Christianisme celtique

Christianisme celtique

Le christianisme celtique (ou « chrétientés celtiques ») est un mode dorganisation de la vie religieuse, au sein du christianisme dOccident. À l'inverse du système romain, il est fondamentalement décentralisé. Il apparaît au ve siècle, connaît son apogée au vIIe siècle, et séteint au xIIe siècle. On peut y distinguer deux cultures :

Le christianisme celtique, dune orthodoxie reconnue[1], est dabord circonscrit aux terres peu ou pas du tout romanisées, et vierges d'invasions germaniques (ouest de la Bretagne insulaire, ouest de la Bretagne armoricaine, Irlande).

Au vIIe siècle, grâce aux missionnaires irlandais, il connaît un fulgurant essor en Occident, jusquen Italie et en Germanie.

Sommaire

Contexte

Dans lempire romain, depuis Théodose (347-395), le christianisme est la religion officielle et exclusive. Lempereur est le grand pontife des chrétiens, le chef des évêques. Cest lui qui préside les conciles œcuméniques.

À la mort de Théodose, lempire est scindé en empire dOrient et empire dOccident.

En 476, lempire romain dOccident disparaît[2]. Le christianisme lui survit dans bon nombre des royaumes barbares qui se constituent (lîle de Bretagne, quant à elle, revient au paganisme). Mais les évêques de ces royaumes cessent de prêter serment à lempereur (lempereur dOrient a virtuellement lOccident sous sa coupe). Et de nombreux évêques barbares marquent encore plus leur différence[3] en restant fidèles à la doctrine arienne, définitivement condamnée par le concile de Constantinople en 381. Les « Églises » (communautés citadines, ancêtres des diocèses) des royaumes barbares sont nationales[4]. Leurs évêques prêtent serment au souverain de leur royaume.

Dans les royaumes celtiques comme dans tous les nouveaux royaumes, le christianisme est national. Il aide les peuples à affirmer leur identité, face aux tentatives de colonisation (guerrière ou culturelle). Si les peuples de la façade atlantique adoptent contre toute attente la religion de lennemi romain, cest parce que lempire dOccident nest plus pour les menacer et cest parce que Constantinople, au ve siècle, leur paraît trop éloignée pour représenter un danger (lempereur dOrient nengage une reconquête de lOccident quau vIe siècle). Léloignement géographique permet dévacuer toute référence à lempereur. Il permet déviter les querelles dogmatiques, chères aux évêques. Enfin, il permet au christianisme de sadapter à la sensibilité locale (chose permise et courante, dans les premiers temps du christianisme, pourvu que le dogme soit respecté).

Toute lhistoire du christianisme celtique, comme celle du christianisme, est bien entendu marquée par ses rapports avec le bras séculier[5].

Organisation

Dépourvus de villes[6], les pays celtiques ne peuvent avoir des structures calquées sur celle répandue les pays romanisés (communauté urbaine, groupée autour dun évêque[7]). Le christianisme celtique est rural et na pas dévêques, pas de clergé séculier, mais des moines et des ermites. Chaque abbé (ou chaque ermite) est totalement indépendant. On ne peut donc parler d’« Églises » comme dans les pays romanisés[8]. La dénomination de « chrétientés celtiques » a été proposée par dom Gougaud[9]. Elle a été reprise par Olivier Loyer[10]. Bien que tardant à simposer, lexpression semble plus appropriée que « christianisme celtique ». Car il sagit ici de communautés indépendantes, non dun appareil centralisé, non plus dune communion hérétique ou schismatique.

Moines

En Irlande et en Bretagne insulaire, de grands monastères peuvent compter jusquà 3 000 âmes[11]. Le maître absolu du monastère est labbé[12]. En tant que chef de missionnaires, il est le descendant de saint Pierre (le chef des apôtres), et na de comptes à rendre quà ce même saint Pierre[13]. Les abbés sont égaux entre eux. Chaque monastère est indépendant.

Les monastères jouent un rôle important dans lorganisation de la vie économique[14]. Certains abbés, proches dun souverain, jouent un rôle-clé dans la vie politique.

