Crise du 6 février 1934

Crise du 6 février 1934

La date du 6 février 1934 fait référence à une manifestation antigouvernemantale organisée à Paris devant la Chambre des députés par des groupes de droite et les ligues d’extrême droite pour protester contre le limogeage du préfet de police Jean Chiappe et qui tourne à l'émeute sur la place de la Concorde. La répression de la gendarmerie mobile fut sévère: 15 tués (dont un gendarme) et 956489 blessés graves[réf. nécessaire].

Sommaire

La crise des années 1930 et l'Affaire Stavisky

La France a été touchée à partir de 1931 par la Grande dépression, née en 1929 aux États-Unis. La crise économique et sociale frappe particulièrement les classes moyennes, soutien traditionnel de la république, le chômage passant de 273 000 personnes en 1932 à 340 000 en 1934[1]. Or, le pouvoir se révèle incapable d'apporter des solutions et son budget devient fortement déficitaire. Les gouvernements se succèdent (six gouvernements de mai 1932 à février 1934), constitués des mêmes hommes de la majorité, tour à tour institués puis discrédités.

L'antiparlementarisme a aussi été alimenté par une succession de scandales politico-financiers : affaire Hanau (Marthe Hanau avait utilisé ses appuis politiques pour attirer, grâce à son journal La Gazette du franc, les économies des petits épargnants), affaire Oustric (la faillite frauduleuse du banquier Oustric précipita en 1930 la chute du gouvernement d'André Tardieu, dont le Garde des Sceaux était mêlé à l’affaire), et enfin, cause directe des événements du 6 février, affaire Stavisky.

Ce nouveau scandale, impliquant le Crédit municipal de Bayonne, éclate en décembre 1933. Apparaît alors le personnage d'Alexandre Stavisky, escroc lié à plusieurs parlementaires radicaux, dont un ministre du gouvernement du radical-socialiste Camille Chautemps. La presse révèle ensuite qu'Alexandre Stavisky a bénéficié de dix-neuf remises de son procès, alors que le Parquet est dirigé par le beau-frère de Camille Chautemps. Le 8 janvier 1934, Alexandre Stavisky est retrouvé mort. Selon la version policière, il se serait suicidé, ce qui suscite l’incrédulité. Pour la droite, il a été assassiné sur l'ordre de Chautemps, afin d’éviter des révélations. Quand, le 12 janvier, le député Jean Ybarnegaray demande devant la Chambre une commission d'enquête, Camille Chautemps refuse : "Laissons la justice faire son travail."[2].

Dès le soir du 9 janvier, l'Action Française manifeste[3]. Son numéro du 9 janvier proclame : "Aujourd'hui, jour de rentrée du Parlement, à l'heure de sortie de vos ateliers et de vos bureaux, nous vous engageons à venir en foule autour du Palais-Bourbon et aux cris de "A bas les voleurs ! A bas les assassins !" exiger la justice et l'honneur."[4] 2000 membres et sympathisants répondent à l'appel le premier soir. Le 11 janvier, l'arrestation de M. Aymard, rédacteur au journal Liberté, et de M. Dubarry, directeur de Volonté, jette 4800 manifestants sur le pavé, où l'Action Française est rejointe par les Jeunesses Patriotes[5]. La pluie rebute les protestataires le 12 janvier, mais les démonstrations reprennent, aussi nombreuses, les 19 et 20 janvier. Les étudiants de l'Action Française et les Camelots du Roi scandent : "A bas Chautemps ! A bas les voleurs ! Stavisky au Panthéon !" Un nouveau débat sur l'affaire Stavisky le 23 janvier aboutit à un vote de confiance de la Chambre, majoritairement à gauche, en faveur du Président du Conseil Camille Chautemps (367 voix contre 201)[6]. La Ligue des Contribuables descend à son tour dans la rue, mais à un autre point de rendez-vous que celui de l'Action Française. Le 27 janvier, la manifestation se grossit de communistes, qui réclament des soviets et chantent l'Internationale[7]. Le Garde des Sceaux, M. Raynaldy, étant mouillé à son tour, il se retire et le Président du Conseil jette l'éponge. La démission du cabinet Chautemps apaise les revendications. En trois semaines, il y a eu près de 2000 arrestations et plusieurs centaines d'agents de force de l'ordre ont été blessés. M. Pujo, de l'Action Française, expliquera plus tard à la commission d'enquête : "On me dira qu'il est scandaleux d'arracher des bancs, de déraciner des arbres, de jeter sur la voie publique des grilles d'arbres. Il est certain que nous avons cherché le désordre dans la rue. Les manifestations n'ont pas d'autre but."[8].

