Révolution néolithique

Révolution néolithique

La révolution néolithique fut la première révolution agricole, c'est-à-dire la transition de tribus et communautés de chasseurs-cueilleurs vers l'agriculture et la sédentarisation (la sédentarisation est actuellement remise en cause). Les données archéologiques indiquent que plusieurs formes de domestication de plantes et animaux surgirent indépendamment dans au moins 7 ou 8 régions séparées à travers le monde, et les plus anciens développements connus eurent lieu au Proche-Orient 10 000 ans av. J.-C. ou plus tôt[1].

Néanmoins, la révolution néolithique impliqua bien plus que la simple adoption d'un ensemble limité de techniques de production alimentaire. Au cours des millénaires suivants, elle transformerait les petits groupes, relativement égalitaires, de chasseurs-cueilleurs mobiles qui avaient jusque là dominé l'histoire de l'Homme, en des sociétés habitant des villages et des villes construits qui modifièrent radicalement leur environnement au moyen de techniques spécialisées d'agriculture et de conservation (par exemple l'irrigation) qui permettaient de vastes surplus de production. Ces développements favorisèrent le développement de grandes densités de population, d'une division du travail complexe, des économies de commerce, de structures administratives et politiques centralisées, d'idéologies hiérarchiques et de systèmes de connaissance dépersonnalisés (par exemple des régimes de propriété et de l'écriture). La première manifestation éclatante de toute la période néolithique se produit dans les villes sumeriennes du Proche-Orient (vers 3000 av. J.-C.), dont l'émergence inaugure la fin du Néolithique préhistorique et le commencement de l'ère historique.

La relation des caractéristiques, mentionnées ci-dessus, avec les débuts de l'agriculture au Néolithique, leur ordre d'émergence et leur relation empirique réciproque sur plusieurs sites du Néolithique sont objets de débats entre chercheurs et semble varier selon l'endroit, plutôt qu'être le résultat de lois universelles de l'évolution sociale[2],[3].

Sommaire

Transition vers l'agriculture

Ferme à Knap of Howar, sur un site occupé de 3500 av. J.-C. à 3100 av. J.-C.

C'est Vere Gordon Childe, dans les années 1920, qui créa l'expression révolution néolithique, pour décrire les premières révolutions agricoles de l'histoire du Moyen-Orient. La période est décrite comme une « révolution » pour souligner son importance et l'immense portée et le degré des changements qui affectent les communautés où ces nouvelles pratiques agricoles était progressivement adoptées et perfectionnées.

On a fait remonter le début de ce processus, en différentes régions, à peut-être 10 000 ans av. J.-C. en Mélanésie[4],[5] à 2 500 ans av. J.-C. en Afrique subsaharienne, certains chercheurs considérant que les développements de 9000-7000 av. J.-C. dans le Croissant fertile sont les plus importants.

Cette transition semble partout être associée au passage d'une vie de chasse et de cueillette nomade à une vie plus sédentarisée et agricole, avec les débuts de la domestication de diverses espèces végétales et animales, selon les espèces qui était disponibles localement, et aussi selon l'influence de la culture locale.

Il y a plusieurs théories en concurrence (mais qui ne s'excluent pas mutuellement) quant aux facteurs qui poussèrent les populations à passer à l'agriculture. Les plus importantes sont :