Vers 620, apparaissent les monastères doubles, qui renouent avec la tradition originelle du cénobitisme chrétien, celle de saint Pacôme (292-348).

Article détaillé : Monastère double.

Ermites

La Bretagne armoricaine[15] présente une figure originale[6], au sein du christianisme celtique. Elle na pratiquement pas de monastères. Des ermites sisolent, chacun en un site privilégié. Chacun a la charge dun certain nombres de familles, elles-mêmes dispersées. Ainsi se forme la paroisse rurale (le plou[6]).

Spiritualité

Lesprit celte est religieux.

Hanté dabsolu, ne marchandant pas son engagement[16], le Celte est peu porté sur lanalyse, et goûte peu les querelles byzantines. Ses religieux, pour le convaincre, font appel à son cœur, à ses puissances dimagination et démotion. Ils exigent de lui courage, pureté, droiture[17].

Le religieux celte refuse tout compromis. Sa foi est tout dune pièce. Intransigeant, austère, extrême, il trouve sa voie dans lascétisme. Le christianisme celtique est héroïque.

Le maître de lunivers des moines et des fidèles est labbé, qui exige une obéissance absolue. Lui-même est totalement soumis à la volonté de saint Pierre et de Dieu.

Le sens de la communauté enfin est très fort (particulièrement marqué en Bretagne armoricaine, avec les pardons).

Origine

Lorigine de ces chrétientés celtiques sans évêques nest pas élucidée. Une vieille légende, attribuant à saint Martin (à la fois moine, ermite et évêque) la conversion, l'ordination et la consécration du druide armoricain Corentin, ne trouve plus décho de nos jours[18]. Deux hypothèses sont soulevées, sans que lune puisse prendre le pas sur lautre :

  • Des druides celtes voyageant en Orient, berceau du christianisme, auraient été en contact avec le monachisme oriental.
  • Les idées de monachisme et dascétisme seraient venues de Gaule, via lArmorique, jusque dans la Bretagne insulaire.

Illtud

La mission de saint Patrick (située approximativement de 432 à 461) est antérieure à celle dIlltud (située approximativement de 447 à 522). Mais Patrick, Britton romanisé[19], est rattachétout comme Pélage[20] ou Palladiusà lhistoire de lÉglise romaine et de ses évêques citadins, non à celle du christianisme celtique et de ses monastères ruraux. Les abbés irlandais ne se réclament jamais de Patrick. Il ny a pas de lien de parenté entre Patrick, aujourdhui saint patron de lIrlande catholique, et les chrétientés celtiquestotalement indépendantes vis-à-vis des évêques continentaux, se contentant de saligner strictement sur le dogme défini par les conciles œcuméniques.

Dans le courant proprement « chrétientés celtiques », la figure la plus ancienne que lon connaisse est celle de saint Illtud[11]. Il naît vers 425, peut-être en Bretagne armoricaine[21] (« dans le Léon », précisent certains, tel Alain Croix). Il meurt vers 522, au pays de Galles[22].

Illtud est formé dans la vieille école dEnez Lavre[23] (île Lavrec, ou île de Lavret), au nord de la Bretagne armoricaine. Cette école est alors dirigée par Budog. Au-delà, la filiation se perd. On ignore si Budog est réellement chrétien. On ignore par conséquent si son école dEnez Lavre est déjà chrétienne. On ignore même si, dans la première moitié du ve siècle, le christianisme a déjà touché louest de la Bretagne armoricaine. Illtud a très bien pu être converti durant un voyage (on sait par exemple quil a rencontré saint Germain d'Auxerre).

En létat actuel des connaissances, Illtud peut être considéré comme le père des chrétientés celtiques.

Expansion dans les royaumes celtiques

Ynis Byr

Homme de vastes connaissances religieuses, mathématiques, littéraires et philosophiques, Illtud est le fondateur, au milieu du ve siècle, du monastère de Llanilltud et de lécole monastique dYnis Byr[24], tous deux au sud de lactuel pays de Galles.

