interprétation, sans pour autant écarter le principe d’impartialité. L'historien cherche avant tout à comprendre par une pluralité de perspectives et un regroupement de sources qui tient compte de la subjectif de l’observateur y compris de l'historien lui-même.

Cependant historiquement, le débat de la objectivité de l'Histoire, est apparu notamment quand la découverte des lois de physique par Isaac Newton, en établissant que certains événements naturels peuvent être prévus, a posé aux historiens un problème considérable : celui de la scientificité de l'histoire. Tout comme les sciences dures, la discipline historique implique une analyse rationnelle des faits étudiés, et vise à la vérité. Plusieurs tentatives de résolutions ont été envisagées.

La première, incarnée notamment par le mathématicien français Pierre-Simon de Laplace, veut voir dans la discipline historique une science dure. Si elle ne possède pas de lois comparables à celles des sciences physiques, c'est simplement parce qu'elle n'a pas encore connu son Newton. Dans son Essai philosophique sur les probabilités, Laplace écrit : « tous les événements, ceux mêmes qui par leur petitesse semblent ne pas tenir aux grandes lois de la nature, en sont une suite aussi nécessaire que les révolutions du soleil[25] ». Cette position est aussi celle de l'historien Fustel de Coulanges pour qui « l’histoire n’est pas un art ; elle est une science pure, comme la physique ou la géologie[26].

La seconde, représentée par le mathématicien Antoine-Augustin Cournot, fait certes de l'histoire une discipline scientifique, mais une discipline scientifique relative dont le hasard est une composante essentielle. Soit donc le caractère imprévisible de l'histoire cesse d'être, comme chez Laplace, une illusion liée à notre ignorance des lois profondes de l'histoire, pour être appréhendé comme « un fait vrai en lui-même »[27]. Pour Cournot, l'histoire consiste en effet en une suite de séries causales, qui, s'entrecroisant, produisent l'événement. Ainsi, si l'on considère la mort de Pyrrhus Ier causée par la chute d'une tuile, l'on sera dans l'entrecroisement de deux séries causales : la série causale de la tuile, amenée à tomber à un moment précis, sur un lieu précis, et la série causale Pyrrhus présent au moment précis, et au lieu précis. L'avantage de ce système de séries causales c'est qu'il permet de concilier hasard et déterminisme : « de ce que le croisement continuel des chaînes de conditions et de causes secondes, indépendantes les unes aux autres, donne perpétuellement lieu à ce que nous sommes des chances ou des combinaisons fortuites, il ne s'ensuit pas que Dieu ne tienne point dans sa main les unes et les autres, et qu'il n'ait pu les faire sortir toutes d'un même décret initial »[28].

La méthode historique et l'historiologie

Article détaillé : Méthodologie historique.

Observation

Critique

La pratique de l'histoire exige de conserver une attitude critique à l'égard des sources. C'est ce doute permanent qui fait l'une des spécificités de la pratique. Les premiers jalons de cette réflexion sont posés par l'école des moines mauristes et bollandistes au XVIIe siècle.

Signature de Saint Eloy (Eligius), financier et ministre de Dagobert Ier ; charte de la fondation de l'abbaye de Solignac ; Jean Mabillon, De re diplomatica)
Article détaillé : L'Art de vérifier les dates.

Les historiens de l'école dite méthodique, Langlois et Seignobos reprennent ces “règles” qui concernent principalement les témoignages écrits[29].

Ils distinguent ainsi différents deux opérations principales de la critique, la « critique interne » et « externe » :

Accompagnent la démarche de critique interne[30] :

    • la « critique de provenance » qui interroge l'origine de la source. L'historien en tire des conclusions sur la sincérité et l'exactitude du témoignage. Le récit d'un historiographe officiel tend ainsi à magnifier le rôle et les qualités de son prince.
    • la « critique de portée » qui s'intéresse aux destinataires du texte. Un préfet peut, dans son rapport au Ministre de l'Intérieur, minimiser les troubles frappant son département de peur que son supérieur le prenne pour un incapable.
    • le classement des sources.
  • La critique interne repose elle sur la cohérence du texte. Une charte de Philippe Auguste datée au bas de 1225 est un faux grossier car ce roi de France est mort en 1223.

