Abgar d'Édesse

Abgar d'Édesse
Le roi Abgar V tenant le Mandylion. Image du Xe siècle

Abgar d'Édesse est le nom de plusieurs rois d'origine nabatéenne (arabe) qui régnèrent à Édesse et sur l'Osroène en Mésopotamie, depuis le IIe siècle av. J.‑C. jusqu'au IIIe siècle.

Les Agbar d'Édesse sont des rois d'origine nabatéenne qui comme plusieurs autres membres de la dynastie ont profité de l'affaiblissement des Séleucides pour, à la fin du IIe siècle av. J.‑C., prendre possession de ce territoire et en faire leur royaume, appelé royaume d'Édesse ou royaume d'Osroène. Dans la littérature antique, les « nabatéens » sont souvent appelés « arabes ». C'est d'ailleurs sur le territoire de la Nabathée historique que sera créée, en 106, la province romaine d'Arabie, après la conquête de ce royaume, souvent appelé « royaume de Pétra ».

Article détaillé : Osroène.

L'Osroène a acquis son indépendance à la suite de l'effondrement de l'Empire séleucide. Elle fut de 132 av. J.-C. à 216 apr. J.-C. un petit royaume indépendant, dont les souverains portaient le plus souvent le nom d'Abgar ou de Manu[1],[2]. Ce royaume, est souvent appelé principauté des Abgar (11 souverains porteront ce nom, mais 9 autres porteront le nom de Ma'nu). Il a souvent aussi été appelé du nom de sa capitale, « royaume d'Édesse ». La langue parlée était le syriaque, un dialecte de l'araméen[3]. Toutefois, Abgar pourrait venir de l'arménien Apghar (= apagh), qui signifie « Prince »[2]. Selon Pline l'Ancien, à l’époque romaine, les habitants étaient des Arabes et leurs souverains auraient porté le titre de phylarque (chef d’une phylé) ou toparque (magistrat).

La famille Abgar d'Édesse était probablement fortement liée avec la dynastie Monobaze d'Adiabène, eux aussi des Abgar.

Sommaire

Histoire de la dynastie

Vers -132 (ou -136), un chef de tribu, Aryu (ou Ariou, -132/-127 ou -136/-127), s'affranchit des Séleucides qui gouvernaient la ville et fonda un royaume (ou principauté) indépendant avec Édesse pour capitale. À part quelques souverains d'origine arménienne ou parthe, la plupart étaient nabatéens. Ce royaume, qui sera quelquefois appelé principauté des Abgar (11 souverains porteront ce nom), parviendra à conserver son autonomie pendant près de quatre siècles, malgré les divers conquérants qui traverseront son histoire.

Selon Pline l'Ancien, à l’époque romaine, les habitants étaient des Arabes et leurs souverains auraient porté le titre de phylarque (chef d’une phylé) ou toparque (magistrat). Le royaume s'étendait au nord jusqu'aux Monts Taurus, à l'ouest jusqu'à l'Euphrate, qui le séparait de la Commagène, et à l'est jusqu'au Tigre. Il comprenait, à part Édesse, des villes importantes comme Carrhes (Harran), Nisibe (en Mésopotamie), Rhesaena, Saroug, Singara (Sinjar, Irak), Zeugma sur l'Euphrate, qui était la réunion des villes d'Apamée (rive gauche) et de Séleucie de l'Euphrate (rive droite) et un passage obligé pour les caravanes.

À l'époque du premier triumvirat, Édesse fut l'alliée des Romains. Le proconsul Crassus, à la tête d'une armée de 42 000 hommes, franchit l'Euphrate sur les conseils d'Abgar II Bar Abgar et attaqua la Mésopotamie dans le but de prendre Séleucie du Tigre. Mais il fut trahi par Abgar II qui se rangea du côté des Parthes. Crassus fut battu à la bataille de Carrhes et dut fuir en Arménie (selon Plutarque, v.48-125).