On attribue à Illtud la formation de nombreux missionnaires, qui vont accomplir la pérégrination, voyage initiatique par-delà les mers[25], dans la tradition celtique. Depuis Ynis Byr, ils ségaillent dans tout le pays de Galles, vers le Cornwall et la Bretagne armoricaine, pays qui depuis toujours pratiquent de nombreux échanges par voie de mer.

Seule lIrlande, le druidisme reste vivace, se montre rétive à toute approche par le sud-est. Eanna (Enda), disciple dIlltud, décide alors dessayer par louest.

Killeany

Eanna et ses onze compagnons prennent la mer pour aller fonder[26] dans les îles dAran, à louest de lIrlande, le monastère de Killeany (490).

Les moines de Killeany réussissent enfin à pénétrer dans lîle dIrlande. Ils entreprennent de lévangéliser, ne trouvant pas trace[27] de structures laissées par les deux tentatives antérieures (ni par celle de Palladius[28], en 431, ni par celle de Patrick[29]). LIrlande va rapidement se couvrir de monastères, comme par exemple Clonard (520) à lest, Clonmacnoise (545) au centre, et Bangor (559) au nord-est.

Iona

En 563, lIrlandais Colum Cille (ou Columkill, ou Colomba), formé à Clonard[11], fonde[30] un monastère à Iona, une île très septentrionale, dans le royaume de Dal Riada. Ce royaume est situé à louest de la Calédonie. Il se distingue par la langue. Ses habitants parlent le gaélique, tout comme les Irlandais. Tandis que leurs voisins de lest (que lon regroupe par commodité sous le nom de Calédoniens[31]) ont leur langue à eux, fort mal connue. Et que leurs voisins du sud, Brittons, parlent le brittonique.

Le monastère dIona va jouer un rôle important dans lévangélisation de lîle de Bretagne.

Deux cultures celtiques

On distingue désormais deux cultures, dans le christianisme celtique[32]. Elles couvrent respectivement les zones se parlent les deux langues cousines : le brittonique et le gaélique. Mais la différence nest pas seulement dordre linguistique[33]. Elle concerne surtout lattitude à tenir face aux envahisseurs germaniques.

Culture brittonique

Sous la poussée germanique il ny a bientôt plus, en fait de royaumes brittoniques, que celui de Bretagne armoricaine et ceux de louest de la Bretagne insulaire (Strathclyde, Cumbrie, actuel pays de Galles, Cornwall). Dans lîle de Bretagne, après la défaite de Caer Legion (615), Brittons du nord et Brittons du sud se trouvent séparés. Le christianisme des Brittons du sud (Bretagne armoricaine, pays de Galles et Cornwall[34]) est celui que nous connaissons le mieux.

Les royaumes brittoniques de louest de la Bretagne insulaire (zones montagneuses[35]) ont résisté aux Romains. Ils résistent maintenant[36] aux païens angles et saxons, installés dans les plaines romanisées de lest[37]. Les religieux chrétiens de ces royaumes brittoniques développent un patriotisme farouche, qui interdit toute compromission avec les souverains ennemis. Les saints brittons sont des missionnaires, mais ils se refusent à sortir de la sphère brittonique[38]. Deux événements connus illustrent bien cette attitude.

Lentrevue du chêne

Au vIe siècle, Aethelbert, roi du Kent, épouse Berthe[39], une princesse chrétienne, une franque. Ce qui permet au « moine noir » Augustin, venu de Rome en 597, de pénétrer dans le Kent, terre païenne[40]. Augustin prend contact, lors de lentrevue du chêne[41] (603), avec les abbés brittons, représentés par Dinoot[42], abbé de Bangor-is-y-coed[43]. Dinoot, ne voyant dans cette approche quune tentative de colonisation de Brittons par des Anglo-Saxons[44], saisit le premier prétexte pour claquer la porte[45].

Le massacre de Bangor-is-y-coed

La bataille de Caer Legion (Chester) oppose, en 615, une coalition de Brittons à Æthelfrith, roi de Northumbrie. Les 1 200 moines du proche monastère de Bangor-is-y-coed prient, sur une colline dominant le combat, pour le succès de leurs compatriotes. Ayant remporté la victoire, Æthelfrith les fait tous massacrer[46].


