- Histoire de la soie à Lyon
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La Fabrique est un terme utilisé pour désigner l'ensemble des acteurs de l'industrie de la soie, en particulier à Lyon (mais également à Tours et St-Étienne).
Sommaire
XVe siècle : La naissance de la Fabrique
Au XVe siècle, Lyon est un lieu d'échanges important (site au confluent du Rhône et de la Saone, trois voies romaines partent de Lugdunum) à qui Charles VII donne le droit d'organiser deux foires où se vendent de nombreuses soieries en provenance d'Italie.
Pour éviter une « fuite des devises »[1] (déficit commercial), Louis XI, par l'ordonnance du 23 novembre 1466, souhaite créer la première manufacture de soie à Lyon (aux frais de la ville). Mais les Lyonnais trainent les pieds, et trois ans plus tard, les ateliers sont finalement transportés à Tours.
Quelques années plus tard, en 1536, Étienne Turquet, négociant piémontais fixé à Lyon, songe à établir à Lyon des manufactures pour la fabrication des étoffes précieuses. Il s'associe avec Barthélemy Naris et fait sa demande aux membres du Consulat (assemblée municipale de l'époque). François Ier, par lettres patentes, accepte de leur donner les mêmes privilèges qu'à la ville de Tours, et installe ainsi la corporation des ouvriers en « draps d'or, d'argent et de soye » à Lyon. Turquet, Naris et leurs ouvriers sont déclarés francs de tout impôt et de tout service de garde ou de milice, à la condition qu'ils travailleraient dans la ville et non au dehors[2].
La Fabrique lyonnaise est née.
XVIe siècle
À la fin du XVIe siècle, le roi Henri IV qui souhaite que la France produise elle-même le fil de soie, encourage l'élevage du ver à soie. Aidé par les travaux d'Olivier de Serres, il fait planter 400 000 mûriers, en particulier dans les Cévennes et l'Ardèche. Dans sud de la France, où le climat est propice, on voit apparaitre des magnaneries (bâtiments où sont élevés les vers à soie) et des moulins pour le moulinage.
XVIIe siècle : L'âge d'or
La mécanisation du vidage des cocons se perfectionne dans la région de Condrieu, à la demande du conseil municipal de Lyon. Et la mise au point du métier à la grande tire par Claude Dangon entre 1605 et 1620 va permettre de produire des tissus plus larges, plus sophistiqués (façonnés et non plus unis), et donc de concurrencer les soieries italiennes[3].
Sous Louis XIV, l'essor de la France permet à la soie lyonnaise de s'affranchir de l'influence italienne. Elle devient le centre incontesté de la soie.
En 1667, Colbert donne à la « Grande Fabrique de Soie » lyonnaise son règlement. Ces arrêtés et règlements encadrent strictement la fabrication en détaillant la qualité attendue pour les commandes royales et en précisant quelle doit être la largeur des étoffes ou le nombre de fils utilisés. Ils rendent aussi obligatoire la tenue de livres de fabrication.
De somptueuses étoffes sont réalisées à Lyon pour les princes de la cour ou l'aménagement des différentes demeures royales (notamment Versailles).
La Fabrique compte près de 1700 maîtres-ouvriers en 1621. En 1660, ils sont plus de 3 000 maîtres-ouvriers qui font travailler 10 000 métiers. L’activité est multipliée par 3 entre 1665 et 1690[4].
Pourtant, à la révocation de l’Édit de Nantes (1685), de très nombreux soyeux de confession protestante s’exilent et se réfugient notamment en Suisse (à Zurich) et à Londres (quartier de Spitalfields). Le nombre de métiers tombe alors à moins de 2 000 (il faudra attendre 1753 pour retrouver 10 000 métiers).
XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, la réputation des soyeux lyonnais gagne les cours européennes, notamment celle de Catherine II en Russie et celle de Charles IV en Espagne. Les souverains font appel à la soierie lyonnaise pour habiller la cour et meubler les palais.
La croissance connue au XVIIe siècle se prolonge et l’activité double entre 1720 et 1760. En 1786, on dénombre à Lyon 14 000 métiers à tisser, qui occupent plus de 30 000 personnes. C'est plus de la moitié de la population lyonnaise qui vit alors de la soie. Lyon devient la première ville ouvrière de France.
