Revolte des Cipayes

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La révolte des Cipayes, aussi nommée la « grande mutinerie », est une période de soulèvement et de rébellion survenue dans le nord et le centre de l'Inde contre la domination britannique en 1857-1858. Les Indiens la considèrent parfois comme le premier mouvement pour l'indépendance de leur pays.

Sommaire

Origine

Article détaillé : Inde britannique.

Il ne s'agit pas en fait d'un mouvement limité aux forces armées comme on le présente souvent. Le mécontentement gronde alors en Inde du fait de la campagne d'occidentalisation à marche forcée imposée par la Compagnie anglaise des Indes orientales (CAIO) et le gouverneur général Dalhousie, convaincus de leur supériorité. Parmi les sujets de mécontentement se trouvent les interventions dans la politique intérieure des États indiens sous protectorat :

  • la doctrine de préemption ou doctrine du Lapse définie par Dalhousie impose la validation par l'autorité britannique des successeurs adoptés traditionnellement par les dirigeants hindous sans héritier mâle. Cette validation ne survenant évidemment pas, les territoires sont alors annexés par la CAIO comme Sâtârâ en 1848, Jhânsi en 1853 et Nagpur en 1854.
  • le titre de peshwâ, premier ministre héréditaire traditionnel marathe, est refusé en 1853 à Nânâ Sâhib, fils adoptif du peshwa en poste, et sa pension supprimée.
  • le dernier empereur moghol Muhammad Bahâdur Shâh se voit signifier qu'il serait le dernier de sa dynastie.

Les Britanniques interdisent également le mariage d'enfants, la tradition de la satî, alors qu'ils pourchassent et déciment les thugs. Les Indiens en viennent donc à penser que les Britanniques ont prévu de les convertir de gré ou de force au christianisme. Commence donc à se répandre la prophétie que la domination de la CAIO n'en avait plus que pour 100 ans.

Les Cipayes

Les Cipayes, mot venant du hindî shipahi ou soldat qui donna aussi le mot « spahi », étaient des soldats indiens servant dans l'armée de la Compagnie anglaise des Indes orientales sous les ordres d'officiers britanniques formés dans la propre école militaire de la CAIO au Royaume-Uni. Les présidences de Bombay, Madras et du Bengale maintenaient leur propre armée, chacune ayant son propre commandant en chef et entretenant plus de troupes que l'armée officielle de l'empire britannique. En 1857, elles intègrent quelque 200 000 Cipayes contre près de 40 000 soldats d'origine britannique. Mais les soldats indiens sont mécontents de certains aspects injustes ou inacceptables de la vie militaire. Par exemple, malgré leur solde relativement faible, le transport de leurs bagages vers des théâtres d'opération lointains — l'Afghanistan ou la Birmanie — restent à leurs frais. En outre, la CAIO recrute des Indiens de caste autre que brahmane et kshatriya. Par ailleurs, en 1856, on demande aux Cipayes de servir outre-mer, ce qui aurait entraîné une grande impureté pour les membres des hautes castes.

Cependant, la raison la plus fameuse est l'utilisation de graisse animale dans la fabrication des cartouches du fusil Lee-Enfield utilisé dès la fin 1856. En effet, les soldats doivent déchirer les cartouches avec leurs dents avant de les charger dans leur fusil, ce qui est, au vu de cet usage, inconcevable pour les soldats hindous et musulmans qui suspectent, les uns l'emploi de graisse de bœuf, les autres celui de graisse de porc. En janvier et février 1857, les premiers troubles éclatent dans des garnisons demeurant à Barrackpur et Berhampur au au Bengale car les Cipayes refusent d'employer les nouvelles cartouches. Les Britanniques remplacent les cartouches par des nouvelles fabriquées à base de cire d'abeille et d'huile végétale mais la rumeur persiste. En mars, Mangal Pandey, soldat du 34e régiment d'infanterie indigène, attaque son sergent britannique, blesse un adjudant-chef et retourne l'arme contre lui. Comme punition collective, le régiment entier est dissous, ce que les autres Cipayes trouvent injustifié. Quelques semaines plus tard, le 9 mai à Meerut, 85 hommes de troupe du 3e régiment de cavalerie légère refusent d'employer leurs cartouches et sont condamnés à la dégradation publique et à dix ans de travaux forcés.

