André-Robert Andréa De Nerciat

André-Robert Andréa De Nerciat

André-Robert Andréa de Nerciat

Félicien Rops: Le Diable au corps, 1865

André-Robert Andréa de Nerciat (1739 à Dijon en France - 1800 à Naples en Italie) est un romancier français.

Sommaire

Biographie

Son œuvre tout érotique préfigure la sexualité occidentale du XXIe siècle[réf. nécessaire]. Aux antipodes de la cruauté criminelle d’un Sade, en lutte contre la culpabilisation religieuse envers les plaisirs du corps, bien loin du romantisme mal à l’aise avec le désir mal assumé, Nerciat est joyeux, convivial, imaginatif et débordant de vitalité vigoureuse. Rarement, jamais peut-être, la sexualité ne fut plus simple, plus disponible, plus immédiate et avec un bonheur d’arc-en-ciel.

Il est l’auteur de plusieurs romans libertins, dont Félicia, ou Mes Fredaines (1772), le Doctorat impromptu (1788), Mon noviciat, ou Les Joies de Lolotte (1792), Monrose, ou Le Libertin par fatalité (1792), les Aphrodites (1793) et à titre posthume le Diable au corps (1803).

D’après les études généalogiques, deux thèses coexistent sur l’origine de André-Robert Andréa de Nerciat. Le chevalier serait soit de descendance aristocratique napolitaine, soit simplement issu d’une famille bressane.

L’origine italienne, à l’évidence plus prestigieuse, fut bien souvent mise en doute au profit d’une plus humble naissance. Le débat persiste jusqu’en 1930, année où le baron Robert de Nerciat, tente de démontrer, dans une lettre écrite en 1930, l’origine aristocratique de la famille Nerciat.

Ainsi, le premier Nerciat porterait le prénom de Pierre Andréa et serait né en 1310 à Ivrée, en Piémont. Il aurait porté les titres de comte de Troja, duc d’Ascoli et vice-roi de Naples. Les doutes qui subsistent au sujet de l’origine noble ou non de Nerciat font place à la certitude lorsqu’il est question d’informations qui concernent directement le chevalier.

En effet, d’après un extrait baptistaire transcrit par Maurice Tourneux et cité dans une édition de l’œuvre de Nerciat préparée par Apollinaire, André-Robert Andréa de Nerciat naît à Dijon le 17 avril 1739. Il est le fils d’Andréa, avocat au Parlement de Bourgogne et de Bernarde de Marlot. André-Robert n’a que onze ans lorsque son père décède.

En plus d’être minimes, les informations relatives à l’enfance de Nerciat s’avèrent plutôt factuelles. D’après sa connaissance des auteurs latins qui transparaît dans ses œuvres, on infère qu’il fit de solides études. À vingt ans, soit en 1759, il embrasse la carrière militaire et entre comme lieutenant dans le bataillon de milices de la province de Bourgogne. En 1760, ce corps militaire est révoqué. Nerciat se rend alors au Danemark et s’engage dans le régiment d’infanterie d’Oldenbourg qu’il quitte en 1765. Il voyage à nouveau et, dans ces pays, il apprend l’italien et l’allemand.

Il rentre en France muni d’un brevet de capitaine et d’une retraite. On perd quelques années sa trace pour ne la retrouver qu’en 1771, lorsqu’il est reçu gendarme de la Garde ordinaire du Roi. Il fréquente alors les salons du marquis de La Roche qui faisait partie, depuis 1745, de la Garde ordinaire. Ce marquis prit ensuite le nom de Luchet (Jean-Louis Barbot de Luchet), chevalier de Saint-Louis, avec qui Nerciat brillera à la cour de Frédéric II. Le chevalier aurait, durant cette période, c’est-à-dire quatre ans, fréquenté des sociétés secrètes de libertinage. Il y puisera matière à son œuvre. On verra, lors de l’étude de ses romans, que ses personnages hors du commun ne sont pas pour autant hors du réel.

Le comte de Saint-Germain opère une réorganisation de l’armée dont une des conséquences sera le démantèlement du régiment de Nerciat. Il se trouve donc, au commencement de 1776, de nouveau sans emploi. Il exprimera le vif chagrin que lui cause la perte de sa fonction dans les Contes nouveaux, publiés en 1777. De même, par le biais de certains personnages du roman les Aphrodites, transparaît la rancune qu’il éprouve envers l’instigateur même de sa situation professionnelle plus que précaire.

