Affaire Papon

Affaire Papon

Maurice Papon

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Maurice Papon (Gretz-Armainvilliers, 3 septembre 1910Pontault-Combault, 17 février 2007) était un homme politique et haut-fonctionnaire français, condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l'humanité pour des actes commis alors qu'il était secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944, sous le régime de Vichy. Cette affaire judiciaire a commencé en 1981, après que Maurice Papon fut ministre du budget dans le gouvernement Barre.

Préfet de police de Paris à partir de 1958, au moment de la guerre d'Algérie, il a également été impliqué dans la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961 et dans celle du 8 février 1962, connue sous le nom de l'affaire de la station de métro Charonne.

Sommaire

Jeunesse et premières affectations

Fils de notable, il passe une partie de sa jeunesse à Gretz-Armainvilliers dans la maison familiale où il est né. Son père, Arthur Papon, premier clerc à l'étude de Me Aulagnier, fonde la Société française des verreries champenoises et sa mère se consacre à son éducation. Maurice Papon a 9 ans lorsque son père, de centre-gauche, devient maire de Gretz, poste qu'il conserve jusqu'en 1937 et qu'il complète par celui de conseiller général du canton de Tournan-en-Brie et de président de ce même conseil en 1937[1].

Après des études secondaires à Paris, au lycée Montaigne et au lycée Louis-le-Grand, Maurice Papon fait des études de droit et de lettres, milite à la Ligue d'action universitaire républicaine et socialiste aux côtés de Pierre Mendès-France[2] et entre dans l'administration publique à l'âge de 21 ans, au ministère de l'air. Il passe ensuite d'autres diplômes de droit et d'économie politique. Il est nommé en 1935 rédacteur au ministère de l'intérieur. Il va ensuite suivre François de Tessan, son mentor, dans 3 ministères. En 1939, il est affecté comme sous-lieutenant au 2e régiment d'infanterie coloniale et envoyé à Tripoli en Grande Syrie (aujourd'hui, au Liban). Il est rapatrié en France pour raisons de santé en octobre 1940 et est réaffecté au ministère de l'Intérieur en tant que sous-préfet de 1° classe [1].

À la préfecture de Gironde

Le 7 novembre 1940, Papon est nommé sous-chef de bureau à la Direction des affaires départementales et communales du ministère de l'intérieur, c'est-à-dire à son administration d'avant-guerre où il travaillait sous les ordres de Maurice Sabatier. En mars 1941, lorsque ce dernier est nommé secrétaire général pour l'administration, Papon devient son directeur de cabinet[3].

Maurice Papon est nommé le 1er février 1942 secrétaire général de la préfecture de la Gironde, à Bordeaux, en zone occupée. En janvier 1942, à la Conférence de Wannsee, les nazis avaient mis au point les grandes lignes de l'extermination des Juifs d'Europe. En France, le premier convoi de déportés quitta la France en mars 1942 (Voir Chronologie de la collaboration de Vichy dans le génocide des Juifs) mais l'intensification des déportations fut consécutive à un voyage de Reinhard Heydrich en France en mai 1942 et aux accords Bousquet, Secrétaire général de la police du régime de Vichy et Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France, pour la collaboration des de la police française à la déportation des Juifs étrangers[4].

En région parisienne, la rafle du Vel d'Hiv débuta le 16 juillet 1942. En dehors de la région parisienne, la plus importante concentration de Juifs était en Gironde, avec 1 884 Juifs recensés et 3 000 avec les départements limitrophes. Les préparatifs s'effectuèrent à partir du 2 juillet sous la direction du nouveau secrétaire général à la préfecture, du chef de service des questions juives, Pierre Garat et du capitaine SS Doberschutz. Les rafles de Bordeaux débutent le 15 juillet et durent deux jours. 171 personnes font partie du premier convoi de Bordeaux vers Drancy[5].

L'un des enjeux du procès Papon, en 1997, a été de déterminer les responsabilités exactes des différents intervenants et en particulier celles de l'accusé. Maurice Sabatier a le titre de préfet régional. Maurice Papon est directement sous ses ordres et chapeaute cinq divisions de la préfecture et le Service des questions juives, pour lequel il a la délégation de signature[6]. Ce service, dirigé par Pierre Garat, s'occupe essentiellement de la gestion du fichier juif. Il ne dépend pas du Commissariat général aux questions juives, en relation avec le SEC, Service d'Enquête et de Contrôle qui a une antenne à Bordeaux. De juillet 1942 à juin 1944, 11 convois transportent de Bordeaux à Drancy, près de 1 600 Juifs qui seront ensuite acheminés vers Auschwitz. Parmi les 1 600 déportés, un certain nombre a été arrêté en tentant de franchir la Ligne de démarcation, alors que d'autres, établis en Gironde et dans les départements limitrophes avaient été répertoriés par le service des questions juives[7]

A partir de 1943 et surtout en 1944, Papon est en contact avec des réseaux de résistance appartenant à la famille que l'historien Jean-Pierre Azéma qualifie de vichysto-résistants, c'est-à-dire de « Français qui ont dans un premier temps, cru en la Révolution nationale, ont souvent servi le régime, mais sont ensuite entrés en résistance sans esprit de retour »[8]. Le degré d'implication de Papon dans la Résistance a été une question accessoirement débattue au procès de 1997.

Maurice Papon, assis au 1er rang à gauche, aux côtés de Gaston Cusin (au centre), Commissaire de la République régional à la préfecture de Bordeaux en avril 1945

Il est incontestable que Papon a hébergé à plusieurs reprises Roger-Samuel Bloch, un fonctionnaire juif radié et membre du réseau Marco-Kléber, lié aux services de renseignement de l'armée de terre[9]. Il a également rendu des services au réseau Jade-Amicol, qui travaillait pour le compte de Intelligence service[10]. Début juin 1944, c'est Roger-Samuel Bloch qui conseillera à Gaston Cusin, nommé par de Gaulle Commissaire de la République, mais encore clandestin, à faire appel aux services de Papon qui aidera Cusin pendant les trois mois précédant la libération de Bordeaux. Sorti de la clandestinité, Cusin demande à Papon d'être son directeur de cabinet[9].

L’après-guerre

Préfet des Landes

Maurice Papon a été confirmé après-guerre dans ses fonctions par le général de Gaulle et n'a pas été inquiété par la Commission d'épuration. D'abord nommé préfet des Landes, il réintègre le ministère de l'intérieur en octobre 1945. Selon Olivier Guichard, le général de Gaulle « connaissait parfaitement le passé » de ce fonctionnaire qui l'a reçu personnellement après la libération de Bordeaux[11].