  • La théorie de l'oasis, proposée à l'origine par Raphael Pumpelly en 1908, vulgarisée par Vere Gordon Childe en 1928 et résumée en son ouvrage Man Makes Himself[6], qui soutient que tandis que le climat se faisait plus sec, les communautés se regroupaient vers les oasis où elles étaient forcées de cohabiter avec les animaux, lesquels furent alors domestiqués en même temps qu'était adopté l'usage de graines. Cette théorie n'est guère soutenue aujourd'hui parce que les données sur le climat de l'époque ne la confirment pas.
  • L'hypothèse des flancs vallonnés, proposée par Robert Braidwood en 1948, suggère que l'agriculture débuta sur les flancs vallonnés des monts Taurus et Zagros, où le climat n'était pas aussi sec que Childe le croyait, mais où les terres fertiles favorisaient une grande variété de plantes et d'animaux domesticables[7].
  • La théorie du festin de Brian Hayden[8] suggère que l'agriculture était motivée par l'exhibition ostentatoire du pouvoir, comme de donner des festins, en vue de dominer. Cela nécessitait de regrouper de grandes quantités de nourriture, ce qui mena à l'adoption des techniques agricoles.
  • La théorie démographique proposée par Carl Sauer[9], adaptée ensuite par Lewis Binford[10] et Kent Flannery postule une population de plus en plus sédentaire qui augmenta jusqu'à dépasser les capacités de l'environnement local et qui nécessitait plus de nourriture qu'elle ne pouvait en recueillir. Plusieurs facteurs socio-économiques favorisèrent ce besoin en nourriture.
  • La théorie de l'évolution et de l'intentionnalité, développée par David Rindos[11] avec d'autres, voit l'agriculture comme une adaptation évolutive des plantes et des hommes. Commençant avec la domestication par la protection des plantes sauvages, elle conduisit à la spécialisation de l'habitat et par la suite une domestication pleinement développée.
  • Ronald Wright, en son livre A Short History of Progress et au cours d'une série d'émissions à la radio CBC, étudie la possibilité que l'agriculture se soit développée en coïncidence avec un climat de plus en plus stable. Il étendit son cas d'étude aux problèmes actuels de réchauffement et de changement climatiques suggérant que, peut-être, un effet majeur de l'augmentation des niveaux de CO2 (gaz carbonique) dans l'atmosphère pourrait bien être un passage à un climat moins stable et plus imprévisible. Théorie développée par Ronald Wright[12].
  • Le Dryas récent, peut-être causé par un impact météorique et qui déboucha sur la fin de la dernière Ère glaciaire, fournit probablement des circonstances qui provoquèrent l'évolution des sociétés agricoles.

En contraste avec le Paléolithique, au cours duquel plus d'une espèce d'hominidé existait, seul l'une d'entre elle (Homo sapiens) parvint au Néolithique.

La domestication des plantes

Meule néolithique pour écraser le grain

Une fois que l'agriculture commença son essor, les plantes céréalières (en commençant par le blé amidonnier, le petit épeautre et l'orge) et pas simplement celles qui favorisaient une plus grande prise calorique, mais celles aux plus grandes graines, étaient choisies pour être plantées. Des plantes aux caractéristiques telles que de plus petites graines ou un goût amer étaient considérées indésirables. Des plantes qui répandaient rapidement leurs graines à maturité avaient tendance à ne pas être amassées à la moisson, donc à ne pas être engrangées et à ne pas être plantées à la saison suivante. Les années de moissons, on choisissait les souches qui retenaient leur graines comestibles plus longtemps. Plusieurs espèces de plantes, les « cultures pionnières » ou récoltes fondatrices du Néolithique, furent les premières plantes manipulées avec succès par les hommes. Certaines de ces premières tentatives échouèrent de prime abord et les récoltes furent abandonnées, parfois pour être de nouveau reprises et domestiquées avec succès des milliers d'années plus tard : la seigle, essayée et abandonnée au Néolithique en Anatolie, fit son chemin en Europe comme mauvaise herbe et y fut domestiquée avec succès, des milliers d'années après la naissance de l'agriculture[13].

La lentille sauvage présente une autre difficulté qu'il fallait surmonter : la plupart les graines sauvages ne germent pas la première année. La première trace de domestication des lentilles, brisant la dormance de la première année, fut découverte au début du Néolithique à Jerf el-Ahmar (en Syrie), et se répandit vers le sud jusqu'au site de Netiv HaGdud dans la vallée du Jourdain[13]. Ce processus de domestication permit aux récoltes fondatrices de s'adapter et finalement de devenir plus importantes, d'être plus facilement moissonnées, plus fiables pour le stockage et plus utiles aux humains.