En 1775 paraissent les premières œuvres du chevalier : son roman Félicia ou mes fredaines obtient un succès immédiat, contrairement à la comédie en prose, Dorimon ou le Marquis de Clarville, et non Clairville, comme l’écrit Apollinaire. - Alexandrian aurait vérifié l’orthographe sur un exemplaire de l’édition originale (Strasbourg, 1778), fait four après la première représentation à Versailles, le 18 décembre 1775. Nerciat quitte alors Paris et voyage. Il se rend en Suisse et en Allemagne où il vit de secrètes missions qu’il rend à la Cour. On suppose, nous n’en avons aucune preuve, qu’il était agent secret tout comme Mirabeau et Dumouriez. Pour qui travaillait-il ? Vu la grande instabilité politique des différentes Cours d’Europe et son impérieux besoin d’argent, on croit que Nerciat jouait sur différents tableaux et qu’il exerçait le métier d’agent double, petit jeu qui le perdra.

Il séjourne quelque temps en Belgique, plus précisément en Flandre, chez le prince de Ligne à qui il dédie ses Contes nouveaux, publiés à Liège en 1777. On perd à nouveau la trace du chevalier pour ne la retrouver qu’en 1780 lorsque le marquis de Luchet, hautement estimé par Frédéric II, régissait et dirigeait les spectacles et les plaisirs pour le souverain.

En effet, attiré à la cour de Hesse-Cassel par Luchet, qui recherche de nouvelles pièces pour le Landgrave, Nerciat lui propose, vers la fin de 1779, un opéra-comique: Constance ou l’heureuse témérité, conservé à la bibliothèque de Stuttgart. La première représentation de son opéra-comique en trois actes se déroule au théâtre de Cassel, en 1781, et semble avoir plu à Frédéric II, enorgueilli que des pièces françaises soient jouées en première à Cassel.

Fort de ce succès, Nerciat espère qu’on lui offrira une place à l’intendance des spectacles comme il avait espéré, mais on ne lui propose qu’une charge de conseiller et de sous-bibliothécaire au Musée de Cassel. Il accepte tout de même le poste et se rend dès le début de l’année 1780 à Cassel. Par reconnaissance et opportunisme, il prononce un éloge grandiloquent au souverain afin de devenir un courtisan apprécié et favorisé. Il attendra en vain d’être nommé sous-intendant des spectacles (musique et théâtre), poste promis par Luchet. Cet échec s’explique par le fait que la cour de Hesse-Cassel préfère la musique française, contrairement aux goûts allemands du XVIIIe siècle auxquels adhèrent le chevalier, qui tendent plutôt vers la musique italienne.

Dans Félicia, survient d’ailleurs un débat entre les amoureux de la musique italienne et de la musique française au cours duquel les premiers l’emportent. La préférence de Nerciat pour la musique italienne lui nuira donc puisque le glückiste marquis de Trestondam, premier gentilhomme de vénerie de 1772 à 1780 à la cour, avec qui il n’était pas en très bons termes à cause de leurs divergences de goûts musicaux, l’évinça, obtint le poste brigué par Nerciat et devint ainsi le second de Luchet dans ses fonctions de sous-intendant.

Luchet désire réorganiser la bibliothèque du Musée de Cassel, mais il est contesté par les érudits, à cause de multiples erreurs dans le classement des livres. Ce sera Nerciat, sous-bibliothécaire, qui fera les frais de la controverse suscitée par la réorganisation de la bibliothèque de Cassel. Apollinaire a mis la main sur les articles de journaux dans lesquels on l’attaque et on l’accuse d’un manque flagrant de connaissances littéraires. Nerciat, offusqué, répondra à cette accusation en se défendant de n’être qu’un exécutant et rejette ainsi la responsabilité sur le marquis de Luchet. Il quitte son poste de sous-bibliothécaire à Cassel en juin 1782 et accepte la place de surintendant des bâtiments à la cour voisine du Prince de Hesse-Rheinfels-Rotenburg. Le chevalier occupe cette charge un an seulement. Durant ces dernières années, il développe l’amour de la littérature allemande, en particulier l’anacréontique. Cet amour de la littérature allemande va, à nouveau, à l’encontre des goûts de la cour du Landgrave qui adore tout ce qui est français et méprise sa propre littérature nationale.

