Léon Daudet

Léon Daudet
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Léon Daudet
Leon Daudet.JPG
Nom de naissance Alphonse Marie Vincent Léon Daudet
Activités écrivain, journaliste, homme politique
Naissance 16 novembre 1867
Paris
Décès 30 juin 1942
Saint-Rémy-de-Provence
Genres Romans, Essais, Critiques, Pamphlets, Mémoires
Œuvres principales
  • Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (six volumes), 1914-1921

Léon Daudet est un écrivain, journaliste et homme politique français, né le 16 novembre 1867 à Paris 4e[1] et mort le 30 juin 1942 (à 74 ans) à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône).

Monarchiste orienté à l'extrême-droite, il fut l'une des principales figures politiques de l'Action française et l'un des collaborateurs les plus connus du journal du mouvement.

Écrivain passionné, il a beaucoup écrit. La bibliographie de ses œuvres est énorme : plus de 300 notices sur le catalogue de la BNF. Il reste aujourd'hui son œuvre de mémorialiste, six volumes de « choses vues » de 1880 à 1921, « prodigieux Souvenirs », comme disait Marcel Proust qui ajoutait : « Les ressemblances entre Saint-Simon et Léon Daudet sont nombreuses : La plus profonde me semble l'alternance, et l'égale réussite, des portraits magnifiquement atroces et des portraits doux, vénérants, nobles[2]. »

Sommaire

De la République à l'antidreyfusisme

Léon Daudet est le fils aîné d'Alphonse Daudet et le frère de Lucien Daudet. Son père, écrivain renommé mais aussi homme enjoué et chaleureux, a beaucoup d'amis. Ses réceptions du jeudi attirent de nombreuses personnalités du monde de la culture. « Fils d'un écrivain célèbre et qui avait non seulement le goût, mais la passion des échantillons humains, depuis le vagabond de la route jusqu'au plus raffiné des artistes, j'ai été en relation avec beaucoup de gens[3] ». Aussi Léon fréquente-t-il dès son enfance des écrivains et des journalistes, les uns, comme Gustave Flaubert, visiteurs épisodiques, les autres, comme Edmond de Goncourt, presque membres de la famille. Maurice Barrès, Émile Zola, Edouard Drumont, Guy de Maupassant, Ernest Renan, Arthur Meyer, Gambetta, entre autres, marqueront ses souvenirs d’enfance.

Quoiqu'ayant bénéficié, lors de ses débuts à Paris, de la protection de l'impératrice Eugénie et du duc de Morny, Alphonse Daudet se targue de sentiments républicains, qu'il communique à son fils. Les grands hommes, chez les Daudet, outre la figure tutélaire de Victor Hugo, sont successivement Gambetta et Clemenceau. Au soir de la victoire électorale de Boulanger à Paris, le 27 janvier 1889, Léon Daudet et ses camarades étudiants lancent à tue-tête, dans les rues du Quartier Latin, des slogans hostiles au général.

Déjà, Léon Daudet est sensible aux sirènes de l'antisémitisme. La révélation antisémite lui est donnée en 1886 par la lecture de La France juive, d'Édouard Drumont, que son père fait publier chez Flammarion et Marpon en 1886. Dès lors, il le promeut au rang des grands génies de son temps. Eugen Weber parle d'une adhésion à la ligue antisémite dès la fin de la crise boulangiste, sans citer de source.

Après de brillantes études au lycée Louis-le-Grand, où il reçoit l'enseignement du philosophe kantien Auguste Burdeau, qui a déjà été, à Nancy, le professeur de Maurice Barrès, et qui va entreprendre une carrière parlementaire et ministérielle, il entame en 1885, des études de médecine qu'il mènera jusqu'au bout, thèse exceptée. Il voit de l’intérieur le monde médical et fréquente des sommités comme Charcot jusqu’à son échec au concours de l'internat, en 1891. Cette expérience lui permet d'écrire Les morticoles (1894), caricature amère du monde médical, qui le fait connaître.

