Écrouelles

Écrouelles
Henri IV touchant les écrouelles, gravure de Pierre Firens extraite de l'ouvrage d'André du Laurens, De strumis earum causis et curæ, 1609.

Écrouelles est le nom désuet d’une maladie d’origine tuberculeuse (adénopathie cervicale tuberculeuse chronique) provoquant des fistules purulentes localisées sur les ganglions lymphatiques du cou. L'agent infectieux responsable de cette maladie est une mycobactérie. Chez les adultes, c'est la Mycobacterium tuberculosis, le même agent pathogène de la tuberculose pulmonaire. Chez les enfants, la maladie est surtout causée par des mycobactéries atypiques ou non-tuberculeuses.
Elle est aussi appelée scrofule et ses traitements étaient appelés antiscrofuleux pour cette raison.

Du Moyen Âge au XIXe siècle, les rois de France et d'Angleterre sont réputés détenir le pouvoir de guérir les écrouelles par simple contact. Selon la légende, rapportée par Thomas d'Aquin[1], cette pratique remonterait à Clovis[2], mais d'après l'historien Marc Bloch, Clovis n'a jamais guéri les écrouelles[3]. En Angleterre, elle est apparue sous Édouard le Confesseur.


Sommaire

Étymologie

Le mot « écrouelles »[note 1] dérive du latin scrofa, « truie », qui exprime l’aspect dégoûtant des symptômes. Le doublet étymologique scrofule est synonyme ; scrofuleux est l'adjectif dérivé[note 2]. La maladie est également appelée, en latin, struma ou morbus regius (« mal royal »), d'où dérive le français « le mal le roi » et l'anglais King's evil[4].

Historique du toucher des écrouelles

Dans son livre Les Rois thaumaturges (1924), Marc Bloch étudie la croyance dans le toucher royal des écrouelles. L'ouvrage, mêlant ethnographie historique, histoire des mentalités et histoire comparée, s'inscrit dans une perspective d'histoire globale qui préfigure la révolution historiographique des Annales.

Origines

Le toucher royal s'inscrit dans un ensemble de croyances anciennes. Déjà chez les Germains pré-chrétiens, les rois possédaient une dimension sacrée. Tacite indique qu'ils sont sélectionnés non pas au mérite, comme le sont les chefs de guerre, mais dans la noblesse[5]. Selon Jordanès, « ils portent le titre d'Ases, c'est-à-dire de demi-dieux[6] ». De fait, plusieurs généalogies anglo-saxonnes remontent jusqu'à Wotan[7]. Cependant, aucun d'entre eux n'est réputé posséder de pouvoirs de guérison. De manière générale, les rois guérisseurs sont plutôt rares : leur action porte plutôt sur les phénomènes cosmiques ou climatiques[8]. L'impossibilité de leur attribuer la maîtrise de ces derniers dans l'Europe chrétienne explique peut-être que l'on ait fini par leur attribuer des pouvoirs thaumaturgiques[8].

La dimension sacrée de la royauté germaine subsiste par quelques traits dans l'Europe chrétienne, notamment l'importance accordée à la chevelure des Mérovingiens[9]. Malgré tout, les rois francs et anglais restent des laïcs comme les autres. La rupture intervient vers la fin du VIIe siècle : le concept de royauté sacrée s'ancre alors dans le personnage biblique de Melchisédech, prêtre et roi de Salem[10],[11]. L'onction apparaît au VIIIe siècle dans l'Espagne wisigothique ; chez les Francs, elle est utilisée pour la première fois par Pépin le Bref en 751[12]. Le rituel passe ensuite en Angleterre et s'étend à toute l'Europe. Le sacre de Louis le Pieux en 816 est le premier à associer onction et couronnement au titre impérial[13] ; ce sera désormais la règle pour les empereurs comme pour les rois. Ceux-ci sont désormais les oints du Seigneur, des « Christs ». Or le sacré est alors étroitement lié au pouvoir de guérison. Ayant reçu l'onction, les rois deviennent naturellement des thaumaturges[14].

Débuts du toucher royal

Au Moyen Âge, le terme « écrouelles » est peu précis et recouvre toute forme d'affection des ganglions, voire toute forme d'affection de la gorge et de la face : goitre, oreillons, etc[15]. Il est même possible qu'en anglais, une certaine confusion ait régné entre scrofule, scurfy (pellicules) et scurvy (scorbut)[15]. La pathologie est endémique dans certaines régions d'Europe et fréquente ailleurs ; elle est rarement mortelle, mais suscite le dégoût par les défigurations et les suppurations qu'elle occasionne[16].