Durant l’année 1782, on suppose que sa première femme décède. Il aurait deux fils : un né à Paris, l’autre à Cassel. En 1783, il est de retour à Paris où il épouse Marie-Anne-Angélique Condamin de Chaussan, originaire de Lyon et âgée de dix-huit ans. Ce mariage demeure obscur, car un an auparavant, le 9 octobre 1782, naquit à Cassel un fils de Nerciat, George-Philippe-Auguste, qui considérera la seconde femme de Nerciat comme étant sa mère. Sa première femme est-elle vraiment décédée? La deuxième et la première femme seraient-elles en fait la même personne? Les registres paroissiaux de Saint-Eustache qui contenaient l’acte de mariage de Nerciat auraient pu éclairer ce point, mais ils ont brûlé au cours d’un incendie qui s’est produit en 1871. Marion-Luise Toebbens a rencontré le baron Robert de Nerciat, le 10 mai 1972, à Paris, ce qui aurait pu éclairer des points mystérieux. Toutefois, la famille de Nerciat prétexte que les archives familiales ont été détruites, à la fin de la Première Guerre mondiale, par les Allemands, et refuse ainsi de dévoiler des papiers que peut-être ils possèdent.

On suppose qu’il reprend, à son retour à Paris, en 1783, le métier « des armes » et probablement celui d’agent secret. Un fait demeure certain, au mois de mars 1783, il est fait baron du Saint-Empire. En octobre de la même année naît à Paris son second fils, André-Louis-Philippe, dont les parrains sont Louis, comte de Narbonne Lara, et Madame Philippine, landgrave régnante de Hesse-Cassel. Entre 1783 et 1786, on perd le chevalier de vue une fois de plus.

En 1786, contrairement à la fausse allégation propagée par A. Beuchot et tous les biographes de Nerciat qui affirment que le chevalier fut envoyé en Hollande par le roi de France afin de soutenir les patriotes contre le Stathouder, le chevalier au cœur républicain et patriote se trouvait déjà en Hollande lorsque le conflit éclata.

En effet, cette même année, il entre dans la légion de Luxembourg, levée en France pour le service de la Compagnie des Indes néerlandaises. Il se rend donc en Hollande, nanti d’un brevet de capitaine afin de s’embarquer pour le Ceylan. À cause de délais imposés par la Compagnie des Indes, il attendra inutilement l’embarcation qui doit l’y conduire. Aussi le chevalier décide-t-il de séjourner en Hollande, abandonnant ses projets de voyage.

Il passe ainsi l’hiver 1787 à la Haye attendant, en vain, un emploi promis par le Rhingrave de Salm. Ces heureux incidents qui concordent avec l’insurgence du parti patriotique hollandais contre le Stathouder lui fourniront l’opportunité de briller dans la carrière militaire du côté des patriotes tel que son roman Julie philosophe en sera l’écho. De fait, la ville d’Amsterdam le nomme major et ensuite lieutenant-colonel d’un régiment d’infanterie levé pour la défense d’Utrecht. Nerciat aurait alors défendu, avec bravoure, les places de Naarden et de Muyden.

Malgré ce succès, le vent tourne en faveur du Stathouder qui prend le dessus. Les autorités rétablies refusent de remplir les promesses faites par les insurgés et congédient Nerciat en ne lui offrant aucune récompense pour ses services. Sa situation financière est si précaire, semble-t-il, qu’il doit s’arrêter pendant quelque temps à Bruxelles, faute de ressources. La même année, soit 1787, il fit imprimer à Prague deux comédies-proverbes : Les rendez-vous nocturnes ou l’aventure comique et les amants singuliers ou le mariage par stratagème. En août 1788, Nerciat est de retour à Paris où il reçoit la croix de Saint-Louis. Il aurait fait paraître la même année les Galanteries du jeune chevalier de Faublas ou les folies parisiennes ainsi que le Doctorat impromptu.

