- Idéal fractionnaire
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En mathématiques, et plus précisément en théorie des anneaux, un idéal fractionnaire est une généralisation de la définition d'un idéal. Ce concept doit son origine à la théorie algébrique des nombres. Pour résoudre certaines équations diophantiennes, cette théorie utilise des anneaux d'entiers généralisant celui des entiers relatifs. Ces anneaux (unitaires) ne disposent en général pas d'équivalent du théorème fondamental de l'arithmétique et il n'est pas possible de factoriser un entier en un unique produit de facteurs premiers au groupe des éléments inversibles près. Les idéaux fournissent un équivalent de ce théorème, permettant de résoudre certaines équations diophantiennes ou d'établir des lois de réciprocités équivalentes à la loi de réciprocité quadratique établie par Gauss.
Les idéaux disposent d'une multiplication, cette opération est associative et il existe un élément neutre constitué de l'anneau tout entier. En revanche, le manque d'inverse empêche de munir l'ensemble des idéaux d'une structure de groupe. Dans le cas des anneaux d'entiers, la structure possède toutes les bonnes propriétés pour offrir un contournement. Cette configuration est axiomatisée dans la définition d'un anneau de Dedekind. Dans un premier temps l'anneau est plongé dans son corps des fractions, puis la notion d'idéal est généralisée. Un idéal fractionnaire est l'analogue d'un idéal dans le corps des fractions.
Cette notion est aussi utilisée en géométrie algébrique.
Sommaire
Histoire
Une tentative de Leonhard Euler pour résoudre le dernier théorème de Fermat si n est égal à 3, l'amène à considérer[1] les nombres de la forme a + b.i.√3, où a et b sont des entiers naturels et i l'unité imaginaire. La preuve s'avère fausse, un tel anneau n'est pas factoriel, c'est-à-dire qu'il n'existe pas une unique manière de factoriser un nombre à l'aide de facteurs premiers. Par exemple, 4 est à la fois le carré de l'entier 2 et le produit (1 + i.√3).(1 - i.√3). Si la mise en œuvre est un peu maladroite, l'idée s'avère bonne, Gauss le montre en étudiant[2] l'anneau des entiers de la forme a + i.b, ici a et b sont des entiers naturels. Il est euclidien et dispose d'une bonne factorisation. Gotthold Eisenstein découvre le bon anneau d'entiers[3] pour rendre rigoureuse la démonstration d'Euler. Il est composé des nombres de la forme a + j.b, où j désigne une racine cubique de l'unité, il s'avère aussi être euclidien. Dirichlet utilise une astuce pour initialiser la démonstration le grand théorème de Fermat pour n égal à 5[4], il considère l'anneau des entiers de la forme a + b.√5. Si l'anneau reste euclidien, le groupe des unités devient plus complexe. Cette complexité, qualifiée par Dirichlet d'obstruction, est une première difficulté pour la résolution des équations diophantiennes.
Dans le cas général, il est vain d'espérer trouver trouver une structure euclidienne pour les anneaux d'entiers. Ernst Kummer en comprend la raison profonde, qu'il qualifie de deuxième obstruction. Les équivalents des nombres entiers, sur les anneaux d'entiers algébriques ne sont pas assez nombreux. Il ajoute en conséquence ce qu'il appelle des nombres idéaux[5]. Cette découverte lui permet de démontrer le grand théorème de Fermat pour toutes les valeurs de n inférieures à 100 à l'exception de 37, 59 et 67[6].
Kummer analyse les entiers algébriques du corps Q[ζn], où ζn désigne une racine primitive de l'unité, structure maintenant appelée extension cyclotomique. Richard Dedekind et Leopold Kronecker cherchent à généraliser la théorie à toute extension finie des nombres rationnels. Leurs approches sont opposées : Kronecker s'inscrit dans la tradition calculatoire, instaurée par Gauss et suivie par Kummer, tandis que Dedekind cherche une théorie fondée sur les caractéristiques structurelles des anneaux d'entiers, quitte à ne pas disposer d'algorithme effectif[7]. Cette philosophie l'amène à réécrire quatre fois son traité de la théorie des nombres. La version de 1876 contient la définition moderne d'idéal et d'idéal fractionnaire[8]. Son approche abstraite le pousse à étudier la structure algébrique des idéaux, et particulièrement leur multiplication. L'adjonction des idéaux fractionnaires assure l'existence d'un inverse. La dernière version de son traité, datée de 1894, montre en toute généralité et sous sa forme moderne l'unicité de la décomposition remplaçant le théorème fondamental de l'arithmétique[9].