Constantine et la Corse (1945-1951)

Il poursuit alors une carrière de haut fonctionnaire au ministère de l'intérieur. Envoyé en Algérie dans Constantinois juste après les Massacres de Sétif de mai 1945 avec mission d'achever la pacification et la stabilisation du Constantinois[12]. Papon est ensuite nommé préfet de Corse en janvier 1947, puis, en octobre 1949, préfet de Constantine [13]. Selon les historiens britanniques House et MacMaster, cette nomination à Constantine est à mettre en relation avec les liens particulièrement étroits entre Maurice Papon et le politicien René Mayer, alors député-maire de Constantine, et chef du lobby colonial au parlement, toujours selon House et MacMaster qui désignent Mayer comme le « protecteur » de Papon[13]. Papon reste en poste à Constantine jusqu'en 1951. Pendant cette période le département de Constantine est le plus remuant des trois départements algériens. Le MTLD, mouvement nationaliste dirigé par Messali Hadj développe son Organisation spéciale chargée de collecte de fonds et d'achats d'armes[13]. La plupart des cadres du futur FLN ont été membres de cette organisation spéciale démantelée par la police française fin 1950.

Secrétaire général de la préfecture de Paris (1951-1954)

Entre décembre 1951 et 1954, Papon est promu au poste de secrétaire général de la Préfecture de police de Paris alors dirigée par Jean Baylot. On assiste durant cette période à un gonflement de l'immigration algérienne en France, qui atteint 210 000 personnes en 1954[14]. Les nationalistes du MTLD sont très actifs parmi cette population. Le 14 juillet 1951, avant l'arrivée de Papon, 10 000 manifestants algériens marchent à travers Paris en brandissant le portrait de Messali Hadj. Le contrôle et la répression de l'agitation messaliste fait partie du travail de la préfecture de police. Les incidents violents sont nombreux, comme le 14 juillet 1953 où la police tire dans un cortège d'Algériens qui défile aux côtés de la gauche mais dans un cortège séparé. Il y aura 7 morts[15].

Maroc: Secrétaire général du protectorat (1954-1955)

En juin 1954, Papon part pour le Maroc comme secrétaire général du protectorat, avec le rang de préfet hors-classe[16]. Sous l'autorité du résident général Francis Lacoste, le Maroc vit une période troublée qui mènera à l'indépendance proclamée le 3 mars 1956. Les forces de l'ordre doivent faire face à l'agitation nationaliste dirigée par l'Istiqlal. Papon continue de correspondre régulièrement avec René Mayer qui se fait exclure du parti radical de Pierre Mendès-France après avoir participé au renversement du gouvernement de ce dernier en février 1955[16]. Des groupes d'assassins contre-terroristes frappent les nationalistes et les Européens libéraux. C'est à la suite du meutre de l'un de ces derniers, Jacques Lemaigre Dubreuil, que le nouveau premier ministre Edgar Faure remplace le résident Francis Lacoste par Gilbert Grandval qui insiste pour que Papon soit démis de ses fonctions[16].

Superpréfet de Constantine (1956-1958)

De 1956 à 1958, Papon retourne à Constantine pour y exercer la fonction de préfet IGAME[17]. La guerre d'Algérie a commencé le 1er novembre 1954 lorsque Papon arrive à Constantine le 17 mai 1956 et qu'il promet dans un discours de rétablir la sécurité dans l'Est algérien[17]. House et MacMaster ont écrit que Papon partageait la même vision du monde que beaucoup de Français, socialistes ou conservateurs qui voient les mouvements d'indépendance comme un des éléments d'un assaut planétaire mené par le communisme pour étrangler l'Occident. Ainsi, répondant à Mayer qui avait écrit un texte sur la Conférence de Bandung et les dangers qui en résultent pour l'Occident, Papon entrevoit un monde où l'Occident n'est pas seulement menacé par le communisme mondial, mais aussi par « l'éveil de peuples nouveaux ou le réveil de peuples anciens ou assoupis » ce qui l'amène à conclure: « Ces perspectives ne peuvent que convaincre que les nations européennes d'abandonner leurs querelles subalternes, faute de quoi, il ne leur resterait même plus le choix de la sauce à laquelle elles pourraient être mangées »[18].

Impliqué dans les opérations militaires dans le Constantinois, Papon adopte les principes de la guerre révolutionnaire et psychologique, très populaires à cette époque chez les militaires français[17]. Des différents discours de Papon, il ressort que l'indépendance et les idées du FLN sont le fait d'une minorité d'intellectuels mais restent étrangères à la majorité du peuple algérien qui n'est pas fondamentalement opposé à la France. Ce sont donc des réformes politiques, économiques et sociales qui permettront au peuple de manger à sa faim et d'être libre, et donc pleinement intégré au sein de la nation française. Dans un discours de 1957, Papon conclut « l'objectif est d'isoler la rébellion et de la séparer de la masse »[17]. Dans la pratique, ces idées, qui sont largement répandues chez les dirigeants français, qu'ils soient militaires ou civils, conduisent à la politique de regroupement, c'est-à-dire de déplacement en masse des paysans dans les camps fortifiés. Le 17 septembre 1956, Papon se félicite du regroupement de 117 000 personnes dans toute la région Est, et ce chiffre atteindra 360 000 en octobre 1958, peu après son départ[17].

Pour lutter contre les attaques terroristes, Papon met en œuvre les mêmes techniques que celles utilisées à Alger: Déploiement des « détachements opérationnels de protection » (DOP) spécialisés dans l'investigation et les interrogatoires, c'est-à-dire la torture, et création en mars 1957 de la SAU (Section administrative urbaine) constitué d'agents arabophones ou berbérophones chargés de nouer des liens avec les habitants des bidonvilles et des garnis du centre-ville. Les agents de la SAU montent des programmes de relogement, fournissent des papiers d'identité, et parallèlement à ce travail social recueillent des informations utiles pour démanteler les réseaux FLN[17]. Papon créé également le « Centre de renseignements et d'action » (CRA) chargé d'opérations militaires et policières. L'originalité du CRA est d'intégrer dans une structure unifiée différents organismes de l'armée, de la gendarmerie, de la SAU et de la police civile pour centraliser les informations, étudier les actions à mettre en œuvre et envoyer des commandos spéciaux formés de harkis, de CRS ou de gendarmes pour procéder aux arrestations. Le CRA devient rapidement un modèle pour toute l'Algérie. Papon l'adaptera aussi à Paris à partir de 1958 sous la forme du « Service de coordination des affaires algériennes » (SCAA)[17].