Une faucille de moissonneur sumerienne datant de 3000 ans av. J.-C.

Les figues, l'orge et très probablement l'avoine étaient cultivées dans la Vallée du Jourdain, représentée par le site Gilgal du Néolithique inférieur, où, en 2006[14], des archéologues trouvèrent des cachettes de graines de chacune d'elles en quantités trop grandes pour être justifiée même par la culture intensive, en des strates de 11 000 ans environ. Certaines des plantes essayées puis abandonnées pendant le Néolithique au Proche-Orient, sur des sites comme Gilgal, furent domestiquées avec succès plus tard en d'autres parties du monde.

Une fois que les agriculteurs eurent perfectionné leurs techniques de culture, leurs moissons allaient rendre des surplus qui nécessitaient d'être conservés. Néanmoins, les personnes qui composent les premières populations d'agriculteurs ont une plus petite taille et semblent en moins bonne santé que celle des chasseurs-cueilleurs de la même époque : leur productivité ne devient supérieure à celle des chasseurs-cueilleurs qu'à partir d'un certain seuil (correspondant notamment à l'extension des surfaces cultivées), la production agricole nécéssitant avant ce seuil une dépense d'énergie supérieure à la cueillette, contrairement aux travaux des ethnologues qui suggéraient le contraire depuis les années 1950[15]. L'adoption de l'agriculture avant que ce seuil soit atteint peut s'expliquer par plusieurs hypothèses : la plupart des chasseurs-cueilleurs ne pouvaient guère facilement conserver leur nourriture longtemps, étant donné qu'ils avaient un mode de vie nomade, alors que ceux qui étaient sédentaires pouvaient mettre en réserve leur surplus de céréales. Autres hypothèses : la sédentarisation qui favorisa les soins aux enfants et donc la croissance démographique malgré les maladies infectieuses, des raisons d'organisations sociales, raisons symboliques, rituelles, un changement des modes de relation avec la nature ... Finalement, des greniers furent construits qui permettaient aux villages de conserver leurs graines sur des périodes plus longues. Ainsi, avec plus de nourriture, la population augmenta et les communautés développèrent des travailleurs spécialisés ainsi que des outils plus élaborés.

Le processus ne fut pas aussi linéaire qu'on le pensait, mais ce fut un effort plus complexe, entrepris par des populations humaines différentes de différentes régions en nombreuses et diverses manières.

L'agriculture en Asie

On pense que la révolution néolithique se répandit largement en Asie du Sud-Ouest vers 8500 av. J.-C., bien que des sites antérieurs aient été trouvés. Bien que les indices archéologiques fournissent des preuves insuffisantes quant à la répartition des tâches selon les sexes dans les cultures du Néolithique, la comparaison avec les données historiques et les communautés de chasseurs-cueilleurs modernes, amène à supposer généralement que ce sont principalement les hommes qui chassaient, tandis que les femmes jouaient un rôle plus important pour la cueillette. Par extrapolation, on peut théoriser que les femmes étaient principalement responsables des observations et des activités initiales qui amorcèrent la révolution néolithique, dans la mesure où la sélection graduelle et l'amélioration des espèces de plantes comestibles étaient impliquées.

La nature précise de ces observations initiales, et des activités (postérieures) raisonnées qui donneraient naissance aux changements des méthodes de subsistance apportées par la révolution néolithique, est inconnue ; les indices spécifiques manquent. Néanmoins, plusieurs théories raisonnables ont été avancées. Par exemple, on peut s'attendre que les pratiques habituelles de se débarrasser des déchets alimentaires chez les Sambaqui aient pour résultat la repousse des plantes issues de graines mises au rebut dans les terres enrichies. Selon toute probabilité, il y eut un certain nombre de facteurs qui contribuèrent aux débuts de l'agriculture dans les sociétés humaines.

