Savon de marseille

Savon de marseille

Savon de Marseille

Le savon de Marseille est un type de savon particulièrement efficace par son pouvoir nettoyant, utilisé pour l’hygiène du corps. Ce produit résulte de la saponification d'un mélange d'huiles essentiellement végétales par la soude. Il peut être fabriqué de façon industrielle ou artisanale. Une teneur de 72 % en masse d’acide gras était garantie dans le savon de Marseille traditionnel, uniquement préparé à partir d'huile d'olive.

La formule de ce savon a été réglementée sous Louis XIV au XVIIe siècle. Au XIXe siècle, Marseille compte quatre-vingt-dix savonneries. Cette industrie florissante est à la pointe de la chimie de l'époque. Elle connaît son apogée en 1913 avec 180 000 tonnes produites. Après 1950, l'essor des détergents de synthèse précipite son déclin.

Savons de Marseille

Sommaire

Histoire

La création de l'industrie du savon de Marseille

Savon d'Alep

En France, le savon est utilisé depuis l'Antiquité. Aurélien Vezier rapporte dans son Histoire naturelle que les Gaulois emploient un produit à base de suif et de cendres pour se teindre les cheveux en roux. Ce savon sert de gel et de décolorant à cheveux.

Article détaillé : savon d'Alep.

L'origine du savon de Marseille provient du savon d'Alep existant depuis des milliers d'années. Le mode de fabrication originaire de la ville d'Alep en Syrie, à base d'huile d'olive et de laurier s'est répandu à travers le bassin méditerranéen, à la suite des Croisades, en passant par l'Italie et l'Espagne, pour atteindre Marseille.

Marseille possède des manufactures de savon à partir du XIIe siècle qui utilisent comme matière première l'huile d'olive extraite en Provence la plus proche. La soude, terme qui à l’époque désigne un carbonate de sodium plus ou moins pur, provient des cendres des plantes des milieux salins, en particulier la salicorne[1]. Crescas Davin est au XIVe siècle le premier savonnier officiel de la ville. En 1593, Georges Prunemoyr, dépassant le stade artisanal, fonde la première fabrique marseillaise.

Au début du XVIIe siècle, la production des savonneries marseillaises peine à satisfaire la demande de la ville et son terroir. Le port de Marseille reçoit même des savons de Gênes et d'Alicante. Mais la guerre rompant l'approvisionnement d'Espagne, les savonniers marseillais doivent augmenter leur production de façon à pouvoir fournir l'Europe occidentale, d'abord le nord du Grand Royaume de France, les îles britanniques, la Hollande et surtout l'Allemagne, où les acheteurs pressent leurs commandes avant le grand collapsus de la Guerre de Trente Ans[2].

En 1660, on compte dans la ville sept fabriques dont la production annuelle s'élève à près de 20 000 tonnes. Sous Louis XIV, la qualité des productions marseillaises est telle que "le savon de Marseille" devient un nom commun. Il s'agit alors d'un savon de couleur verte qui se vend principalement en barre de 5 kg ou en pains de 20 kg.

Le 5 octobre 1688, un édit de Louis XIV[3], signé par Jean-Baptiste Colbert de Seignelay fils de Colbert, secrétaire de la Maison du Roi, réglemente la fabrication du savon. Selon l'article III de l'édit : «On ne pourra se servir dans la fabrique de savon, avec la barrille, soude ou cendre, d'aucune graisse, beurre ni autres matières ; mais seulement des huiles d'olives pures, et sans mélange de graisse, sous peine de confiscation des marchandises». Les manufactures de savons doivent cesser leur activité l’été car la chaleur nuit à la qualité du savon. Le respect de cette réglementation assure la qualité du savon et fait la renommée des savonneries marseillaises.

Dans le même temps, des fabriques de savon s'installent dans la région, à Salon-de-Provence, Toulon ou Arles.

L'industrie du savon

En 1786, quarante-huit savonneries produisent à Marseille 76 000 tonnes, emploient 600 ouvriers et un volant de main d'oeuvre au plus fort de la saison de fabrication, 1 500 forçats prêtés par l’arsenal des galères.

Après les désordres économiques causés par la Révolution française, l'industrie marseillaise continue à se développer jusqu'à compter soixante-deux savonneries en 1813. La soude est dorénavant obtenue à partir de sel de mer, d'acide sulfurique résultat de la combustion du soufre, de calcaire et de charbon de bois, par application du récent procédé chimique de Nicolas Leblanc[4].

