Bidonvilles

Bidonvilles

Bidonville

Bidonville à Manille aux Philippines.
Bidonville à Jakarta en Indonésie.

Un bidonville est un ensemble plus ou moins vaste d'habitats précaires, où la misère est concentrée. La qualité de l'habitat y est singulièrement pauvre, et certaines habitations sont constituées de matériaux de récupération (bidons, cartons, plastiques, tôles, …).

Certains grands bidonvilles peuvent être constitués de plusieurs quartiers et s'étendre sur une très grande superficie. Généralement bâtis sur des terrains où leur présence est illégale ou seulement tolérée, les habitants sont soit des squatteurs, soit louent leur propriété à ceux qui les ont précédés, parfois à des tarifs exorbitants.

La plupart des grands bidonvilles sont situés dans des pays en développement, mais, bien que ce soit souvent occulté, ceux-ci ont existé également dans les pays industrialisés et subsistent encore, mais de manière plus discrète.

Sommaire

Définition

Terminologie

Le mot « bidonville » a été employé pour la première fois en 1953 à propos du Maroc[1] pour désigner littéralement des « maisons en bidons », c'est-à-dire un ensemble d'habitations construites avec des matériaux de récupération. Ce mot a progressivement pris une signification plus large pour rejoindre les termes anglais shanty town et slum. Ce dernier a été forgé au début du XIXe siècle, probablement par l'écrivain James Hardy Vaux pour décrire les taudis de Dublin[2], mais signifiait davantage « racket » ou « commerce criminel » à l'époque ; shanty town signifie littéralement « quartier/ville de taudis ».

D'autres noms existent, propres à chaque langue, voire à chaque pays ou chaque ville. On trouve ainsi les « bidonvilles » dans les pays francophones, mais pas seulement comme le montre l'exemple des mapane ou matiti au Gabon. Il existe une grande variété de noms locaux : les geçekondus en Turquie, les favelas au Brésil, Jhugi ou Bustee en Inde, Kachi abadi au Pakistan, Slum, Kijiji ou Korogocho au Kenya, Mudduku au Sri Lanka, Imijondolo/Township en Afrique du Sud, Karyane au Maroc, Bairro de Lata au Portugal, Lušnynai en Lituanie ou encore Kartonsko naselje en Serbie. Dans les pays hispanophones, on trouve Barrio en République dominicaine, Ranchos au Venezuela, Asentamientos au Guatemala, Cantegriles en Uruguay, Ciudades perdidas ou Colonias au Mexique, Invasiones en Équateur et Colombie, Poblaciones Callampas, Poblas ou Campamentos au Chili, Chacarita au Paraguay, Chabolas en Espagne, Pueblos jóvenes ou Barriadas au Pérou, Villas miseria en Argentine ou Precario/Tugurio au Costa Rica.

Définitions successives

Les premières définitions des bidonvilles remontent au XIXe siècle, en particulier sous l'impulsion du chercheur et philanthrope britannique Charles Booth, auteur de Life and Labour of the People of London. Le bidonville y est vu comme « un amalgame de conditions de logement sordides, de surpeuplement, de maladie, de pauvreté et de vice »[3], incluant ainsi une dimension morale. Dans The slums of Baltimore, Chicago, New York and Philadelphia de 1894, les slums sont définis comme des « zones de ruelles sales, notamment lorsqu'elles sont habitées par une population de misérables et de criminels »[4]. Cette dimension morale va diminuer au cours du XXe siècle, en réalisant que les habitants des bidonvilles sont plus souvent victimes que générateurs de la criminalité.

Il n'y a pas actuellement de « définition universelle » des bidonvilles. Chaque pays, voire chaque ville utilise une définition différente, avec des critères adaptés à la situation locale. Une définition très simple telle que proposée par l'UN-Habitat est :

« Une zone urbaine très densément peuplée, caractérisée par un habitat inférieur aux normes et misérable. »[5]

Cette définition inclut les éléments de base de la plupart des bidonvilles : surpeuplement, habitat de mauvaise qualité, et pauvreté. Mais face aux diverses définitions générales, l'UN-Habitat a eu besoin d'une définition opérationnelle, utilisable par exemple pour recenser le nombre d'habitants des bidonvilles ; elle a donc recensé les caractéristiques communes des bidonvilles, d'après les définitions existantes[6] :