L'apparition du toucher royal pour guérir les écrouelles n'est pas connue avec précision. Le premier témoignage qui en fait mention est celui de Guibert de Nogent, abbé de Nogent-sous-Coucy, dans son Des reliques des saints[17], daté de 1124 environ[18]. Guibert indique avoir vu personnellement Louis VI le Gros (règne 1108-1137) guérir des scrofuleux en les touchant et en faisant le signe de la croix, miracle qu'il qualifie d'« habituel ». Le chroniqueur ajoute que le père du roi, Philippe Ier (règne 1060-1108), pratiquait déjà ce miracle mais qu'il avait perdu son don miraculeux par suite de ses péchés — c'est-à-dire du double adultère avec Bertrade de Montfort, qui avait entraîné son excommunication.

On ne connaît aucune indication selon laquelle les rois de France des dynasties antérieures aient touché les écrouelles ou eu des pouvoirs thaumaturges en général[19]. Parmi les Mérovingiens, seul le roi Gontran († 592) est réputé avoir guéri des possédés[20] ; ce don semble être lié à sa sainteté personnelle, et non à sa royauté[21]. Il est probable que si les rois mérovingiens avaient revendiqué un pouvoir de guérison, les chroniqueurs l'auraient signalé[22]. Pour les premiers Capétiens, Helgaud de Fleury accorde à Robert le Pieux (règne 1031-1060). la grâce de « guérir les corps » : « de sa très pieuse main touchant les plaies des malades et les marquant du signe de la sainte croix, il les délivrait de la douleur et de la maladie[23]. » Comme Philippe Ier est son petit-fils et que le règne intermédiaire d'Henri Ier est mal connu, peut-être ce pouvoir est-il déjà lié à la royauté de Robert le Pieux, et non à sa sainteté personnelle[24]. Les écrouelles ne sont pas nommées explicitement : il est possible que les pouvoirs thaumaturges attribués aux rois de France aient été d'abord généralistes, avant de se spécialiser[25].

En Angleterre, le premier témoignage sur le toucher royal remonte à Pierre de Blois, un clerc français vivant à la cour d'Henri II d'Angleterre. Il évoque dans une lettre, peu après 1182, la guérison par ce roi de « cette peste qui s'attaque à l'aine » (inguinaria pestis, la peste noire) et des écrouelles. Cependant, cette mention a paru peu fiable : on ne connaît pas d'épidémie de peste noire entre le VIIe siècle et 1347[26] ; Pierre de Blois aurait donc attribué à Henri II un miracle classique, celui de repousser la peste, dont le meilleur exemple est celui du pape Grégoire le Grand en 590[27]. Si l'on écarte ce témoignage, le premier toucher royal attesté remonte à Édouard Ier en 1276[28].

Cérémonie

Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, geste évoquant le toucher royal, par Gros, 1804, musée du Louvre

Le rituel comprend un double geste : le toucher direct du malade et le signe de la croix[29]. On décrit Saint Louis comme prononçant des paroles (inconnues) lors du toucher, probablement une prière – la formule « le roi te touche, Dieu te guérit » n'est attestée qu'à partir du XVIe siècle[30]. Devant le manque de succès de la guérison, la formule s'est progressivement transformée en « le roi te touche, que Dieu te guérisse »[31]. En Angleterre, le roi récite également des prières.

Parallèlement se met en place la coutume de donner une aumône aux malades. En France, elle n'est remise qu'à ceux qui viennent de loin et varie entre 20 sous et 12 livres sous le règne de Philippe le Bel. En Angleterre, elle est systématiquement accordée et s'établit à un denier d'Édouard Ier à Édouard III. Sous Henri VIII, l'aumône est passée à une pièce d'or – appelée angel (« ange ») parce qu'elle représente l'archange Michel – valant 6 shillings 8 deniers, puis 7 shillings 8 deniers. À titre de comparaison, pendant la Grande Peste, un denier représente la paie journalière d'un ouvrier peu qualifié et un angel, les honoraires d'un médecin réputé[32]. Les comptes de l'Échiquier (ministère des Finances) permettent de connaître le nombre de malades touchés par le monarque anglais. Pour Édouard Ier, le chiffre annuel va de 1736 malades lors de la dix-huitième année de règne à 197 lors de la douzième. Ces variations importantes peuvent s'expliquer par les autres occupations du souverain : guerres, fêtes de Cour, déplacements, etc.[33] La France ne possède pas de statistiques similaires.

À l'origine, le toucher se fait de manière ponctuelle, sans régularité. Il ne devient périodique qu'à partir de Saint Louis, qui se livre au rituel un jour donné de la semaine[34]. À partir du XVe siècle, les malades se présentant au roi font d'abord l'objet d'un examen médical et d'un tri, pour départager ceux-ci qui sont effectivement atteints des écrouelles des autres.