Son premier roman, L'Héritier, paraît en 1892, en feuilleton dans La Nouvelle Revue de Juliette Adam. En 1900, il est critique de théâtre au journal Le Soleil, collabore au Gaulois et à La Libre Parole. Il débute ainsi une carrière d'écrivain et de journaliste qu'il continuera à un rythme enfiévré jusqu’à sa mort : il laissera environ 9 000 articles et 128 livres dont une trentaine de romans, une quinzaine d'essais philosophiques, des ouvrages de critique littéraire, des pamphlets (une dizaine), de l'histoire, et enfin ses Souvenirs, publiés avec succès de 1914 à 1921 qui restent son premier titre de renommée littéraire.

Mariage de Léon Daudet et Jeanne Hugo, dessin de Gil Baër, une du Progrès illustré du dimanche 22 février 1891

Le 12 février 1891, à Paris 16e, il épouse Jeanne Hugo, petite-fille de Victor Hugo (celle-là même que le poète a célébré dans L'art d'être grand-père), sœur de son meilleur ami Georges Hugo, à la mairie du XVIe. Le mariage est civil, (Victor Hugo ayant défendu à sa descendance la pratique du mariage religieux). Ce mariage lui fait découvrir de l'intérieur le monde qui gravite autour du poète national : sa famille et le parti républicain : le beau-père de sa femme est Édouard Lockroy, homme de gauche, député de 1871 à 1913, ministre de 1886 à 1899. Le ménage n'est pas heureux et, le 21 décembre 1894, Jeanne quitte le domicile conjugal. Le divorce est prononcé l'année suivante. Jeanne Hugo épousera en secondes noces l'explorateur Jean-Baptiste Charcot, puis en troisième noces, un capitaine grec, Michel Négreponte. Pour expliquer l'antiparlementarisme et l'antirépublicanisme de Léon Daudet, Eugen Weber a parlé de réaction contre le clan Hugo et de haine pour Lockroy.

Quelques jours après le départ de Jeanne, Léon Daudet, accompagné de Maurice Barrès, assiste, pour le compte du Figaro, à la dégradation du capitaine Dreyfus. L'article qu'il rédige alors fait forte impression, tant l'écrivain y verse son venin méprisant de polémiste. Ses formules sont restées célèbres : « il n'a plus d'âge. Il n'a plus de nom. Il est couleur traître. Sa face est terreuse, aplatie et basse, sans apparence de remords, étrangère à coup sûr, épave de ghetto » (Le Figaro, 6 janvier 1895). A la différence d'un Barrès, qui finit par se laisser gagner par le doute, Léon Daudet reste toute sa vie persuadé de la culpabilité de Dreyfus.

La publication de la brochure de Bernard Lazare, en novembre 1896, ne l'ébranle pas. Ce n'est pas le cas de tous, parmi son entourage. Le 7 décembre 1897, il assiste au premier dîner des balzaciens, lors duquel est consommée la rupture entre écrivains dreyfusards (Zola, France) et antidreyfusards (Barrès, Coppée, Bourget). Si Zola est encore de ceux qui, quelques jours plus tard, portent les cordons du poêle, lors des obsèques d'Alphonse Daudet, Léon le poursuit bientôt de sa haine, surtout après la publication du J'accuse. Alors qu'il sera à même, plus tard, de reconnaître les vertus littéraires d'un Gide ou d'un Céline, il ne cesse de dénoncer l'influence néfaste de Zola sur la littérature et s'obstine à le surnommer le "Grand Fécal".

