Crimes contre l’humanité

Crimes contre l’humanité

Crime contre l'humanité

Le concept de crime contre l’humanité est un concept ancien, mais il apparaît pour la première fois en tant que notion proprement juridique en 1945 dans le statut du Tribunal militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres (art.6, c). Cette apparition est la conséquence de la volonté de juger les responsables des atrocités exceptionnelles commises pendant la Seconde Guerre mondiale comme la Shoah. Ce principe sera également retenu quelques mois plus tard pour assigner des hauts dirigeants du régime showa devant le Tribunal de Tokyo. Le concept est donc fortement ancré dans un contexte historique particulier.

Il appartient pourtant aujourd'hui aux concepts fondamentaux du droit. Cristallisant de nombreuses passions, la définition de cette qualification ne s’est faite que lentement au cours des années postérieures à la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd'hui, le crime contre l’humanité est devenu un chef d’inculpation beaucoup plus large et mieux défini grâce à l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais il demeure sujet à controverses. Un crime contre l'humanité est une infraction criminelle comprenant l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre une population civile.

Sommaire

La lente émergence de la définition du crime contre l’humanité et son inscription dans le droit

Un principe ancien qui s’impose juridiquement en 1945

Le Tribunal militaire international de Nuremberg en 1945 (sur la photo, Karl Brandt, médecin personnel d'Hitler et responsable du programme d'euthanasie)

Le concept de crimes allant à l’encontre des lois de l’humanité est ancien, puisque dès la fin du XIXe siècle, la Déclaration à l'effet d'interdire l'usage de certains projectiles en temps de guerre faite à Saint-Pétersbourg le 11 décembre 1868 pose le principe que l’emploi d’armes qui « aggraveraient inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat ou rendraient leur mort inévitable » serait « dès lors contraire aux lois de l’humanité ». La convention de La Haye en 1907 relative aux lois et coutumes de guerre constate que « les populations et les belligérants sont sous la sauvegarde et sous l’empire du droit des gens, tels qu’ils résultent […] des lois de l’humanité […] ».

Le crime contre l’humanité est défini par l’article 6c du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg et appliqué pour la première fois lors du procès de Nuremberg en 1945. Il définit ainsi le crime contre l’humanité : « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ».

L’évolution de la notion de crime contre l’humanité et son inscription dans le droit international et les droits nationaux après la guerre

Droit international

Le crime contre l’humanité, malgré ses débuts modestes (il prévoyait explicitement de ne s’appliquer qu’aux actes commis par les puissances de l’Axe), a peu à peu été inscrit dans la législation internationale et vu au passage sa définition précisée. Une résolution des Nations unies est ainsi votée en 1948 « confirmant les principes du droit international reconnus par le statut de la cour de Nuremberg et par l’arrêt de cette cour ».

La définition est élargie : en 1973, la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid qualifie l’apartheid de crime contre l’humanité, et en 1992 une résolution qualifie les enlèvements de personne de « crimes relevant du crime contre l’humanité ».

En plus de la définition, c’est le statut juridique du crime contre l’humanité qui se précise également : en 1968, la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité déclare l'imprescriptibilité de ces derniers.

Une seconde étape est franchie à l’occasion des guerres de Yougoslavie : une résolution de l’ONU crée en 1993 un Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY - résolution 827) à La Haye qui reprend la qualification de crime contre l’humanité définie par le statut du tribunal de Nuremberg. La même démarche est confirmée le 8 novembre 1994 lors de la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR - Résolution 955).

En France

Crimes contre l'humanité
Territoire d’application France France
Classification Crime
Réclusion Perpétuité
Prescription imprescriptible
Compétence Cour d'assises

En France, à la fin de la guerre, la qualification de crime contre l’humanité ne sera pas utilisée pour la répression des crimes commis tant par les Allemands que par les Français. La répression sera effectuée par des juridictions d’exception mais pour des crimes de droit commun. Le temps passant et la volonté que les criminels ne puissent bénéficier de la prescription s’affirmant, la loi du 26 décembre 1964 inscrit le crime contre l’humanité dans l’ordre juridique français. C’est alors un unique article du Code pénal qui renvoie à la charte du tribunal international de 1945 et à la résolution des Nations unies du 13 février 1946. Il déclare ces crimes « imprescriptibles par leur nature », c’est-à-dire qu'ils peuvent être jugés sans aucun délai dans le temps. Il s’agit du seul crime imprescriptible du droit français[1].

Les procédures ouvertes donnent lieu à une jurisprudence déterminante dans la définition du crime contre l’humanité. Par exemple, le 20 décembre 1985, un arrêt de la Cour de cassation élargit la notion de victime de tels crimes aux victimes de discriminations politiques, en plus des victimes de discriminations raciales ou religieuse, afin que soient jugés ceux qui ont persécuté les Juifs aussi bien que les résistants (notamment Klaus Barbie en 1987 et Paul Touvier en 1992). La même année, la Cour de cassation affine de nouveau la définition en affirmant que ces crimes doivent l’être « au nom d’un État pratiquant une politique d’hégémonie idéologique ». Finalement, les parlementaires votent en 1994 une loi définissant précisément le crime contre l’humanité (articles 211-1, 212-1 et s. du Code pénal) — et prenant en compte la jurisprudence —. En 1995 et le 22 mai 1996, des lois françaises étendent la compétence des tribunaux français aux crimes relevant des TPIY et TPIR.

En 2001, la France reconnaît officiellement que la traite des noirs et l'esclavage constituaient des crimes contre l'humanité (loi n° 2001-434).