Culture gaélique (ou scottique, ou christianisme irlandais)

On appelle Gaels, ou Scots, les peuples de langue gaélique, cest-à-dire ceux dIrlande et du Dal Riada. On appelle communément leurs religieux « moines irlandais », sachant que certains peuvent être du Dal Riada. Séparés des Anglo-Saxons par la mer et par les royaumes brittoniques, les religieux irlandais ont une perception radicalement différente de celle des moines brittons[47] : on ne saurait mieux, selon eux, protéger lIrlande chrétienne dune invasion païenne quen allant nouer des contacts privilégiés avec les souverains dorigine germanique.

Infatigables voyageurs, ils vont conquérir lOccident, selon trois axes dévangélisation :

Évangélisation des Calédoniens

Lévangélisation de la Calédonie est entreprise par les moines de labbaye dIona.

Évangélisation des Continentaux

En Occident, selon les historiens spécialistes de cette époque, le christianisme se trouve dans un bien triste état de désolation. Seules les villes sont réellement christianisées[48]. Lévangélisation nest pas la préoccupation majeure de lépiscopat[49]. Le monachisme existe, mais anecdotique et décadent. Les moines noirs (moines observant la règle de Benoît de Nursie, et que lon appellera au xIIe siècle les Bénédictins) ont vu leur monastère de Monte Cassino détruit par les Lombards. Ils sont réfugiés dans le palais du Latran[50], auprès de lévêque de Rome, attendant leur heure. Proches de lévêque de Rome depuis Grégoire le Grand, ils constituent son « armée », à toutes fins utiles.

Limpulsion décisive est donnée par Colomban[51] (540-615, à ne pas confondre avec Colum Cille, parfois appelé Colomba), formé à labbaye de Bangor, au nord de lIrlande. Débarquant sur le continent à la fin du vIe siècle[52], il entreprend un impressionnant périple[53]. Colomban, dit Olivier Loyer, « était lhomme nécessaire pour secouer cette terre mérovingienne de sa torpeur religieuse, lui révéler sa turpitude, lui apprendre les voies de la perfection monastique. Il fallait ce levain[54]. » Colomban fonde, entre autres, labbaye de Luxeuil (590), dont le puissant rayonnement sétend sur les trois royaumes des Francs. Et celle de Bobbio[55] (614), dans le royaume des Lombards, autrement dit en terre arienne. Ses disciples sattachent à évangéliser les Alamans. Colomban est bientôt suivi dune multitude de missionnaires irlandais. Criblées de monastères irlandais[56] tout au long du vIIe siècle, les campagnes dOccident sont enfin christianisées[57], six siècles après lOrient. « Tandis quà lépoque paléochrétienne, dit Gabriel Fournier, et encore pendant une partie du vIe siècle, le saint par excellence avait été lévêque, désormais le moine le remplaça dans ce rôle auprès de lopinion chrétienne[58]. » Le dernier monastère irlandais fondé sur le continent est celui de Ratisbonne[59], en 1090.

Pays par pays, on peut aujourd'hui juger de limportance relative des missions irlandaises, par le nombre de saints dorigine irlandaise : 115 en Allemagne, 45 en France, 36 en Belgique et 13 en Italie[59].

Évangélisation des Angles

Lîle de Bretagne, après le départ des Romains en 407[60], est retournée au paganisme, malgré les efforts sporadiques de religieux continentaux pour y reprendre pied.

Les moines dIona, en 616, avaient accordé asile aux enfants royaux de Northumbrie fuyant un usurpateur. En remerciement, dix-neuf ans plus tard, Aidan, moine dIona, peut aller dans ce pays fonder labbaye de Lindisfarne[61]. Cette abbaye a tôt fait dessaimer[62], non seulement en Northumbrie, mais dans les deux autres royaumes angles.

Le royaume jute et les trois royaumes saxons, au sud-est de lîle, restent quant à eux hostiles à toute pénétration du christianisme, ny voyant quune tentative dhégémonie, tantôt des Francs ou de lempire romain (quand ce sont des religieux continentaux qui essaient dentrer), tantôt des Angles (quand ce sont des moines irlandais qui essaient dentrer).