Début de la révolte

Illustration contemporaine de la révolte des Cipayes d'après une perspective britannique

Dans la nuit du 10 au 11 mai, le 11e régiment de cavalerie indigène de l'armée du Bengale stationné à Meerut se mutine : les soldats libèrent tous les détenus de la prison de la ville et attaquent le cantonnement où vivent les Européens qui sont tous exterminés, femmes et enfants compris sans distinction de classe sociale, ainsi que tous les Indiens chrétiens qui s'y trouvent. Ils incendient ensuite toutes les maisons et marchent sur Delhi. Tout d'abord, les troupes britanniques ne les poursuivent pas.

Le 11, les mutins prennent Delhi avec l'appui d'autres Indiens du bazar local et attaquent le Fort Rouge, tuant cinq Britanniques — parmi lesquels un officier britannique et deux femmes — et exigeant que Bahâdur Shâh récupère son trône. Ce dernier se laisse entraîner contre son gré, devenant ainsi le chef déclaré de la rébellion. Les Cipayes continuent à massacrer tous les Européens ou chrétiens qu'ils rencontrent dans la ville.

Partisans et opposants

Les rebelles ne s'accordent pas sur leurs objectifs : beaucoup d'Indiens rejoignent les rebelles dans l'idée de restaurer les empires moghol et marathe. La rânî Lakshmî Bâî qui règne sur Jhânsi, réclamé en 1853 par les Britanniques, mène une rébellion violente. Quelques chefs des mutins appellent au jihad et beaucoup d'artisans musulmans se joignent aux mutins pour des raisons religieuses.

Cependant, tous les Indiens ne soutiennent pas la rébellion : les Sikhs du Penjab n'apprécient pas l'idée d'un retour du pouvoir moghol dont ils ont subi la répression alors qu'ils combattent dans les rangs britanniques. Dans l'Oudh, les musulmans chiites ne voient pas d'un bon œil le retour de sunnites au pouvoir. Enfin, la majeure partie du sud du pays reste en marge des évènements.

Reprise de Delhi

Les Britanniques sont lents à réagir : deux colonnes quittent Meerut et Simla et avancent lentement vers Delhi où ils combattent, tuent et pendent de nombreux Indiens le long de la route. Dans le même temps, des régiments britanniques quittent le théâtre de la guerre de Crimée pour l'Inde. Après une marche de deux mois, les Britanniques combattent le corps d'armée principal des rebelles près de Delhi, à Badl-ke-Serai, et le forcent à chercher refuge dans la ville. Les Britanniques n'étant pas assez nombreux pour mener un siège efficace de Delhi, les rebelles obtiennent facilement des ressources et des renforts. Plus tard, les Britanniques sont rejoints par la colonne des soldats sikhs du Penjab et par des éléments gurkhas.

Cependant, l'artillerie lourde tant attendue ne garantit pas une victoire facile face à la supériorité numérique des Cipayes. Les Britanniques finissent par passer la porte du Cachemire, ce qui lance une semaine de combats de rues. Mais les Sikhs se débandent après la mort de leur commandant et, quand les Britanniques atteignent le Fort Rouge, Bahâdur Shâh s'est déjà enfui à la tombe de Humayun. À la fin septembre 1857, Delhi est reprise par le général John Nicholson. Bahâdur Shâh est arrêté et, le lendemain, l'officier britannique William Hodson abat ses fils Mîrzâ Moghul, Mîrzâ Khizr Sultan et Mîrzâ Abu Bakr de sa propre autorité.