Nulle correspondance n’atteste le lieu où se trouvait Nerciat à la veille de la Révolution. Par contre, une lettre, écrite à sa femme le 8 novembre 1796, révèle qu’il était à Paris durant une partie de l’année 1790. Il aurait rejoint, l’année suivante, l’armée de Condé, à Koblentz, formée exclusivement d’Émigrés français, curieuse affectation pour un homme aux sentiments républicains. Il y occupe le grade de colonel. En 1792, il devient aide de camp du duc de Brunswick à qui il aurait vendu ses services d’agent secret.

Les descendants de Nerciat tentent de masquer les activités du chevalier durant la période révolutionnaire, car il semble que Nerciat menacé par la gêne financière eut un parcours plutôt opportuniste. Peu belliqueux, dénué d’obstination propre aux révolutionnaires ou aux ultras, il semble qu’il flairait le vent qui changeait sans cesse. Son fils, Auguste de Nerciat, désire redorer l’image de son père. Aussi, dans une lettre datée du 6 décembre 1821 et adressée à Beuchot, qui préparait un article consacré à Nerciat dans Biographie universelle, Auguste de Nerciat le présente-t-il non pas comme un agent secret payé par le duc de Brunswick, mais plutôt comme un officier du chef des armées prussiennes. Nerciat aurait, sous les ordres du duc, accepté la dangereuse mission d’obtenir des garanties sur la protection de la vie de Louis XVI. De même, le baron Robert de Nerciat lorsqu’il rend visite à Emile Henriot en 1929, évoque cette mission à la fois périlleuse et respectable retranscrite dans le journal Le Temps. Pourtant, nulle archive de la correspondance de Prusse n’atteste cette mission. Au contraire, les Archives des Affaires étrangères, contiendrait une notice dans laquelle on mentionne que Certani, anagramme de Nerciat, aurait reçu du gouvernement français, le 9 septembre 1792, deux montants d’argent pour ses services d’agent secret. Il aurait donc travaillé pour le gouvernement révolutionnaire, puisque ces deux paiements correspondent à deux missions accomplies pour Lebrun, alors ministre des Affaires étrangères.

Il est tout aussi probable que le chevalier ait abandonné la cause des émigrés avant de se présenter chez Lebrun pour lui offrir ses services. Son roman Les Aphrodites contient quelques passages qui semblent confirmer cette hypothèse. De plus, à la lecture de certaines notes de ce roman, il est clair qu’il déteste les Jacobins et qu’il n’épargne nullement les aristocrates émigrés, mais il n’est pas contre la Révolution, puisqu’il fut espion pour la République. Ce qui est sûr, toutefois, c’est qu’à partir de septembre 1792, Nerciat a travaillé pour le gouvernement révolutionnaire. Les deux payements mentionnés plus haut correspondent aux deux occasions où Lebrun a envoyé le chevalier à Neuwied, en Allemagne, afin d’y porter de la correspondance. À la suite de ces deux missions, Nerciat ne peut pas rentrer en France. Il aurait alors, peut-être, exercé le métier de libraire d’abord à Neuwied, ensuite à Hambourg et enfin à Leipzig. Selon une affirmation vague et incertaine, Grouvel écrit, dans L’Armée de Condé (1961), que Nerciat aurait plutôt servi dans l’armée prussienne de 1792 à 1795. En fait, il semble avoir été un mercenaire plutôt qu’un renégat à son pays en louant ses services dans une armée étrangère qui, avant l’arrivée de Napoléon, n’était pas en guerre contre la France. C’est plutôt l’inverse: ce furent les Girondins qui déclarèrent la guerre à toute l’Europe pour répandre l’idéal révolutionnaire. Or Nerciat était, au fond, un pacifique même si, par besoin d’argent, il s’enrôla avec son titre approprié de chevalier. Un fait est certain à l’égard de ses œuvres, trois de ses romans paraissent durant cette période, soit Monrose (1792), Mon noviciat ou les joies de Lolotte (1792) et les Aphrodites (1793).

Au mois d’août 1795, l’épouse du chevalier, restée à Paris avec le fils cadet et une petite fille née en 1793, sollicite un passeport du Comité de salut public afin que son époux et Auguste, le fils aîné élevé en Allemagne, alors âgé de douze ans, puissent venir les rejoindre en France. Nerciat n’entrera pas au pays et poursuivra ses activités d’espionnage.