La méthode critique se fonde également sur la comparaison des témoignages. Quand ils concordent, c'est l'un des signes de la véracité des faits. Par contre, quand un témoin est contredit par plusieurs autres, cela ne signifie pas automatiquement qu'il ment. Ces autres témoins s'appuient peut-être sur la même source erronée.

Article détaillé : témoignage.

Une fois les témoignages passés au crible de cet arsenal méthodique, l'historien s'attache à bien interpréter le sens du texte.

L'historiographie anglo-saxonne a davantage poussé les historiens à se méfier des conclusions qu'on peut tirer de la lecture d'un texte.

Articles détaillés : New Historicism et tournant linguistique.

L'historiographie

Article détaillé : Historiographie.

L'historiographie (1550), littéralement « écriture de l'histoire », est un nom dérivé de l'« historiographe », c'est-à-dire « celui qui écrit l'histoire ». Le nom désignait originellement un ensemble d'ouvrages historiques.

Plusieurs ensembles cohérents d'ouvrages historiques – ou « historiographies » – existent pour une même période, offrant généralement des points de vue différents sur l'Histoire. Jusqu'à la deuxième moitié du XXe siècle, une « historiographie » revêt souvent un caractère national, dans la mesure où elle rapporte un point de vue politique sur des événements. Par exemple, il est possible de citer pour le Moyen Âge l'historiographie byzantine et l'historiographie franque : celles-ci présentent très différemment le problème de la querelle des Images qui opposa un temps l'Église romaine et l'Église byzantine à l'époque de Charlemagne.

Par extension, l'historiographie a désigné l'histoire de l'écriture de l'histoire. Érigée en spécialité de la discipline historique, l'historiographie (allemand Geschichtswissenschaft ou Geschichtsschreibung, anglais historical writing) présente généralement le regard d'un historien sur ses prédécesseurs et sur leur travail. La plupart des historiens célèbres du XXe siècle ont publié au moins un ouvrage à caractère historiographique, généralement en fin de carrière[réf. nécessaire].

L'historiographie traite les mêmes problèmes que la méthodologie, mais l'approche de ces questions est nécessairement différente : la méthodologie a pour objet l'étude du travail que l'historien réalise en amont pour écrire l'histoire, alors que l'historiographie s'attache au travail fini des historiens. Aussi, l'historiographie a souvent un caractère plus polémique[note 1]. Enfin, les conclusions des études historiographiques sont généralement à l'origine des changements méthodologiques.

Sens de l'histoire et philosophie de l'histoire

Article détaillé : Philosophie de l'histoire.
Fronstispice de l'Histoire of France de Jean Puget de La Serre, traduction d'Edward Grimeston, 1624

L'idée de donner un sens à l'histoire est à proprement parler universelle. On la retrouve à la base de tous les récits dits mythiques, qui sont une manière de domestiquer le temps, et d'inscrire l'existence humaine dans un cadre temporel défini.

L'on peut distinguer plusieurs types de philosophie de l'histoire.

La première peut être dite fataliste. Le destin de l'humanité s'explique avant tout par les édits arbitraires d'une puissance supérieure que l'on ne saurait altérer que par des sacrifices. Cette conception est notamment présente chez Hésiode, avec le concept de la Moira.

La seconde est de type cyclique. On la retrouve dans les philosophies orientales, et plus particulièrement dans le bouddhisme. L'on considère ici que l'histoire humaine et naturelle est comparable à la succession des saisons : il existerait ainsi une grande année d'une durée incommensurable, découpée en plusieurs époques, et au terme duquel l'on reviendrait au point de départ. Transmises par Bérose, ces conceptions vont être intégrée au Stoïcisme.

La troisième est de type progressiste. L'histoire de l'humanité tendrait vers un progrès ininterrompu. Cette philosophie apparaît dans la culture hébraïque après la destruction de Jérusalem par Cyrus II, au travers du mythe de la terre promise, puis devient partie intégrante du message chrétien (en particulier chez Saint Jean, et Augustin). La plupart des écoles et doctrines occidentales découlent de cette conception philosophique : libéralisme, marxisme, socialisme etc.