Cawnpore

Fin mai 1857, la mutinerie s'étend en Inde centrale avec la prise d'Allâhâbâd le 11 juin, au Rajasthan, à la plaine du Gange ainsi qu'au Bihar. Durant le mois de juin, les Cipayes cantonnés à Cawnpore (actuelle Kanpur) sous les ordres du général Wheeler se rebellent — semble-t-il avec l'accord tacite de Nânâ Sâhib — et assiègent le retranchement européen. Les Britanniques subissent trois semaines de siège sans eau, connaissant constamment des pertes. Le 25 juin, Nânâ Sâhib exige leur reddition et Wheeler n'a d'autre choix que d'accepter le 27 juin. Lorsque les Britanniques embarquent sur la rivière, leurs pilotes s'enfuient et un échange de coups de feu s'ensuit. Les Indiens tirent au canon sur les bateaux et couvrent le fleuve de cadavres, seule une embarcation de quatre hommes réussit à s'échapper. Les femmes et les enfants survivants sont transportés à Bibi-Ghar (« Maison des femmes ») à Cawnpore. Le 15 juillet, un groupe d'hommes y entre et tue les occupants à l'arme blanche puis découpe les corps avant de jeter les morceaux dans un puits.

Les Britanniques sont consternés par ces actes et les Cipayes perdent beaucoup de leurs partisans. Cawnpore deviendra le cri de guerre des soldats britanniques pour le reste du conflit. Nânâ Sâhib avait, lui, disparu au Népal où il demeure jusqu'à sa mort. Quand les Britanniques parviennent finalement à reprendre Cawnpore le 17 juillet, les soldats conduisent leurs prisonniers cipayes au Bibi-Ghar et les forcent à lécher les taches de sang sur les murs et le plancher puis les pendent.

Lucknow

Lucknow après la première attaque de Colin Campbell en novembre 1857 (photographie de Felice Beato)

L'État d'Oudh (actuel Uttar Pradesh) entre en rébellion peu après les événements de Meerut. Le commandant britannique de Lucknow, Henry Laurent, a assez de temps pour renforcer sa position. Il compte 1 700 hommes, y compris les Cipayes fidèles. Après des premiers assauts infructueux, les rebelles commencent à bombarder la position britannique. Laurent est l'une des premières victimes. Les rebelles essayent également d'ouvrir une brèche dans les fortifications avec des explosifs et de franchir celles-ci au moyen de tunnels souterrains qui sont le lieu de combats au corps à corps. Après 90 jours de siège, le nombre des assiégés se trouve réduit à 300 Cipayes restés fidèles, 350 soldats britanniques et à 550 non combattants. Le 25 septembre, ils sont rejoints par mille soldats du Royal Highland Regiment. En octobre, une autre unité de Highlanders commandée par Colin Campbell vient les relever et, le 18 novembre, ils évacuent finalement la position avant de retourner se retrancher dans Cawnpore qui vient d'être reprise. La ville est définitivement reprise en mars 1858 et pillée de fond en comble alors que les forces rebelles se dispersent dans l'Oudh.

La guerre fait rage au même moment dans le centre de l'Inde. Ce vaste pays de plateaux accidentés est alors une mosaïque d'états princiers sous tutelle britannique, les princes affichant presque tous une loyauté indéfectible envers le Royaume-Uni, garante intéressée dans leur stabilité, mais ils ne peuvent empêcher les Cipayes de se mutiner dans leurs garnisons. Après quelques troubles au Rajasthan, le véritable coup d'envoi du soulèvement est donné à Jhânsi où la petite communauté européenne est massacrée le 8 juin.