Définitions
Dans tout cet article, A désigne un anneau commutatif (unitaire) et K son anneau total des fractions : si A est intègre (ce qui sera le cas la plupart du temps), K est donc le corps des fractions de A, et dans le cas général, K est l'anneau localisé S-1A de A par rapport au sous-ensemble S des éléments réguliers (i.e. non diviseurs de zéro).
- Un sous-A-module M de K est dit inversible s'il existe un sous-A-module N tel que M.N=A, où M.N désigne le sous-module produit engendré par les produits d'éléments de M et de N.
- Un idéal fractionnaire de A est une partie de K de la forme d -1J où d est un élément régulier de A et J un idéal de A. Autrement dit, c'est un sous-A-module M de K tel qu'il existe un élément régulier d de A pour lequel d.M est inclus dans A.
- Un tel idéal fractionnaire est dit principal s'il est engendré (comme A-module) par un élément, autrement dit s'il est de la forme d -1J où J est un idéal principal de A.
Attention à cette appellation trompeuse : un idéal fractionnaire de A n'est pas toujours un idéal de A. En fait les idéaux de A sont exactement, parmi ses idéaux fractionnaires, ceux qui sont inclus dans A.
On remarque aussitôt que
- tout sous-A-module inversible de K est un idéal fractionnaire,
- l'ensemble des idéaux fractionnaires inversibles forme un groupe abélien (pour le produit défini plus haut),
- tout idéal fractionnaire inversible est de type fini en tant que A-module, autrement dit est de la forme d -1J avec J idéal de type fini. En particulier, tout idéal inversible de A est de type fini,
- si un idéal fractionnaire F est inversible alors son inverse (qu'on notera F -1) est le sous-A-module de K constitué des éléments k tels que kF soit inclus dans A. Dit autrement : F est inversible si et seulement si son produit par ce sous-module est égal à A tout entier.
Caractérisations des anneaux de Dedekind
La définition d'un anneau de Dedekind adoptée par de nombreux auteurs, et reprise dans l'article Anneau de Dedekind est : anneau (commutatif unitaire) intègre, noethérien, intégralement clos, et dont tout idéal premier non nul est maximal. Nous la reprenons ici, mais nous verrons qu'elle équivaut à celle due à Dedekind (anneau dont tout idéal non nul est inversible), plus adaptée à l'objectif d'un analogue, en termes d'idéaux, du théorème fondamental de l'arithmétique.
Théorème — Les propriétés suivantes sont équivalentes :
- A est un anneau de Dedekind,
- tout idéal premier non nul de A est inversible,
- tout idéal non nul de A est inversible,
- A est intègre et tout idéal non nul de A est produit d'idéaux maximaux,
- A est intègre et tout idéal de A est produit d'idéaux premiers.
De plus, si A est un anneau de Dedekind, la décomposition de tout idéal non nul en produit d'idéaux premiers est unique (à l'ordre près des facteurs).
Démonstration: Soit P un idéal premier non nul de A. Le localisé AP étant un anneau de valuation discrète donc principal, il existe un élément t de P engendrant l'idéal P.AP de AP, c'est-à-dire tel que P soit inclus dans t.AP.
Par ailleurs, A étant noethérien, soit (p1, ... , pr) une famille finie génératrice de P. Chaque pi appartient à t.AP, donc il existe dans A un élément a n'appartenant pas à P tel que les (a/t).pi appartiennent à A, si bien que (a/t).P est inclus dans A.
Définissons l'idéal fractionnaire Q = A + (a/t)A et vérifions qu'il est inverse de P. Par construction, Q.P est un idéal de A contenant P. Puisqu'il contient aussi l'élément (a/t).t=a qui n'est pas dans P, et que P est maximal, on en déduit que Q.P = A.
: Raisonnons par l'absurde en supposant 2 vrai et 3 faux. L'hypothèse 2 entraîne que tout idéal premier est de type fini, ce qui est une condition suffisante pour que A soit noethérien[10]. L'hypothèse que 3 est faux permet alors de choisir, dans l'ensemble (supposé non vide) des idéaux non nuls et non inversibles, un élément maximal P. Montrons (pour conclure à l'absurde) qu'un tel P est premier : soient tels que et , montrons que . Considérons pour cela l'idéal Q = P + aA : il contient strictement P donc il est inversible, et PQ − 1 est un idéal de A non inversible (comme P) et contenant P, donc égal à P (par choix de ce dernier). Or il contient aussi b (puisque P contient bQ). Donc .