Synode de Whitby

Contexte

Lévêque de Rome

Lévêque de Rome, cerné de Lombards ariens, métropolitain dune Italie suburbicaire partie en peau de chagrin et déchirée par un schisme[63], est dans une très inconfortable situation. Lempereur dOrient a reconquis lItalie[64], dont il réussit à conserver une partie. Lévêque de Rome doit alors céder le pas au primat de lexarchat (lévêque de Ravenne) et au patriarche de Constantinople[65]. Il est soumis à lautorité de lexarque de Ravenne et à celle dun empereur qui se défie de lui. Lévénement le plus dramatique de cette période est larrestation en 653 de Martin Ier[66], évêque de Rome. Il est jugé à Constantinople, puis exilé à Kherson, en Crimée. On ly laisse mourir de privations et de mauvais traitements[67].

Méprisés, malmenés, mais forts de leur éloignement de Constantinople[64], les évêques de Rome commencent à envisager la carte barbare[68] (Lombards, Francs ou Anglo-Saxons), qui pourrait leur offrir une place prépondérante au sein de la chrétienté.

Les abbés irlandais

Au faîte de leur puissance et de leur rayonnement, les abbés irlandais dominent lOccident. Ils rendent vie aux campagnes, réinventant des circuits qui évitent les villes (administrées par les évêques) et les voies romaines. Les richesses considérables de leurs monastères commencent à susciter des convoitises. Venus dune terre jamais conquise, issus dun peuple jamais soumis, égaux entre eux, les abbés irlandais ne font allégeance à personne. Surtout pas à lempereur. Ils ne mettent jamais les pieds dans un concile.

Ils sont des ascètes, qui se posent en modèles. Se désintéressant des querelles dogmatiques, ils ne prêtent pas le flanc aux attaques des évêques continentaux. Et le fait est que, dans les plus intenses moments de la lutte qui les oppose aux évêques continentaux, ils ne sont jamais taxés dhérésie[69].

Lorsquune offensive des Continentaux est menée par Wilfrid pour prendre pied dans lîle de Bretagne, les griefs soulevés sont la forme de la tonsure et le mode de calcul de la date de Pâques[70].

Le synode

Pour débattre de ces deux points, un synode est réuni[71] en 664, à Streanaesharch (Whitby), sous la présidence[72] dOswy, roi de Northumbrie. Le débat oppose les abbés irlandais (représentés par Colman, abbé de Lindisfarne) au parti des évêques continentaux (représentés par Wilfrid).

Wilfrid, transfuge de Lindisfarne[38], arrive du continent, après bien des aventures, sans quil soit possible de démêler sil est, à ce moment-, dépêché par Ébroïn, maire du palais de Neustrie, par les évêques gaulois ou par Vitalien, évêque de Rome.

Le roi Oswy est fort de la terreur quil inspire sur le plan militaire, et fort du soutien de Colman qui lui garantit l'appui des abbés irlandais et une relative neutralité des religieux brittons. Oswy est alors en position de devenir bretwalda[73], cest-à-dire haut roi de toute lîle. Il veut profiter de ce synode pour affirmer son autorité[74], en affirmant celle de son allié Colman[75]. Maistout comme fit Constantin, au concile de Nicée[76]il finit par désavouer son favori.

Même sil paraît de portée locale, le synode de Whitby est une date importante, car il marque la première défaite des moines irlandais, alors à leur apogée[77].

Pas décisif des Continentaux

Les abbés irlandais nont toujours pas investi de façon significative le réduit païen du sud-est de la Bretagne insulaire. Les Continentaux y parviennent, cinq ans après Whitby. La première tentative, en 597, initiée par Grégoire le Grand et menée par Augustin, navait pas connu de vrais lendemains. Celle de Vitalien a le mérite de sinscrire dans la durée.

En 669, débarque dans le Kent une délégation de moines noirs. Trois hommes la conduisent.

Moine oriental (lempereur a refusé tout Italien à la tête de cette mission), Théodore est consacré à Rome, le 26 mars 668, par Vitalien[78]. Il est installé évêque de Cantorbéry en mai 669. Son Église nest pas nationale, mais apostolique, cest-à-dire soumise à Rome. Il sagit dun pas décisif pour lévêque de Rome. Les abbés irlandais ne peuvent plus lui contester le titre dapôtre.