Revanche

Exécutions au canon lors de la révolte des Cipayes (peinture russe de Vassili Vereshchagin en 1887)

Fin 1857, les Britanniques recommencent à gagner du terrain avec la reprise de Lucknow. Du fait du début sanglant de la rébellion et suite à la trahison apparente de Nânâ Sâhib et à la boucherie de Cawnpore, la CAIO considère qu'elle n'a aucune raison de se conduire avec humanité. La presse et le gouvernement britannique ne préconisent aucune clémence. Dès le 14 septembre 1857, les Britanniques attaquent les villes soumises aux troubles en massacrant des Cipayes et des citoyens : les soldats font très peu de prisonniers, si ce n'est pour les exécuter par la suite, et des villages entiers sont exterminés sur des soupçons de sympathie avec les rebelles. Les Indiens désignent cette période comme le « vent du diable ».

Le 1er juin 1858, une promesse d'amnistie est proclamée par la reine Victoria et les derniers rebelles défaits à Gwâlior le 20 juin. Le 1er novembre marque la fin de l'extension territoriale des Britanniques dans le sous-continent indien. Toutefois, des combats sporadiques continuent jusqu'en 1859 même si la plupart des rebelles sont déjà soumis : la paix est officiellement proclamée le 9 juin par le nouveau vice-roi, Charles John Canning, alors que la dernière bataille a lieu le 12 juin. Le 8 juillet marque la fin officielle de la révolte des Cipayes. Les derniers rebelles condamnés sont attachés à la bouche de canons et réduits en morceaux.

Conséquences

Alors que la révolte faisait rage, deux événements internationaux auront une influence sur les suites de l'action britannique en Inde : l'ouverture du canal de Suez et la pose du premier câble télégraphique reliant la Grande-Bretagne et l'Inde. Ces deux nouveautés rapprochent les Britanniques et les Indiens au plan des transports et des communications.

Au lendemain de la rébellion, le gouvernement britannique décide de remanier son style de gouvernement afin d'éviter des problèmes comme ceux qui ont déclenché la révolte des Cipayes. Il entreprend de dissoudre la CAIO et de mettre les Indes sous le contrôle direct de la couronne qui gouverne depuis Londres par le biais de l'India Office. Il officialise le 12 août 1858 le Raj britannique sous le commandement d'un vice-roi des Indes et d'un Conseil de l'Inde formé de cinq membres siégeant à Calcutta. En 1876, la reine Victoria gagne le titre d'impératrice des Indes. Bahâdur Shâh, quant à lui, est jugé pour trahison et exilé. Il meurt le 7 novembre 1862 à Rangoon[1]. Le gouvernement change également radicalement la politique vis-à-vis des princes et devient très accommodant.

L'administration coloniale entame des réformes en tentant d'intégrer les castes les plus élevées et les dirigeants locaux dans le gouvernement des Indes et en supprimant la Compagnie anglaise des Indes orientales. Un mouvement de codification juridique général est amorcé. Les appropriations de terre sont stoppées, la tolérance religieuse décrétée en réponse aux rumeurs de conversion au Christianisme, et des Indiens sont admis dans la fonction publique, principalement comme subalternes; la reine Victoria aura alors constamment deux serviteurs indiens qui la suivront dans tous ses déplacements. Le gouvernement augmente également ratio de soldats britanniques par rapport aux indigènes — il y avait cinq fois plus d'Indiens que de Britanniques avant cette révolte — et seuls les soldats britanniques peuvent dorénavant servir dans l'artillerie. Dans l'armée du Bengale, il y a désormais un Indien pour un Britannique et dans celles de Bombay et de Madras deux Indiens pour un Britannique.

Très vite après la révolte, un chemin de fer est construit à travers l'Inde afin de permettre aux troupes britanniques de se déplacer plus rapidement en cas de rébellion. Le premier soulèvement anti-britannique qui a eu lieu après la révolte des Cipayes, intervient entre 1904 et 1907 au Bengale mais ce n'est que le 15 août 1947, soit environ 100 ans après la révolte des Cipayes, que l'Inde devient indépendante.

Voir aussi

Notes et Références

  1. Cf. William Dalrymple Le dernier Moghol, Les Éditions Noir sur Blanc, 2008)
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