Préfet de police de Paris (1958-1967)

Les conditions de la prise de fonctions

En mars 1958, Maurice Papon est nommé préfet de police de Paris sur recommandation du ministre de l'intérieur Maurice Bourgès-Maunoury. Quand il descend de l'avion qui le ramène de Constantine, il passe pour un homme de fer sur lequel on peut compter pour faire face à une crise qui menace de faire tomber le gouvernement [19]. Cette action occulte lui valut son maintien en fonction par la Ve République. En juillet 1961 il reçoit des mains de Charles de Gaulle la croix de commandeur de la Légion d'honneur. Lorsqu'en 1967, Maurice Grimaud remplace Papon à la préfecture de police, le général de Gaulle dit à Grimaud : « Vous avez là un poste très important et exposé. Il y faut beaucoup de sang-froid et d'autorité. Vous succédez à un homme qui l'a occupé de façon considérable. »[20]

A l'origine du remplacement du préfet André Lahillonne par Papon, il y avait eu la manifestation du 13 mars où, pour protester contre l'incapacité de l'administration à verser des primes de risque, quelque 2000 policiers s'étaient dirigés vers l'Assemblée nationale aux cris de « Dides[21] au pouvoir! », « Fellagas[22] assassins !». La principale mission confiée au nouveau préfet de police est d'imprimer un nouvel élan à la lutte contre le FLN dans la capitale. Ses diverses affectations depuis 1945 l'avaient particulièrement bien préparé à cette tâche[19].

L'organisation du FLN (1958-1962)

En 1959, un recensement de la préfecture dénombrera 131 819 Algériens dans le département de la Seine. Ils seront 152 000 en 1961 dont 8 000 femmes et 29 000 enfants[23]. En août 1958, le FLN voudra ouvrir un « second front » en France en vue de paralyser les forces militaires françaises en attaquant la police et des cibles stratégiques[23], mais depuis le début de la guerre, l'objectif constant de la Fédération de France du FLN n'est pas seulement la constitution d'un réseau clandestin de militants dévoués et efficaces, mais aussi d'exercer un contrôle absolu sur la population[23]. Ce contrôle lui permet d'apparaître comme le seul interlocuteur valable pour représenter le peuple algérien, et il lui faut pour cela éliminer son rival, le MNA, organisation politico-militaire dirigée par Messali Hadj qui a remplacé le MTLD en 1954[23]. Il permet également de collecter un maximum de fonds au moyen d'un impôt auquel sont assujettis tous les travailleurs algériens et qui peut représenter environ 8% de leurs salaires[24].

Le MNA sera pratiquement éliminé à Paris en 1960 à l'issue d'une guerre intestine sanglante[23]. À Paris, le poids politique du FLN est exceptionnel gâce aux contacts avec les syndicats et les partis politiques dont peuvent disposer les immigrés travaillant dans les secteurs industriels avancés, grâce aussi au groupe d'étudiants et d'intellectuels d'une grande maturité politique qui peuvent nouer des contacts utiles avec les intellectuels, hommes politiques et les journalistes de gauche[23]. Les deux Wilayas de la région parisienne sont structurées en cellules locales, groupes, sections, secteurs, régions, zones et superzones. Une Organisation politico-administrative (OPA) est chargée d'exercer un contrôle sur la vie quotidienne et peut infliger des amendes pour les fautes légères, et en cas de fautes plus graves, les coupables sont exécutés par les groupes armés (GA) et une Organisation spéciale (OS). À partir de 1958, des comités de justice locaux imposent la loi islamique et réglementent le mariage, le divorce et les conflits commerciaux[23].

L'organisation mise en place par Papon pour lutter contre le FLN

Le niveau d'autarcie politique, sociale et culturelle que le FLN avait pu établir permettait d'éviter que les émigrés n'aient de contact avec la société française et l'État français. Pour faire face à cette situation Papon doit mettre en place une organisation lui permettant pénétrer un milieu a priori hostile, de débusquer l'ennemi et de lui ravir le contrôle de la population[25]. Le préfet de police de Paris dépend directement des ministres de l'intérieur qui se succèdent entre 1958 et 1962: Jules Moch, Émile Pelletier, Jean Berthoin, Pierre Chatenet et, à partir de mai 1961, Roger Frey. Michel Debré sera premier ministre de janvier 1959 à avril 1962. de Gaulle est Président du Conseil à partir du 1er juin 1958, puis président de la République à partir de janvier 1959.

Le 9 juillet, de Gaulle crée un groupe de travail composés de représentants de différents ministère pour émettre des recommandations sur les formes les plus efficaces d'action psychologique et de propagande en vue de dégager la masse des musulmans de leur soumission au FLN. Le groupe de travail espère alors qu'à l'exemple des groupes d'auto-défense mis en place en Algérie, des petits groupes antifrontistes et fidèles à la France puissent tenir tête au FLN. Le groupe de travail souligne aussi que la législation et le droit pénal qui ne sont pas adaptés à la guerre révolutionnaire sont un réel obstacle à l'action[25]. Le 1er août 1958, Papon remet au groupe de travail un document Notes sur la répression du terrorisme nord-africain. Ce document est également envoyé à la réunion du 23 août du CCAP (Comité de coordination et d'action psychologique) qui chapeaute le groupe de travail et qui regroupe les ministres de l'Intérieur, de la Justice et des Forces Armées. Le document de Papon recommande au gouvernement de prendre d'urgence trois mesures[25]: bannir de France tous les suspects terroristes, laissant les autorités militaires leur réserver un « régime répressif approprié »

  • Donner davantage de pouvoir aux tribunaux militaires
  • Autoriser l'assignation à résidence d'individus suspects d'activité FLN contre lesquels les preuves ne sont pas suffisantes pour lancer une procédure judiciaire
  • Par l'ordonnance du 7 octobre 1958, le gouvernement suit, en gros, les recommandations de Papon, autorisant notamment la détention d'Algériens arrêtés pendant deux semaines, ce qui donne le temps à la police et à l'armée de les interroger[25].

Parallèlement à la mise en place d'une réglementation répressive, Papon participe à la mise en place de strctures sociales, conformément au schéma de guerre révolutionnaire qu'il avait déjà contribué à mettre en place lorsqu'il était en poste à Constantine. Il s'agit de prendre en charge le nouvel immigré dés son arrivée dans les gares parisiennes ou à l'aéroport d'Orly, de l'aider dans ses démarches administratives tout en accumulant les informations dans un fichier de renseignements. Le Service de coordination des affaires algériennes (SCAA) est au centre de cet appareil répressif et social. Basé à la préfecture de police, il centralise toutes les informations sur le FLN à Paris. Le SCAA peut recourir, si besoin aux divers services de police, tant les gardiens de la paix et la police judiciaire, les unités anti-émeutes que sont les CRS et les gardes mobiles que des unités spécialisées, les Brigades des agressions et violences (BAV créées par le préfet Baylot[25].

