Le protocole des sages de Sion

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Les Protocoles des Sages de Sion (en russe, Протоколы сионских мудрецов ou Сионские протоколы) est un faux document censé être un plan de conquête du monde par les Juifs et la Franc-Maçonnerie. Il fut fabriqué par Mathieu Golovinski, un Russe vivant à Paris, à la demande de la police secrète du tsar et à l'intention de Nicolas II de Russie, qui, bien qu'antisémite, refusa d'en faire un instrument de propagande , ayant rapidement découvert la surpercherie et estimant qu'ils décrédibiliseraient son combat[1]. Sa rédaction s'inspire du Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu de Maurice Joly, un pamphlet satirique décrivant un plan fictif de conquête du monde par Napoléon III.

Ce document fut écrit à la fin du XIXe siècle à Paris par un faussaire russe et informateur de la police politique tsariste, Mathieu Golovinski[2]. Le texte voulait faire croire qu'il existait un programme mis au point par un conseil de sages juifs afin d'anéantir la chrétienté et de dominer le monde. Mais l'auteur et ses commanditaires avaient des intentions plus directes et plus politiques : convaincre le tsar et son gouvernement des méfaits qui découleraient selon eux d'une trop grande ouverture à l'égard des Juifs de l'Empire, réputés comme les chantres inconditionnels de la vie moderne, et intéressés au premier chef par un changement libéral de régime[3] depuis que leur statut avait été dégradé par les tsars réactionnaires comme Alexandre III[4].

Le livre est composé de récits supposés être les comptes-rendus d'une vingtaine de réunions secrètes exposant un plan secret de domination du monde. Ce plan imaginaire utiliserait violences, ruses, guerres, révolutions et s'appuierait sur la modernisation industrielle et le capitalisme pour installer un pouvoir juif.

Ce texte a été publié à grande échelle pour faire croire au « complot juif ». Ce texte fut notamment repris par Adolf Hitler[5] comme pièce maîtresse de la propagande antisémite du Troisième Reich. Depuis lors il n'a cessé d'être lu et amplement diffusé ; il est devenu un grand classique de l'antisémitisme.

Sommaire

Introduction

Les Protocoles des Sages de Sion, parfois surtitrés Programme juif de conquête du monde, sont parus en deux temps et deux versions proches, toutes deux éditées en Russie, d'abord partiellement en 1903 dans le journal Znamia (Знамя), puis, dans une version complète, en 1905 et 1906 par le moine mystique itinérant Sergheï Nilus. Durant les quinze années suivantes, les Protocoles circulent dans les cercles restreints de la police secrète et des antisémites russes. Avec la Révolution d'Octobre en 1917, et la fuite en masse de Russes antirévolutionnaires vers l'Europe de l'ouest, l'aire d'influence des Protocoles s'élargit[6]. Ils ne deviennent cependant célèbres à l'échelle internationale qu'en 1920 lorsqu'ils sont traduits en allemand (janvier) puis en anglais (février).

Dès leur arrivée sur la scène publique, leur authenticité a fait l'objet de questionnements. Dans son édition du 8 mai 1920 The Times de Londres évoque ce « singulier petit livre » dans un éditorial titré « Le Péril juif, un pamphlet dérangeant. Demande d'enquête » ; l'article, malgré le titre dubitatif, tend à démontrer le caractère authentique du pamphlet[7], en particulier en insistant sur sa nature de prophétie réalisée. L'article du Times sort au moment où les Russes Blancs (contre-révolutionnaires) étaient en train de perdre la guerre civile qui avait débuté en 1918, et où le premier ministre britannique, Lloyd George, envisageait de négocier avec les bolchéviques ; il s'agissait alors pour les durs du parti conservateur de discréditer les nouveaux maîtres du Kremlin en agitant l'épouvantail d'une « Pax Hebraica », et le Times se prêta à la manoeuvre[8]. Un an plus tard, le 17 août 1921, le Times revient sur son erreur et publie la preuve du faux sous le titre La fin des Protocoles - mais sans convaincre grand monde puisque les thèmes développés dans les Protocoles seront repris au cours des années suivantes dans de nombreux ouvrages (pseudo-scientifiques, polémistes, ou de fiction) antisémites publiés à travers l'Europe[9].