  • Hadrien

Africain, Hadrien est imposé par lempereur. Il a, lors de sa traversée de la Gaule, des démêlés avec le redoutable Ébroïn, qui le retourne peut-être. Il fonde une communauté de moines noirs à Cantorbéry[79].

Angle, transfuge de Lindisfarne, ancien compagnon descapade de Wilfrid, Benoît Biscop vient de passer quinze ans au palais du Latran. Il fonde une communauté de moines noirs (Wearmouth, 674) en Northumbrie, à la mi-chemin des abbayes gaéliques de Lindisfarne et de Whitby.

Chute

Non seulement, les abbés irlandais doivent reculer sur les points débattus au synode de Whitby, mais la règle de saint Benoît (beaucoup moins dure que les règles irlandaises) est peu à peu adoptée dans les monastères[80], aussi bien sur le continent quen Bretagne insulaire et qu'en Irlande.

Entamée au début du vIIIe siècle[81], la descente est longue, mais inéluctable. Les moines irlandais (ils résistent jusquen 704) entraînent dans leur chute les religieux brittons. Les Brittons insulaires résistent jusquau milieu du vIIIe siècle[82]. Aux VIIIe et IXe siècles, les moines celtes gardent leur prestige de savants et de lettrés, mais ils ne dominent plus la société[83]. Les peuples celtes accueillent au fil des siècles des vagues de religieux venus de royaumes ennemis, et finissent dominés par ces royaumes.

Les villes reprennent la prédominance quelles avaient au temps de lempire dOccident[16]. Leurs évêques font de même. Et notamment lévêque de Rome, qui a pris une nouvelle dimension en établissant un évêque apostolique par-delà les mers, et se trouve ainsi mieux armé pour songer à un prestigieux destin. Le centralisme à la romaine marque son retour.

En 1153, le synode de Kells donne à lIrlande son organisation ecclésiastique quasi définitive. Il marque la fin des chrétientés celtiques[84].

Les cisterciens remplacent les moines celtes. Les terres sont redistribuées. De fausses chartes sont dressées pour fonder des titres de propriété. Et de fausses biographies sont rédigées, de fausses annales sont compilées, afin de rattacher une fondation religieuse récente à lantique tradition celtique. « On peut difficilement imaginer spoliation plus complète, dit Olivier Loyer. Lancienne Église est démembrée, ses terres sont confisquées, sa tradition est volée, cependant que la nouvelle Église se crée des lettres de naturalisation, un brevet dancienneté[85]. »

Bibliographie

Christianisme celtique

  • Dom Louis Gougaud, Les Chrétientés celtiques, Armeline, Crozon, 1995[86].
  • Olivier Loyer, Les Chrétientés celtiques, Terre de Brume, 1993.

Bibliographie générale

  • Gabriel Fournier, Les Mérovingiens, PUF, 1966.
  • Pierre Riché, LEurope barbare de 476 à 774, C.D.U. et Sedes, 1989.
  • Jean Chélini, Histoire religieuse de lOccident médiéval, Hachette, 1991.
  • Jacques Brosse, Histoire de la chrétienté dOrient et dOccident, 406-1204, Albin Michel, 1995.
  • Bruno Lagrange, Histoire des papes, Tallandier, 2000.
  • Roland Marx, Histoire de la Grande-Bretagne, Perrin, 2004.