Le SCAA est également en relation avec le Service d'assistance technique aux Français musulmans d'Algérie (SAT-FMA) conçu par des officiers supérieurs issus des SAS et venus d'Algérie en août 1958. L'objectif du SAT-FMA est de « gagner la bataille des âmes ». Selon les termes de Roger Cunibile, l'un des créateurs du service, l'aide sociale constitue « un moyen d'action, non un but ». Le Sat est organisé en six secteurs qui correspondent aux divisions policières. Chaque secteur dispose d'un bureau de renseignement spécialisé (BRS). Conseils en matière d'emploi, d'allocations familiales, de logement, délivrance de cartes d'identité et amélioration ds conditions de vie se mêlent à des opérations de propagande et de collecte de renseignements[25].

Lorsque les bastions frontistes sont identifiés, des opérations de commandos dispersent les habitants des quartiers suspects vers des lieux éloignés. C'est l'opération « Osmose » menée à partir du 8 juillet 1959. Les récalcitrants peuvent être internés pendant un temps plus ou moins long au Centre d'identification de Vincennes (CIV). Au début de 1959, les agents du SAT préconisent à Papon de préférer le refoulement en Algérie plutôt que l'internement dans des camps français qui sont de véritables écoles de cadres du FLN. Papon transmet cette suggestion au gouvernement appuyant la demande par l'argument que « la hantise du renvoi en Algérie conduirait les immigrés à se rallier à la France ». Le délégué général en Algérie refusera que cette mesure concerne les militants « dangereux »[25].

A partir de la fin de 1960, le dispositif de lutte contre le FLN est complété par la création de la Force de police auxiliaire (FPA) composée de musulmans algériens volontaires et qui sera commandée par le capitaine Raymond Montaner[26]. L'objectif des FPA est de disloquer l'organisation du FLN en arrêtant les responsables et en empêchant le prélèvement des cotisations. Ils parviennent à rallier les Algériens menacés de mort par le FLN et à recruter des indicateurs parmi les commerçants[27]. La méthode utilisée par les hommes de Montagner est invariable: occupation d'hôtels habités par les travailleurs algériens, infiltration et recueil de renseignements, violences policières, tortures[27].

La première compagnie de FPA implantée dans un quartier du XIIIe arrondissement parvient à disloquer l'organisation frontiste dans cet arrondissement. Ce succès amène le préfet de police à implanter une deuxième compagnie dans le quartier de la Goutte d'Or. Dés lors, les patrouilles en file indienne de ces hommes en calots bleus, mitraillette à la ceinture, fait partie du paysage des XIIIe et XVIIIe arrondissements. Dans la lutte que mène la préfecture de police de Pairs contre le FLN, les FPA sont en première ligne[26].

L'efficacité de la FAP, conclut Jean-Paul Brunet, a eu pour contrepartie l'emploi de moyens illégaux et moralement condamnables comme les arrestations et détentions arbitraires et la pratique systématique de la torture[28]. Ces méthodes sont dénoncées dans la presse de gauche, et ce sont peut-être ces protestations, mais aussi l'ouverture des premiers pourparlers d'Évian entre le gouvernement français et le GPRA à la fin du mois de juin 1961, qui aboutisent au regroupement des compagnies de FPA au fort de Noisy à Romainville[28].

La répression policière en 1961 et 1962

En 1961, alors que s'engage une phase de négociations entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire algérien (GPRA), on assiste à une recrudescence des attentats du FLN contre des policiers français. Ces attentats cessent à la fin du mois de juillet, au moment des pourparlers de Lugrin, mais reprennent avec plus de vigueur à partir du 29 août, sans que l'on sache si l'initiative en revient à la Fédération de France du FLN ou à un échelon inférieur[29]. Les attentats dont ils sont victimes engendre chez les policiers une véritable psychose. Il apparait que le corps des policiers, excédé par les attentats, est prêt à se faire justice lui-même[30]. De fait, au début du mois d'octobre, un certain nombre d'assassinats d'Algériens et à imputer à des policiers ou à des groupes parapoliciers[31] [32].

Le 5 octobre, Papon instaure un couvre-feu pour les Nords-Africains. « Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s'abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20h30 et 5h30 du matin. » Officiellement, il s'agissait « de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes algériens »[33]. En fait, il s'agit pour Papon de riposter au FLN pour prendre un avantage définitif dans la « Bataille de Paris » qui oppose depuis 1958 le FLN qui entend contrôler toute la population algérienne vivant dans la région parisienne à la police parisienne dirigée par Papon[34]. Le couvre-feu est effectivement une gêne considérable pour les activité du FLN dont les activités étaient vespérales et nocturnes[34]. Pour riposter au couvre-feu, le FLN décide d'organiser une manifestation de masse, pacifique, mais qui revêt un caractère obligatoire pour les populations, le 17 octobre[35] [36] [37].

Article détaillé : massacre du 17 octobre 1961.
Plaque commémorative à Aubervilliers, sur une passerelle du Canal Saint-Denis

Le 17 octobre au soir, entre 20 000 et 30 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, vêtus de l'habit du dimanche pour témoigner de leur volonté de dignité, se dirigent vers les points de regroupements prévus par la FLN[38]. Les forces de police placées sous l'autorité de Papon répriment très brutalement la manifestation pacifique interdite. Plusieurs dizaines de civils algériens trouvent la mort[39]. Des milliers de manifestants restent internés plusieurs dans des centres de détention où de graves sévices leur sont infligés[40] [41].

Le 3 octobre, lors des obsèques d'un policier victime d'un attentat, Maurice Papon avait déclaré : « Pour un coup donné, nous en porterons dix. » [42]. Dans la même journée, il était passé dans plusieurs commissariats, autorisant verbalement ses hommes à tirer dés qu'ils se sentent menacés. Il avait donné sa parole qu'ils seront couverts[43]. Par ailleurs, il n'avait cessé de donner des consignes tendant au respect de la légalité. « Gradés et gardiens, écrit-il, se doivent de toujours garder leur sang-froid et d'éviter les brimades qui engendrent le ressentiment et la haine et qui font finalement de jeu de l'adversaire »[44]. Dans un rapport au ministre de l'intérieur daté du 9 octobre, il avait attiré l'attention sur le « malaise profond décelé au sein des services... qu'il n'est pas possible de laisser s'aggraver ... sans courir les plus grands risques »[45]. Constatant que Maurice Papon n'avait nul besoin d'exciter la police qui apparaissait comme une marmite sous pression, prête à exploser, l'historien Jean-Paul Brunet s'interroge « Qu'aurait fait un Maurice Grimaud, à sa place ? » estimant que ce dernier n'aurait pas absout par avance les exactions de la police comme Papon l'a fait le 6 octobre[46]. On crédite en fait Maurice Grimaud, successeur de Papon, d'une répression modérée des manifestations de Mai 68. Répondant à Brunet, Maurice Grimaud insiste sur le caractère autoritaire dont Papon a fait preuve dans tous ses postes et souligne qu'il s'identifie pleinement à l'équipe gouvernementale du moment, c'est-à-dire de Gaulle, Debré, Frey. Il ajoute ensuite: « Aurais-je mieux maîtrisé les évènements ? Comme vous, j'en doute. Non seulement, les appels à la modération ne sont plus perceptibles au-delà d'un certain degré de passion, mais aussi parce que les policiers engagés se sentaient en phase avec une bonne partie de la classe politique et de la société civile. Et pas seulement avec l'OAS »[47]

A partir de la fin de 1961, Paris est confronté à une vague d'attentats organisée par l'OAS. Le 7 février, dix charges plastiques explosent au domicile de diverses personnalités : un de ces attentats qui vise André Malraux défigure une fillette de 4 ans, Delphine Renard[48]. Les organisations syndicales CGT, CFTC, FEN et UNEF appellent à une manifestation le lendemain même. Le PCF, le PSU et le Mouvement de la paix se sont associés à l'appel[48]. Mais les manifestations sont interdites depuis le Putsch des Généraux en avril 1961.