Aussi, en 1796, Delacroix, ministre des Affaires étrangères charge-t-il Nerciat d’une importante mission secrète. Le chevalier doit sonder à Vienne les chances d’une paix séparée avec l’Autriche. Sur le chemin qui doit le mener au lieu de ses investigations, il s’arrête dans les villes de Halle, Dresde, Prague et Leipzig. Il aurait vraisemblablement voyagé en compagnie du comte de Waldstein à qui il avait donné rendez-vous à la foire de Leipzig. On prétend qu’il aurait séjourné quelques jours avec le comte à son château de Dux en Bohème, où il aurait probablement rencontré Casanova. Il adresse régulièrement des rapports au secrétaire de Delacroix, Guiraudet, avec qui par ailleurs madame de Nerciat, faute d’avoir son mari auprès d’elle, entretiendrait des relations intimes. Il deviendra d’ailleurs son époux à la mort du chevalier.

La correspondance adressée à Guiraudet qui relate des faits qui doivent être tenus dans le secret est codé en solfège, c’est-à-dire en notes de musique. Nerciat aurait imaginé cet ingénieux langage énigmatique lors d’une correspondance avec une femme mariée. Il arrive enfin à Vienne avec un faux passeport au nom de Certani, originaire de Naples et professeur de musique. La capitale autrichienne lui offre l’opportunité de renouer avec d’anciennes connaissances dont le prince de Ligne, le prince Lubomirski, le landgrave de Hesse-Rheinfels entre autres. Nerciat vit dans la peur constante que ses amis, aristocrates, ne découvrent ses relations avec la France révolutionnaire et de perdre ainsi leur estime. Il souffre également de ce métier d’agent secret qu’il doit exercer dans l’ombre, alors que le général Clarke s’est vu confier, par le Directoire, une mission officielle à Vienne. En clair, il est difficile de choisir pour Nerciat entre l’amitié née de ses relations et de ses origines aristocratiques, et les idéaux politiques révolutionnaires qui soulèvent d’espoir tout son pays.

Le 24 décembre 1796, Nerciat reçoit l’ordre de la police viennoise de quitter la ville. Peu après son départ, au début de janvier 1797, il est soudainement arrêté à Linz, ville située à quelques kilomètres(??) à l’est(??) de Vienne. Afin d’éviter qu’on le traite en espion, il se déclare comme un agent. Le 24 janvier 1797, les autorités lui ordonnent de quitter les états autrichiens. Le soir même, ils le forcent à signer une déclaration dans laquelle le chevalier s’engage à quitter l’Empire et à n’avoir aucun contact avec les armées impériales italienne ou allemande. Nerciat, à qui les autorités paient les frais de voyage, poursuit sa route et passe par Ratisbonne et ensuite Bâle. Il souhaiterait ardemment entrer à Paris pendant quelques semaines, mais Delacroix, ministre des Affaires étrangères, l’envoie en mission ouverte à Milan afin de seconder le général Clarke qui prépare la paix de Campo Formio. Évidemment, cette affaire lui sert de couverture puisque le but véritable de son séjour à Milan est la mission secrète suivante : surveiller Joséphine Bonaparte en Italie. La résonnance italienne de son nom lui permettait de se faire passer pour un baron italien, ce qui convenait parfaitement à cette mission. Une fois le travail exécuté, Delacroix lui envoie les frais de retour afin qu’il se rende à Rome, d’où il devait retourner en France. Toutefois, au lieu de rentrer au pays, Nerciat va à Naples.

Lorsque le Directoire veut placer un surveillant habile, discret et efficace à la cour du Royaume des Deux-Siciles, Talleyrand, qui a remplacé Delacroix comme ministre des Affaires Etrangères, pense au chevalier dont il connaît les excellentes compétences, grâce aux notes de Delacroix. Malgré sa faveur auprès du Roi des Deux-Siciles qui l’a fait comte en décembre 1797, le chevalier, peu scrupuleux, joue à nouveau les agents-doubles et accepte les propositions de Talleyrand]. Peu de temps après l’avoir investi de cette mission, le ministre apprend que son agent entretient d’excellentes relations avec la cour de Naples. En effet, Nerciat n’est rien de moins que chambellan de la reine Marie-Caroline. Talleyrand révoque sur-le-champ sa nomination.