En 1786, la Révolte des deux sous (insurrection des ouvriers de la soie) préfigure les grandes révoltes ouvrières du XIXe siècle.
Sous la Révolution, la Fabrique perd logiquement une grande partie de sa clientèle. C'est la crise et le nombre de métiers passe de 14 000 à 3500. Les riches tissus façonnés sont remplacés par des tissus plus simples, unis, décorés de broderies.
XIXe siècle : Révoltes et déclin
Au début du XIXe siècle, la soierie renaît de ses cendres, notamment sous l'impulsion de Napoléon Conscient du potentiel économique de la soie, il passe d'importantes commandes destinées aux Palais impériaux comme celui de Fontainebleau (tissus d’ameublement pour tenture et pour recouvrir le mobilier).
Le pouvoir napoléonien sera à l'origine de la construction de la Chambre de commerce, de la Condition des Soies, et de l'établissement du tout premier conseil des prud’hommes[5], alors uniquement consacré à la soie lyonnaise.
Le bouleversement des structures sociales voit la montée de la bourgeoisie qui, comme la noblesse, veut se vêtir avec de la soie. Et la restauration de 1814 va également permettre à la soierie lyonnaise de se diversifier grâce au vêtement liturgique.
En France, le textile est alors la principale activité industrielle[6]. Depuis le XVIIIe siècle, Lyon est la 1ère ville ouvrière de France[4] et le tissage y fait vivre la moitié de la population.
Les grands noms de la soierie lyonnaise étaient, au XIXe siècle, entre autres, les suivants: Aynard, Arlès Dufour, Baboin, Bellon et Couty, les familles Bellon-Jaubert-Audras et Tresca, Bonnet, Brosset, Cottin, Dognin et Isaac, Gindre, Giraud, Giraudon, Gourd, Payen, Permezel, Riboud, Richard, Vuillier,... sans oublier d'autres familles œuvrant dans la soierie plus récemment, comme les familles Cotte, Bianchini Ferier, Brochier, ou encore les familles de teinturiers comme les Gillet et les Guinon, les familles de filateurs, les familles uniquement impliquées dans le négoce.... (Voir "Les dynasties lyonnaises" par Pellissier et Angleraud aux Editions Perrin, et "Les patrons du Second Empire - Lyon et les lyonnais" par Cayez et Chassagne aux éditions Cenomane).
La Croix-Rousse, le quartier des canuts
Au début du XIXe siècle, l'arrivée des métiers à tisser de grande taille va profondément modifier le travail de la soie, mais également le mode de vie des ouvriers. Ces métiers à tisser sont tellement hauts qu'ils ne peuvent être utilisés dans les logements trop petits et trop sombres des quartiers de Saint-Nizier, Saint-Georges et de Saint-Jean.
Les anciens couvents de la Croix-Rousse, dont les plafonds sont très hauts, sont parfaits pour héberger les premières mécaniques. Mais très vite, il faut de nouveaux immeubles pour y installer les tisseurs (ex : le Clos Dumenge). Ils sont alors construits en fonction de ces imposants métiers (en moyenne 4 mètres de hauteur).
La commune de la Croix-Rousse, qui n'est alors pas encore rattachée à la ville de Lyon, offre d'autres avantages : c'est une zone dispensée de taxe (l'octroi), à l'abri des inondations, et les loyers sont moins élevés qu'à Lyon[7].
On assiste alors à la naissance d'un quartier manufacturier et surtout d'une catégorie professionnelle spécifique: les « canuts ».
Naissance du Métier Jacquard
En 1801, le lyonnais Joseph Marie Jacquard met au point un métier à tisser, le Métier Jacquard[8], qui permet à un seul ouvrier de manipuler le métier à tisser, au lieu de plusieurs auparavant.
Peu fiable[9], la mécanique Jacquard sera perfectionnée entre 1806 et 1817 par Jean-Antoine Breton. Le métier gardera cependant le nom de Jacquard[10]
L'organisation au sein de la Fabrique
En 1831, la production lyonnaise de soieries demeure organisée selon un modèle de type pré-industriel :
- Au sommet de la pyramide, on trouve la « grande fabrique », composée de quelque 1400 négociants-banquiers appelés « fabricants » ou « soyeux », qui commandent et financent la fabrication des pièces et en assurent la commercialisation auprès de la clientèle[11].