Un faux

L'examen attentif du texte a mis en évidence la falsification : les Protocoles ne sont en fait qu'un plagiat du texte du Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, publié à Bruxelles en 1864 par Maurice Joly, qui y dénonce un complot bonapartiste. La supercherie devient évidente par simple comparaison ligne à ligne des deux textes.

La vérité sur son auteur n'a, quant à elle, été découverte qu'à la fin du XXe siècle par un historien en littérature russe : Mikhail Lépekhine grâce à l'ouverture des archives soviétiques à partir de 1992. Le faussaire est en effet devenu compagnon de route des Soviétiques qui détenaient les documents. Cependant, un membre du deuxième bureau français (Henri Rollin) a écrit et publié en 1939 un ouvrage intitulé L'apocalypse de notre temps (republié aux Éditions Allia en 2005) qui démontre et démonte le processus de création puis d'utilisation par les courants d'abord pro-tsaristes puis fasciste et nazis de ce texte. La découverte de 1992 ne vient donc que corroborer ces affirmations.

La structure du texte falsifié découverte, puis le faussaire et les causes de la falsification identifiées, il ne subsiste plus aujourd'hui aucun doute sur la nature de ce document. Pourtant, certains partis ou groupes antisémites, voire certains régimes continuent de citer les Protocoles des Sages de Sion comme preuve irréfutable d'un complot juif international. Les historiens universitaires sont cependant unanimes sur cette falsification grossière, aux conséquences paradoxalement considérables.

Histoire

Couverture d'une édition russe de 1912

Mathieu Golovinski connaît bien les techniques de la propagande, ayant travaillé dans les années 1890 pour le Département de la presse à Saint-Petersbourg dirigé par Michel Soloviev, un antisémite qui fait de Golovinski son protégé.

Exilé à Paris, il travaille au Figaro avec le fils de Maurice Joly, Charles Joly, et exerce ses talents auprès de Pierre Ratchkovski pour la police politique russe (l'Okhrana) en France. En France la politique de discrimination à l'égard des juifs par le régime de Nicolas II suscite des critiques. Les antisémites russes en exil veulent conforter le Tsar dans sa politique, voire l'inciter à la durcir.

C'est pourquoi Ratchkovski commande les Protocoles, destiné à l'origine au tsar seulement. Le texte, « authentifié » par le ministère de l'interieur malgré la réticence du plus proche conseiller du Tsar, le comte de Witte[10], se veut une preuve décisive d'un plan juif de domination du monde reposant sur la modernisation industrielle et financière.

L'antisémitisme du propos va de pair avec l'antimaçonnisme. Pierre-André Taguieff indique que le titre en russe d'une des deux premières éditions en 1905 était « Extraits des protocoles anciens et modernes des Sages de Sion de la société mondiale des francs-maçons[11] » et qu'il s'agissait de promouvoir l'image de « Sages de Sion, figures fictives du mythe anti-judéo-maçonnique[12] » . L'auteur des Protocoles fait en effet dire aux juifs : « La Loge maçonnique joue, inconsciemment, dans le monde entier, le rôle d'un masque qui cache notre but. »

Origines littéraires

Le Protocole des Sages de Sion et de façon plus générale le mythe du complot juif, trouve son origine littéraire dans le roman-feuilleton français du XVIIIe siècle. Comme le remarque Umberto Eco, le protocole « révèle son origine romanesque car il est peu crédible, sauf dans l'œuvre de Sue que les « méchants » expriment de façon si voyante et si éhontée leurs projets maléfiques [...] : « nous avons une ambition sans limites, une cupidité dévorante, nous sommes acharnés à une vengeance impitoyable et brûlante de haine ».» [13]. Le modèle du pamphlet anti-bonapartiste de Maurice Joly, qui sera copié par Golovinsky, est le complot jésuitique de Monsieur Rodin dans Le Juif errant et Les mystères du Peuple d'Eugène Sue.

