Charles Pictet de Rochemont

Charles Pictet de Rochemont
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Charles pictet de rochemont.jpg

Charles Pictet de Rochemont (21 septembre 1755 - 28 décembre 1824) est un politicien, agronome et diplomate suisse originaire du canton de Genève. Il a participé à l'adhésion de Genève à la Confédération suisse.

Sommaire

Jeunesse et formation

Issu d'une famille qui obtînt la bourgeoisie genevoise en 1474, Charles Pictet est le fils aîné issu du mariage en secondes noces entre Charles Pictet (1713-1792), dit de Cartigny, qui fut colonel au service des Provinces-Unies (aujourd'hui Pays-Bas), et Marie, née Dunant. Dès l'âge de 13 ans, il étudie en pension au séminaire de Haldenstein, près de Coire, où il y reçoit une solide formation humaniste. Il y apprend l'anglais, l'allemand et l'italien, et se lie d'amitié avec des élèves provenant de toute la Suisse[1]. Destiné par son père à une carrière militaire, il entre à l'âge de 20 ans avec le grade de sous-lieutenant au service de la France, où il sert dans le régiment de Diesbach et dans la Compagnie Lullin de Châteauvieux. A 30 ans, en 1785, il prend son congé, rentre à Genève et épouse Adélaïde Sara de Rochemont en 1786. Il joindra dorénavant le nom de sa femme au sien, selon l'usage genevois[2]. De cette union naîtront Charles-René (1787-1856), Amédée (1789-1817), Amélie (1791-1872), Adolphe (1799-1875) et Anna (1801-1882).

Carrière politique genevoise

En 1788, il entre au Conseil des Deux-Cents. L'année suivante, il reçoit le commandement d'un des quatre bataillons de la Milice bourgeoise pour laquelle il rédige des "Instructions d'exercices"[3] qui seront rééditées pour la Garde nationale qui succèdera à la milice. Il est également élu auditeur de la Justice en 1790 et dirige, avec le grade de major, la Légion genevoise (anciennement Régiment des Volontaires) dès 1792, année durant laquelle la Révolution triomphe à Genève, mettant fin aux institutions de l'Ancien Régime. La même année, il est élu membre de l'Assemblée nationale genevoise nouvellement créée, mais les excès du jacobinisme le poussent à démissionner après seulement quelques mois d'exercice[4]. En 1794, Jean-François de Rochemont, beau-frère de Pictet, est condamné à mort et exécuté par les tribunaux révolutionnaires. Cet épisode tragique, ainsi qu'une condamnation à une année de détention domestique dans son domaine de Cartigny dégoûtent Pictet de la vie politique, dont il se détachera pendant plus de vingt ans. Contrairement à son frère Marc-Auguste, Charles ne participera pas aux institutions mises en place par le Directoire suite à l'annexion de Genève à la France en 1798. Il profite de sa retraite de la vie publique pour traduire de l'anglais la Théologie naturelle de William Paley, et publie en 1795 son Tableau des Etats-Unis d'Amérique, un des premiers ouvrages en langue française sur le sujet[5].

Pictet agriculteur

Depuis un voyage en Angleterre que Pictet et son frère Marc-Auguste avaient effectué quelques années auparavant (en 1787), Charles était fasciné par la vitalité économique et industrielle de ce pays. Il se lance dans plusieurs entreprises pré-industrielles à Genève (fabrique de poterie dans le quartier des Pâquis et tuilerie de Pinchat)[6] qui ne rencontrent finalement pas le succès attendu. Il acquièrt un terrain de 75 hectares à Lancy et se tourne alors vers l'agriculture, plus particulièrement vers la culture du maïs, une plante méconnue à Genève. Il se met surtout, avec l'aide de son épouse, à l'élevage de moutons mérinos dont il perfectionne la race par des croisements afin d'obtenir de la laine de plus en plus fine[7]. Le succès de cette entreprise est incontestable. En 1806, un agronome lyonnais recense plus de 9600 moutons mérinos ou métis dans les environs de Genève[8]. En 1805, Pictet vend pour 80'000 francs de mérinos en Hongrie. Son fils aîné, Charles-René, part pour St-Pétersbourg pour présenter au tsar Alexandre des modèles réduits de pompes à incendie en usage à Genève[9] mais, très vite, Charles lui confie la mission de trouver des terres pour y élever des moutons. Il entre alors en contact avec le duc de Richelieu, gouverneur de la Nouvelle Russie (actuelle Ukraine), qui lui vend une concession d'environ 9000 hectares aux alentours d'Odessa, dans un domaine baptisé Novoï-Lancy (Nouveau-Lancy)[10]. En 1809, un troupeau de 900 bêtes envoyées depuis Genève arrive dans ces bergeries.