Le Président de la République Lebrun appelle le radical Edouard Daladier à constituer un nouveau gouvernement. Celui-ci reprend huit membres du précédent cabinet, mais y ajoute deux républicains de gauche (MM. Piétri et Doussain), ainsi qu'un républicain du centre (M. Fabry). Eugène Frot, homme nouveau et franc-maçon de la loge Anatole France, obtient le ministère de l'Intérieur.

Tandis que la droite tente d’utiliser l’affaire Stavisky pour remplacer la majorité issue des élections de 1932, remportées par le Cartel des gauches, l’extrême-droite frappe plus fort : antisémitisme, xénophobie (Alexandre Stavisky est un Juif ukrainien naturalisé), hostilité à la franc-maçonnerie (dont Chautemps fait lui aussi partie), antiparlementarisme. Selon l'historien Serge Berstein, l'affaire Stavisky n'est exceptionnelle ni par sa gravité ni par les personnalités mises en cause, mais par la volonté de la droite de faire chuter un gouvernement de gauche sur ce thème, profitant du fait que les radicaux n'ont pas la majorité absolue à la Chambre des députés et forment donc des gouvernements fragiles. Du point de vue de la droite, ce énième scandale est la goutte d'eau qui fait déborder le vase des compromissions.

Le déclenchement de la crise du 6 février

Le 3 février 1934, Paris apprend que son Préfet de Police, Jean Chiappe, est muté au Maroc : Edouard Daladier applique une série de mutations-promotions-sanctions pour éloigner les hommes éclaboussés par l'affaire Stavisky. Or le Préfet de Police est haï de la gauche, dont il entrave sans violence les manifestations depuis 7 ans, mais très aimé de la droite et de l'extrême-droite, pour lesquelles il manifeste une grande indulgence[9]. Les journaux de gauche l'accusent depuis plusieurs semaines d'être impliqué dans l’affaire Stavisky, mais la droite dénonce le résultat d’un marchandage avec les députés de la SFIO : départ de Chiappe contre soutien au nouveau gouvernement. Le Préfet de la Seine, M. Renard, démissionne, ainsi que les ministres Piétri, Doussain et Fabry. Le bruit court que le général Weygaud, en conflit avec le Président du Conseil, sera le prochain sur la liste des mutations.

Aussitôt des appels à manifester sont placardés partout dans Paris : rendez-vous le 6 février (jour où le nouveau gouvernement doit être présenté à la Chambre) sur la place de la Concorde, à des horaires variables selon l'origine de la protestation. Les Jeunesses Patriotes craignent une épuration anticléricale et antipatriotique : "Demain, cédant à la pression de l'Allemagne, un des organisateurs de la victoire sera mis dans l'obligation de partir : le général Weygand. Une formidable hécatombe se prépare dans l'armée, dans la magistrature, à tous les degrés de l'administration vont être frappés ceux qui ont donné des preuves de leur indépendance et de leur patriotisme. Le régime des fiches va renaître ! Le délit d'opinion est rétabli."[10]. Les Phalanges universitaires interprètent la mutation du Préfet de Police comme le signal d'une révolution d'extrême-gauche : "Au moment où les révolutionnaires communistes décident de "tenter le coup", on leur prépare des complaisances policières. [...] Gouvernement de voleurs, de traîtres !" [11] Le Front universitaire appelle à un rassemblement indépendant des affinités politiques : "Etudiants, en dehors et au-dessus des partis, indépendants de toutes les organisations de droite ou de gauche, nous venons faire appel à ceux de nos camarades qui se sont toujours refusés, comme nous-mêmes à faire de la politique. La France est en péril. Demain, les organisations révolutionnaires essaieront de s'emparer du pouvoir et livreront sans défense notre pays à l'envahisseur. Il n'est pas nécessaire d'être inscrit à un groupe pour se révolter devant les effroyables scandales qui condamnent aujourd'hui le système de ceux qui en vivent. Pour l'honneur de notre génération, les étudiants doivent se dresser et prendre la tête du grand mouvement national qui se dessine."[12].