Ce serait sous Abgar V Ukomo ou Ukkama Bar Ma'Nu, que le christianisme aurait été prêché pour la première fois à Édesse par Thaddée d'Édesse (appelé aussi « Jude, frère de Jacques », lui même frère de Jésus). Certains auteurs repoussent, l'intervention de Juda Thaddée sous Sanatruk Ier (v. 90), d'autres et en particulier la tradition catholique renvoient le première prédication chrétienne sous Abgar IX (fin du IIe siècle). Ce point de vue est toutefois rejeté par les spécialistes, qui font valoir plusieurs preuves scripturaires et archéologiques qui attestent de la présence d'un christianisme dès le Ier siècle. Ainsi, pour A. F. J. Klijn, le mouvement chrétien d'Édesse naît bien au Ier siècle. Celui-ci « concevait la foi comme une Voie, une façon de vivre. Rien d'abstrait ou de dogmatique[4]. » Pour ce qui est de l'origine de ce « christianisme », les auteurs actuels s'accordent pour dire qu'il ne doit rien à la prédication de Paul de Tarse, ni à l'influence de l'église de Rome, mais qu'il est d'origine juive, toutefois selon Klijn, le « principal problème en ce qui concerne le christianisme syriaque n'est pas de savoir d'où il est parvenu en Syrie, mais à quel type de judaïsme il doit être rattaché[5],[6]. »

Plus tard, Abgar VII Bar Ezad fut détrôné par l'empereur romain Trajan, qui garda la ville sous sa tutelle deux ans avant de la laisser à deux princes étrangers, Yalur et Parthamaspatès. En 123, Ma'Nu VII Bar Ezad, frère d'Abgar VII, réussit à reprendre le trône. À partir de cette époque, comme beaucoup de régions sous tutelle romaine, les monnaies furent frappées avec l'effigie du souverain régnant d'un côté et celle de l'empereur romain de son époque au dos. En 163, Wa'Il Bar Sahru prit les Parthes comme alliés dans sa lutte contre les Romains.

Les « Abgar » d'Édesse

  • Aryu (132 - 127 av. J.-C.) ;
  • Abdu Bar Maz'Ur (127 - 120 av. J.-C.) ;
  • Fardhasht Bar Gebar’u (120 - 115 av. J.-C.) ;
  • Bakru I (115 -112 av. J.-C.) ;
  • Bakru II (112 - 94 av. J.-C.) ;
  • Bakru II, co-roi (94 - 92 av. J.-C.) ;
  • Ma'Nu I, co-roi (94 - 92 av. J.-C.) ;
  • Abgar I Figo, co-roi, (94 - 92 av. J.-C. ) ;
  • Abgar I Figo (92 - 68 av. J.-C.) ;
  • Abgar II Bar Abgar (68 -53 av. J.-C.) ;
  • Ma'Nu II Aloha (53 - 34 av. J.-C.) ;
  • Faquri ou Paqor (34 - 29 av. J.-C.) ;
  • Abgar III (29 - 26 av. J.-C.) ;
  • Abgar IV Sumoqo (26 - 23 av. J.-C.) ;
  • Ma'Nu III Saphul (23 - 4 av. J.-C.) ;
  • Abgar V Ukomo Bar Ma'Nu (4 av. J.-C. - 7 ap. J.-C.) ;
  • Ma'Nu IV Bar Ma'Nu (7 - 13) ;
  • Abgar V Ukomo Bar Ma'Nu (13 - 50) ;
  • Ma'Nu V (50 - 57) ;
  • Ma'Nu VI (57 - 71), (peut-être Ma'Nu Bazos (Monobaze) d'Adiabène) ;
  • Abgar VI Bar Ma'Nu (71 - 91) (probablement roi d'Osroène et d'Adiabène);
  • Sanatruk (91 - 109), (roi arsacide d'Osroène, d'Adiabène et d'Arménie aussi appelé Xosroes) ;
  • Abgar VII Bar Ezad (109 - 116) ;
  • Inter-règne romain (116 - 118) ;
  • Parthamaspatès, co-roi (118 - 123), vassal de Rome ;
  • Yalur, co-roi (118 - 122), vassal des Parthes ;
  • Ma'Nu VII Bar Ezad (123 - 139) ;
  • Ma'Nu VIII Bar Ma'Nu (139 - 163) ;
  • Wa'Il Bar Sahru (163 - 165) ;
  • Ma'Nu VIII Bar Ma'Nu (165 - 167) ;
  • Abgar VIII Philoromaios (167 - 177) ;
  • Abgar IX (179 - 212) ;
  • Severus Bar Ma'Nu (212 - 214) ;
  • Abgar X Severus Bar Abgar IX (214 - 216) ;
  • Ma'Nu IX Bar Abgar X Severus (216 - 242) ;
  • Abgar XI Farhat Bar Ma'Nu (242 - 244).

La « légende d'Abgar »

Articles détaillés : Légende d'Abgar et Abgar V.