S'il est encore républicain, Léon Daudet s'affiche alors clairement comme nationaliste et clérical. Le 19 janvier 1899, il assiste, avec sa mère, à la première réunion de la Ligue de la Patrie française, dont l'un comme l'autre ont été parmi les premiers adhérents. La même année, il entre dans la rédaction du Soleil, puis, en 1900, dans celles du Gaulois et de la Libre parole. Là, il se livre sans retenue au combat antidreyfusard et nationaliste, regrettant que ses appels à la résistance violente contre les ennemis de la Patrie et de la Religion ne soient pas suffisamment relayés par la presse dans laquelle il s'exprime. Ses attaques personnelles lui valent de multiplier les duels. Le premier l'oppose, en 1901, au député socialiste Gérault-Richard. En 1901 toujours, son antiparlementarisme s'exprime dans un ouvrage polémique : Le pays des parlementeurs.

Émancipé de l'ombre tutélaire de son père, Léon Daudet est devenu un homme d'influence. Exécuteur testamentaire d'Edmond de Goncourt, il est chargé, en 1900, au terme d'un procès avec les héritiers de l'écrivain, de mettre sur pied l'Académie Goncourt, dont il est élu l'un des dix membres. Au printemps 1903, il entre dans le comité exécutif de la Fédération nationale antijuive de Drumont, sans pour autant s'engager dans un militantisme actif.

Le polémiste de l'Action française

Article détaillé : L'Action française.
Affiche (1918)

Bien qu'il connût déjà Charles Maurras et Henri Vaugeois, c'est sa rencontre, en 1904, avec le duc d'Orléans qui décide de sa vocation monarchiste, vocation renforcée par son mariage, en 1903, avec sa cousine Marthe Allard, qui partage ses idées.

L'affaire des fiches (1904), suivie de l'affaire Syveton, dans laquelle il s'obstinera à voir un assassinat, renforcent son engagement dans la politique réactionnaire et anti-parlementaire. En 1908, il est l'un des fondateurs, avec Charles Maurras, Henri Vaugeois et Maurice Pujo, du quotidien L'Action française dont le financement est largement assuré par l'héritage que sa femme reçoit de la comtesse de Loynes, l'égérie de Lemaître et de la Ligue de la patrie française, dont il fréquente le salon. Il devient éditorialiste et rédacteur en chef, puis co-directeur à partir de 1917, tandis que sa femme tient la rubrique culinaire sous le pseudonyme de « Pampille ».

Léon Daudet est dès lors une figure de la vie culturelle et politique : articles polémiques au style populaire, vif et amusant, charriant les injures, voire les appels au meurtre, mais aussi essais, livres d'histoire et romans se succèdent à un rythme soutenu. Le personnage est un colosse truculent, sanguin, pittoresque, mangeant, buvant (plusieurs bouteilles de bourgogne par repas), écrivant, discourant sans cesse. Celui qu'on surnomme « le gros Léon » défraye la chronique, autant par ses écrits que par les duels que lui valent ses insultes et les coups qu'il donne ou reçoit au cours de manifestations qui se terminent souvent au poste.

À partir de 1912, il entame une campagne dénonçant une prétendue infiltration des milieux des affaires et de la politique par des agents à la solde de l'Allemagne, campagne pour laquelle il produit de faux documents, ce qui lui vaut d'être condamné pour diffamation en 1913[4]. Il continue cependant à répandre des accusations, souvent à tort[5], qui mènent à l'arrestation de Miguel Almereyda (affaire du Bonnet rouge) lors de la Première Guerre mondiale en 1917, suivie de celles de Louis Malvy et de Joseph Caillaux, accusés de forfaiture et qu'il aurait voulu voir fusillés en compagnie d’Aristide Briand. L'ensemble de ses allégations furent « entièrement réfutées. »[6] Son livre L'Avant-Guerre, sortit le 5 mars 1913, verra ses ventes passer de 12 000 exemplaires à 20 000 en début du conflit. Entre fin 1914 et début 1916, il s'en vendra 50 000 exemplaires de plus.