L'agriculture dans le Croissant fertile

L'agriculture généralisée survint apparemment dans le Croissant fertile en raison de nombreux facteurs. Le climat méditerranéen comprend une longue saison sèche avec une courte période pluvieuse, ce qui fait qu'il convenait pour les petites plantes au grandes graines, telles que le blé et l'orge. Ceux-ci convenaient le mieux à la domestication en raison de leur facilité de moisson, de conservation et de leur disponibilité. En outre, les plantes domestiquées avaient des teneurs en protéines particulièrement élevées. Le Croissant fertile s'étendait sur une vaste zone de cadres et altitudes géographiques variées. La variété fournie rendait l'agriculture plus fructueuse pour les anciens chasseurs-cueilleurs. D'autres zones au climat similaire convenaient moins à l'agriculture en raison du manque de variation géographique à l'intérieur de cette zone et du manque de disponibilité de plantes aptes à la domestication.

L'agriculture en Afrique

La vallée du Nil, en Égypte.

La révolution néolithique se manifesta en différentes parties du monde et pas seulement dans le Croissant fertile. Sur le continent africain, trois régions ont été identifiées comme ayant développé l'agriculture indépendamment : les plateaux d'Éthiopie, le Sahel et l'Afrique de l'Ouest[16].

La plus célèbre culture domestiquée sur les plateaux d'Éthiopie est le café. Qui plus est, le khat, l'ensete, la guizotia abyssinica, le teff et l'éleusine furent également domestiqués. Le sorgho et le millet ont été cultivé d’abord au Sahel. La noix de cola, dont certains extraits se retrouvent le Coca-Cola®, fut domestiquée en premier en Afrique de l'Ouest. Le riz d'Afrique, l'igname et l'huile de palme ont été domestiqué dans cette partie du monde[16].

Un certain nombre de cultures développées en Afrique pendant des millénaires ont été domestiquées ailleurs plus tard. L'agriculture dans la vallée du Nil se développa à partir des cultures du Croissant fertile. Les bananes et les bananes plantain furent d'abord domestiquées en Asie du Sud-Est, très probablement en Papouasie-Nouvelle-Guinée[17], puis « redomestiquées » en Afrique il y a 5000 ans. Les ignames d'Asie et le taro ont également été cultivés en Afrique[16].

Le professeur Fred Wendorf et le docteur Romuald Schild, du département d'anthropologie à la Southern Methodist University, pensaient, à l'origine, avoir trouvé des indices d'agriculture primitive au Paléolithique Supérieur à Wadi Kubbaniya, sur le plateau du Kom Ombos, en Égypte, incluant un mortier et un pilon, des pierres à moudre, plusieurs instruments de moisson, du blé noirci et des graines d'orge — qui peuvent provenir d'ailleurs que cette région. Des analyses de datation au spectromètre ont depuis disqualifié leur hypothèse[18].

On trouve de nombreuses pierres à moudre semblables dans les cultures sébiliennes et méchiennes de l'ancienne Égypte et des indices d'une économie agricole, datant de 5000 av. J.-C. environ, ont été découverts[19]. Smith écrit : « Avec le recul, nous pouvons à présent voir que de nombreux peuples du Paléolithique supérieur du Vieux Monde étaient tout près de passer à la culture et à l'élevage comme alternative à la vie de chasseurs-cueilleurs. Contrairement au Moyen-Orient, cette évidence apparaît comme une « fausse aube » de l'agriculture, tandis que les sites furent abandonnés plus tard et que l'agriculture permanente fut alors reportée jusqu'à 4500 ans av. J.-C., avec les cultures tasiennes et badariennes et l'arrivée de produits agricoles et d'animaux en provenance du Proche-Orient. »

L'agriculture aux Amériques

Le maïs, le haricot et la courge furent domestiqués en Mésoamérique 3500 ans av. J.-C. environ. Les pommes de terre et le manioc le furent en Amérique du Sud. Dans ce qui constitue de nos jours l'Est des États-Unis, les Indiens domestiquèrent le tournesol, le chénopode vers 2500 av. J.-C.[16].