La plupart des journaux de Paris s'indignent : la Liberté, L'Ami du Peuple, L'Intransigeant, l'Echo de Paris, le Petit Parisien prennent fait et cause pour Jean Chiappe et publient des appels à manifester le 6 février à des endroits divers. L'Ami du Peuple, relayant l'appel de Solidarité Française, écrit : "Il faut que le Gouvernement se rende compte que le peuple est réveillé et qu'il avance, décidé à en finir avec les internationaux révolutionnaires et les politiciens pourris."[8]

Le gouvernement Daladier pense avoir affaire à une simple manoeuvre politique qu'une démonstration de la force publique suffira à calmer. Les partis de gauche accréditeront, après le 6 février, une théorie du complot destinée à renverser la république. Cette thèse est contestée par M. Noedts, commissaire à la Direction des renseignements généraux, et par M. Perrier, directeur à la Préfecture de Police, lors de leur interrogatoire par la commission d'enquête parlementaire[13]. Marcel Déat, alors député de la SFIO, écrit en 1934 : "Le 6 février, place de la Concorde, il y avait des réactionnaires, des fascistes, des petites troupes organisées et courageuses, oui ; mais il y avait aussi une foule énorme de braves gens qui n'avaient pas d'opinion politique mais qui, par contre, avaient des sujets de mécontentement et de colère. Il y avait même des radicaux et des socialistes et s'ils manifestaient c'était contre les saligauds qui déshonorent la République."[14]

Dans l'atmosphère surchauffée des premiers jours de février, les journaux parlent d'un recours à l'armée pour contrer la manifestation prévue. L'Action Française et l'Echo de Paris évoquent, photographies à l'appui, des mitrailleuses transportées vers le Palais-Bourbon. Celles-ci font en fait partie d'un cortège de troupes venu rendre des honneurs militaires au général Lefèvre enterré ce jour-là. Le Jour et la Liberté annonce un rassemblement de tanks dans les casernes de la rive gauche. La Fédération des Contribuables s'en plaint dans une lettre ouverte au Président de la République."[15].

Le soir du 6 février 1934

Les différentes manifestations

Le 6 février, plusieurs manifestations ont lieu simultanément. Les ligues d’extrême-droite, qui jouent un rôle très important dans l'entre-deux-guerres, notamment lorsque la gauche est au pouvoir, ce qui est le cas depuis les élections législatives de 1932, forment plusieurs cortèges.

Parmi les principales ligues présentes le 6 février, la plus ancienne est l’Action française. Fondée en 1898/1899 par Maurice Pujo, Henri Vaugeois et Charles Maurras (60 000 membres revendiqués), elle a pour but de renverser « la gueuse » (la République) afin de restaurer la monarchie. Elle s’appuie sur les Camelots du Roi, qui, malgré des effectifs assez limités, sont très actifs dans la rue. De fondation plus récente (1924), les Jeunesses patriotes, qui revendiquent l’héritage de la Ligue des patriotes, comptent 90 000 membres dont 1 500 font partie des « groupes mobiles ». Créées par Pierre Taittinger, député de Paris, elles entretiennent des rapports étroits avec des hommes politiques de droite, et comptent dans leurs rangs plusieurs conseillers municipaux de la capitale. Quant à la Solidarité française, fondée en 1933 par le richissime parfumeur François Coty, elle est dépourvue d’objectif politique précis et ses effectifs sont moins élevés. Mentionnons enfin, bien que ses effectifs soient insignifiants, le francisme de Marcel Bucard.