Député de Paris, mort de Philippe Daudet et emprisonnement

Article détaillé : Affaire Philippe Daudet.
Léon Daudet

Parlementaire français
Mandat Député 1919-1924
Circonscription Seine
Groupe parlementaire Indépendants
IIIe république

De 1919 à 1924, il est député de l'Union nationale à Paris, principal porte-parole des nationalistes et, même s'il estimera plus tard avoir perdu là quatre ans et demi de sa vie, les occasions ne lui manquent pas d'animer les débats par ses boutades et ses invectives. Il est battu en 1924.

En 1923, son fils Philippe, âgé de quatorze ans, fait une fugue, tente de s'embarquer au Havre pour le Canada, puis rentre à Paris, où il prend contact avec des milieux anarchistes[7]. Quelques jours plus tard, il se suicide dans un taxi. Une lettre à sa mère annonçait son intention de mettre fin à ses jours. Léon Daudet affirme dans un premier temps que son fils est mort d'une méningite, puis, quand le suicide est rendu public, il refuse toujours de l'admettre, soutient que son fils a été assassiné et porte plainte pour homicide volontaire et complicité contre plusieurs hauts fonctionnaires de la Sûreté Générale, accusée d'être une police politique au service du régime républicain. Le procès ayant confirmé le suicide et conclu à un non-lieu contre les inculpés, Léon Daudet refuse le verdict. Une « enquête » est publiée jour après jour dans l'Action française. Accusant de faux témoignage un des principaux témoins, il est condamné pour diffamation en 1925 à cinq mois de prison ferme.

En 1927, ayant épuisé tous les recours et se disant victime d'une machination policière, Léon Daudet transforme pendant quelques jours les locaux de l'Action française en Fort Chabrol avant de se rendre. Incarcéré à la Santé, il est libéré deux mois plus tard par les Camelots du Roi, qui sont parvenus, détournant les communications téléphoniques de la prison et déployant des dons d'imitateurs, à faire croire à son directeur que le gouvernement lui ordonnait d'élargir discrètement le journaliste monarchiste et, pour faire bonne mesure, le député communiste Pierre Sémard.

Suivent deux ans d'exil à Bruxelles, durant lesquels il continue sa collaboration avec le quotidien monarchiste et la publication effrénée d'essais, de pamphlets, de souvenirs et de romans. En 1929, il écrira que l'antisémitisme ne fait plus partie de sa personnalité :

« En ce qui concerne l'antisémitisme, il y-a belle lurette que j'en suis détaché de toutes manières […] et que le développement de mon être intérieur m'a plutôt porté à essayer de comprendre Israël et la raison de ses coutumes et de leur persistance qu'à la maudire. Je ris quand j'apprends que des personnes me croient encore dans le même état moral vis-à-vis des fils de Sem qu'il y a trente ou vingt-cinq ans. […] Dans toute cette affaire de décomposition et de l'enjuivement de l'État français, c'est la démocratie qui est coupable et non le juif. Cela Drumont n'a jamais voulu le comprendre, pas plus qu'il n'a voulu admettre que la thèse des deux races était une erreur. »

— Léon Daudet dans Paris vécu, rive droite[8]

Les années 1930 et Vichy

De retour à Paris après avoir été gracié, il reprend sa place au journal et participe activement à la vie politique : il dénonce la corruption du régime, il prédit la guerre, soutient le fascisme de Mussolini mais redoute le relèvement de l’Allemagne et espère, lors de la manifestation du 6 février 1934, la chute de la République (la « Gueuse »), dénonçant Camille Chautemps (démissionnaire de la présidence du conseil depuis quelques jours en raison de l'affaire Stavisky) comme le « chef d'une bande de voleurs et d'assassins »[9].

Il souhaitait depuis plusieurs années l'arrivée de Pétain au pouvoir lorsque la défaite amène, pour reprendre l'expression de Charles Maurras, la « divine surprise ». Mais l'occupation allemande désole ce patriote résolument latin et viscéralement antigermanique, qui a depuis les années 1920 beaucoup tempéré son antisémitisme.