Papon rencontre le 8 février au matin une délégation syndicale. Il reste debout et, glacial, signifie que le décret du 23 avril 1961 reste valable et interdit les manifestations sur la voie publique. Les délégués informent qu'ils maintiendront la manifestation pacifique[49]. Il n'était pourtant pas exclu que la manifestation puisse être autorisée, puisqu'il s'agissait d'un « rassemblement statique » et que d'autres rassemblements statiques avaient déjà été tolérés. Dans ses mémoires, Papon a écrit qu'il avait suggéré au ministre de l'intérieur Roger Frey de tolérer également la manifestation du 8 février, que ce dernier en aurait référé au président Charles de Gaulle qui aurait répliqué « Qu'est-ce qui prend à Papon ? »[50]. Jean-Paul Brunet estime plausible cette version des faits, mettant en avant que Frey et Debré, aussi fervents gaullistes que Papon, n'avaient rien démenti au moment de la parution du livre[49]

La manifestation du 8 février 1962 contre l'OAS, est violemment réprimée. Huit manifestants sont tués suite aux coups reçus ou périssent étouffés en fuyant l'extrême brutalité de la police, dans la bouche de métro Charonne. Un neuvième meurt peu après des suites de ses blessures. Les historiens Jean-Paul Brunet et Alain Dewerpe estiment qu'une responsabilité collective, des forces de police au chef de l’État, le général de Gaulle, en passant par le préfet Papon, s'établit. Pour Dewerpe, qui qualifie l'événement de « massacre d'État »: « L'équation finale se résumerait à ceci : le massacre contre le putsch. »[51],[52].

En janvier 1967, Maurice Papon quitte la préfecture de police de Paris. Il est nommé président de Sud-Aviation, ancêtre de l'Aérospatiale.

Maire, député, puis ministre de la République

En 1968 il est élu député UDR du Cher. À l'automne de la même année, il devient trésorier de l'UDR, appuyé par le chef de l'État, le général de Gaulle. Jacques Foccart rapporte ce dialogue du 11 octobre 1968 dans son Journal de l'Élysée :

« Jacques Foccart : [Le trésorier de l'UDR Robert] Poujade a l’intention de proposer Papon pour le remplacer, mais il veut connaître votre avis avant.
Charles de Gaulle : Oui, Papon, c’est tout à fait convenable, c’est sérieux. En effet, c’est une bonne idée. » [53]

Il occupe ce poste pendant près de trois ans.

Il est élu maire de Saint-Amand-Montrond (Cher) en mars 1971. Il le restera jusqu'en 1983. Il posera, en outre, la première pierre du lycée Jean Moulin.

En 1972 il devient président de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Il est réélu député en 1973 et 1978. Cette année-là, il obtient 51,47 % des suffrages exprimés au second tour, face au communiste Laurent Bilbeau.

De 1978 à 1981, il est ministre du Budget dans les deuxième et troisième gouvernements de Raymond Barre. Dans un entretien accordé à France Culture en février 2007, M. Barre a déclaré que la nomination de Maurice Papon s'était faite sur son initiative.

L'affaire Papon (1981-2002)

Plainte pour crime contre l'humanité en 1981

Papon, alors ministre du Budget, décide de déclencher un contrôle fiscal contre l'hebdomadaire satirique, Le Canard enchaîné.[réf. nécessaire]

Le 6 mai 1981, entre les deux tours de l'élection présidentielle qui devait conduire à la victoire de François Mitterrand, le journal « riposte », sur le mode de l'arroseur arrosé, en publiant un article de Nicolas Brimo révélant le rôle de Maurice Papon dans la déportation des Juifs bordelais. On y trouve deux documents datés l'un de février 1943, l'autre de mars 1944, et signés de la main de Maurice Papon, alors secrétaire général de la préfecture de Gironde. Ces pièces, montraient la participation du secrétaire de préfecture à la déportation des juifs vers l'Allemagne[54]. Ces documents avaient été découverts dans les archives départementales de la Gironde par Michel Bergès, un jeune universitaire qui effectuait des recherches sur la collaboration économique. Bergès avait aussi découvert un procès-verbal de la police relatant l'évasion de l'un de ses amis, Michel Slitinsky, dont la famille avait été déportée à Auschwitz. Bergès avait donné des copies à Slitinsky qui les avait lui-même communiqué au Canard enchaîné[54]. Une autre note datée de novembre 1942, signée par Maurice Papon et produite pendant le procès, prouvera que celui-ci avait demandé au Commandant de la Direction de la Police de Sécurité allemande à Bordeaux la libération d'Alice Slitinsky, arrêtée le 19 octobre 1942 et relâchée le 5 décembre 1942[55].

Bien que l'affaire ait été déclenchée quatre jours avant le scrutin présidentiel, et touche un ancien préfet, député RPR du Cher, ministre du Budget du gouvernement de Raymond Barre, aucun élément n'est venu étayer un lien de cause à effet entre l'élection et les révélations du Canard enchaîné.

En juin 1981, Papon demande la constitution d'un « jury d'honneur ». Le 15 décembre 1981, un jury d'honneur composé de cinq anciens résistants Marie-Madeleine Fourcade, Jean Pierre-Bloch, Daniel Mayer, le père Riquet et Charles Verny « donne acte à M. Papon de ce qu'il fut bien affilié aux Forces françaises combattantes à compter du 1er janvier 1943 et attributaire de la carte du combattant volontaire de la Résistance ». Il ajoute cependant qu'en restant en fonctions à la préfecture de Gironde, Maurice Papon fut mêlé de ce fait « à des actes contraires à l'honneur », et estime que ce dernier aurait dû démissionner en 1942[56].

Le 8 décembre 1981, Maurice-David Matisson, Jean-Marie Matisson, Jacqueline Matisson et Esther Fogiel déposent plainte pour "crimes contre l'humanité"[57].