Les Croix-de-feu, créées en 1926 sous la forme d’une association d’anciens combattants, ont élargi leur recrutement à d’autres catégories sous l’impulsion de leur chef, le colonel de la Rocque. Bien que son caractère fascisant soit discuté, les Croix-de-feu s’apparentent à une ligue, la première en nombre d’adhérents. Elles aussi sont dotées de groupes de combat et de défense, les « dispos ».

La Fédération des contribuables, dont les dirigeants ont des objectifs politiques proches de ceux des ligues, appelle à manifester dès le mois de janvier.

En plus des manifestants de janvier, les très puissantes associations d’anciens combattants appellent aussi à la mobilisation le 6 février. La plus importante d’entre elles, l'Union nationale des combattants (UNC), dont les idées sont proches de la droite et qui est présidée par un conseiller municipal de Paris, compte pas moins de 900 000 membres. Mais l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC), satellite officieux du Parti communiste français, appelle également ses troupes à défiler le 6 février, bien que sur des mots d’ordre différents.

La marche

Les ligues de droite et d’anciens combattants appellent donc à manifester le jour même de l'investiture de Daladier, à Paris, place de la Concorde, en face de la Chambre des députés (le Palais Bourbon). Au total 30 000 manifestants dont une bonne majorité d'anciens combattants. Tous se mobilisent sur le thème : « À bas les voleurs ! »[note 1].

Les ligueurs d'extrême-droite sont au premier rang de cette manifestation antiparlementaire[16],[17]. La journée débute par des réunions place de la Concorde[18], où toutes les ligues sont présentes.

À l'Hôtel de Ville, un gouvernement provisoire est en place[19],[20], composé d'un certain nombre de conseillers municipaux dont beaucoup sont en même temps députés de Paris[19],[21],[20]. Les Jeunesses patriotes sont placées sur l'ancienne place de Grève lui faisant face[22] pour attendre l'heure de l'avènement de ce nouveau gouvernement, selon la tradition, au balcon de l'Hôtel de Ville. Des camelots, Maxime Real del Sarte et Binet-Valmer y sont envoyés en tant qu'agents de liaison[23], l'Action française, pour sa part, ayant donné rendez-vous à ses ligueurs et camelots le croisement du boulevard Saint-Germain et du boulevard Raspail[24]. « Ces voies larges, de plain-pied avec le Palais-Bourbon, avaient facilité nos manœuvres ; elles étaient difficiles à barrer et constituaient le meilleur accès vers la Chambre » dira, plus tard, Maurice Pujo[24].

La Chambre des députés est l'objectif à atteindre[22]. Tandis que Binet-Valmer reste à l'Hôtel de Ville pour la liaison, Real del Sarte, les Jeunesses patriotes et certains conseillers municipaux, lassés d'attendre, rejoignent les troupes monarchistes aux côtés de la Solidarité française dans le but d'escorter « les élus du peuple de Paris jusqu'à la Chambre »[22] et de prendre le Palais-Bourbon[21].

Puis les manifestants se dispersent. L'objectif n'est pas atteint.

L'émeute

Le colonel de la Rocque, toujours avec ses Croix-de-Feu, gagne l'esplanade des Invalides mais refuse le coup de force. À son appel, les Croix-de-feu se dispersent rapidement. Bien que proches du Palais-Bourbon, siège de la Chambre des députés, ils se refusent à occuper celui-ci. Leur dispersion rend alors vaine toute possibilité de renverser le régime par la force.

Suite à la dispersion, des manifestants se rendent place de la Concorde, suivis de près par la Solidarité française, l'Union nationale des combattants et l'ARAC[25]. C'est alors que la manifestation dégénère en combat de rue[20], notamment au pont de Solférino. Alors que dans l'après-midi, des manifestants avaient déjà manifesté par le feu[26], plus tard, en début de soirée, des autobus sont incendiés[27].