Il meurt en 1942 à Saint-Rémy-de-Provence, dans le pays des « Lettres de mon moulin ».

Léon Daudet, écrivain

C’est dans son œuvre de mémorialiste que ses dons d’écrivain paraissent aujourd’hui les plus éclatants.

Il entreprend la rédaction de ses mémoires à quarante-sept ans en 1914, voulant offrir à ses lecteurs « un tableau véridique sans l’atténuation qu’apporte aux jugements un âge avancé ». Il les intitule Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux. Il a, dès son enfance, côtoyé des écrivains (du salon d’Alphonse Daudet au grenier Goncourt, du salon de Mme de Loynes à la création de l'Académie Goncourt), des scientifiques, des hommes politiques, des journalistes (du Gaulois au Figaro) , des hommes de théâtre, et aura été proche de nombre d'entre eux. Son sens de l'observation, son style enlevé et sa férocité lui ont permis de graver à l’eau forte des milliers de pages de portraits et d’anecdotes qu'on dirait saisis sur le vif.

« Nul n’a su comme lui faire le portrait au vitriol de ses contemporains, esquisser une silhouette en quelques traits mordants, décerner des surnoms qui collent à la peau, trouver la formule assassine qui étend raide l’adversaire, décrire avec une verve prodigieuse les ridicules d’un salon, d’une académie, d’une assemblée parlementaire, d’un tribunal, évoquer l’ambiance hallucinante des hôpitaux de sa jeunesse. Tout un monde, toute une époque, ressurgissent sous sa plume, avec les couleurs de la vie même. », rappelle Bernard Oudin, qui a établi les notes de l'édition de Léon Daudet : souvenirs et polémiques dans la collection Bouquins (1992).

Si ses romans - il poursuivra toute sa vie une carrière de romancier avec un insuccès littéraire à peu près total - ont beaucoup vieilli, si son œuvre de polémiste ne suscite plus l'intérêt, ses Souvenirs restent une mine pour tous ceux que la IIIe République intéresse. Ils révèlent un réel bonheur d'écriture, surtout lorsqu'il s'agit de traîner dans la boue tel ou tel de ses ennemis politiques, notamment parmi les juifs et les dreyfusards. Comme si son incontestable talent ne pouvait s'épanouir que sur le terreau de la contestation, de la contradiction.

Mais ses jugements à l'emporte-pièce et ses partis pris souvent dictés par ses haines politiques n'empêchent pas des opinions originales et un anticonformisme qui l’a parfois fait classer dans les « anarchistes de droite » lui a même permis de défendre des œuvres ou des auteurs auxquels son entourage traditionaliste était hostile. Ainsi a-t-il fait obtenir en 1919 le Prix Goncourt à Marcel Proust (pourtant de mère juive et surtout dreyfusard) qui le lisait et restera son ami (il lui dédie « Le côté de Guermantes »), tentera-t-il sans succès de le faire attribuer à Céline pour « Voyage au bout de la nuit », ouvrage alors honni par les patriotes, ainsi écrira-t-il, au grand dam de son clan, un article élogieux sur André Gide, louera-t-il Picasso et confiera-t-il (le comble pour un antisémite) « qu'il n'a pas connu d'idéaliste plus complet que Marcel Schwob ».

Extraits des Souvenirs : quelques portraits

  • Marcel Proust au restaurant Weber entre 1900 et 1905 (Salons et Journaux, chap. IX)