Liens internes

Christianisme irlandais

Christianisme

Notes et références

  1. Olivier Loyer, Les Chrétientés celtiques, p. 76.
  2. Jacques Brosse, Histoire de la chrétienté dOrient et dOccident, p. 67-70.
  3. « Larianisme était devenu le garant de lidentité gothique et, en définitive, des Barbares eux-mêmes face à Rome. » Jacques Brosse, op. cit., p. 27. Voir aussi Jean Chélini, Histoire religieuse de lOccident médiéval, p. 39 : le succès de larianisme tint « au caractère national qui le colora très vite, puisquil était à la fois combattu par le pape de Rome et lempereur de Byzance. » Et p. 42 : « Le caractère étroitement national de larianisme contribuait, entre les mains des princes, à sauvegarder la cohésion de lethnie et sopposait ainsi à la fusion entre les envahisseurs et les populations romanisées catholiques. »
  4. Pierre Riché, LEurope barbare de 476 à 774, p. 168.
  5. « Et lon sait comme lautorité temporelle affermissait son pouvoir par le jeu de lautorité spirituelle. » Olivier Loyer, op. cit., p. 28. Voir aussi Gabriel Fournier, Les Mérovingiens, p. 92-93.
  6. a, b et c Olivier Loyer, op. cit., p. 64.
  7. Jean Chélini, op. cit., p. 16.
  8. Jean Chélini, op. cit., p. 64.
  9. Dom Louis Gougaud, Les Chrétientés celtiques.
  10. Olivier Loyer, op. cit.
  11. a, b et c Olivier Loyer, op. cit., p. 36.
  12. Gabriel Fournier, op. cit., p. 91.
  13. De Saint-Pierre dIona à Saint-Pierre de Bobbio, de Saint-Pierre de Killeany à Saint-Pierre de Salzbourg, presque tous les monastères irlandais portent le nom du premier des missionnaires. Dans la correspondance entre Colomban et Boniface IV, évêque de Rome, cest le missionnaire Colomban qui se réclame de Pierre, non Boniface.
  14. Pierre Riché, op. cit., p. 155.
  15. La Bretagne du haut Moyen Âge est ce quil reste de la vaste confédération armoricaine de lAntiquité, qui sétendait de Dieppe à Pornic, et que Jules César distinguait de la Gaule.
  16. a et b Olivier Loyer, op. cit., p. 117.
  17. Olivier Loyer, op. cit., p. 118.
  18. Dom Louis Gougaud, op. cit., p. 162.
  19. Olivier Loyer, op. cit., p. 23.
  20. Pélage (360-422) est antérieur à lhistoire des chrétientés celtiques. Il ne lui est en rien attaché. Sa vie religieuse sest déroulée à Rome, en Afrique, en Palestine et à Constantinople.
  21. Jacques Brosse, op. cit., p. 167.
  22. Gallois et Armoricains se disputent le lieu de sa mort, comme celui de sa naissance. Jacques Brosse, op. cit., p. 167.
  23. Pierre Riché, op. cit., p. 179.
  24. Jacques Brosse, op. cit., p. 167. Olivier Loyer, op. cit., p. 36.
  25. Olivier Loyer, op. cit., p. 70. Pierre Riché, op. cit., p. 181.
  26. Jacques Brosse, op. cit., p. 155.
  27. Jacques Brosse, op. cit., p. 153.
  28. Jacques Brosse, op. cit., p. 144.
  29. Jacques Brosse, op. cit., p. 125-127 et 145-146.
  30. Jacques Brosse, op. cit., p. 157-158.
  31. Ou Cruithnes. Ou Pictes (hommes peints). Mais tous ces noms servent, le plus souvent, à recouvrir une mosaïque de peuples mal connus, aux noms très divers.
  32. Olivier Loyer, op. cit., p. 21.
  33. Certains parlent dune différence de costume (longue robe de laine blanche pour les Gaels, peau de bique pour les Brittons), mais le détail est de moindre importance.
  34. Olivier Loyer, op. cit., p. 75.
  35. Roland Marx, Histoire de la Grande-Bretagne, p. 12.
  36. Roland Marx, op. cit., p. 13 et 18.
  37. Roland Marx, op. cit., p. 17.
  38. a et b Olivier Loyer, op. cit., p. 29.
  39. Bède le Vénérable, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, p. 31.