- Les fabricants font travailler quelque 8 000 maîtres artisans tisserands, les « canuts », qui travaillent à la commande et à la pièce. Ils sont propriétaires de leurs métiers à tisser (familièrement appelés « bistanclaques »), de deux à six selon la taille de l'atelier [11].
- Les canuts emploient environ 30 000 compagnons, qui sont des salariés à la journée, mais vivent généralement chez le canut, qui les loge et les nourrit et dont ils partagent la condition[11].
- On fait également travailler des femmes, moins bien payées, et des apprentis ou garçons de course, qu’on appelle à Lyon des « brasse-roquets », tout cela composant un très large éventail de métiers : gareurs, satinaires, lanceurs, battandiers, metteurs en carte, liseurs de dessins, magnanarelles, monteurs, brocheurs, plieurs, moulineurs, ourdisseuses, ovalistes, remetteuses, tordeuses, dévideuses, passementières, guimpières, taffetaquières, teinturiers, finisseuses...
L'unité de fabrication demeurant chez les particuliers, la Fabrique est un exemple type de "domestic system".
La Révolte des Canuts
En 1831 puis en 1834, les Canuts se révoltent. Ces deux insurrections sont considérées comme les premières batailles ouvrières.
Article détaillé : Révolte des Canuts.L'Écho de la Fabrique
Le 23 octobre 1831 (quelques semaines avant la grande insurrection de novembre 1831) paraît l’annonce de la création du premier journal ouvrier à l’initiative des canuts : l’Écho de la Fabrique.
L’Écho de la Fabrique publiera ses 8 pages hebdomadaires sur deux colonnes jusqu'en mai 1834 sans interruption (quelques successeurs continueront jusqu’aux lois répressives de 1835).
Via L'Écho de la fabrique, les Canuts vont ainsi s'informer, débattre, et tenter d'adapter le régime de la Fabrique lyonnaise à l'évolution industrielle en cours, de manière à préserver leur autonomie et leur liberté[12].
Le déclin
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'industrialisation, la concurrence étrangère, et enfin l'arrivée de la soie synthétique vont favoriser le déclin de l'industrie lyonnaise.
La Fabrique tente pourtant de s'organiser, en misant sur son savoir-faire.
L’apparition de la haute couture initiée par l’anglais Charles Frederick Worth permet à Lyon de trouver de nouveaux débouchés.
En 1886, le Conseil Municipal de Lyon crée une marque aux armes de la ville permettant aux acheteurs de reconnaitre une étoffe tissée à Lyon.
XXe siècle
Au début du XXe siècle, la soierie lyonnaise connait un nouvel âge d'or, qui sera vite brisé par la crise des années 1930.
Quelques années plus tard, l'apparition du Nylon et le changement des habitudes d’habillement précipitent le déclin de la Fabrique.
Diversification
La Fabrique jouera cependant un grand rôle dans les nouveaux axes de développement de la région lyonnaise. Les capitaux serviront le développement de l'économie (Crédit lyonnais fondé par Henri Germain, secondé par de grands lyonnais comme Joseph Bellon et son parent Henry Jaubert, la Banque Veuve Morin-Pons, Banque Saint Olive, Lyonnaise de Banque devenue CIC). Le savoir-faire, issue par exemple de la teinturerie, permettra le développement de l'industrie de la chimie (Rhône-Poulenc, Arkema) puis celui de la pharmacie (Boiron ou Mérieux sont issus de familles de soyeux) [13].
Autre branche dérivée, la mécanique. Le fabricant de métiers à tisser Marius Berliet va se diversifier en construisant des voitures, ce qui donnera plus tard naissance au géant Renault Trucks.
XXIe siècle
Il ne reste aujourd'hui à Lyon que très peu de fabricants de soie, essentiellement positionnés sur le marché restreint de l’ameublement de très grand luxe (ex : rééditions de tissus anciens pour les châteaux).
La Fabrique de Saint-Étienne
Article détaillé : Urbanisme de Saint-Étienne.Le terme de Fabrique sera également utilisé à Saint-Étienne pour désigner la "rubanerie" ou "passementerie", une des activités phares de la ville depuis la fin du XVIIIe siècle et la généralisation des "métiers à la zurichoise" permettant alors de tisser 12 rubans à la fois. La famille Ginot fut au XIXe siècle une famille de grands fabricants de rubans de soie près de Saint-Etienne, à "Soulage" sur la commune de la Valla en Gier.