La Bibliothèque britannique

En 1796, Charles fonde La Bibliothèque britannique, publication littéraire et scientifique avec pour collaborateurs de la première heure son frère, Marc-Auguste Pictet, et Frédéric-Guillaume Maurice[11]. Symbole de l’anglophilie genevoise, cette publication va, malgré la guerre et le blocus continental, répandre en Europe, sous forme de traductions assorties de commentaires, les découvertes scientifiques et la littérature anglaises. Ses abonnés, dont le nombre ne dépassa jamais neuf cents, appartiennent à l’élite européenne. Le renom et le succès de la Bibliothèque, dans laquelle Charles se chargeait de la partie littérature et agronomie (de 1796 à 1815) et Marc-Auguste de la partie scientifique, seront de précieux atouts dans les futures missions diplomatiques de Pictet. Les principaux articles de Charles touchant à l’agronomie ont été publiés séparément sous le titre de "Cours d’agriculture anglaise", en dix volumes[12].

Carrière politique internationale

La chute de Napoléon et la libération de Genève en 1813 par les troupes autrichiennes du Général Bubna vont remettre Charles Pictet de Rochemont sur le devant de la scène politique. Genève, à nouveau indépendante, envoie d'abord à Bâle une députation composée de Pictet, Joseph Des Arts et Auguste Saladin qui rencontrent dans la cité rhénane le tsar Alexandre, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse. Les trois souverains encouragent Genève à se rapprocher de la Suisse[13]. Pictet rencontre à cette occasion le baron de Stein, conseiller du tsar, sur qui il fait forte impression. Il lui propose de rester auprès des souverains alliés victorieux de la France, en qualité de secrétaire général de l'administration des pays conquis, tâche que Pictet accepte et remplit durant quelques mois[14].

Pictet est cependant rappelé en mars 1814 à Genève, où il devient dès lors le diplomate attitré de la cité, puis de la Confédération, durant les grands congrès internationaux qui redessinent la carte de l'Europe post-napoléonienne. Pictet part d'abord pour Paris avec pour mission de désenclaver le territoire genevois et de le rattacher à la Confédération. Mais les négociations sont difficiles notamment parce que face à lui Talleyrand, représentant la France, refuse de céder la plupart des territoires espérés par les Genevois (notamment une grande partie du Pays de Gex). La question confessionnelle joue probablement un grand rôle dans ce refus. En effet, les royaumes de France et de Sardaigne éprouvent alors une forte répugnance à céder des sujets catholiques à un territoire protestant[15]. Le traité, signé en mai 1814, n'accorde finalement à Genève que le libre usage de la route de Versoix. Le 5 octobre 1814, Pictet se rend à Vienne avec François d'Ivernois et son propre neveu, Jean-Gabriel Eynard-Lullin. Conseillé par le très habile diplomate corfiote Jean Capodistrias, Pictet obtient dans ce nouveau traité de substantielles concessions de la part de la Sardaigne, notamment le désenclavement des communes genevoises sur la rive gauche du Léman. Lors du deuxième congrès de Paris, en novembre 1815, Pictet représente Genève mais également la Suisse. Les succès diplomatiques sont alors éclatants: la France cède sans contrepartie plusieurs communes sur la rive droite du Léman, permettant un véritable désenclavement de Genève qui est alors définitivement intégrée à la Confédération helvétique. De plus, le reste du Pays de Gex, jusqu'aux crêtes du Jura, devient zone franche. Enfin et surtout, Pictet fait reconnaître aux grandes puissances, dans une déclaration solennelle, l'importance pour les intérêts de l'Europe de la neutralité et de l'inviolabilité de la Suisse[16]. Les raisons de ce succès sont multiples. On peut notamment mentionner l'appui constant de l'expérimenté mentor Capodistrias, le remplacement à la tête de la diplomatie française de Talleyrand par le duc de Richelieu, avec qui Pictet avait fait des affaires en Ukraine, ainsi qu'une feuille de route plus précise pour Pictet. En 1816, au congrès de Turin, il s'efforce de faire respecter la plupart des décisions prises au Congrès de Vienne de 1815, notamment le maintien du littoral jusqu'à Hermance dans le territoire genevois.

Retour à la vie genevoise et postérité

Après ce succès diplomatique, il reprend ses activités agricoles à Lancy parallèlement à ses mandats politiques dont un siège au Conseil représentatif. Il continue à écrire pour la Bibliothèque britannique et rédige anonymement, en 1821, l'ouvrage "De la Suisse dans l'intérêt de l'Europe", chef d'œuvre de diplomatie et de critique militaire dans lequel il démontre avec brio l'avantage qu'ont les grandes puissances européennes à respecter la neutralité suisse. L'ouvrage, conservant sa pertinence, sera réimprimé quarante ans plus tard sous un autre titre[17]. Pictet décède en 1824 et est enseveli au cimetière de Plainpalais (anciennement cimetière des Rois), à Genève, aux côtés de sa femme et de son frère. Une statue le représentant est érigée à la Rampe de la Treille, à Genève, en 1970.