« Vers 7 heures et demie arrivait chez Weber un jeune homme pâle, aux yeux de biche, suçant ou tripotant une moitié de sa moustache brune et tombante, entouré de lainages comme un bibelot chinois. Il demandait une grappe de raisin, un verre d’eau et déclarait qu’il venait de se lever , qu’il avait la grippe, qu’il s’allait recoucher, que le bruit lui faisait mal, jetait autour de lui des regards inquiets, puis moqueurs, en fin de compte éclatait d’un rire enchanté et restait. Bientôt sortaient de ses lèvres, proférées sur un ton hésitant et hâtif, des remarques d’une extraordinaire nouveauté et des aperçus d’une finesse diabolique. Ses images imprévues voletaient à la cime des choses et des gens, ainsi qu’une musique supérieure, comme on raconte qu’il arrivait à la taverne du Globe, entre les compagnons du divin Shakespeare. Il tenait de Mercutio et de Puck, suivant plusieurs pensées à la fois, agile à s’excuser d’être aimable, rongé de scrupules ironiques, naturellement complexe, frémissant et soyeux. C’était l’auteur de ce livre original, souvent ahurissant, plein de promesses : Du côté de chez Swann, c’était Marcel Proust. »

« Robert de Montesquiou, qui s’est depuis terriblement banalisé et galvaudé – conséquence fatale de l’amour de la célébrité – passait pour un être rare, lointain, distant et fermé (…) L’homme était mystérieux comme l’auteur, long et mince, sans âge, tel que verni pour l’éternité, les rides du front savamment déplissées, habillé avec ce goût rarissime qui aboutit à un ensemble neutre par l’harmonie, le fondu de détails voyants, fleuri quant à la boutonnière, et aussi quant au discours. Il racontait, comme pour des adeptes, de longues et fastidieuses anecdotes consacrées à des arcanes mondains, méprisables mais inaccessibles, bafoués, mais à la façon des idoles ; puis, vers la fin de son monologue, le comte à écouter debout éclatait d’un rire aigu de femme pâmée. Aussitôt, comme pris de remords, il mettait sa main devant sa bouche et cambrait le torse en arrière, jusqu’à ce que son incompréhensible joie fût éteinte, comme s’il eût lâché un gaz hilarant. »

« J.-K. Huysmans, familier de Goncourt, était silencieux et grave comme un oiseau de nuit. Mince et légèrement voûté, il avait le nez courbé, les yeux enfoncés, le cheveu rare, la bouche longue et sinueuse, cachée sous la moustache floche, la peau grise et des mains fines de bijoutier ciseleur. Sa conversation, ordinairement crépusculaire, était toute en exclamations écœurées, dégoûtées sur les choses et les gens de son époque, qu’il exécrait également, qu’il maudissait, depuis la décadence de la cuisine et l’invention des sauces toutes préparées, jusqu’à la forme des chapeaux. A la lettre, il vomissait son siècle et le parcourait frileusement, comme un écorché vif, souffrant des contacts, des atmosphères, de la sottise ambiante, de la banalité et de l’originalité feinte, de l’anticléricalisme et du bigotisme, de l’architecture des ingénieurs et de la sculpture « bien-pensante », de la tour Eiffel et de l’imagerie religieuse du quartier Saint-Sulpice. (…) Il fallait voir Huysmans, acculé par un raseur dans un coin du « grenier » Goncourt, allumant une cigarette, comme pour chasser un insecte, cherchant à s’évader par petits pas feutrés, et coulant vers son interlocuteur un regard de martyr qui eût voulu se faire bourreau. Un jour que j’étais arrivé à le dégager : « Merci, me dit-il, pour mes rotules ; je pensais ne jamais pouvoir les décoller de cet ignoble individu. » Il ne ménageait pas les termes, je vous assure, et ses coups de griffe laissaient, en général, cinq raies sanglantes sur le museau de son fâcheux. »