À partir de 1820, de nouvelles matières grasses sont importées et transitent par le port de Marseille. Les huiles de palme, d'arachide, de coco et de sésame en provenance d'Afrique ou du Moyen-Orient sont utilisées pour la fabrication du savon.

Les savonneries marseillaises subissent la concurrence des savonneries anglaises ou parisiennes, ces dernières emploient du suif qui donne un savon moins cher.

Au début du XXe siècle, la ville de Marseille possède quatre-vingt-dix savonneries. François Merklen fixe en 1906 la formule du savon de Marseille : 63 % d’huile de coprah ou de palme, 9 % de soude ou sel marin, 28 % d'eau. Cette industrie est florissante jusqu'à la Première Guerre mondiale où la difficulté des transports maritimes des graines porte gravement atteinte à l'activité des savonniers. En 1913, la production représente 180 000 tonnes et n'est plus que 52 817 tonnes en 1918.

Après la guerre, la savonnerie bénéficie des progrès de la mécanisation bien que la qualité du produit reste due à l'emploi des anciens procédés et la production remonte pour atteindre 120 000 tonnes en 1938. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Marseille assure encore la moitié de la production française mais les années qui suivent sont désastreuses. Le savon est supplanté par les détergents de synthèse et les savonneries marseillaises ferment les unes après les autres.

Il ne reste aujourd’hui qu’une poignée de fabricants dans la région.

La fabrication de savon d'huile dans les îles grecques

Dans les îles grecques, à Mytilène notamment, il existait encore il y a une centaine d'années des petites usines qui fabriquent du savon à base d'huile d'olive.

Dans les villages, on extrayait l'huile d'olive avec des presses en bois et le fabriquant de savon rachetait les déchets riches en huiles. Le fabricant possèdait des presses à huile en métal et extrayait l'huile restante très chargée en acide (aujourd'hui une huile de ce type est raffinée). L'huile extraite servait de base à la fabrication de savon et les déchets de l'extraction ultime servait à entretenir les feux.

On retrouvait un tel procédé à Mytilène et à Rhodes. À Rhodes, le fabricant venait de Mytilène et s'appelait Agiakatsika. Les maisons qu'il fit construire pour ses filles sont des chefs d'œuvre du néo-classicisme grec.

Fabrication du savon de Marseille

La saponification de corps gras est la réaction que les maîtres savonniers marseillais conduisaient en cuve traditionnelle ou industrielle.

La saponification

Article détaillé : saponification.

Le savon de Marseille résulte d'une réaction chimique de saponification. C'est une simple hydrolyse alcaline, de corps gras par une base forte[5]. Les esters que sont les corps gras, graisses animales ou huiles végétales, sont hydrolysés en milieu alcalin par une base, la soude NaOH[6]. L'hydrolyse des esters produit du glycérol, autrefois appelé glycerine et un mélange de carboxylates de sodium, c'est-à-dire des sels métalliques d'acides gras, qui constituent le composant déterminant du savon sous une phase condensée, parfois dénommée semi-cristalline après sèchage[7].

Le procédé marseillais

Le procédé marseillais est un procédé discontinu de fabrication du savon. Il se compose de plusieurs étapes :

L'empâtage et l’épinage

On introduit en même temps les matières grasses et la soude dans une cuve ou dans un chaudron de grande contenance, et on les mélange tout en les chauffant à 120°C. La saponification démarre. La température élevée sert à accélérer la réaction de saponification. Les graisses et la soude ne sont pas miscibles. Pour faciliter la réaction, on met un fond de savon provenant d'une précédente fabrication qui sert à former une émulsion entre les phases huileuses et aqueuses[8]. C’est pour la même raison qu’on agite le mélange.

On soutire ensuite la glycérine obtenue, qui rejoint la phase aqueuse en fond de cuve. Ainsi, l'industrie du savon donne naissance à des industries annexes. La plus importante est la "stéarinerie" ou fabrication des bougies à partir de la récupération de la glycérine.

La cuisson

On ajoute de la soude pour avoir une réaction plus complète des matières grasses. Si une partie des matières grasses ne réagissait pas avec la soude, elle risquerait de rancir et poserait des problèmes de conservation. La pâte est cuite plusieurs heures.