La domestication des animaux

Au Paléolithique, le chien était la seule espèce animale domestiquée pour l'usage de la chasse. Quand la chasse et la cueillette commencèrent à être remplacées par une production alimentaire sédentaire, il devint plus avantageux de garder les anciennes proies de l'homme à proximité des habitations. Dès lors, il devint nécessaire de ramener les animaux en permanence à leur lieu de vie, bien qu'en de nombreux cas il y eût une distinction entre des fermiers sédentaires et des éleveurs nomades. La taille des animaux, leur tempérament, leur régime alimentaire, leurs schémas de reproduction et leur durée de vie furent des facteurs dans le désir et le succès de domestiquer les animaux. Les animaux qui fournissaient du lait, tels que les vaches ou les chèvres, offraient une source de protéines renouvelables, partant assez précieuses. La capacité de l'animal à travailler (par exemple pour le labourage ou comme animal de trait), ainsi qu'à être une source de nourriture, devait aussi être prise en compte. En plus d'être une source directe de nourriture, les animaux pouvaient fournir du cuir, de la laine et de l'engrais. Certains des animaux domestiqués le plus tôt comprennent les moutons, les chèvres, les vaches et les porcs[16].

La domestication des animaux au Moyen-Orient

Caravane de dromadaires en Algérie.

Le Moyen-Orient fut la source de nombreux animaux domesticables tels que les chèvres et les cochons. Cette région fut également la première à domestiquer les dromadaires. La présence de ces animaux donna à la région un net avantage pour son développement économique et culturel. Au fur et à mesure que le climat changeait et devenait plus sec, de nombreux fermiers furent obligés de quitter la région, emportant leurs animaux domestiqués avec eux. C'est cette émigration massive du Moyen-Orient qui allait plus tard permettre la diffusion de ces animaux dans le reste de l'Afro-Eurasie. Cette émigration suivait principalement un axe Est-Ouest de climats similaires, puisque les plantes ont un optimum climatique étroit, en dehors duquel elle ne peuvent croître, en raison des changements de pluviométrie et d'ensoleillement. Par exemple, le blé ne pousse normalement pas sous les climats tropicaux, tout comme les espèces tropicales (comme les bananes) ne poussent pas sous un climat plus frais.

Certains auteurs comme Jared Diamond postulent que cet axe Est-Ouest est la raison principale pour laquelle les plantes et animaux se répandirent si vite à partir du Croissant fertile au reste de l'Eurasie et de l'Afrique du Nord, alors qu'elle ne traversa pas l'axe Nord-Sud de l'Afrique pour atteindre les climats méditerranéens de l'Afrique du Sud, où les plantes des climats tempérés ont été importées avec succès durant les 500 dernières années. Le zébu africain est une espèce séparée qui était mieux adaptée aux climats plus chauds de l'Afrique centrale que les espèces bovines domestiquées du Croissant fertile. Semblablement, l'Amérique de Nord et celle du Sud étaient séparées par l'étroit isthme tropical de Panamá, qui empêchait que les lamas des Andes fussent exportés vers les plateaux mexicains.

Les causes de la révolution néolithique

Jack Harlan, étudiant les causes de la révolution néolithique, avance six raisons principales que l'on peut régrouper en trois catéories principales :

  1. Domestication pour des raisons religieuses
  2. Domestication par surpopulation et comme conséquence des tensions dues à celle-ci
  3. Domestication résultant à partir des découvertes et fondée sur les perceptions des cueilleurs

S'agissant de la première explication, Ian Hodder, qui dirige les fouilles à Çatalhöyük (Turquie), a déclaré que les premières communautés sédentaires et la révolution néolithique qu'elles représentent, précèdent, en réalité, le développement de l'agriculture. Il développe les idées exprimées en premier lieu par Jacques Cauvin, l'archéologue du site natoufien de Mureybet, au Nord de la Syrie. Hodder croit que la révolution néolithique fut le résultat d'un changement révolutionnaire dans la psychologie humaine, une « révolution des symboles » qui amena à de nouvelles croyances sur le monde, à des rites communautaires incarnés par des figures féminines corpulentes (voir Vénus de Willendorf) et à la réunion méthodique de cornes d'aurochs.