Des milliers de militants en armes tentent de marcher sur le Palais Bourbon. La gendarmerie mobile tire. Les affrontements se prolongent pendant la nuit.

Morts et blessés

Un bilan détaillé des morts et blessés a rapidement été établi et publié par le président de la commission d'enquête parlementaire sur le 6 février[28].

Dans le service d'ordre, on dénombre 1 mort (le garde républicain Flandre, qui succombe à ses blessures quelques jours plus tard, décoré de la Médaille Militaire à titre posthume) et 1664 blessés. 969 d'entre eux sont des gardiens de la paix, 695 sont des militaires (14 pompiers, 225 gardes mobiles, 271 gardes républicains, 185 gendarmes). La presque totalité des blessures a été occasionnée par des jets de projectiles (pierres, moellons, arceaux de fonte brisés, morceaux de vitres et de bitume). Quelques blessures sont le fait de coups de bâton ou de matraque. Certains manifestants ayant utilisé des lames de rasoir fixées au bout de cannes pour trancher les jarrets des chevaux, et ainsi couper l'élan des charges de cavalerie, les agents qui ont tenté de les leur arracher ont subi quelques coupures. On ne compte que 3 blessures par balle (et 2 probables).

Parmi la population, manifestants ou badauds, on relève 16 morts et 657 blessés, mais 2 d'entre eux décèderont plusieurs mois plus tard des suites de leurs blessures. 14 tués et 62 blessés l'ont été par balle : des munitions de pistolet de 7,65 mm mortelles jusqu'à 400 m. L'Action Française déplore 4 morts parmi ses membres (M. Aufschneider, M. Cambo Costa, M. Lecomte et M. Roudaudi), 16 blessés par balle parmi ses membres et 10 parmi ses sympathisants. La Ligue des Jeunesses Patriotes pleure 2 morts (M. Fabre et M. Rossignol), la Solidarité Française 1 mort (M. Cheynier de Noblens) et compte 26 blessés, dont 2 par balle. L'Union Nationale des Anciens Combattants a certifié lors de l'enquête n'avoir eu aucun mort dans ses rangs, mais 53 blessés par coups de matraque, coups de sabre et coups de crosse de révolver. Les Croix de Feu, qui n'ont perdu aucun homme, ont subi 2 blessures par balle après la dislocation du cortège et 120 blessés par coups de sabre, de matraque et de crosse de révolver (répartis sur les journées du 5 et du 6 février). Le parti communiste signale 2 blessés par balle parmi ses membres, 1 parmi ses sympathisants.

La portée du 6 février

Démission de Daladier et formation d'un gouvernement d'Union nationale

Dans la nuit, Daladier prend les premières mesures pour obtenir le rétablissement de l’ordre public (il envisage notamment d'instaurer l'état de siège). Mais le lendemain, ses consignes sont peu suivies par la justice et la police. De plus, il enregistre la défection de la plupart de ses ministres et de son parti. Il se résout finalement à démissionner. C’est la première fois qu’un gouvernement doit démissionner sous la pression de la rue.

La crise se résout finalement avec la formation d’un nouveau gouvernement sous la présidence de l'ancien président de la République (1924-1931) Gaston Doumergue, rappelé par Albert Lebrun, ce dont les ligues semblent se contenter. Qualifié de gouvernement d’«union nationale», il regroupe surtout les principales figures de la droite parlementaire (André Tardieu, Louis Barthou, Louis Marin), même si plusieurs radicaux ou le novice Pétain (ministre de la Guerre, c’est sa première expérience ministérielle) en font également partie.