La Légende d'Abgar est une histoire qui est racontée dans plusieurs textes, rapporté notamment par la Doctrine d'Addaï, la Chronique d'Arbèle ou L'histoire d'Abgar de Léroubna d'Edesse. Probablement, écrite d'abord en syriaque (un dialecte de l'araméen). Elle est ensuite reprise par les textes ci-dessus, mais aussi par le théologien et apologète du IVe siècle Eusèbe de Césarée, qui aura une influence durable sur les développements dogmatiques et doctrinaux de l'orthodoxie chrétienne, puis par des auteurs comme Moïse de Khorène qui écrivait en arménien.

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Ces écrits ont connu une grande postérité, ils sont très anciens et rapportent de façon légendée des traditions encore plus anciennes, mais tout ce que l'on peut dire c'est qu'ils sont antérieurs au IVe siècle, car il n'y a pas de consensus sur leur datation.

Dans ces écrits, le roi Abgar V d'Édesse (« Abgar Oukama » c'est-à-dire « Abgar le noir ») envoie une délégation en Palestine, le chef de cette délégation est le scribe royal appelé Ananias ou Ananie. La délégation rencontre le gouverneur de Syrie appelé « Sabinus, fils d'Eustorgius » (« Marinus, fils d'Eustorgius », selon d'autres versions) , dans la ville de Beth Guvrin (Eusèbe de Césarée l'appelle Éleuthéropolis, nom qu'elle ne prendra qu'au IIe ‑ IIIe siècle). Celle-ci, située en Idumée qui fait partie de la province romaine de Judée est d'ailleurs la ville natale d'Ananias.

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Après cette rencontre, ils se rendent à Jérusalem et y voient Jésus faire beaucoup de miracles. Ils retournent à Édesse et racontent notamment ce qu'ils ont vu faire à Jésus. Abgar conclut:

« Ces miracles ne sont pas dû à des hommes, mais à Dieu. Car il n'y a personne qui rappelle les morts à la vie, si ce n'est Dieu seul[7]. »

Il renvoie donc la délégation avec une lettre pour inviter Jésus à venir dans son territoire, notamment pour le soigner de la maladie de peau dont il souffre (appelée lèpre dans le récit). Jésus les reçoit avec empressement, mais ne peut pas répondre favorablement à l'invitation tout de suite. Ananias tente de peindre les traits de Jésus, mais n'y parvient pas.

Après la crucifixion de Jésus par Ponce Pilate, l'apôtre Juda Thomas (jumeau) (ou selon les versions, Jésus lui même ou encore Tatien le Syrien selon une autre version[8]) envoie Juda Thaddée, un des frères de Jésus à Édesse. Celui-ci soigne le roi et le guérit. Abgar V se convertit alors à « la Voie » pronée par Jésus et se fait baptiser. Le roi permet alors à l'apôtre d'évangéliser son royaume. Il est aidé en cela par Mari, mais dans certaines versions est aussi rejoint par Thomas, et bar Tolmay (probablement Barthélémy). Ils font beaucoup de miracles, baptisent de nombreux nouveaux adeptes et fondent une Église sur place.

Cette histoire est encore acceptée par des communautés chrétiennes du IVe siècle et notamment Eusèbe de Césarée la cite largement dans son Histoire ecclésiastique, ainsi que des lettres que le roi Abgar aurait envoyés à l'Empereur de Rome pour protester contre le sort fait à Jésus. Des aspects de cette histoire sont toutefois déjà considérés comme génants, puisque Juda Thaddée n'est déjà plus frère de Jésus, mais en plus il n'est plus l'un des douze. Dans la version d'Eusèbe, il est seulement un des membres des soixante dix disciples, identifié probablement à un autre Thaddée, dont on ne sait rien. Il conserve toutefois son titre d'« Apôtre », qu'il perdra ultérieurement.

« Après l'ascension de Jésus, Judas, qu'on appelle aussi Thomas, envoya à Agbar l'apôtre Thaddée, un des soixante dix[9]. »

Ce caractère génant a dû se prolonger car au VIe siècle le Décret de Gélase[10], le relègue parmi les écrits apocryphe, avec la correspondance d'Abgar, ainsi que les Actes de Pilate.

Légende du Mandylion

Le Mandylion d'Edesse

La légende du Mandylion se rapporte à l'un d'eux, Abgar V Ukomo ou Ukkama Bar Ma'Nu, qui aurait vécu à l'époque de Jésus (né en 4 av. J.-C. ou 7 ap. J.-C. et mort en 13 ou 50 ap. J.-C.).