Sous les ordres de la reine Marie-Caroline, Nerciat se rend à Rome, en février 1798, en mission auprès du pape. Il tombe alors aux mains des troupes françaises commandées par le général Berthier qui avaient pris la capitale le 11 février 1798. Nerciat est emprisonné au Château Saint-Ange, ancienne forteresse des papes. Il n’est libéré qu’en septembre 1799 quand les Napolitains prennent possession du château. Malade, sans papiers, dépouillé des manuscrits de quelques ouvrages, le chevalier se retire à Naples où il meurt peu de temps après, soit en janvier 1800, probablement à cause des conditions épouvantables de son incarcération. Son roman posthume, le Diable au corps, ne paraîtra qu’en 1803.

Soldat, écrivain, diplomate, espion, agent double, le chevalier Nerciat eut une vie encore plus rocambolesque que les tourbillons licencieux de ses personnages. Sa vie fut à l’image de son époque bouleversée par des événements incontrôlables et des régimes politiques en crise et en lutte les uns contre les autres. Certes, vers la fin de sa vie, son penchant pour les aventures l’a contraint à un opportunisme de survie, dû à l’adversité des circonstances, mais ce destin, loin de toute grandeur, le préserva du martyre que connurent Condorcet ou Danton.

Si Nerciat, qui joua sur les deux tableaux (royauté ou république), souvent par nécessité financière ou par simple sécurité pour sa personne, ne fut pas aussi fin politique ou chanceux qu’un de ses illustres patrons, Talleyrand, il laisa à la postérité une œuvre littéraire autrement moins périssable. Ces romans, si raisonnables et convenables en philosophie politique, fourmillent de joie de vivre et de santé heureuse, tout à l’opposé du cynisme et de la dureté de la vie politique de son époque, particulièrement corrompue et sanglante. Si son œuvre reflète sa vie, le chevalier, subtil libertin, dut connaître à travers tant de vicissitudes professionnelles de très joyeux moments. Si elle ne la reflète nullement, cette vie chaotique dut lui être particulièrement pénible pour soutirer de lui une telle compensation imaginaire. S’il faut trancher, son œuvre est largement autobiographique et propose un miroir très fidèle des mœurs fort libres (mais sans leur corruption et leurs violences) de l’aristocratie française que la réaction, lors de la Restauration post-napoléonienne, n’avait pas encore assombri de son implacable répression des mœurs. En somme, sa vie fut aussi dangereuse que son œuvre est joyeuse.

Un grand nombre des romans signés Andrea de Nerciat sont disponibles en édition courante ou en édition de poche, certains en édition critique. Le Telescope de Zoroastre Ou Clef de la Grande Cabale Divinatoire des Mages de 1796 qui lui est attribué a été réédité en 2008.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Christophe Abramovici, préface de Félicia (1775), Andréa de Nerciat, Cadeilham, éditions Zulma, 2002, 368 p.
  • Jean-Christophe Abramovici, préface de Lolotte (1792), Andréa de Nerciat, Cadeilham, éditions Zulma, 2001, 346 p.
  • Alexandrian, Les libérateurs de l’amour, Éditions du Seuil, Paris, coll. « Points », no 79, 1977, Paris, 280 p.
  • Guillaume Apollinaire, L’œuvre du chevalier Andréa de Nerciat, Paris, Bibliothèque des curieux, 1827, 241 p.
  • Émile Henriot, «  Le chevalier de Nerciat » dans Les livres du second rayon irréguliers et libertins, Paris, Grasset, 1948, 348 p.
  • Hubert Juin, «  Un portrait d’Andréa de Nerciat », Chroniques sentimentales, Paris, Mercure de France, 1962.
  • Hubert Juin, préface de Le Diable au corps (1803), Paris, La bibliothèque oblique, 1980, tome 1, 253 p.
  • Hubert Juin, postface de Les Aphrodites, fragments thali-priapiques pour servir à l’histoire du plaisir (1793), Paris, Union générale d’édition, collection 10/18, 1997, 572 p.
  • Marion Luise Toebbens, Étude des romans libertins du chevalier de Nerciat (1739-1800), University of Alabama, 1974.
  • Raymond Trousson, Romans libertins du XVIIIe siècle, Paris, Laffont (Bouquins), 1993, 1329 p.
  • Julie Paquet, Biographie du chevalier Andréa de Nerciat (1739-1800), Campus Notre Dame de Foy, 2007.

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