« La princesse, à laquelle chacun s’accordait – je ne sais pourquoi – à trouver grand air, était une vieille et lourde dame, au visage impérieux plus qu’impérial, qui avait le tort de se décolleter. On citait d’elle des mots d’une brutalité assez joviale, notamment le cri fameux : « Nous qui avons eu un militaire dans la famille… ». En dépit de Taine, Renan et Sainte-Beuve, elle était demeurée épaisse et sommaire. Je l’ai vue ne parlant plus guère, fixant sur ses invités à la ronde des yeux bovins et méfiants. (…) Edmond de Goncourt, afin de me faire briller, me demanda de conter une farce d’hôpital, que je sabotai et qui n’amusa personne. L’ennui immense pleuvait du plafond sur la table chargée d’aigles, de verreries et de fleurs, sur les convives, qui peinaient pour animer ce cimetière d’une société jadis brillante, sur la maîtresse de maison déjà lointaine, sur les mollets rebondis des larbins. On sortit de la table mortuaire, où la nourriture, je dois l’ajouter, était à la fois exécrable et parée, le poisson, sans goût ni sauce, prenant la forme d’une côtelette, et le rôti baignant sur une eau saumâtre, comme si le bœuf était demeuré toute la nuit assis dans une mare. »

  • Portrait du comte Fleury, chargé de l'importante rubrique des "mondanités" au journal "bien-pensant" Le Gaulois dont Arthur Meyer est le directeur (Fantômes et Vivants, chap. IV)

« Pendant ma collaboration au Gaulois – dont la comédie perpétuelle m’enchantait - le « mondanitaire » en chef était le comte Fleury, fils d’un favori à la cour impériale, homme long, maigre, amer pareil à un casse-noix ébréché et privé de tout agrément. Il était non seulement recommandé, mais ordonné au dit Fleury d’assister à la plupart des cérémonies qu’il narrait quotidiennement aux lecteurs du Gaulois. On le voyait correct et sinistre, la tête dressée, tenant son haut-de-forme au bout de son parapluie, dans tous les cortèges nuptiaux ou funèbres à la mode. Chaque jour, il saluait deux cents fois et serrait cent cinquante mains. Quelquefois convié aux dîners somptueux – tout au moins sur le papier – dont il célébrait la composition et les menus, il devait plus habituellement se contenter de la soirée, de cette invraisemblable soirée mondaine stéréotypée, où des messieurs chauves jouent au bridge, puis conversent, d’un air malicieux, avec de jeunes personnes à transparence de bougie de luxe, lesquelles font semblant de rire de leurs propos ; où de vieilles dames écroulées s’entretiennent de la dernière pièce issue d’Henri Lavedan et du dernier roman pondu par Marcel Prévost.

Meyer exigeait de lui, comme de ses prédécesseurs, qu’il fût constamment en habit, à partir de sept heures du soir. Par la porte ouverte de son cabinet, on voyait l’infortuné, courbé en deux, alignant les bronzes et les sautoirs exposés à la noce de Untel, rappelant les hauts faits des ancêtres du nouveau marié, de la nouvelle mariée. (…) Parfois, un des admis aux « mondanités » apportait lui-même sa notice, avec le tableau de ses alliances et la nomenclature des cadeaux. Alors Fleury, tout pâle et courbé jusqu’à terre, relisait ces magnificences d’une voix nasillarde, extasiée, comme si c’était pour lui que s’ouvrait la cataracte d’encriers de vermeil et de sucriers de cristal taillé promis aux tête-à-tête des conjoints.(…) Un jour, il y eut un affreux scandale. Un typographe facétieux et spirituel – comme il n’en manque pas chez les Parigots – remplaça ce cadeau, un serpent qui se mord le dos, sujet en bronze et en argent, par cet autre : un sergent qui se mord le dos, sujet en bronze et en argent. Le numéro du Gaulois fit prime, à cause de cet incomparable coquille. Meyer en demeura sombre pendant tout un jour. Je ne sais s’il diminua à cette occasion les appointements de Fleury. »