Elle s'affranchit de la Fabrique lyonnaise à la fin du XVIIIe siècle jusqu'alors "entrepôt général et obligé de toutes les soies étrangères et indigènes". Saint-Étienne obtient en 1808 la création d'une Condition des Soies placée sous administration municipale.
Alors que la Fabrique Lyonnaise tend dès lors à faire sous-traiter sa production en zone rurale (voir l'après révolte des Canuts) ; la Fabrique Stéphanoise va s'ancrer durablement dans l'espace urbain et constituer le socle urbain. Les fabricants-négociants vont progressivement lotir les espaces encore vides jusqu'à l'annexion des communes suburbaines (Montaud, Beaubrun Valbenoîte et Outre-Furan) en 1855.
L'activité offre à la ville le cadre économique (1/2 du chiffre d'affaires des industries stéphanoises en 1846[14]), politique (les fabriquants de rubans siègent au conseil municipal) et démographique (jusqu'à 40 000 personnes vivent de la passementerie) lui permettant alors de déposséder Lyon, l'éternelle rivale, du titre de première ville ouvrière de France.
En 1834 alors que la Fabrique Lyonnaise amorce la ruralisation de son activité, les passementiers stéphanois représentent déjà plus de 80 % des rubaniers de la région "lyonnaise"[15].
Avant la crise des années 1880, on comptait près de 7 000 ouvriers-passementiers et 250 négociant-fabricants.
Vers 1880, l'activité sera en partie délocalisée en campagne et contribuera au développement de certains bourgs de montagne du Pilat et de la Haute-Loire (Saint-Genest-Malifaux, Saint-Just-Malmont, Sainte-Sigolène), les ateliers urbains stéphanois privilégiés bénéficiant toujours en premier lieu des nouvelles mécaniques et des innovations techniques.
Références
Sources: Georges Duby (ss la direction de), Histoire de la France : Dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (vol. 2), Larousse, 1999 p. 53 (ISBN 2035050472)
L'objectif était à l'époque de réduire un commerce avec l'Italie qui causait chaque année l'exportation de 400 000 à 500 000 écus d'or.
http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/lettres/louise/lyon/naris.html
Archives municipales, Lyon. Cité in Histoire du Lyonnais par les textes, p. 65-66- [www.millenaire3.com/uploads/tx_ressm3/Lyon_hinterland.pdf Lyon et son territoire], Marie Clotilde Meillerand
- La soie à Lyon : une initiative du pouvoir royal
- Histoire des Prud'Hommes
- http://www.scop.org/laviedesscop/rightb02.htm "la soie représente en 1835 un tiers des exportations d’objets manufacturés de la France" Sources :
- http://www.millenaire3.com/Lyon-et-la-soie-la-naissance-d-une-conscience-de.143+M540df090b3b.0.html Lyon et la soie : la naissance d’une conscience de classe :
- ISBN 2-7098-0101-9) Les inventions qui ont changé le monde, Édition Sélection du reader's digest, 1982. (
- Jacquard Ministère de la Culture :
- Une source pour la soierie lyonnaise : le recensement de la population de Lyon de 1808 à 1812. Archives de Lyon :
- Grande encyclopédie Larousse, 1972, p.2282-83
- http://echo-fabrique.ens-lsh.fr L'Écho de la fabrique mis en ligne par l'ENS :
- B.Angleraud : Les dynasties lyonnaises, 2003
- A. PEYRET, Statistique industrielle du département de la Loire, Saint-Étienne, Delarue, 1835.
- ISBN 2-85145-043-2) André VANT, Imagerie et urbanisation Recherches sur l'exemple stéphanois, Centre d'études Foréziennes, Saint-Étienne, 1981, (
Bibliographie
- E. Pariset : Histoire de la fabrique lyonnaise : étude sur le régime social et économique de l'industrie de la soie à Lyon, depuis le XVIe siècle
- Bernard Tassinari : La Soie à Lyon : de la Grande fabrique aux textiles du XXIe siècle
- Ludovic Frobert : L’Économie politique de la Fabrique, Lyon 1831-1834
- André Vant, Imagerie et urbanisation. Recherches sur l'exemple stéphanois, Centre d'études Foréziennes, Saint-Étienne, 1981
Voir aussi
Articles connexes
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