Le toucher royal le plus spectaculaire est celui qui suit le sacre. En France, à partir de Louis X le Hutin, le lendemain de son sacre à Reims, le nouveau roi de France, suivi de sa cour, se rend en pèlerinage sur le tombeau de saint Marcoult au prieuré de Corbeny, situé sur le trajet à mi-chemin entre Reims et Laon, à l’extrémité est du Chemin des Dames. Depuis le haut Moyen Âge, on vénérait les reliques de ce saint qui prodiguait des guérisons aux malades atteints des écrouelles. Excepté sous Henri IV, empêché par la Ligue, ce rite fut suivi jusqu’au 29 mai 1825, date du sacre de Charles X.

Réappropriation par la médecine

Au début du XVIIe siècle l'opinion se répand que les écrouelles sont contagieuses. En 1643 à Reims, un hôpital est ouvert pour accueillir les personnes, surtout des enfants, atteints des écrouelles. En mai 1683, Louis XIV accorde à cet établissement, appelé Maison de Saint-Marcoul, des lettres patentes qui constituent la première mesure de lutte antituberculeuse jamais prise par les autorités[35]

En 1733, dans son ouvrage intitulé Dissertation sur la phtisie, Pierre Desault[36] (1675/1735), docteur en médecine à Bordeaux, est un des premiers à signaler la parenté entre la phtisie pulmonaire et les formes extra-pulmonaires qui portent sur les ganglions cervicaux .

Notes et références

Notes

  1. Définitions lexicographiques et étymologiques de « écrouelles » du CNRTL..
  2. Définitions lexicographiques et étymologiques de « scrofule » du CNRTL..

Références

  1. Jacques-Albin-Simon Collin de Plancy, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, Guien, 1821, p. 123
  2. Laurent Theis, Clovis: de l'histoire au mythe, Éditions Complexe, 1996, p. 128.
  3. Patricia Eichel-Lojkine et Laurent Vissière, Claude de Seyssel - Les louenges du roy Louys XIIe de ce nom : 1508, Librairie Droz, 2009, note 380 de bas de page 213
  4. Barlow, p. 4.
  5. Tacite, Germanie [détail des éditions] [lire en ligne], VII.
  6. Jordanès, Histoire des Goths, XIII.
  7. Bloch, p. 56.
  8. a et b Bloch, p. 60.
  9. Bloch, p. 61.
  10. Genèse, XIV, 18.
  11. Bloch, p. 66.
  12. Bloch, p. 68.
  13. Bloch, p. 70.
  14. Bloch, p. 78.
  15. a et b Barlow, p. 7.
  16. Bloch, p. 28.
  17. De pignoribus sanctorum, Ms. lat. 2900 BN, fol. p. 14.
  18. Barlow, p. 17.
  19. Bloch, p. 33.
  20. Historia Francorum, IX, c. 21.
  21. Bloch, p. 33-35.
  22. Bloch, p. 35. Les historiens de l'époque moderne s'appuient déjà sur cet argument, voir Guillaume du Peyrat, Histoire ecclésiastique de la Cour, 1645, p. 806.
  23. Cité par Bloch, p. 36.
  24. Bloch, p. 37-38.
  25. Bloch, p. 38.
  26. J. Le Goff et J.-N. Biraben, « La peste dans le haut Moyen Âge », Annales ESC, no6 (1969) p. 1484-1508.
  27. J. Le Goff, préface à la 2e édition de Bloch, p. XV.
  28. Barlow, p. 24.
  29. Bloch, p. 90.
  30. Bloch, p. 93.
  31. Patrick Sbalchiero, L'Église face aux miracles de l'Évangile à nos jours, Paris, Fayard, octobre 2007, 483 p. (ISBN 9782213620978) 
  32. Bloch, p. 114.
  33. Bloch, p. 101-102.
  34. Bloch, p. 94-95.
  35. Jean-Pierre Bardet, Peurs et terreurs face à la contagion, Fayard, 1988
  36. Jean Eugène Dezeimeris, Charles Prosper Ollivier, Jacques Raige-Delorme, biographie de Pierre Desault dans le Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne..., volume 2, Béchet Jeune, 1834, p. 54

Bibliographie

  • (en) Frank Barlow, « The King's Evil », The English Historical Review, vol. 95, no374 (janvier 1980), p. 3-27.
  • Marc Bloch, Les Rois thaumaturges, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1983 (1re édition 1924) (ISBN 2-07-022704-9).

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