L'anthropologue Mark Nathan Cohen avance une autre explication quant aux origines de l'agriculture. Il croit qu'après les extinctions massives de gros mammifères du Paléolithique supérieur, la population humaine s'était développée jusqu'aux limites des territoires disponibles et qu'une explosion démographique provoqua une crise alimentaire. L'agriculture fut le seul moyen de soutenir cette croissance démographique sur les territoires disponibles. Cette idée a subi de nombreuses critiques en raison du problème évident de pouvoir déterminer comment une explosion démographique pouvait se produire sans qu'il eût déjà un surplus de nourriture.

Les cueilleurs (pas les chasseurs) prenant soin des enfants, maintenant les feux et fouillant aux environs du camp de base, furent en tête du développement du langage et de la culture, dans la connaissance des plantes et des animaux à moitié domestiqués qui voyageaient avec les nomades d'un camp à un autre.

Les conséquences de la révolution néolithique

Changements sociaux

On prétend fréquemment que l'agriculture apporta aux hommes une maîtrise accrue de leur approvisionnement en nourriture, mais cette idée est battue en brèche depuis qu'on a découvert que la qualité de l'alimentation des populations néolithiques était généralement inférieure à celle des chasseurs-cueilleurs et que l'espérance de vie pourrait avoir été plus brève, en partie à cause des maladies. La taille moyenne, par exemple, baissa de 1,78 m pour les hommes et 1,68 m pour les femmes, à respectivement 1,60 m et 1,55 m, et il a fallu attendre le XXe siècle pour que la taille moyenne humaine revienne à ses niveaux pré-Néolithique[20].

En réalité, en réduisant la nécessité de porter les enfants (pendant les déplacements), les sociétés néolithiques eurent un impact majeur sur l'espacement des naissances (porter plus d'un enfant à la fois est impossible pour des chasseurs-cueilleurs, ce qui entraîne un espacement entre deux naissances de quatre ans ou plus). Cet accroissement du taux de natalité était nécessaire pour compenser l'augmentation retardée des taux de mortalité (retardée car la sédentarisation entraîne des contaminations par germes fécaux humains et animaux) ; il requérait une occupation sédentaire des territoires et encourageait l'existence de groupes sociaux plus importants.

Ces groupes sédentaires étaient capables de se reproduire à un taux plus rapide en raison de la possibilité d'élever les enfants en commun en de telles sociétés. Les enfants étaient une explication à une population plus dense et encourageaient l'introduction de la spécialisation des tâches en fournissant plusieurs formes de travail nouvelles. Le développement de sociétés plus grandes semble avoir conduit au développement de différents moyens de prise de décision et d'organisation gouvernementale. Les surplus alimentaires rendaient possibles le développement d'une élite sociale qui n'était guère impliquée dans l'agriculture, l'industrie ou le commerce, mais dominait ses communautés par d'autres moyens et par un commandement monopolisé.

Le paléodémographe Jean-Pierre Bocquet-Appel estime que sur cette période, le taux de fécondité est passé de 4-5 enfants à 7 enfants par femme en moyenne, entraînant une transition démographique importante avec un taux d'accroissement naturel de 1%, faisant passer la population mondiale de 7 millions d'individus à 200 millions[21].