Le procés de 1997 et ses suites

Papon est inculpé en 1983 de crimes contre l'humanité. En France, les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles depuis 1964. Avant le procès de Maurice Papon, ceux de Paul Touvier et Klaus Barbie avaient été concernés par l'imprescribilité. Mais ce n'est qu'en 1997 que débute le procès, après dix-sept années de batailles juridiques. Il avait été renvoyé, le 18 septembre 1996, devant la cour d'assises de la Gironde par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux[58]. Parmi les plaignants, on compte 34 membres de la famille de juifs déportés et 14 associations qui se sont constituées parties civiles [59]. Papon est accusé d'avoir fait déporter, entre juillet 1942 et mai 1944, près de 1600 juifs de Bordeaux vers Drancy. Le renvoi devant les assises de la Gironde ne concerne que soixante-douze victimes déportées entre 1942 et 1944 et parentes des plaignants. Maurice Papon est défendu par l'avocat Jean-Marc Varaut. C'est le procès le plus long en France depuis la seconde Guerre mondiale.

Maurice Papon est condamné le 2 avril 1998 à une peine de dix ans de réclusion criminelle, d'interdiction des droits civiques, civils et de famille pour complicité de crimes contre l'humanité par la cour d'assises. Seules ont été retenues, pour quatre convois sur huit, des complicités d'arrestation et de séquestration. La cour d'assises a estimé que Maurice Papon n'avait pas connaissance de l'extermination des juifs. En conséquence, il est acquitté pour toutes les charges de « complicité d'assassinat » et des « tentatives de complicité d'assassinat »[60].

Le procès Papon a été porteur de significations différentes pour les Français ; pour certains, il représentait une dernière chance de confrontation du peuple français avec son passé collaborationniste, pour d'autres il symbolisait le ravivement inutile de blessures anciennes et de facteurs de divisions. Une des questions principales du procès était de déterminer dans quelle mesure un individu doit être tenu seul responsable lorsqu'il est un maillon dans une chaîne de responsabilités[60]. D'autre part, les accusateurs publics et privés n’ont cessé de présenter une Préfecture libre de ses actions, en ne prenant pas en compte le rôle des nazis. Le procureur général requiert une peine de vingt ans de réclusion criminelle, alors que la réclusion criminelle à perpétuité, réclamée par les parties civiles, était encourue[60]. La peine finalement prononcée a été dénoncée par les avocats du condamné comme une peine de « compromis »[60].

Mis en liberté au début de son procès [61], Jean-Louis Castagnède, Maurice Papon s'enfuit en Suisse en octobre 1999 à la veille de l'examen de son pourvoi en cassation ; ne s'étant pas mis en état (c'est-à-dire constitué prisonnier avant l'examen de son pourvoi), il est déchu de son pourvoi[62]. Arrêté au bout de quarante-huit heures dans un hôtel helvétique, et aussitôt extradé, Maurice Papon est finalement emprisonné à la prison de Fresnes, puis à celle de la Santé, dont il sort le 18 septembre 2002, après trois années de détention, sur la base d'un avis médical concluant à l'incompatibilité de son état de santé avec la détention et de la « loi Kouchner », nouvellement votée. Il est alors assigné à résidence dans sa maison familiale de Gretz-Armainvilliers en Seine-et-Marne.

Cette remise en liberté a été très critiquée. Le rapport médical décrivant Papon comme « impotent et grabataire » parut démenti spectaculairement quand l'ancien prisonnier quitta à pied la prison de la Santé. La libération de Papon a été rendue possible par la loi « Kouchner » du 4 mars 2002[63] qui prévoit que les prisonniers peuvent être libérés s'ils souffrent d'une maladie incurable ou si leur incarcération met en danger leur santé. Papon est le deuxième Français à bénéficier de cette loi, alors que vingt-sept octogénaires français sont entrés en prison en 2001. La libération de Maurice Papon a été approuvée par l'ancien garde des Sceaux et ancien président du Conseil constitutionnel Robert Badinter. Elle avait été aussi demandée par des personnalités aussi peu suspectes de complaisance que l'ancienne résistante Germaine Tillion, cofondatrice du réseau du musée de l'Homme.

Dans un arrêt du 12 avril 2002, le Conseil d'État, considérant que les faits pour lesquels Maurice Papon a été condamné résultent à la fois d'une faute personnelle et d'une faute de service, c'est-à-dire de l'administration[64], a condamné l'État à payer la moitié des dommages que la Cour d'assises de la Gironde avait attribués aux parties civiles[65],[66]. Mais, de son côté, Papon a organisé son « insolvabilité ».

Le 25 juillet 2002, sur requête de M. Papon, la Cour européenne des droits de l'homme[67],[68], suivant sa jurisprudence antérieure[69],[70], a jugé contraire aux principes du procès équitable l'obligation de se constituer prisonnier avant l'examen d'un pourvoi en cassation, qui faisait alors partie du code de procédure pénale. À la suite de cet arrêt, la commission de réexamen des condamnations pénales a ordonné le réexamen du pourvoi en cassation de Papon[71], pourvoi qui a été rejeté le 11 juin 2004 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation[72].

Par un arrêt du 4 juillet 2003, le Conseil d'État a annulé la suspension du versement de la pension de retraite de Papon : la suspension avait été décidée en application d'une disposition concernant la condamnation à une peine afflictive ou infamante, alors que cette catégorie de peines ne figure plus dans le nouveau code pénal[73]. Par un arrêt du même jour, il s'est déclaré incompétent pour examiner la requête visant à obtenir le versement de sa pension d'ancien député, dont le versement avait été suspendu pour la même raison que sa pension d'ancien préfet[74].

Maurice Papon a eu de nouveau affaire à la justice en 2004-2005, pour avoir arboré illégalement la Légion d'honneur en public, alors que ses décorations lui avaient été retirées suite à sa condamnation. Il est condamné le 2 mars 2005 à 2500 euros d'amende[75].

Mort

Après sa libération pour raison de santé le 4 septembre 2002, Maurice Papon vend la maison familiale qu'il possède à Gretz-Armainvilliers et s'installe dans un petit pavillon moderne au 44 de la rue Arthur Papon (du nom de son père), où il est assigné à résidence [76].

Hospitalisé le 8 février 2007 à La Francilienne, clinique de Pontault-Combault en Seine-et-Marne, à la suite de problèmes cardiaques et pour une intervention sur son pacemaker, il y meurt le 17 février 2007 à l'âge de quatre-vingt-seize ans. Sa mort a suscité peu de réactions spontanées des milieux politiques et associatifs.