  1. Manque des services de base : principalement l'accès à l'eau potable et l'assainissement (toilettes et latrines), mais aussi électricité, gestion des déchets, éclairage et pavage des rues...
  2. Habitat non conforme aux normes : non seulement les habitations peuvent ne pas être conformes aux normes municipales et nationales de construction (mauvais matériaux de construction), mais elles peuvent se situer à un emplacement illégal.
  3. Surpeuplement / hautes densités : les maisons peuvent être occupées par plusieurs familles ; plusieurs personnes peuvent partager la même pièce pour dormir, manger, voire travailler.
  4. Conditions de vie malsaines et / ou dangereuses : l'absence d'assainissement entraine une plus grande propagation de maladies ; les maisons sont parfois bâties sur des terrains inondables, pollués ou sujets aux glissements de terrain.
  5. Précarité du logement : cette caractéristique est souvent centrale. Elle prend en compte le fait que les occupants des bidonvilles n'ont souvent pas de contrat de location ou de titre de propriété, et que certains quartiers soient construits sur des zones à l'origine non habitables.
  6. Pauvreté et exclusion sociale : sans être une caractéristique inhérente aux bidonvilles (les pauvres habitent aussi en-dehors des bidonvilles, et ceux-ci n'abritent pas que des pauvres), la pauvreté en est une cause et souvent une conséquence.
  7. Taille minimale : pour qu'une zone soit considérée comme un bidonville et non comme un simple taudis, elle doit comporter plus d'habitations qu'un simple campement. Les seuils courants sont de l'ordre de 700 m² (Calcutta) ou 300 personnes / 60 foyers (législation fédérale indienne).

Afin de pouvoir effectuer un recensement global, l'UN-Habitat a ainsi retenu une définition opérationnelle, adoptée officiellement au sommet des Nations unies de Nairobi en 2002. Elle s'en tient aux dimensions physiques et légales des implantations, et laisse de côté les dimensions sociales, plus difficile à quantifier. Les critères retenus sont :

« l'accès inadéquat à l'eau potable, l'accès inadéquat à l'assainissement et aux autres infrastructures, la mauvaise qualité des logements, le surpeuplement, et le statut précaire de la résidence. »[6]

Un « bidonville », au sens des Nations unies, est donc une zone urbaine présentant certains de ces aspects. Des seuils ont été définis, comme 20 litres d'eau potable par jour et par personne provenant d'une source « améliorée », ou une surface minimale de 5 m² par personne ; sur le terrain, ces seuils sont toutefois adaptés à la situation.

Généralités

Bidonville à Delhi (en 1973)

Selon un rapport sur l’urbanisation mondiale durable, du Worldwatch institute (ONG, organisme de recherche indépendante), alors que la part de l'argent consacrée au logement ou au loyer ne cesse d'augmenter, plus de la moitié des 1,1 milliard de personnes censées s’ajouter à la population mondiale d’ici 2030 (environ 70 millions de terriens supplémentaires par an pour les années 2000) pourrait vivre dans des bidonvilles si l'on ne reconsidère pas les priorités de développement global.
Selon un rapport des Nations unies de juin 2006, près d'un citadin sur trois habite déjà dans un bidonville[7]. En Afrique, la croissance de ces quartiers précaires atteint 4,5 % par an[8]. Dans les pays développés, 6,4 % de la population totale vit dans des bidonvilles ou des taudis[9].

Description

La majeure partie des bidonvilles, en tous cas à leur début, sont dépourvus de toute infrastructure (électrification, écoulement des eaux usées, ramassage des ordures… mais aussi écoles, postes de santé, ...). La pauvreté, la promiscuité, le manque d'hygiène et la présence de bouillons de culture réunissent les conditions de développement de foyers infectieux, pouvant être source de pandémies futures.

De nombreuses associations agissent pour améliorer cette situation et parfois des États, en rendant légale l'occupation des sols, ont investi dans l'infrastructure. Cependant, dans la majeure partie des pays du monde, la « résorption des bidonvilles » a consisté à repousser toujours plus loin du centre-ville les familles et groupes habitant ces bidonvilles. En dispersant ainsi les personnes, les réseaux de survie, fondés sur les relations entre les gens, se trouvent cassés, rendant plus aléatoire encore la possibilité de se sortir de cette situation.

Dans les pays en développement, la plupart des bidonvilles sont situés en périphérie, mais les habitants cherchent cependant à se rapprocher le plus possible de lieux où ils pourraient trouver du travail.