Les révolutions qui suivirent

Vache domestique traite en Égypte antique

Andrew Sherratt a avancé que, succédant à la révolution néolithique, il y eut une phase de découverte qu'il nomme la révolution des produits secondaires. Il semble que les animaux aient été d'abord domestiqués seulement pour leur viande. La révolution des produits secondaires survint quand les néolithiques prirent conscience que les animaux pouvaient fournir plusieurs autres produits utiles. Cela inclut notamment :

  • des peaux et du cuir (à partir d'animaux sauvages)
  • du fumier pour les sols (à partir de tous les animaux domestiques)
  • la laine (fournie par les moutons, lamas et chèvres angora)
  • le lait (fourni par les chèvres, vaches, yaks, brebis et chamelles)
  • la force de traction (des bœufs, onagres, ânes, chevaux et chameaux)

Sherratt avance que cette phase du développement agricole permit aux hommes d'utiliser des possibilités énergétiques de leurs animaux en de nouvelles manières et favorisa une activité d'élevage et d'agriculture de subsistance intensive et permanente et permit de commencer l'exploitation de terres plus vastes pour l'élevage. Cette phase rendit également possible le pastoralisme dans les zones semi-arides, aux marges des déserts, et mena finalement à la domestication des dromadaires et des chameaux. La surexploitation de ces zones, notamment par les troupeaux de chèvres y broutant excessivement, favorisa grandement l'extension des zones désertiques. Vivre dans une seule zone devait permettre plus facilement d'accumuler les possessions personnelles et l'attachement à certains territoires. De ce point de vue, on pense que les peuples préhistoriques étaient capables de stocker la nourriture pour survivre aux temps de disette et troquer les surplus non nécessaires avec d'autres.

Une fois que le commerce et un approvisionnement alimentaire étaient établis, les populations pouvaient croître et la société finissait par se diviser entre producteurs et artisans ; les premiers avaient les moyens de développer leur commerce en raison du temps libre dont ils jouissaient grâce au surplus de nourriture. Les artisans, à leur tour, furent capables de développer certaines techniques comme les armes en métal. Une telle complexité relative devait nécessiter une certaine forme d'organisation sociale pour fonctionner efficacement. Il est donc probable que les populations avec une telle organisation, peut-être fournie par la religion, étaient mieux préparées et avaient plus de réussite. En outre, les populations plus denses pouvaient former et entretenir des légions de soldats professionnels. Aussi, durant cette période, la possession individuelle devint de plus en plus importante pour tout le monde. Enfin, Childea a avancé que cette complexité sociale croissante, ayant entièrement ses racines dans la décision de s'installer, aboutit à une deuxième révolution urbaine qui vit l'édification des premières villes.

Maladies

Lama surplombant les ruines de la cité Inca de Machu Picchu

Partout dans le développement des sociétés sédentaires, la maladie se répandit plus rapidement qu'aux temps des chasseurs-cueilleurs. Des pratiques sanitaires inadéquates et la domestication des animaux peuvent expliquer l'augmentation des morts et des maladies pendant la révolution néolithique, puisque les maladies se transmettaient des animaux aux humains. Quelques exemples de maladies transmises des animaux aux humains sont la grippe, la variole et la rougeole.

Selon un processus de sélection naturelle, les hommes qui domestiquèrent en premier les grands mammifères se forgèrent rapidement une immunité aux maladies tandis qu'à chaque génération les individus avec la meilleure immunité avaient de plus grandes chances de survivre. Durant leur 10 000 ans (en gros) de vie partagée avec les animaux, les Eurasiens et les Africains devinrent plus résistants à ces maladies en comparaison des populations indigènes rencontrées hors de l'Eurasie et de l'Afrique. Par exemple, les populations de la plupart des Caraïbes et de plusieurs Îles du Pacifique ont été complètement décimées par les maladies. L'histoire démographique des Amérindiens enseigne que 90 % de la population, en certaines régions de l'Amérique du Nord et du sud, fut anéantie bien avant tout contact direct avec les Européens. Certaines civilisations telles que les Incas avaient bien un grand mammifère domestiqué, le lama, mais les Incas n'en buvaient pas le lait ou ne vivaient pas confinés avec leurs troupeaux, réduisant ainsi le risque de contagion

[réf. nécessaire].