+ unicité de la décomposition en premiers : L'hypothèse 3 entraîne que A est intègre (car les idéaux principaux non nuls sont inversibles) et noethérien (tout idéal inversible étant de type fini). Soit I un idéal non nul de A, montrons qu'il est produit de maximaux. S'il est égal à A, c'est le cas (sous forme d'un produit indexé par le vide). Sinon, soit M1 un idéal maximal contenant I : M1 est non nul donc inversible, et est un idéal de A contenant strictement I. On construit de cette manière une suite strictement croissante d'idéaux de la forme qui (par noethérianité) est finie, c'est-à-dire qu'il existe un entier naturel n tel que , d'où . Montrons maintenant que si avec Pi premiers alors m=n et (à permutation près) . Si m=0 c'est immédiat. Sinon, comme P1 est premier et contient le produit , il contient l'un d'entre eux, disons par exemple M1 donc (par maximalité de M1) P1 = M1. En multipliant l'équation de départ par il reste , d'où (en itérant) le résultat souhaité.
: Immédiat.
: cf
- Bourbaki AC VII § 2 exercice 9, ou
- (en) Pierre Samuel et Oscar Zariski, Commutative algebra, vol. 1 chap. V § 6 theorem 10, ou encore
- théorème 11.149 (attribué à Matusita) dans Szpirglas
(dans ces trois sources, la série d'arguments est la même).
: Sous l'hypothèse 2 (qui entraîne 3, 4, 5, et l'unicité de la décomposition en premiers), on a déjà vu que A est noethérien et intègre. De plus (cf paragraphe Valuation ci-dessous) on peut associer à chaque idéal premier non nul P de A une valuation vP sur K de telle sorte que A soit l'intersection des anneaux de valuation associés. Il est donc intégralement clos (voir l'article Élément entier). Tout idéal premier non nul P est maximal (par existence d'une décomposition en maximaux et unicité de la décomposition en premiers). Ainsi, A vérifie toutes les propriétés requises pour être un anneau de Dedekind.
Il en résulte immédiatement que si A est un anneau de Dedekind alors
- le groupe des idéaux fractionnaires inversibles est le plus gros qu'on puisse espérer : il est constitué de l'ensemble Fr (A) de tous les idéaux fractionnaires non nuls, (car un tel idéal est de la forme d-1J = J.(dA)-1 avec J idéal de A non nul de A donc inversible)
- le groupe Fr (A) est le groupe abélien libre sur l'ensemble P(A) des idéaux premiers non nuls de A, c'est-à-dire que tout idéal fractionnaire se décompose de manière unique en un produit fini de puissances positives ou négatives d'idéaux premiers, (l'existence d'une telle décomposition pour les idéaux fractionnaires se déduit de celle pour les idéaux, et de l'écriture ci-dessus d'un idéal fractionnaire ; l'unicité également, en se ramenant, par produit, à des puissances positives),
- un idéal fractionnaire est un idéal de A si et seulement si toutes les puissances, dans sa décomposition en produit d'idéaux premiers, sont positives (« si » est immédiat, « seulement si » se déduit de la fin du théorème).
Valuation
Article détaillé : Valuation.On suppose ici que A est un anneau verifiant la propriété 2 du théorème précédent, et toutes ses conséquences (propriétés 3 à 5, intégrité, noethérianité, unicité de la décomposition en premiers). On va expliciter les valuations sur A qui permettent de compléter la preuve de dans ce théorème. Dans un premier temps, on se fixe idéal premier non nul P :
. L'unicité de la décomposition en facteurs premiers des idéaux fractionnaires permet, comme pour les entiers naturels ou les rationnels, de définir une valuation sur le groupe multiplicatif Fr(A) :
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- L'application vP qui à un idéal fractionnaire F non nul associe l'exposant de P dans sa décomposition en idéaux premiers, et qui associe à l'idéal nul la valeur infinie, est appelée valuation sur Fr (A) en P.