Un autre modèle littéraire est la rencontre entre Cagliostro et les Illuminés pour ourdir le complot maçonnique de l'affaire du collier de la reine dans Joseph Balsamo (1849) d'Alexandre Dumas. En 1868, un auteur de libelles calomnieux, Hermann Goedsche publie sous le pseudonyme de Sir John Retcliffe, un roman populaire Biarritz où il plagie Dumas, en mettant en scène le Grand Rabbin annonçant son plan de conquête du monde aux représentants des douze tribus d'Israël réunis dans le cimetière de Prague. En 1873, le roman est repris par un pamphlet russe Les Juifs, maîtres du monde, présenté comme une vraie chronique. En 1881, Le Contemporain le publie comme venant d'un diplomate anglais, Sir John Readcliff. En 1896, c'est le Grand Rabbin qui se nomme John Readcliff, dans Les Juifs, nos contemporains de François Bourmand. Le plan jésuite de Sue, mélé à la réunion maçonnique de Dumas, attribué par Joly à Napoléon III, devient ainsi le complot juif, et sera repris sous diverses formes, avant le faux de Golovinski.

Utilisations

Ce texte servit par la suite d'instrument de propagande antisémite, aux nazis notamment. Caractérisant les Juifs sur des bases racistes et non plus seulement religieuses, il fut et reste un des véhicules majeurs de l'antisémitisme moderne, utilisant la logique de la théorie du complot.

L'ouvrage a été interdit en France par un arrêté de mai 1990[14]. Il est également interdit en Suisse depuis 1935[15]. Il jouit d'une certaine popularité parmi les populations du Moyen-Orient où il est régulièrement réédité dans la plupart des pays musulmans, depuis sa première traduction en arabe et édition en Egypte, en 1951. Les Protocoles figurent comme référence dans la Charte du mouvement islamiste palestinien Hamas. Voir les notes ci-dessous sur la place qu'occupe ce texte, premièrement dans la plupart des pays musulmans[16], et deuxièmement sur la diffusion du texte des « Protocoles » dans les pays arabes[17].

Il est également popularisé par divers feuilletons télévisés, diffusés à grande échelle :

  • un feuilleton télévisé égyptien, repris par de nombreuses télévisions arabes, Cavalier sans monture, qui évoque de façon centrale dans l'intrigue les Protocoles des Sages de Sion présenté comme un livre tenu secret par des Juifs mais supposé authentique[18] ;
  • le feuilleton Diaspora, diffusé par Al-Manar, la télévision du Hezbollah ;
  • une série télévisée Al-Sameri wa Al-Saher, sur Al-Alam Télévision, la télévision iranienne, comprenant non seulement une dénonciation du supposé pouvoir des juifs sur le monde, mais un négationnisme ouvertement exprimé à l'égard des crimes commis envers les juifs.

Toutes ces diffusions sont très populaires et largement reprises par de nombreuses autres télévisions nationales[19].

Au terme d'une de ses études sur les Protocoles, Pierre-André Taguieff propose cinq fonctions qu'ils peuvent remplir dans l'imaginaire - et dans la réalité, puisque la mise à jour d'un complot (n'existant que dans l'esprit de ses découvreurs) est souvent suivie de l'organisation bien réelle d'un contre-complot :

  1. aider à l'identification des forces occultes à l'origine du complot chimériques - et confirmer qu'elles sont impitoyables ;
  2. lutter contre ces forces en révélant les secrets qui les rendent puissantes ;
  3. justifier la contre-attaque contre l'ennemi désormais clairement identifié comme totalement néfaste ;
  4. mobiliser les foules (et/ou les autorités) pour la cause que les révélateurs du complot défendent ;
  5. recréer un monde enchanté, fût-il épouvantable et terrorisant[20].

Les Protocoles ont effectivement rempli ces fonctions à travers les décennies et bientôt les siècles, et leur utilisation sans cesse réactualisée démontre s'il le faut la recherche permanente d'explications pseudo-rationnelles à la marche du monde[21] : rédigés pour lutter contre les révolutionnaires anti-tsaristes, les Protocoles ont servi aux visées anti-sémites, anti-sionistes, anti-américaines et, plus récemment, anti-mondialisation.