Situation actuelle

Proportion de la population urbaine de chaque pays vivant dans des bidonvilles, d'après les définitions et les recherches de l'UN-Habitat[10] :
     0-10%      10-20%      20-30%      30-40%        40-50%      50-60%      60-70%      70-80%        80-90%      90-100%      Pas de données


Nombre et proportion d'habitants dans les bidonvilles dans le monde, en millions, chiffres de l'UN-Habitat, 2001[6]
Région Population
totale
Population urbaine Population en bidonvilles
Total  % de la pop. totale Total (estimation)  % de la pop. urbaine
Régions développées 1 194 902 75,5 % 54,1 6,0 %
Régions en développement 4 940 2 022 40,9 % 869,9 43,0 %
   Afrique du Nord 146 76 52,0 % 21,3 % 28,2 %
   Afrique sub-saharienne 667 231 34,6 % 166,2 71,9 %
   Amérique latine et Caraïbes 527 399 75,8 % 127,6 31,9 %
   Asie orientale 1 364 533 39,1 % 193,8 36,4 %
   Asie centrale et du Sud 1 507 452 30,0 % 262,3 58,8 %
   Asie du Sud-Est 530 203 38,3 % 56,8 28,0 %
   Proche et Moyen-Orient 192 125 64,9 % 41,3 33,1 %
   Océanie 8 2 26,7 % 0,5 24,1 %
   Pays les moins avancés 685 179 26,2 % 140,1 78,2 %
Monde 6 134 2 923 47,7 % 924,0 31,6 %


Bidonvilles par pays

Township de Soweto, Afrique du Sud
  • En Afrique du Sud, les Townships se distinguent des bidonvilles proprement dits. Les premiers sont construits en dur et ont une existence légale, souvent planifiée par les architectes de la ségrégation raciale puis de l'apartheid, tandis que les seconds sont des constructions illégales. Les townships d'Afrique du Sud regroupent les habitants de couleurs, principalement les noirs et peuvent compter jusqu'à près de deux millions d'habitants à l'instar de Soweto près de Johannesburg. Les townships les plus célèbres sont ceux de Mamelodi près de Pretoria, de Kayelitsha près du Cap (le plus grand d'Afrique du Sud[11]), d'Alexandria près de Johannesburg ou encore de Sharpeville.
  • Au Brésil, les favelas sont secouées par la violence des gangs et des narcotrafiquants.[réf. nécessaire]
  • En Inde, la moitié de la population de Bombay vit dans un bidonville[12]. Celui de Dharavi compte environ 700 000 habitants[12].
  • Au Kenya, Kibera est l'un des plus grands bidonvilles d'Afrique.
  • En Namibie, le Township le plus important est celui de Katutura.
  • Au Maroc, le quartier de Sidi Moumen à Casablanca compte environ 400 000 personnes qui vivent dans les bidonvilles.[réf. nécessaire]


Townships britanniques

Au Canada, en Australie, aux États-Unis, comme dans les autres terres colonisées par la Grande-Bretagne, le terme historique de township est perçu comme un campement de colons organisé sous le système cantonal de partage des terres.

Le terme historique de township est cependant resté et est aujourd'hui associé aux villes et villages bâtis sur les campements d'origine.

Bidonvilles français

Article détaillé : Bidonvilles en France.

Après la Seconde Guerre mondiale, du fait de la destruction de certaines cités, du niveau de pauvreté, de l'exode rural et de la venue de main-d'œuvre étrangère, se pose un problème crucial de logement pour les sans-abri. Les bidonvilles de Nanterre (situé à l'emplacement actuel de la préfecture des Hauts-de-Seine) et de Noisy-le-Grand furent les plus notoires en périphérie de Paris. Il faudra attendre presque la moitié des années 1970 pour que la politique de résorption des bidonvilles impulsée par le premier ministre Jacques Chaban-Delmas porte totalement ses fruits et que ces bidonvilles disparaissent avec le relogement des familles qui y vivaient. L'abbé Pierre sera l'un de ceux qui porteront assistance aux habitants des bidonvilles, surtout pendant l'hiver 1954, qui fut particulièrement froid.

Dans les années 1960, de nombreux immigrés portugais constituèrent le bidonville de Champigny-sur-Marne, qui compta jusqu’à 10 000 habitants.