Le relargage

La pâte est nettoyée à l’eau salée pendant plusieurs heures pour éliminer la soude en excès. On opère avec une solution aqueuse saturée en chlorure de sodium soit 360g de NaCl par litre d'eau. Le savon est très peu soluble dans l’eau salée à la différence de la soude. Il forme un précipité que l’on récupère par soutirage.

Le savon terminé ne contient plus du tout de soude, car, si le lavage est soigné, l'eau salée a entraîné la soude, les autres impuretés de l'huile ainsi que la glycérine. C'est la délipidation du savon.

La liquidation

La pâte est mise au repos. Elle peut être lavée à l’eau.

Le coulage et le séchage

La pâte fluide est versée dans des moules, puis le savon humide est mis à sécher pour le durcir.

Le découpage et l’estampillage

Le savon solidifié est découpé en cubes puis marqué. À l'origine, le savon de Marseille traditionnel affiche 72% d'huile d'olive. Il contient cette teneur massique en acide gras, acide gras provenant de l'huile d'olive. Ce pourcentage était estampillé sur le savon.

Savon de Marseille après une dizaine d'années
(photo C. Moustier)

Le savon de Marseille aujourd'hui

Utilisation

Le savon de Marseille est d'abord un produit de propreté dont l'usage corporel quotidien est avéré depuis plusieurs siècles, en particulier pour les mains et le visage. Il sert aussi de nettoyant ménager et au lavage du linge. On trouve des paillettes de savon de Marseille pour la lessive. On l’emploie notamment pour laver le linge des personnes allergiques et des bébés parce qu’il ne contient pas d’ingrédients allergisants.

Une définition officielle

Le terme « savon de Marseille » n’est nullement une appellation d'origine contrôlée, il correspond seulement à une méthode de fabrication qui est approuvée depuis mars 2003 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou DGCCRF, placée sous l'égide du ministère des finances. Cette méthode est issue d'un code validé unilatéralement par l’Association française des industries de la détergence, de l'entretien et des produits d'hygiène industrielle ou AFISE. Ce code définit la méthode de fabrication, basée sur les quatre étapes historiques que sont l'empâtage/cuisson, le relargage de la glycérine, le lavage et la liquidation, afin d'assurer l'obtention d'une phase cristalline lisse à 63 % d’acides gras minimale. Elle définit également des contraintes en matière de chargement de corps gras, exclut les huiles acides exception faite des huiles de grignon d'olives. Elle admet le suif sous réserve d'une qualité conforme au réglement Européen CE 1774/2002 sur les dérivés animaux utilisables en cosmétique.

Enfin, ce "code du savon de Marseille" limite les additifs et exclut en particulier les tensio-actifs de synthèse. Les additifs utilisables doivent être conformes à la directive CE 76/768 relative à la mise sur le marché des produits cosmétiques, d'hygiène et de toilette. Ce code distingue une qualité dite savon de Marseille Brut, sans colorant, sans parfum, sans additifs. Il n'y a donc pas d'obligation de fabriquer un savon à Marseille pour qu'il puisse avoir l'appellation. L'appellation est liée au procédé de saponification dit "marseillais", mis au point suite à la découverte de fabrication chimique de la soude caustique, le procédé Leblanc.

Ce code est trop large et permet à une grande quantité de savons d'origines diverses de bénéficier de l'appellation Savon de Marseille.

Dans la région marseillaise, seules quatre savonneries continuent à fabriquer du savon comme il se fabriquait il y a trois siècles : la Compagnie du savon de Marseille ([2]), la savonnerie du Sérail ([3]), la savonnerie Marius Fabre ([4]) et la savonnerie de la Licorne. Beaucoup de sociétés se disent savonnerie ou revendiquent la notion Maître Savonnier. Ce ne sont en fait que des "conditionneurs" de savon. La base savon provient essentiellement d'Asie du Sud-Est et le travail consiste uniquement à colorer, parfumer et mouler cette base savon fabriquée selon un procédé moderne qui peut bénéficier de l'appellation Marseille selon le code de l'AFISE.

La Savonnerie de l'Atlantique ([5]), installée à Rezé, dans l'agglomération nantaise, produit depuis plus de 60 ans du savon, dont du savon de Marseille, selon le procédé historiquement reconnu. Nantes est également un site majeur de production de savon en France, avec plus de 30 savonneries qui ensemble emploient 300 personnes à temps plein.