Ainsi, Moïse de Khorène (fin Ve siècle) dans son Histoire d'Arménie (Liv II, chap 30 à 33) reprend le récit d'Eusèbe[11] en y ajoutant d'autres correspondances avec Tibère, Nerses, Ardashes… Concernant la correspondance d'Abgar et Jésus, il est fait mention que le messager d'Abgar, Anan rapporta la réponse de Jésus, « ainsi que l'image du Sauveur qui se trouve encore à présent à Edesse ».

D'autre part, la Doctrine d'Addaï (IVe ou Ve siècle), précise qu'en plus d'être le messager d'Abgar, Hannan était le « peintre du roi », et qu'il réalisa un portrait de Jésus (Addaï est la forme syriaque de Thaddée).

Une autre variante tardive, les Actes de l'apôtre Thaddée (VIIe siècle) indiquent qu'Annanias (= Hannan = Anan), cherchait à fixer dans sa mémoire les traits de Jésus, pour en faire une description à son roi, mais n'y parvenait pas. Jésus s'étant lavé le visage s'essuya avec un linge qu'il remit à Annanias. Sur le linge s'était « imprimée » l'image du visage de Jésus.

Enfin, la forme ultime de ce développement précise qu'Ananias, voulait faire le portrait de Jésus, mais qu'il lui était impossible de fixer les traits du Sauveur, car son visage semblait changer sans cesse d'aspect, « sous l'effet de la grâce indicible qui s'en dégageait ». Le Christ, devinant le dessein d'Ananie se fit apporter une petite bassine, s'y lava le visage et l'essuya avec un linge plié en quatre. Aussitôt ses traits se trouvèrent imprimés de manière indélébile sur ce linge, sans le secours d'une main humaine.

Saint Jean Damascène mentionne lui aussi brièvement l'épisode dans sa Défense de la foi orthodoxe (De fide IV. 16)

Ce fut le Mandylion[12] d'Édesse, réputée la « première » icône. Indépendamment de toute question d'historicité, le Mandylion (ou « Sainte Face ») est aujourd'hui une icône du Christ et, selon la doctrine de l'Église orthodoxe, celui qui vénère une icône ne vénère pas la matière (bois, peinture…) dont elle est faite — ou les légendes qui s'y sont attachées — mais celui qui y est représenté, en l'occurrence le Christ.

Articles connexes

Bibliographie

Liens externes

Notes et références

  1. (en) Alexander Roberts et James Donaldson (dir.), The Writings of the Fathers Down to AD 325: Ante-Nicene Fathers, vol. 8, Hendrickson Publishers, Peabody, 1994, p. 657-672 [lire en ligne (page consultée le 23 janvier 2011)].
  2. a et b (en) Adrian Fortescue, The Lesser Eastern Churches, Catholic Truth Society, 1913, p. 22 [lire en ligne].
  3. (en) Amir Harrak, « The Ancient Name of Edessa », dans Journal of Near Eastern Studies, vol. 51, no 3 (juillet 1992), p. 209-214 [lire en ligne].
  4. François Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien, Cerf, 2001, p. 226., ISBN 2-204-06215-4.
  5. Klijn A. F. J., The influence of jewish theology on the Odes of Salomon and the Acts of Thomas
  6. Marcel Simon, Aspects du judéo-christianisme, colloque de Strasbourg,, 23-25 avril 1964, Strasbourg, Bibliothèque du Centre d'études supérieures spécialisé d'histoire des religions
  7. Lettre d'Abgar d'Édesse à Jésus, cité par François Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien, p. 159.
  8. Encyclopædia Britannica, article « Edessa », Éd. 1962.
  9. Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, livre I, chap. XIII, 11.
  10. Le Décret de Gélase est un texte qui énonce les livres reconnus comme canoniques par l'Église de Rome, et ceux auxquels elle ne reconnaît pas cette canonicité. Ce Decretum Gelasianum est probablement du VIe siècle, donc nettement postérieur au pape Gélase. Il s'agit d'une compilation de décrets et décisions s'étalant sur deux siècles.
  11. ou de Léroubna (ou Laboubnia) d'Édesse, « Histoire d'Abgar » et wikisource.
  12. Mandylion, de mindil, « mouchoir », « serviette » en syriaque.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Abgar d'Édesse de Wikipédia en français (auteurs)

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