Au début du XXIe siècle, en France, perdurent de micro-bidonvilles, généralement cachés à la vue, le long de voies de communication ou dans des friches industrielles :

  • depuis des dizaines d'années, des ouvriers saisonniers agricoles vivent dans un bidonville à Berre-l'Étang (Bouches-du-Rhône) sans électricité ni eau courante, mais avec des sanitaires installés par la Fondation Abbé-Pierre, Toilettes du monde et les Compagnons bâtisseurs[13] ;
  • le bidonville de Cassis, où résidaient 93 Tunisiens, a été démoli en 2005 ;
  • dans les bois aux alentours de Paris (bois de Vincennes, bois de Boulogne), on dénombre en 2007 environ 200 personnes habitant dans des abris de fortune « en dur », la plupart du temps isolés (afin d'être le moins visible possible) mais parfois en petits groupes[14].
  • Fin 2006, un bidonville habité par des immigrants de Bulgarie réunit plusieurs centaines de personnes à la marge de Pantin, près du canal de l'Ourcq.
  • A Marseille, le lieu dit du Ruisseau Mirabeau, du quartier Saint-André, est un bidonville habité par des familles yéniches, manouches et gitanes [15]

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) UN-HABITAT, The Challenge of Slums, Global Report on Human Settlements 2003, United Nations Human Settlements Programme, Earthscan Publications, Londres, 2003 (ISBN 1-84407-036-0) ou (ISBN 1-84407-036-0), 341 p. [lire en ligne].
  • (en) UN-HABITAT, The State of the World's Cities: The Millennium Development Goals and Urban Sustainability, Earthscan Publications, Londres, 2006 (ISBN 978-1844073788), 224 p.
  • (fr) "Reconstruire un bidonville à Nanterre", Louis Maitrier, in Villes bonnes à vivre, villes invivables, 1999, Revue du MAUSS no 18, Paris, La Découverte.
  • Mike Davis (trad. Jacques Mailhos), Planet of Slums [« Le pire des mondes possibles : de l'explosion urbaine au bidonville global »], La Découverte, Paris, 2006 (ISBN 978-2-7071-4915-2)

Notes et références

  1. Première utilisation attestée par R. Gauthier, « Du Maroc » dans Le Monde, 9 septembre 1953, p. 4 col. 2 ; source : Étymologie de « bidonville », portail lexical, CNRTL.
  2. Jacinta Prunty, Dublin Slums, 1800-1925: A Study in Urban Geography, Irish Academic Press, Dublin, 1998, 364 p. (ISBN 978-0716526902). Plus précisément, le terme serait issu de Vocabulary of the Flash language
  3. Mike Davis (trad. Jacques Mailhos), Planet of Slums [« Le pire des mondes possibles : de l'explosion urbaine au bidonville global »], La Découverte, Paris, 2006 (ISBN 978-2-7071-4915-2), chap. 2, « La prédominance des bidonvilles », pp. 23-52.
  4. Carroll D. Wright, The slums of Baltimore, Chicago, New York, and Philadelphia, Special report of the Commissioner of Labor, Negro Universities Press, 1894 (réed. 1969) (ISBN 978-0837119229).
  5. Traduction de l'anglais : « a heavily populated urban area characterized by substandard housing and squalor ». Source : The Merriam-Webster Dictionary, 1994, Merriam-Webster Inc., cité par UN-Habitat, The Challenge of slums, op. cit., p.8)
  6. a , b  et c (en) UN-HABITAT, The Challenge of Slums, Global Report on Human Settlements 2003, United Nations Human Settlements Programme, Earthscan Publications, Londres, 2003 (ISBN 1-84407-036-0) ou (ISBN 1-84407-036-0), partie I « Sharpening the global development agenda », pp. 1-16.
  7. « 1,4 milliard de personnes habiteront dans des bidonvilles en 2020 » dans Le Monde, 16/06/2006, [lire en ligne]
  8. « 1,4 milliard de personnes habiteront dans des bidonvilles en 2020 »
  9. « Bidonvilles : chiffres et images » dans Le Monde du 07/04/2005
  10. Un-Habitat, Observatoire urbain mondial, estimations de 2001 [présentation en ligne]
  11. Fabienne Pompey, « La xénophobie meurtrière s'étend en Afrique du Sud », dans Le Monde du 25-05-2008, [lire en ligne], mis en ligne le 24-05-2008
  12. a  et b Frédéric Landy, L’Inde ou le grand écart, La Documentation photographique, novembre-décembre 2007, n°8060, p.8
  13. À Berre, 34 années de gourbi temporaire, Michel Henry, Libération, 20 février 2007
  14. Invisibles et relégués dans le bois de Vincenne, T.S., Libération, 20 février 2007
  15. Karim Dridi, Marseille: au Ruisseau Mirabeau, camp tzigane devenu bidonville, Rue 89, 12 juin 2008

Articles connexes

Bidonville à Bombay

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