Une dernière école, moins fréquente, dénie tout sens à l'histoire humaine. Il ne s'agirait que d'une succession d'actions hasardeuses. C'est là la position de Schopenhauer : « La devise générale de l'histoire devrait être : Eadem, sed aliter »[31].

Les divisions du temps historique

Article détaillé : Époque historique.

L'historien

Un « métier »

Antoine Prost, qui ouvre ses Douze leçons sur l'histoire en affirmant que « l'histoire, c'est ce que font les historiens », poursuit quelques chapitres plus tard en disant que « c'est en faisant de l'histoire qu'on devient historien[32] ».

L'histoire est une discipline qui ne peut se transmettre de façon complète et didactique, elle est un savoir-faire qui s'acquiert de façon progressive, presque artisanalement. La récurrence du vocabulaire artisanal dans les écrits des historiens montre que le métier vient par l'apprentissage, la pratique, l'accumulation et la maîtrise de compétences plus que par un savoir scientifique exhaustif à apprendre. Marc Bloch se définit ainsi comme « un artisan, vieilli dans le métier[33] », François Furet parle d'atelier, l'historien allemand Werner Conze évoque une corporation avec ses maîtres, ses compagnons et ses apprentis[34].

Ces formules paraissent contradictoire chez des historiens qui dans le même temps affirment que l'histoire est une science, dotée de règles de fonctionnement. Mais en fait, il s'agit surtout de souligner que les règles de l'histoire s'acquièrent de façon progressive, par la pratique, et que dans cette pratique aucune règle ne peut être appliquée automatiquement et sans une réflexion aboutie. Le champ lexical de l'artisanat, très fréquent chez les historiens, exprime toute la complexité de l'histoire.

Formation et enseignement

La formation de l'historien est en très grande partie basée sur deux axes : la connaissance de l'histoire en général (connaissances livresques sur les faits du passé, maîtrise de l'historiographie) et sur des connaissances pratiques (méthodes d'analyse des sources et d'écriture de l'histoire).

En France

La formation historique en France peut se faire par plusieurs voies : l'université, ou des écoles spécialisées comme l'École des Chartes. À l'université, les études d'histoire s'articulent autour des deux pôles précédemment décrits (connaissance du passé et méthodologie) dès le début des études. L'étudiant, dès ses débuts, est invité à analyser des documents avec une méthodologie historique, et à articuler ses connaissances autour du sujet qu'il a à traiter. La part de la méthodologie est importante et l'étude de l'historiographie également. Des cours généralistes sur une période ou un grand thème historiques sont doublés par des travaux pratiques de commentaire de documents.

Histoire universitaire et histoire « amateur »

Le place de l'histoire dans la société

Si « du rassemblement des documents à la rédaction du livre, la pratique historique est tout entière relative à la structure de la société[35] », dans les contraintes et les exigences que cela peut impliquer, les historiens ont souvent interrogés ou été confrontés au fondement d'une « mission sociale de l'historien[36] ». Ils ont ainsi souvent dû s'interroger sur les possibles finalités culturelles, intellectuelles ou morales de leur discipline. La question de la place de l'histoire dans les sociétés relève tant de la sociologie, de la science politique, de la philosophie que de l'histoire elle-même et de l'historiographie.

Histoire et politique

Statue de Vercingetorix à Alésia, édifiée avec les traits de Napoléon III.

L'histoire est une composante essentielle de la mémoire collective d'un peuple ou d'une nation. Elle sert de point de référence, de socle commun sur lequel se construit l'identité d'un groupe social. Il est donc évident qu'elle est un enjeu politique important. La maîtrise du passé par le politique est une manière de donner au peuple un corpus de référence construit et utilisable comme point de référence ou objet de rejet. De nombreuses études portant, notamment, sur la vision de l'histoire transmise par les manuels scolaires, montrent cette instrumentalisation du passé à des fins politiques[37].