Le savon artisanal

Un savon de Marseille traditionnel se présente sous la forme d’un gros cube de 600 grammes, sur lequel est gravé « 72% d’huile » et le nom de la savonnerie.

Le savon artisanal dit à l’huile d’olive est aujourd'hui composé d’huile d’olive, d’huile de coprah et d’huile de palme. La couleur du savon à l’huile d’olive oscille entre le marron et le vert.

On trouve aussi du savon de Marseille blanc, composé d’huile d’arachide, d’huile de coprah et d’huile de palme.

Le savon industriel

Le savon de Marseille vendu en grande surface est un savon de ménage ou de toilette qui contient différents acides gras, provenant de la saponification de différentes matières grasses. Les principales matières grasses utilisées et les acides gras obtenus sont mentionnés dans le tableau ci-dessous.

matière grasse (huile ou graisse) nom INCI de la matière grasse nom INCI des molécules de savon obtenues acide gras dominant
suif (graisse de bœuf) Adeps bovis Sodium Tallowate acide hexadécanoïque
huile d'arachide Arachis hypogaea Sodium Peanutate acide octadécène-9-oïque
huile d'olive Olea europaea Sodium Olivate acide octadécène-9-oïque
huile de coprah (noix de coco) Cocos nucifera Sodium Cocoate acide dodécanoïque
huile de palme Elaeis guineensis Sodium Palmate acide hexadécanoïque
huile de palmiste Elaeis guineensis Sodium Palm Kernelate  ?


Le savon de Marseille industriel contient également des additifs variés : agents anticalcaires, conservateurs, colorants, parfums... Ces additifs sont souvent polluants, c'est-à-dire difficilement biodégradables ou ayant un potentiel toxique à terme dans l'environnement fluvial ou limnique.

Les produits dérivés

Le savon de Marseille, quel qu'il soit, conserve une image positive qui évoque naturel, simplicité et propreté « à l'ancienne ». En plus des savons, les industriels proposent donc d'autres produits à base de savon de Marseille comme des produits nettoyants et des lessives.

Notes et références de l'article

  1. Il suffit de recueillir les restes de combustion de la matière végétale à haute teneur en sels et de les en extraire par dissolution. On arrose un vieux drap nommé cendrier, textile qui enrobe et retient les solides charbonneux. La phase solide est compressée et asséchée par la torsion du drap par deux hommes qui l'enroulent sur des bâtons. Le liquide contenant soude et sels de sodium est recueilli dans un cuveau, puis mis à évaporer au soleil. Le même procédé est employé à la récolte des sels de potassium au moment des essartages des bois en montagne.
  2. Il est dévastateur en Allemagne et en ses confins rhénans et bohémiens.
  3. Édit du 5 octobre 1688, reproduit sur le site de la Maison Fabre [1]
  4. Notez que le sel NaCl ou le C peut provenir, selon les régions, de mines terrestres.
  5. Cette réaction chimique, lente, non réversible, diffère totalement de l'estérification. L'estérification est une réaction réversible, qui possède une constante d'équilibre athermique et aboutit à un équilibre. Elle est réversible par hydrolyse et ne donne pas de sels alcalins d'acide gras, car elle n'implique aucune base forte. Pour favoriser la cinétique de toute hydrolyse, il faut maîtriser les conditions d'opération : température, amorçage en créant des surfaces de réaction, ici entre les deux phases eau et huile non miscibles... Pour favoriser la saponification en laboratoire, la solution alcaline contient souvent une faible proportion d'alcool.
  6. Autrefois les carbonates de soude et de potassium donnent des carboxylates de sodium ou de potassium, c'est-à-dire des savons secs moins durs.
  7. Le glycérol est le triol le plus simple pour stocker efficacement les acides gras sous forme de corps gras dans le monde vivant
  8. La phase huileuse contient le réactif ester, c'est-à-dire les matières grasses. La soude est totalement dissoute dans l'eau, sous forme d'ions sodium Na+ et hydroxyle OH-.

Voir aussi

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Liens externes

  • Patrick Boulanger, Le savon de Marseille, Equinoxe-carrés de Provence, Barbentane, 1999. ISBN 2-84135-146-7
  • Portail de Marseille Portail de Marseille
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