L'avocat de Maurice Papon, Francis Vuillemin, a déclaré que son client serait enterré avec la légion d'honneur, affirmant dans un communiqué : « Je veillerai personnellement à ce que l'accompagne dans son tombeau la croix de Commandeur de la Légion d'honneur que Charles de Gaulle lui a remise de ses propres mains, pour l'éternité. » « Le délit de port illégal de décoration ne se conçoit que dans un lieu public. Le cercueil est le lieu le plus privé qui puisse être et un cadavre n'est plus un sujet de droit, il n'y a donc pas d'infraction », a déclaré l'avocat à Reuters [77].

Finalement il a été enterré avec sa légion d'honneur, les autorités ayant décidé de ne pas intervenir pour la retirer, à l'image de la déclaration de Michèle Alliot-Marie : « La République a fait ce qu'elle devait faire, il y a eu procès, il y a eu décision de justice, à la suite de la décision de justice la République a décidé de retirer la croix de commandeur de la légion d'honneur à Maurice Papon, il n'est plus commandeur de la légion d'honneur, c'est tout. Ensuite ouvrir les cercueils, c'est quelque chose qui me déplaît ».[78],[79]

Juridiquement, le fait de placer la légion d'honneur sur un cadavre n'est pas condamnable ; premièrement parce que seule une personne vivante peut commettre un délit de port illégal de décoration, alors qu'il n'est pas illégal d'en poser une sur un objet. Ensuite, parce que le port n'est pas public puisque masqué par le cercueil. Le fait que le placement de la légion d'honneur dans le cercueil ait été accepté ne contredit donc pas l'exclusion de l'ordre[80]. Mais même si juridiquement il est impossible d'interdire ce port, plusieurs représentants de la classe politique ont indiqué qu'ils voyaient là une provocation[81].

Son enterrement a été célébré dans la religion catholique par le père Michel Lelong, un prêtre connu pour son dialogue avec l'islam. Une quarantaine de personnes, autant de journalistes et de policiers, ont assisté à l'oraison funèbre.

Maurice Papon a été inhumé le 21 février 2007 dans le cimetière de Gretz-Armainvilliers aux côtés de ses parents et de sa femme, Paulette, décédée en mars 1998, deux jours avant la fin du procès.

Son petit-fils Fabrice Papon lui rend hommage en 2005, dans son film intitulé "Hatem's son".

Bibliographie

  • Michel Slitinsky, "L'affaire Papon" 1983 Éditions Alain Moreau Préface de Gilles Perrault, Préface interdite qui donne lieu à un seconde édition de "L'affaire Papon" en 1984 avec comme préface le rendu de justice qui a donné lieu à l'interdiction de la préface de Perrault qui traitait Papon de "franc salaud"
  • Michel Slitinsky, "Le Pouvoir préfectoral lavaliste à Bordeaux", Éditions Wallada, 1997 (ISBN 2904201130)
  • Michel Slitinsky, "Procès Papon, le devoir de mémoire", Éditions de l'Aube, 1998 (ISBN 2876783843)
  • Collectif de lycéens, Michel Slitinsky : "l'affaire de tout un siècle", Éditions Le Bord de L'eau, 2000 (ISBN 2911803248)
  • Michel Slitinsky, " Indiscrétions des archives de l'occupation", Éditions Les Chemins de la Mémoire, 2005 (ISBN 2909826872).
  • Quotidien Le Monde, Le Procès de Maurice Papon. La chronique de Jean-Michel Dumay, éd. Fayard, 1998
  • Éric Conan, Le procès Papon : un journal d'audience Gallimard, 1998
  • Gérard Boulanger, Papon, un intrus dans la République, éd. du Seuil, coll. « L'épreuve des faits », 1997 ; Plaidoyer pour quelques juifs obscurs victimes de monsieur Papon, éd. Calmann-Lévy, 2005
  • Jean-Marc Varaut, Plaidoirie de Jean-Marc Varaut devant la cour d'assises de la Gironde: Au procès de Maurice Papon, fonctionnaire sous l'occupation. Ed. Omnibus, 1998 (ISBN 978-2259189330)
  • Jean de Maillard, « À quoi sert le procès Papon ? », Le Débat, no 101, septembre-octobre 1998
  • Edith Gorren et Jean-Marie Matisson, Le Procès Papon, les Enfants de Pitchipoï, éd. Atlantica, 1998
  • Hubert de Beaufort, Affaire Papon. La contre-enquête, Ed. Guibert, 1999 (ISBN 978-2868395641)
  • Guillaume Mouralis, "Le procès Papon. Justice et temporalité", Terrain, no 38, mars 2002
  • Denis Salas, Barbie, Touvier, Papon, éd. Autrement, 2002
  • Jean-Paul Brunet, Charonne. Lumières sur une tragédie, éd. Flammarion, 2003
  • Georges Gheldman, 16 juillet 1942, témoignage, 2005, Berg International. On trouve en annexe la retranscription intégrale du témoignage de Georges Gheldman lors du procès de Maurice Papon.
  • Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d'un massacre d'État, éd. Gallimard, coll. "Folio-histoire", 2006
  • Jean-Marc Varaut, Un avocat pour l'Histoire. Ed. Flammarion 2007 (ISBN 978-2-0812-0057-9)
  • Jim House, Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d'État et la mémoire, Tallandier, 2008, p. 59 (édition originale en anglais en 2006)