Des résultats du paragraphe précédent on déduit immédiatement que pour tous :
Ceci permet de définir une valuation sur K en restreignant vP aux idéaux fractionnaires principaux non nuls :
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- l'application qui à un élément k du corps des fractions K de A associe vP(kA) est appelée valuation sur K en P. Cette application est encore notée vP.
Sur K, la famille de valuations (vP), quand P parcourt maintenant l'ensemble P(A) des idéaux premiers non nuls, vérifie en outre :
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- Pour tout élément non nul x de A, vP(x) n'est strictement positif que pour un ensemble fini d'idéaux (et est nul pour les autres).
Autrement dit, x n'appartient qu'à un nombre fini d'idéaux premiers.
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- « Théorème d'approximation »[11] : Soient distincts, et . Il existe alors tel que
pour tout , et pour tout distinct des Pi, . Groupe des classes d'idéaux
Article détaillé : Groupe des classes d'idéaux.Les idéaux fractionnaires principaux non nuls forment un sous-groupe du groupe des idéaux fractionnaires non nuls. Le groupe quotient est appelé groupe des classes. Si A est l'anneau des entiers algébriques d'un corps de nombres alors son groupe des classes est d'ordre fini. Ce résultat est une des clés permettant de résoudre des équations diophantiennes et particulièrement celle liée au dernier théorème de Fermat.
Toutes ces propriétés sont étudiées aussi, dans le cadre plus simple des entiers quadratiques, dans l'article Idéal de l'anneau des entiers d'un corps quadratique.
Notes et références
Notes
- (en) H. M. Edwards, Fermat's Last Theorem: A Genetic Introduction to Algebraic Number Theory, Springer, 3e éd., 2000 (ISBN 978-0-387-95002-0)
- Disquisitiones arithmeticae par A.-C.-M. Poullet-Delisle, 1801 C. F. Gauss, Recherches arithmétiques, trad. française des
- John Horton Conway et Richard Guy, Le livre des nombres, Eyrolles, 1998 (ISBN 9782212036381)
- Adrien-Marie Legendre : Dirichlet, Démonstration du théorème de Fermat et de Wilson (compte-rendu par Cournot de quelques mémoires d'Abel, Jacobi et Lejeune-Dirichlet, au Journal de Crelle, t. 3, cah. 4). 1829, t. 11, p. 153-157 Il ne parvient pas à démontrer totalement le cas général, la touche finale est donnée par
- (en) H. M. Edwards, « The background of Kummer's proof of Fermat's Last Theorem for regular primes », dans Arch. History Exact Sci. 14, 1975
- CRAS, 1847 E. Kummer, Sur la théorie des nombres complexes,
- (en) Dedekind's 1871 version of the theory of ideals de Jeremy Avigad, 2004 Une analyse est proposée en introduction du texte
- ISBN 2829302893) R. Dedekind, Traité sur la théorie des nombres, trad. C. Duverney, Tricorne, Genève, 2006 (
- (de) R. Dedekind, Zur Theorie der Ideale, Nachr. der K. Ges. der Wiss. zu Göttingen, 1894
- Bourbaki AC II § 1 exercice 6
- Jean-Pierre Serre, Corps locaux [détail des éditions] p. 23, ou Bourbaki AC VII § 2 n° 4
Références
Historiques
- (en) H. M. Edwards, Divisor Theory, Birkhäuser, Boston, 1990 (ISBN 978-0-81763448-3)
- Richard Dedekind, Traité sur la théorie des nombres trad. C. Duverney, Tricorne, Genève, 2006 (ISBN 2829302893)
le livre de Dedekind donnant la définition d'idéal fractionnaire.
Mathématiques
- Bourbaki, Éléments de mathématique : Algèbre commutative
- (en) G. H. Hardy et E. M. Wright (en), An Introduction to the Theory of Numbers [détail des éditions]
- Pierre Samuel, Théorie algébrique des nombres [détail des éditions]
- Jean-Pierre Serre, Cours d'arithmétique [détail des éditions]
- Aviva Szpirglas, Algèbre L3 : Cours complet avec 400 tests et exercices corrigés [détail des éditions], en particulier le chapitre Idéaux inversibles – Anneaux de Dedekind mis en ligne par Lionel Ducos (université de Poitiers), collaborateur de ce livre
Lien externe
Bas Edixhoven (de) et Laurent Moret-Bailly, Théorie algébrique des nombres, cours de maîtrise de mathématiques, université de Rennes 1, 2004 [lire en ligne]
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