Œuvres

Le mémorialiste 
  • Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (six volumes) :
    • 1914 : Fantômes et Vivants, 1914 (période 1880-1890 : Alphonse Daudet, Zola, Hugo, Goncourt)
    • 1915 : Devant la douleur (études de médecine, maladie de son père)
    • 1915 : L'Entre-Deux-Guerres (période 1890-1904 : "Le Figaro", Barrès, Schwob, Forain et Caran d'Ache)
    • 1917 : Salons et Journaux (le salon de Mme de Loynes, le journal Le Gaulois, le salon de Mme Bulteau, le restaurant Weber)
    • 1920 : Au temps de Judas (l'affaire Dreyfus, la ligue de la Patrie française, l'affaire Syveton)
    • 1921 : Vers le roi (l'Action française, l'Académie Goncourt)
  • 1933 : Député de Paris (période 1920- 1924, « Chambre Bleu horizon »)
  • 1929- 1930 : Paris vécu, (en deux tomes, Rive droite, Rive gauche), écrit en exil à Bruxelles (souvenirs évoqués, non plus selon un ordre chronologique, mais au fil de promenades)
En hommage à la Provence 
  • 1933 : Notre Provence, en collaboration avec Charles Maurras
À la mémoire de son père 
  • 1898 : Alphonse Daudet, (écrit à la mort de son père)
  • 1940 : Quand vivait mon père, (écrit deux ans avant sa propre mort)
Le pamphlétaire 
  • 1930 : Le Nain de Lorraine - Raymond Poincaré
  • 1930 : Le Garde des Seaux - Louis Barthou
  • 1930 : Le Voyou De Passage - Aristide Briand
Le romancier 
  • 1894 : Les Morticoles
  • 1896 : Le Voyage de Shakespeare
  • 1896 : Suzanne
  • 1901 : Les Deux Étreintes
  • 1905 : Le Partage de l'enfant
  • 1911 : La Mésentente
  • 1920 : L'amour est un songe
  • 1922 : L'Entremetteuse (paru en octobre, le roman, accusé d’obscénité, soulève les protestations de certains milieux catholiques ; Léon Daudet doit annoncer en novembre sa décision de le « supprimer de son œuvre »)
  • 1931 : Les Bacchantes
  • 1935 : Médée
L'essayiste
  • 1915 : L'Avant-guerre
  • 1916 : L'Hérédo, essai sur le drame intérieur
  • 1922 : Le Stupide XIXe siècle

Notes et références

  1. Archives de l’état civil de Paris en ligne, mairie du 4e arrondissement, acte de naissance N° 3306, année 1867
  2. cité par K.Haedens dans la préface des Souvenirs Littéraires de Léon Daudet, Grasset, coll. Poche, 1968, P. 9 et 16.
  3. Fantômes et Vivants, p.1
  4. Eugen Weber, L'Action française, éd. Hachette, 1985, p. 110.
  5. Eugen Weber, L'Action française, éd. Hachette, 1985, p. 114.
  6. Eugen Weber, L'Action française, éd. Fayard, 1985, p. 127.
  7. Eugen Weber, L'Action française, éd. Fayard, 1985, p. 192.
  8. Chantal Meyer-Plantureux, Les enfants de Shylock, ou, L'antisémitisme sur scène, Éditions Complexe, 2005, 269 p., p. 148
  9. Titre de l'éditorial de l'Action française du 10 janvier 1934.

Voir aussi

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Articles connexes

Bibliographie


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  • Léon Daudet — (16 November 1867 – 30 June 1942) was a French journalist, writer, an active Orléanist, and a member of the Académie Goncourt.Move to the rightDaudet was born in Paris. His father was the novelist Alphonse Daudet and his younger brother, Lucien… …   Wikipedia

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  • Leon Degrelle — Léon Degrelle Léon Degrelle Naissance 15 juin 1906 Bouillon, Belgique Décès 31 mars 1994 (à 87 …   Wikipédia en Français

  • Daudet — may refer to: Alphonse Daudet, a French novelist Léon Daudet, a French journalist, writer, an active Orléanist, and a member of the Académie Goncourt (a son of the former) Lucien Daudet, another son of Alphonse, novelist, painter, and friend of… …   Wikipedia

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