Le culte des « héros » nationaux est également une façon de mettre en valeur certains pans de l'histoire au service d'une idéologie politique ou plus simplement pour façonner un socle de références culturelles autour desquelles le peuple peut se rassembler. Si l'instrumentalisation de l'histoire est particulièrement visible dans les régimes totalitaires, qui utilisent de façon très forte l'histoire dans leur logique d'emprise sur le peuple (c'est le cas de l'URSS qui pendant la Deuxième guerre mondiale reprend les symboles historiques et patriotiques russes à son compte), elle est également présente dans des régimes libres qui prennent comme point de référence des « héros » de leur histoire pour accompagner un message politique (de Vercingétorix sous Napoléon III à Guy Môquet avec Nicolas Sarkozy en France)[38].

Le XIXe siècle, durant lequel les nations européennes forgent leur identité moderne, est fréquemment donné en exemple d'instrumentalisation de l'histoire. Les Histoire de France écrites par l'historien Jules Michelet sont données comme en partie responsable d'une vision déterministe des frontières nationales françaises, comme si l'histoire de France était la lente conquête par les régimes successifs de frontières naturelles momentanément rognées par des accidents de l'histoire.

Histoire et mémoire

Articles connexes : loi mémorielle et commémoration.

La vogue des commémorations historiques, accentuée, selon certains dans les années 1980 en ce qui concerne la France, a semblé à certains observateurs constituer un refuge dans un passé mythifié, qui empêcherait la société de regarder l'avenir. À l'inverse, il est d'usage de considérer qu'on ne peut vraiment préparer l'avenir qu'en connaissant bien l'histoire.

Le rôle de l'historien dans la justice

Notes

  1. Voir par exemple les « guerres de l'histoire » en Australie.

Sources

Références

  1. Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, Paris, Points-Seuil, 1996, p.  16
  2. Dictionnaire de l'Antiquité, page 1075, article Historiographie grecque, édition PUF sous la direction de Jean Leclant, 2005
  3. « Cy fault l'istoire de Bretons / Et la lignie des Barons » ; Wace, Roman de Brut, v. 1150
  4. Le Trésor « traite dou comencement dou siecle, et de l'ancieneté des vielles istores et de l'establissemnt dou monde et de la nature de toutes coses en some. » Francis J. Carmody (éditeur), Genève, Slatkine Reprints, 1975, p. 17.
  5. Dictionnaire étymologique de la langue française sous la direction d'Oscar Bloch et de Walther von Wartburg, article Histoire, PUF 1932, 2004 pour la présente édition
  6. Dictionnaire étymologique de la langue française sous la direction d'Oscar Bloch et de Walther von Wartburg, articles Histoire, Historier, Historiographe et Historique
  7. Lucien Febvre, Combats pour l'histoire (1952), Armand Colin, Paris, 1992, p. 139.
  8. Girolamo Arnaldi, cité in Jacques Le Goff, Histoire et mémoire, folio histoire, 1988, p. 11
  9. Lucien Febvre, Combats pour l'histoire, op. cit., p. 497.
  10. « Alors, les premiers historiens, en ce sens, furent probablement des poètes. » Georges Lefebvre, La naissance de l'historiographie moderne, Flammarion, 1971, p. 17. « De même, chez les Merian de Madagascar, les teiarana (anciennes listes généalogiques), puis les tantara (l'histoire passée) forment un « héritage des oreilles » (lovantsofina) ou une « mémoire de la bouche » (tadidivava). » in Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, folio Histoire, Gallimard, 1975, p. 17.
  11. Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, sous la direction de Francis Joannè, édition Bouquins, article « Chroniques », pages 183-184.
  12. Cicéron, De legibus, I, 1, 5.
  13. Dictionnaire de l'Antiquité : Mythologie, littérature, civilisation, sous la direction de M. C. Howatson, article « Historiographie », Robert Laffont, collection Bouquins, 1998, pages 508-509.
  14. Georges Lefebvre, La naissance de l'historiographie moderne (1946), Nouvelle Bibliothèque scientifique, Flammarion, 1971, pp. 20-21.
  15. Lucien de Samosate, Comment l'on écrit l'histoire in Œuvres choisies, éd. Le temps des cerises, traduction de Jean Suret-Canale, page 103.
  16. Lucien de Samosate, Comment l'on écrit l'histoire, op. cit., p.  108 ; paragraphe 51
  17. Fernand Braudel, La Longue durée, Annales, 1958.
  18. Paul Veyne, Comment on écrit l'histoire, Paris, Seuil, 1978, p. 14
  19. « Pour premier caractère, la connaissance de tous les faits humains dans le passé, de la plupart d'entre eux dans le présent, à d'être selon l'heureuse expression de François Simiand, une connaissance par traces. » Marc Bloch, Apologie pour l'Histoire et le métier d'historien, Armand Colin, 1941, p. 34 [1]
  20. « Comme celle du médecin, la connaissance historique est indirecte, indiciaire et conjecturale. »Carlo Ginzburg, « Traces : Racines d’un paradigme indiciaire », Mythes, Emblèmes, Traces, ‑ Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989, p. 154.
  21. « L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc avec des mots, des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champs et de mauvaises herbes. » Lucien Febvre, Combats pour l'histoire, Paris, Armand Collin, 1953, p. 428
  22. Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1954, p. 73. Définition à laquelle fait écho la réflexion d'Antoine Prost : « Il n'y a pas davantage de document sans question. C'est la question de l'historien qui érige les traces laissées par le passé en sources et en documents. » Douze leçons sur l'Histoire, op. cit., p. 80-81.
  23. Yann Potin et Julien Théry, « L’histoire médiévale et la “nouvelle érudition” ; l'exemple de la diplomatique », Labyrinthe, 1999, n°4, p. 35-39.
  24. Louis Halphen, Introduction à l'histoire, 1948.
  25. Pierre-Simon de Laplace, Essai philosophique sur les probabilités page 32, Christian Bourgeois éditeur, Paris, 1986
  26. Préface à La Monarchie franque, 1888. »
  27. Considération sur la marche des idées et des événements page 9, in œuvres complètes, tome IV, Vrin, Paris, 1973
  28. Ibid
  29. Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, Hachette, 1898 ; Charles Seignobos, La Méthode historique appliquée aux sciences sociales, 1901.
  30. Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux Études Historiques, Paris, Hachette, 1898.
  31. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, supplément au livre III, chapitre XXXVIII.
  32. A. Prost, Douze leçons sur l'histoire, p. 146.
  33. Marc Bloch, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, introduction, p. IX.
  34. Cité par Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, p. 146.
  35. Michel de Certeau, L'écriture de l'histoire, Gallimard, folio histoire, 1975, p. 91.
  36. Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Seuil, Point Histoire, 1954, p.  30
  37. Dominique Maingueneau, Les livres d'école de la République (1870 - 1914) : discours et idéologie, Paris, Le Sycomore, 1979, 343 pages.[réf. incomplète]
  38. Christian Amalvi, De l'art et la manière d'accommoder les héros de l'histoire de France, Paris, Albin Michel, 1988, 473 pages.