A noter que sa nièce Anna Lullin épousera Jean-Gabriel Eynard, son neveu, et que Adolphe Lullin, frère d'Anna, sera peintre. Son fils aîné, Charles-René Pictet de Rochemont, connaîtra également une carrière diplomatique talentueuse, notamment au sein de la légation royale de Bavière à Paris[18]. Un autre de ses fils, Adolphe, deviendra un éminent linguiste.

Notes et références

  1. Edmond Pictet, "Biographie, travaux et correspondance diplomatique de Charles Pictet de Rochemont", Genève, Georg, 1892, p.6.
  2. "Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), Lettres écrites à sa famille pendant ses missions diplomatiques à Bâle, Paris, Vienne, Paris et Turin (1814-1816)", Genève, Fondation des archives de la famille Pictet, 2010, p. 2.
  3. Olivier Reverdin, Charles Pictet de Rochemont in "Citoyens de Genève", citoyens suisses, Genève, éd. Suzanne Hurter, 1998, p.15.
  4. Jean-Daniel Candaux, "Histoire de la famille Pictet", Genève, Braillard, 1974, p. 289.
  5. "Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), Lettres écrites à sa famille pendant ses missions diplomatiques à Bâle, Paris, Vienne, Paris et Turin (1814-1816)", Genève, Fondation des archives de la famille Pictet, 2010, p.3.
  6. Jean-Daniel Candaux, "Histoire de la famille Pictet", Genève, Braillard, 1974, p. 291.
  7. Olivier Reverdin, Charles Pictet de Rochemont in "Citoyens de Genève", citoyens suisses, Genève, éd. Suzanne Hurter, 1998, p.17
  8. "Bibliothèque britannique", Agriculture anglaise, Vol. XI, p. 442.
  9. "Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), Lettres écrites à sa famille pendant ses missions diplomatiques à Bâle, Paris, Vienne, Paris et Turin (1814-1816)", Genève, Fondation des archives de la famille Pictet, 2010, p.3.
  10. Jean-Daniel Candaux, "Histoire de la famille Pictet", Genève, Braillard, 1974, p. 394.
  11. La Revue générale des sciences pures et appliquées, 15 octobre 1896.
  12. "Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), Lettres écrites à sa famille pendant ses missions diplomatiques à Bâle, Paris, Vienne, Paris et Turin (1814-1816)", Genève, Fondation des archives de la famille Pictet, 2010, p. 3.
  13. "Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), Lettres écrites à sa famille pendant ses missions diplomatiques à Bâle, Paris, Vienne, Paris et Turin (1814-1816)", Genève, Fondation des archives de la famille Pictet, 2010, p.4.
  14. Jean-Daniel Candaux, "Histoire de la famille Pictet 1474-1974", Genève, Braillard, 1974, p.298.
  15. "Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), Lettres écrites à sa famille pendant ses missions diplomatiques à Bâle, Paris, Vienne, Paris et Turin (1814-1816)", Genève, Fondation des archives de la famille Pictet, 2010, p.5.
  16. Jean-Daniel Candaux, "Histoire de la famille Pictet 1474-1974", Genève, Braillard, 1974, p.302.
  17. "De la neutralité de la Suisse dans l'intérêt de l'Europe", Paris-Genève, 1860.
  18. "Des bergeries familiales d'Odessa à la légation royale de Bavière à Paris : Charles René Pictet de Rochemont (1787-1856) : (lettres, documents, correspondance diplomatique)", Genève, Fondation des archives de la famille Pictet, 2011.

Bibliographie

  • Paul Widmer: Schweizer Aussenpolitik und Diplomatie von Pictet de Rochemont bis Edouard Brunner. Zürich 2003, ISBN 978-3250104322
  • Jean-Daniel Candaux: Histoire de la famille Pictet 1474-1974. Genf 1974.
  • Hans Brugger: Charles Pictet de Rochemont und Philipp Emanuel v. Fellenberg. Eine Freundschaft, 108 S., Dem Schweizervolk geschildert, Francke (Verlag) Bern 1915.
  • Leopold Boissier: Pictet de Rochemont, In: Grosse Schweizer, Atlantis Verlag , Zürich, Genf 1938.
  • Edmond Pictet: Biographie, travaux et correspondance diplomatique de C. Pictet de Rochemont. Lausanne 1892.

Liens externes


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