Le lien de cause à effet entre le type ou l'absence de développement agricole, les maladies et la colonisation n'est pas confirmé par la colonisation en d'autres parties du monde. Les maladies augmentèrent après l'établissement de l'Empire britannique en Afrique et en Inde bien que ces zones eussent des maladies desquelles les Européens n'étaient pas immunisés. En Inde, l'agriculture se développa durant le Néolithique, comprenant une grande variété d'animaux apprivoisés. Pendant la colonisation britannique, on estime que 23 millions de personnes moururent du cholera entre 1865 et 1949, et que des millions d'autres périrent de la peste, de la malaria, de la grippe et de la tuberculose.

En Afrique, la colonisation européenne s'accompagna de grandes épidémies, incluant la paludisme et la maladie du sommeil, et bien que des parties de l'Afrique colonisée fussent peu ou pas pourvues d'agriculture, les Européens étaient plus sensibles que les Africains. On a attribué l'augmentation des maladies à la mobilité croissante des populations, à une densité de population de plus en plus grande, à l'urbanisation, à la détérioration de l'environnement et à des schémas d'irrigation qui permirent à la malaria de se répandre, plutôt qu'au développement de l'agriculture[22].

Technologies

Jared Diamond, en son ouvrage Guns, Germs, and Steel (traduit en français sous le nom de De l'inégalité parmi les sociétés), soutient que les Européens et les Africains orientaux bénéficièrent d'une position géographique avantageuse qui leur donna d'entrée l'avantage dans la révolution néolithique. Les deux partageaient un climat tempéré idéal pour les premiers semis ; les deux se trouvaient à proximité d'espèces d'animaux et plantes facilement domesticables et les deux étaient plus à l'abri des attaques d'autres groupes que les civilisations de la partie centrale du continent eurasien. Étant les premiers à adopter l'agriculture et des modes de vie sédentaires, tout en étant voisins d'autres sociétés agricoles primitives avec lesquelles ils pouvaient à la fois être en concurrence et commercer, les Européens et les Africains de l'Est furent aussi parmi les premiers à bénéficier des technologies telles que les armes à feu et les épées en acier. En outre, ils développèrent des résistances aux maladies infectieuses, comme la variole, en raison de leur étroite relation avec des animaux domestiqués. Les peuples n'ayant pas vécu à proximité de gros mammifères, tels que les Aborigènes d'Australie et les Amérindiens étaient plus vulnérables aux infections et furent largement décimés par les maladies.

Pendant et après l'ère des grandes découvertes, les explorateurs européens, comme les conquistadores espagnols, rencontrèrent d'autres populations qui n'avaient jamais (ou seulement récemment) adopté l'agriculture, comme dans les Îles du Pacifique, ou n'avaient pas de grands mammifères domestiqués, comme par exemple les habitants des régions montagneuses de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Voir aussi

Références

  1. "Origin of agriculture and domestication of plants and animals linked to early Holocene climate amelioration", Anil K. Gupta*, Current Science, Vol. 87, No. 1, 10 July 2004
  2. "The Slow Birth of Agriculture", Heather Pringle
  3. "Zawi Chemi Shanidar", EMuseum, Minnesota State University
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  5. The Kuk Early Agricultural Site
  6. Gordon Childe, Man Makes Himself, Oxford university press, 1936 
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  21. Jean-Pierre Bocquet-Appel, The Neolithic Demographic Transition and its Consequences, Springer, 2008, 544 p, (ISBN 978-1-4020-8538-3)
  22. Marshall, P. J. Ed. (1996), Cambridge illustrated History: British Empire, Cambridge University Press, ISBN 0-521-00254-0, p. 142

Bibliographie et liens externes

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Sources


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