Références

  1. a  et b Biographie de Maurice Papon dans l'acte d'accusation de son procès de 1997, sur le site du journal Sud Ouest
  2. André Coutin, Huit siècles de violence au Quartier latin, Stock, 1969, p. 331.
  3. Éric Conan, Le procès Papon : un journal d'audience Gallimard, 1998, p.56-57
  4. Asher Cohen, Persécutions et sauvetages, Juifs et Français sous l'occupation et sous Vichy, éditions du Cerf, 1993, p.256-266
  5. Asher Cohen, p.269-270
  6. Eric Conan, p.69
  7. Acte d'accusation du procès, disponible sur le site du journal Sud Ouest. Les chiffres concernant les convois recoupent à peu près ceux donnés par Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, Fayard, 1983
  8. Jean-Pierre Azéma, Olivier Wieviorka, Vichy, 1940-1944, Perrin, 2004, p.355-356
  9. a  et b Eric Conan, p.192
  10. Eric Conan, p.194-198
  11. Éric Roussel, Charles de Gaulle, éd. Gallimard, 2002, p. 460
  12. Jim House, Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d'État et la mémoire, Tallandier, 2008, p.59 (édition originale en anglais en 2006)
  13. a , b  et c House et MacMaster, Paris 1961 p.60-61
  14. Gérard Noriel, L'immigration algérienne en France, dans les Actes des journées de Larrazet, novembre 2006 en ligne sur le site de la LDH Toulon
  15. House et MacMaster, Paris 1961 p.61-64
  16. a , b  et c House et MacMaster, Paris 1961 p.64-73
  17. a , b , c , d , e , f  et g House et MacMaster, Paris 1961 p.73-87
  18. House et MacMaster, Paris 1961 p.75
  19. a  et b House et MacMaster, Paris 1961 p.89-91
  20. Jean-Paul Brunet,Charonne, Lumières sur une tragédie, Flammarion, 2003, p.308
  21. Voir l'article Jean Dides
  22. nom donné aux militants du FLN
  23. a , b , c , d , e , f  et g House et MacMaster, Paris 1961 p.91-96
  24. Jean-Paul Brunet, Police contre FLN, le drame d'octobre 1961, Flammarion, 1999, p.29-31
  25. a , b , c , d , e , f  et g House et MacMaster, Paris 1961 p.96-108
  26. a  et b Brunet, Police contre FLN, p.60-63
  27. a  et b Linda Amiri, La répression policière en France vue par les archives, dans La guerre d'Algérie, dir. Harbi et Stora, Robert Laffont, 2004, p.595-598
  28. a  et b Brunet, Police contre FLN, p.69-71
  29. Brunet, Police contre FLN, p.74-82
  30. Brunet, Police contre FLN, p.90
  31. Brunet, Police contre FLN, p.162
  32. House et MacMaster, Paris 1961, les Algériens, p.211
  33. Brunet, Police contre FLN, p.163
  34. a  et b Brunet, Police contre FLN, p.163-181
  35. House et MacMaster, Paris 1961, p.129 et 149
  36. Brunet, Police contre FLN, p.167
  37. Brunet, Police contre FLN, p.171-178
  38. House et MacMaster, Paris 1961, p.152
  39. House et MacMaster, Paris 1961, p.203-205
  40. Brunet, Police contre FLN, p.219-227
  41. Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris: 17 octobre 1961, éditions du Seuil, 1991, p.189-191
  42. Brunet, Police contre FLN, p.87
  43. Brunet, Police contre FLN, p.89
  44. Brunet, Police contre FLN, p.91
  45. Brunet, Police contre FLN, p.93
  46. Brunet, Police contre FLN, p.91
  47. Lettre de Maurice Grimaud annexée au livre de Jean-Paul Brunet, Charonne, Lumières sur une tragédie, Flammarion, 2003, p.308
  48. a  et b Brunet, Charonne, p.117-126
  49. a  et b Brunet, Charonne, p.127-137
  50. Maurice Papon, Les chevaux du pouvoir, Plon, 1988, p.401
  51. Dewerpe p.281
  52. Le massacre contre le putsch, entretien avec Alain Dewerpe dans la revue Vacarme, n°40, été 2007
  53. Jacques Foccart, Journal de l'Elysée, éd. Fayard/Jeune Afrique, tome 2, p. 383.
  54. a  et b Eric Conan, 50eme jour, p.131-135
  55. Eric Conan, 52eme jour, p.138-141
  56. Eric Conan, 79eme jour, p.229-232
  57. plainte des Matisson pour crime contre l'humanité
  58. Le pourvoi contre l'arrêt de la chambre d'accusation a été rejeté le 23 janvier 1997 par la Cour de cassation (pourvoi n°96-84822; Recueil Dalloz, 1997, p. 147; Jean-Pierre Delmas Saint-Hilaire, « La définition juridique de la complicité de crime contre l'humanité au lendemain de l'arrêt de la Chambre criminelle du 23 janvier 1997. Affaire Maurice Papon », Recueil Dalloz, 1997, p. 249)
  59. Procés Papon sur le site du journal Sud-Ouest
  60. a , b , c  et d Eric Conan, p.313-316
  61. Gabriel Roujou de Boubée, « La mise en liberté de l'accusé », Recueil Dalloz, 1998, p. 173
  62. Crim. 21 octobre 1999, pourvoi n° 98-82323
  63. LOI n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, NOR: MESX0100092L, J.O n° 54 du 5 mars 2002 page 4118
  64. Jean-Pierre Delmas Saint-Hilaire, « La pesée contestable de la faute de service et de la faute personnelle par le Conseil d'Etat dans l'affaire Papon », Recueil Dalloz, 2003, p. 647
  65. CE 12 avril 2002, Papon, N° 238689
  66. Mattias Guyomar, Pierre Collin, « Les décisions prises par un fonctionnaire du régime de Vichy engagent la responsabilité de l'Etat », AJDA 2002 p. 423
  67. Arrêt Papon c. France du 25 juillet 2002, requête no 54210/00. Le professeur Rolin note que cet arrêt semble être le seul dans toute la jurisprudence de la CEDH, avec l'arrêt Martinie c. France du 12 avril 2006, à être accompagné non pas d'une opinion condordante ou dissidente mais d'une « déclaration » du juge français Costa (Blog de Frédéric Rolin, « Note sous CEDH 12 avril 2006, Martinie c/ France », 18 avril 2006).
  68. La cour a déclaré irrecevables ses requêtes relatives à la suspension de sa retraite d'ancien député (décision sur la recevabilité du 11 octobre 2005, requête no 344/04) et à sa détention (Décision sur la recevabilité du 7 juin 2001, requête n° 64666/01).
  69. CEDH, Khalfaoui c. France, 14 décembre 1999, requête n°34791/97
  70. Guy Benhamou, « Contre l'"arrêt Papon" », L'Express, 27 janvier 2000
  71. Commission de réexamen des condamnations pénales, décision du 26 février 2004, 03RDH005
  72. Cour de cassation, Assemblée plénière, 11 juin 2004, pourvoi n° 98-82323
  73. CE 4 juillet 2003, N°244349
  74. CE 4 juillet 2003, N° 254850: «le régime de pensions des anciens députés fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières résultent de la nature de ses fonctions ; qu'ainsi, ce statut se rattache à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ; que, eu égard à la nature de cette activité, il n'appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs au régime de pensions des parlementaires ». L'arrêt a été rendu contrairement aux conclusions du commissaire du gouvernement Laurent Vallée (RFDA 2003 p. 917), qui s'appuyaient notamment sur l'arrêt du CE du 5 mars 1999, Président de l'Assemblée nationale, dans lequel le Conseil avait reconnu la compétence du juge administratif en matière de contrats administratifs conclus par l'Assemblée nationale.
  75. 2 mars 2005 : la cour d’appel de Paris confirme la condamnation de Maurice Papon à 2 500 euros d’amende pour port illégal de la Légion d’honneur
  76. [1]
  77. Communiqué Le Monde - Reuters du 19 février 2007 La médaille d'honneur.
  78. Le Grand Rendez-vous Europe1 du 18 février 2007
  79. LEXPRESS.fr avec Reuters
  80. La morgue de Papon : le défunt exclu de l'ordre de la légion d'honneur peut-il être enterré avec son insigne?
  81. Papon enterré

Annexes

Articles connexes

Liens externes

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André Lahillonne
Préfet de police de Paris
1958 à 1966
Maurice Grimaud
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