  40. Bède le Vénérable, op. cit., 96 et 121. Jacques Brosse, op. cit., p. 16. Roland Marx, op. cit., p. 31.
  41. Bède le Vénérable, op. cit., 131.
  42. Bède le Vénérable, op. cit., 132.
  43. Ne pas confondre avec dautres Bangor, notamment le célèbre monastère irlandais, à lentrée du Canal du Nord.
  44. Olivier Loyer, op. cit., p. 92.
  45. Jean Chélini, op. cit., p. 108. Olivier Loyer, op. cit., p. 28-29.
  46. Bède le Vénérable, op. cit., II, 2.
  47. Olivier Loyer, op. cit., p. 39.
  48. Gabriel Fournier, op. cit., p. 73-74.
  49. Gabriel Fournier, op. cit., p. 86.
  50. Pierre Riché, op. cit., p. 113.
  51. Jacques Brosse, op. cit., p. 189. Gabriel Fournier, op. cit., p. 90.
  52. La date exacte nest pas connue.
  53. Olivier Loyer, op. cit., p. 40.
  54. Olivier Loyer, op. cit., p. 41.
  55. Jean Chélini, op. cit., p. 110.
  56. Jacques Brosse, op. cit., p. 198-199.
  57. Jacques Brosse, op. cit., p. 192. Olivier Loyer, op. cit., p. 83.
  58. Gabriel Fournier, op. cit., p. 92.
  59. a et b Jacques Brosse, op. cit., p. 216.
  60. Jean Chélini, op. cit., p. 53. Roland Marx, op. cit., p. 12 et 17.
  61. Bède le Vénérable, op. cit., 174. Jean Chélini, op. cit., p. 111. Olivier Loyer, op. cit., p. 29.
  62. Bède le Vénérable, op. cit., 31.
  63. Le schisme des Trois Chapitres.
  64. a et b Gabriel Fournier, op. cit., p. 15.
  65. Le concile de Chalcédoine, en 451, jette les bases dune hiérarchie entre les évêques en rebaptisant Constantinople « La Nouvelle Rome » (canon 28). Ce qui accorde de fait la primauté à lévêque de Constantinople. Ce qui déplaît fort à lévêque de Rome, dont le prestige est grand de par le rôle politique qua joué Rome jusquen 330. Ce qui déplaît fort à lévêque dAlexandrie, revêtu, depuis 251, du titre honorifique de « pape » (père des chrétiens), en tant que successeur de saint Marc, l'évangéliste.
  66. Bruno Lagrange, Histoire des Papes, Tallandier, 2000, p. 35.
  67. Jacques Brosse, op. cit., p. 238.
  68. Pierre Riché, op. cit., p. 130.
  69. Olivier Loyer, op. cit., p. 76.
  70. Bède le Vénérable, op. cit., 166 et 215. Olivier Loyer, op. cit., p. 27-28 et 77-79. Deux autres griefs nous sont moins connus : nombre dimmersions lors du baptême et consécration par un seul évêque, au lieu de trois (Olivier Loyer, op. cit., p. 79).
  71. Jean Chélini, op. cit., p. 111. Olivier Loyer, op. cit., p. 29.
  72. Olivier Loyer, op. cit., p. 29. On nest pas certain que le synode ait eu lieu. Comme trop souvent, on dispose ici dune source unique : le récit de Bède le Vénérable, styliste agréable, historien passionnant, mais qui écrit plus de 70 ans après des faits quil na pas vécus et qui, en tant que moine noir, a un point de vue résolument partisan.
  73. Pierre Riché, op. cit., p. 187.
  74. « Et lon sait comme lautorité temporelle affermissait son pouvoir par le jeu de lautorité spirituelle. » Olivier Loyer, op. cit., p. 28.
  75. Pierre Riché va jusquà dire : « Le prestige de la Northumbrie ne vient pas de ses princes, mais de ses monastères. » (op. cit., p. 217).
  76. Constantin, favorable aux ariens, finit par trancher en faveur de leurs rivaux.
  77. Olivier Loyer, op. cit., p. 27 et 29.
  78. Bède le Vénérable, op. cit., 236.
  79. Bède le Vénérable, op. cit., 237.
  80. Gabriel Fournier, op. cit., p91.
  81. Jacques Brosse, op. cit., p. 219.
  82. Jean Chélini, op. cit., p. 111.
  83. Olivier Loyer, op. cit., p. 52.
  84. Olivier Loyer, op. cit., p. 94.
  85. Olivier Loyer, op. cit., p95.
  86. Louis Gougaud, Les Chrétientés celtiques, 1912

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