Vers l'union de la gauche

La gauche interprète les événements du 6 février comme la preuve d’un danger fasciste en France[réf. nécessaire]. Les communistes contre-manifestent seuls le 9 février, place de la République. Le 12 février, la CGT (proche des socialistes) et la CGTU (proche des communistes) décident d’une journée de grève générale et la SFIO et le Parti communiste appellent à une manifestation parisienne qui n’a pas vocation à être commune mais voit pourtant les deux cortèges se mêler à l’initiative de la base. Cette journée marque donc un premier et timide rapprochement entre socialistes et communistes. Elle porte en germe l’union antifasciste entre les deux partis marxistes, ennemis depuis 1920, qui a abouti en 1936 au gouvernement de Front populaire, composé de radicaux et de socialistes avec le soutien communiste.

La radicalisation de la droite

Les méthodes violentes des ligues, leur allure paramilitaire, le culte du chef, font qu’elles sont souvent assimilées au fascisme. Mais au-delà des apparences et de leur volonté de voir le régime parlementaire céder la place à un régime fort, certains historiens (Serge Berstein, René Rémond, Michel Winock) estiment qu'il est difficile de distinguer chez elles un réel projet fasciste. D'autres, comme Michel Dobry, Zeev Sternhell les considèrent au contraire comme relevant du fascisme. Brian Jenkins de son côté estime qu'il est vain de chercher une essence fasciste en France et préfère établir des comparaisons, qui aboutissent selon lui à une nette convergence entre le fascisme italien et une bonne partie des ligues françaises, notamment l'Action française. D'autre part, l'idée même d’un complot semble exclue par l’absence de concertation et le manque d’objectifs précis des ligues.

Après le 6 février, la droite parlementaire commence à durcir son discours et à se rapprocher de l'extrême droite. Plusieurs de ses leaders perdent confiance dans les institutions parlementaires. Cette droitisation s'accélère après 1936, avec le Front populaire et la guerre d'Espagne.

Pour l'extrême droite, le 6 février représente une occasion manquée de renverser le régime, occasion qui ne se retrouvera qu’en 1940. La déception qu’ont suscitée les ligues conduit à la radicalisation de certains qui se tournent alors vers le fascisme ou le nazisme.

Notes et références

Notes

  1. Ils se conforment pour certains au mot d’ordre lancé par L’Action française dans un tract distribué le 6 février :

    « Ce soir, à l’heure de la sortie des ateliers et des bureaux, ils [les Français] se rassembleront devant la Chambre, au cri de « A bas les voleurs ! » pour signifier au Ministère et à ses soutiens parlementaires qu’ils en ont assez de ce régime abject. »
    — Cité dans les publications de l'Université de Bourgogne

    L’Humanité, de son côté, a également appelé à manifester contre le « régime du profit et du scandale ».