Notes et références

  1. Pierre-André Taguieff, Les protocoles des sages de sion histoire d'un faux
  2. (en) Binjamin W. Segel, A Lie and a Libel: The History of the Protocols of the Elders of Zion, University of Nebraska Press (ISBN 0-8032-9245-7) p. 97.
  3. P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial - Aspects d'un mythe moderne, éd. Mille et une nuits, 2006, p. 118-119.
  4. Léon Poliakov, Mémoires, éd. Grancher, 1999, pp. 21-22.
  5. Mein Kampf, p. 307
  6. P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, 2006, p. 120-121.
  7. P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, 2006, p. 123.
  8. Léon Poliakov, De Moscou à Beyrouth. Essai sur la désinformation, Calmann-Lévy, 1983, p. 27. (ISBN 2-7021-1240-4)
  9. P.-A. Taguieff, op. cit., p. 123 ; et L. Poliakov, De Moscou à Beyrouth, op. cit., p. 27.
  10. Vladimir Fédorovski, De Raspoutine à Poutine, éd. Tempus, p. 26.
  11. P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, coll. Les petits libres n° 63, 2006, p. 114.
  12. P.-A. Taguieff, L'imaginaire du complot mondial, Mille et une nuits, coll. Les petits libres n° 63, 2006, p. 116.
  13. Umberto Eco De la littérature Grasset 2003, p.367-370
  14. arrêté du 25 mai 1990 interdisant la circulation, la distribution et la mise en vente d'un ouvrage (JORF n°121 du 26 mai 1990), pris sur le fondement d'un décret-loi abrogé du 6 mai 1939
  15. « Les Protocoles des Sages de Sion »
  16. http://www.lamed.fr/actualite/israel/1384.asp ; http://www.phdn.org/antisem/protocoles/origines.html Article de L'Express, Eric Conan, 16/11/1999
  17. http://www.col.fr/arche/article.php3?id_article=120
  18. Plot Summary: Horseman Without A Horse
  19. col.fr
  20. P.-A. Taguieff, L'Imaginaire du complot mondial, pp. 192-193.
  21. P.-A. Taguieff, op. cit.

Les « Protocoles » commentés

  • Pierre-André Taguieff, Les Protocoles des Sages de Sion, Paris, Berg International, 1992
    • Tome I : Un faux et ses usages dans le siècle (408 p.) ; édition revue et augmentée, Fayard 2004 (ISBN 2-213-62148-9)
    • Tome II : Études et documents (816 p.). (ISBN 2-911289-57-9)

Bibliographie

  • Norman Cohn, Histoire d'un mythe Gallimard, coll. Folio Histoire, 302 p. (ISBN 2-07-032692-6)
  • Will Eisner, Le Complot : L'histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion (bande dessinée), préface d'Umberto Eco, Éd. Grasset, 143 p. (ISBN 2-246-68601-6)
  • Philip Graves, « The Truth about the Protocols: A Literary Forgery », dans The Times of London, 16-18 août 1921. [lire en ligne]
  • Renée Neher-Bernheim, « Le best-seller actuel de la littérature antisémite: Les Protocoles des Sages de Sion », Pardès, 8, 1988.
  • Cesare G. De Michelis, « Les Protocoles des sages de Sion », Cahiers du Monde Russe, n°38-3, 1997. [lire en ligne]
  • Léon Poliakov, La Causalité diabolique, Paris, Calmann-Lévy, 1980.
  • Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme (de Voltaire à Wagner), Paris, Calmann-Lévy,

1968.

  • Henri Rollin, L'apocalypse de notre temps, Éditions Allia, 1991 — 1re édition 1939.
  • Pierre-André Taguieff, L'imaginaire du complot mondial - Aspects d'un mythe moderne Mille et une nuits, coll. Les petits libres n° 63, 2006, 216 p. (synthèse et analyse générale de la création d'un complot, avec l'exemple du complot antisémite : la seconde partie, pp. 109-192 relate la genèse et le destin à travers les décennies qu'ont connu les Protocoles des Sages de Sion) (ISBN 2-84205-980-8)

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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