Ouvrages utilisés

Sites web utilisés

Voir aussi

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Bibliographie

Ouvrages généralistes

  • Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia, Histoire et historiens en France depuis 1945, Paris, ADPF, 2004. Les introductions de l'ouvrage peuvent être consultées en ligne sur le site de « l'association pour la diffusion de la pensée française ».
  • Georges Duby (sous la direction de), Grand atlas historique, Paris, Larousse, 2006. (ISBN 2-03583-340-X)
  • Pierre Lamaison (sous la direction de), Atlas de la civilisation occidentale. Généalogie de l'Europe, Hachette, 1994, (ISBN 2-72428-528-X)
  • Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1954, 318 p.
  • R. I. Moore (coordonné par), Atlas Historique, Nathan, 1980.
  • Paul Veyne, Comment on écrit l'histoire, Paris, Seuil, 1979.
  • Guy Bourdé et Hervé Martin, Les Écoles historiques, Paris, Seuil, 1983.
  • Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia, Les Courants historiques en France, Paris, Armand Colin, 2005.
  • Philippe Poirrier, Introduction à l'historiographie, Paris, Belin, 2009.

Ouvrages spécialisés

  • Jacques Le Goff, Histoire et mémoire (1977), folio histoire, Gallimard, 1988, 409 p.
  • Bernard Merdrignac et André Chédeville, Les sciences annexes en histoire médiévale, Presses Universitaires de Rennes, 1998, 231 pages.

Articles connexes

Bibliographie et liens

Bibliographie
Revues en ligne
Réflexions sur l'Histoire
Institutions
Enseignement supérieur et recherche
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