Références

  1. Ariane Chebel d'Appollonia, L'Extrême-droite en France. De Maurras à Le Pen, Bruxelles, Éditions Complexe, 1996, p. 102
  2. Philippe Henriot, Le 6 février, Flammarion, 1934, 247 p., p. 70 
  3. >Philippe Henriot, Le 6 février, Flammarion, 1934, 247 p., p. 107 
  4. Laurent Bonnevay, Les journées sanglantes de février 1934, Flammarion, 1935, 249 p., p. 34 
  5. Laurent Bonnevay, Les journées sanglantes de février 1934, Flammarion, 1935, 249 p., p. 38 
  6. Laurent Bonnevay, Les journées sanglantes de février 1934, Flammarion, 1935, 249 p., p. 39 
  7. Laurent Bonnevay, Les journées sanglantes de février 1934, Flammarion, 1935, 249 p., p. 51 
  8. a et b Laurent Bonnevay, Les journées sanglantes de février 1934, Flammarion, 1935, 249 p., p. 53 
  9. « Chiappe, Jean (1878-1940) », in Gisèle et Serge Berstein, Dictionnaire historique de la France contemporaine : 1870-1945, éditions Complexe, 1995 (ISBN 2870275498), p. 146-147
  10. Philippe Henriot, Le 6 février, Flammarion, 1934, 247 p., p. 129 
  11. Philippe Henriot, Le 6 février, Flammarion, 1934, 247 p., p. 131 
  12. Philippe Henriot, Le 6 février, Flammarion, 1934, 247 p., p. 132 
  13. Philippe Henriot, Le 6 février, Flammarion, 1934, 247 p., p. 122 
  14. Philippe Henriot, Le 6 février, Flammarion, 1934, 247 p., p. 125 
  15. Laurent Bonnevay, Les journées sanglantes de février 1934, Flammarion, 1935, 249 p., p. 81 
  16. Mathias Bernard, « Droites et gauches face aux barricades de février 1934 », dans Alain Corbin et Jean-Marie Mayeur (dir.), La Barricade, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, pp. 469-482
  17. Mathias Bernard, « Les violences du 6 février 1934 vues par les droites françaises », dans Philippe Bourdin, Jean-Claude Caron et Mathias Bernard (dir.), La Voix et le Geste. Une approche culturelle de la violence socio-politique, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2005, pp. 231-244
  18. Serge Berstein, L'affrontement simulé des années 1930, dans Vingtième Siècle, Revue d'histoire, n°5, janvier-mars 1985, pp. 39-54. Consulté le 04 novembre 2010.
  19. a et b Yvan Combeau, Paris et les élections municipales sous la Troisième République: la scène capitale dans la vie politique française, Éditions L'Harmattan, 1998,, pp. 367-369
  20. a, b et c Évelyne Cohen, Paris dans l'imaginaire national dans l'entre-deux-guerres, Publications de la Sorbonne, 1999, 396 pages, pp. 55 et suiv.
  21. a et b Gisèle Berstein, Serge Berstein, La Troisième République, MA Editions, 1987, 356 pages, p. 295
  22. a, b et c Danielle Tartakowsky, Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Publications de la Sorbonne, 1997, 869 pages, pp. 281-284
  23. Compte-rendu de l'enquête parlementaire sur les manifestations du 6 février 1934
  24. a et b Robert Havard de La Montagne, Histoire de l'Action française, Amiot-Dumont, Paris, 1950
  25. Danielle Tartakowsky, op. cit.
  26. Eugen Weber, L'Action française, éd. Fayard, 1985, p. 373.
  27. Eugen Weber, L'Action française, éd. Fayard, 1985, p. 372.
  28. Laurent Bonnevay, Les journées sanglantes de février 1934, Flammarion, 1935, 249 p. 

Voir aussi

Bibliographie

  • Serge Berstein, Le 6 février 1934, Julliard, Paris, 1975, coll. « Archives » (ISBN 207029319X) ;
  • Michel Dobry, « Février 1934 et la découverte de l’« allergie » de la société française à la Révolution fasciste », dans la Revue française de sociologie, juillet-décembre 1989, XXX, 3-4 ;
  • Michel Dobry (dir.), Le Mythe de l'allergie française au fascisme, Albin Michel, Paris, 2003, coll « Bibliothèque Albin Michel : Idées » (ISBN 2226137181) ;
  • Robert Soucy, Fascismes français ? : 1933-1939, Autrement, Paris, 2004 (ISBN 2-7467-0452-8) ;
  • Danielle Tartakowsky, Les Manifestations de rue en France : 1918-1968, Publications de la Sorbonne, Paris, 1997 (ISBN 285944307X) ;
  • Michel Winock, La Fièvre hexagonale : Les grandes crises politiques de 1871 à 1968, Le Seuil, Paris, 2001, coll. « Points Histoire » (ISBN 2020285169) ;
  • Guillaume Gros, Le Temps des Croix-de-Feu, Montauban, revue Arkheia, n°20, 2008.
  • Imann Georges. La journée du 6 février. Grasset, 1934.

Filmographie

  • William Karel, La Cagoule, enquête sur une conspiration d'extrême droite, 1996, Arte Video (film documentaire sur « La Cagoule », avec un passage sur les événements du 6 février 1934);
  • Paul Riche, Forces occultes film de propagande français vichyste anti-maçonnique, présenté le 9 mars 1943 au public parisien, avec un passage sur les événements du 6 février 1934.

Liens externes


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