L'aboutissement de la définition du crime contre l'humanité : l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale en 1998

Une définition complète et détaillée par l’article 7 du Statut de Rome

L'article 7[2] définit onze actes constitutifs de crimes contre l'humanité, lorsqu’ils sont commis « dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile et en connaissance de l'attaque » :

  • le meurtre ;
  • l'extermination ;
  • la réduction en esclavage ;
  • la déportation ou le transfert forcé de population ;
  • l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
  • la torture ;
  • le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
  • la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
  • la disparition forcée de personnes ;
  • le crime d’apartheid ;
  • d'autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

À la lumière de l’article 7 et des textes qui le précèdent, trois grands principes de droit international peuvent être dégagés qui régissent le crime contre l’humanité : il peut être commis en tout temps (en temps de guerre extérieure ou intérieure comme en temps de paix) ; il est imprescriptible ; personne ne peut échapper à la répression, des chefs de l’État aux exécutants (article 27 du Statut[2]). Le crime contre l'humanité consacre donc une certaine primauté du droit international sur le droit national par sa nature même, puisqu'il peut s’agir aussi bien d’agissements légaux qu'illégaux dans le pays concerné. Ce qui peut être déclaré légal par un certain régime peut devenir illégal compte tenu de la législation de la justice pénale internationale.

La question se pose aussi de la pertinence de la loi française de 1994 sur les crimes contre l’humanité maintenant que l’article 7 apporte sa propre définition. En effet, la définition française est beaucoup moins large et moins précise que celle de l'article 7. Or pour ne pas se voir dessaisis au profit de la Cour pénale internationale, les États Parties doivent s’assurer que leur législation nationale leur permet bien de juger les individus ayant commis des infractions relevant de la compétence de la Cour. Il est probable que la France va intégrer les définitions du Statut de Rome dans son droit pénal français.

Des controverses persistantes

L'article 7 du statut de la CPI se termine par une définition ouverte, qui qualifie de crime contre l'humanité « tout acte inhumain de caractère analogue [à ceux énoncés précédemment] causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Alors que les définitions précédentes sont très précises, cette dernière invite à l'élargissement d'une notion qui a déjà été définie difficilement en termes juridiques.

Plusieurs juristes considèrent que la définition du crime contre l'humanité fait donc une entorse au principe de spécificité de la loi. Ce serait ainsi dénaturer la spécificité de l’infraction que de vouloir l’étendre à un trop grand nombre de conduites criminelles. Le crime contre l'humanité s’applique en effet à des faits réprimés sous d’autres qualifications beaucoup plus anciennes : meurtre, torture, viol, déportation. La dilution du concept constitue un risque évident. La spécificité des crimes contre l’humanité ne peut être protégée par exemple qu’en exigeant une intention discriminatoire pour tous ces crimes, alors que seules les persécutions sont soumises à une telle exigence en droit international positif. Cette conception conduit à remettre en question la qualification comme « crime contre l'humanité » de certains actes, tels que les attaques « aveugles », les expulsions et transferts forcés de population, etc.

Il faut également qu’il s’agisse de crimes commis en exécution d’une politique étatique dont il faut prouver qu’elle était criminelle (la Cour de cassation l’avait bien compris en exigeant que les crimes contre l’humanité le soient « au nom d’un État pratiquant une politique d’hégémonie idéologique ». Il ne faudrait pas que tout comportement criminel étatique puisse être qualifié à la légère de crime contre l’humanité.

Ces choix relèveront de la jurisprudence dégagée de la Cour pénale internationale, mais il y a une certaine dérive des tribunaux pénaux internationaux, qui ont tendance à privilégier l’efficacité de la répression sur la cohérence de l’incrimination.

Actualité récente

  • Le 31 janvier 2005, la commission d'enquête internationale sur le Soudan de l'ONU publie un rapport qui conclut que les exactions perpétrées au Darfour constituent bien un crime contre l'humanité.
  • En 2004, le législateur complète la protection de l'Homme, initié par les crimes contre l'humanité, par l'édiction d'un nouveau type d'infraction, dû à la nouvelle nature des atteintes à la dimension humaine permise par le progrès de la science génétique : les crimes contre l'espèce humaine.

Notes et références

  1. Annie Déperchin, Vérité historique, vérité judiciaire à travers les grands procés issus de la Seconde Guerre mondiale, Ecole Nationale de la Magistrature, 2 mars 2001, rapport de synthèse pdf en ligne
  2. a  et b Statut de Rome sur le site de la Cour Pénale Internationale [pdf]

Bibliographie

  • Philippe Currat, Les Crimes contre l'humanité dans le Statut de la Cour pénale internationale, 838 pages, mars 2006, aux éditions Bruylant (ISBN 2-8027-2213-1) et Schulthess (ISBN 3-7255-5122-7)
  • Raoul Muhm, Germania: La rinascita del diritto naturale e i crimini contro l’umanità (The renaissance of natural law and crimes against humanity), Roma, Vecchiarelli Editore Manziana, 2004 (ISBN 88-8247-153-5)
  • Raoul Muhm, « La natura giuridica dei crimini contro l'umanità e le attuali critiche in Germania », Rivista di Diritto e Procedura Penale, Rome, Band 1/1997 [1]
  • Jean-François Roulot, Le crime contre l'humanité, Préface de Charalambos Apostolidis, L'Harmattan, Logiques juridiques, 2002, 442 p.

Voir aussi

Liens externes

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