Coup d'État de la Légion et pogrom de Bucarest

Coup d'État de la Légion et pogrom de Bucarest

Le coup d'État de la Légion et le pogrom de Bucarest se sont déroulés entre le 21 et le 23 janvier 1941 à Bucarest en Roumanie.

Lorsque le Conducător Ion Antonescu décide de supprimer certains privilèges de la Garde de fer (en roumain: Garda de Fier), les légionnaires se révoltent. Pendant la rébellion et le pogrom, la Garde de fer tue 125 Juifs et 30 soldats périssent lors des affrontements avec les rebelles. Suite à ces évènements, le mouvement est dissout et 9 000 de ses membres sont jetés en prison.

Sommaire

Contexte

Suite à la Première Guerre mondiale, la Roumanie gagne de nombreux nouveaux territoires, la transformant en România Marela (Grande Roumanie historique). Cependant, l'approbation de l'union avec ces nouveaux territoires est assortie, par la communauté des nations lors du Traité de Versailles et ses annexes, à la condition de l'accord des droits fondamentaux aux minorités ethniques. Dans ces nouveaux territoires, et plus spécialement en Bessarabie et en Bucovine, se trouve un grand nombre de Juifs, dont la présence se distingue par leurs coutumes, leur langage et leur religion, par rapport à la majorité des Roumains. Les intellectuels, une grande partie des partis politiques et le clergé mènent une violente campagne antisémite, et beaucoup d'entre eux calquent leur politique sur l'Allemagne nazie.

Une clause secrète du pacte Molotov-Ribbentrop d'août 1939, donne à l'Union soviétique le feu vert pour reprendre la Bessarabie. Le 26 juin 1940, l'Union soviétique donne un ultimatum de quarante huit heures aux Roumains pour évacuer leurs troupes de Bessarabie et de Bucovine du nord, et sans attendre envahit le territoire. En août 1940, la "médiation" de l'Allemagne et de l'Italie dans le différend entre la Roumanie et la Hongrie concernant la Transylvanie, aboutit au Second arbitrage de Vienne, puis dans celui entre la Roumanie et la Bulgarie concernant la Dobroudja, se solde par les accords de Craiova. Ces deux accords obligent la Roumanie à céder une grande partie de son territoire à la Hongrie et à la Bulgarie.

Pendant le retrait de l'armée roumaine de Bessarabie, de nombreux habitants manifestent leur joie. S'il est attesté qu'il y a eu des attaques contre les troupes roumaines, par contre, la majorité des rapports roumains ne désignent que les Juifs comme assaillants, ce qui est loin d'être la vérité, et qu'il est maintenant prouvé que certains de ces rapports ne sont que de pures inventions[1]. En réalité, la majorité des manifestants et des attaquants se trouve aussi bien être des Ukrainiens, des Russes, des communistes, des criminels fraichement libérés et même des Roumains ethniques[1],[2]. Ces rapports, indépendamment de leur véracité, attisent les Roumains contre les Juifs, renforçant les sentiments antisémites existants.

Le peuple roumain est traumatisé et frustré d'être obligé de donner des territoires sans avoir combattu, et la position du régime s'en trouve affaibli. Le gouvernement se sert des Juifs comme bouc émissaire, avec le support de la presse[1]:

« Confronté avec une crise extrêmement grave, et émettant des doutes sur la survie de son régime, le gouvernement roumain se sert des Juifs comme "paratonnerre" pour canaliser le mécontentement de la population vers cette minorité. Il est remarquable de noter la réaction de la presse roumaine, dont la rage est dirigée contre les Juifs et non contre les soviétiques, les véritables agresseurs. Compte tenu que la presse est censurée en 1940, le gouvernement est forcé avoir joué un rôle dans cette partialité. Une forme typique de désignation anticipée du bouc émissaire a été de faire savoir aux dirigeants juifs que les autorités roumaines allaient lancer des actions de répression contre les Juifs »

Les lois antisémites commencent en Roumanie par le Jew Codex, et l'établissement du gouvernement de Statul Național Legionar (État national légionnaire) qui instaure une loi de roumanisation, qui dépossède les Juifs de leurs biens et les distribue aux partisans du nouveau régime, créant ainsi un climat dans lequel l'antisémitisme est vu non seulement comme légitime mais même comme souhaitable.

Le conducător Ion Antonescu et le gouvernement fasciste antisémite mis en place par Horia Sima, le président du mouvement d'extrême droite, la Garde de fer, ou la Légion précédemment dénommée la Légion de l'Archange Michael (Legiunea Arhanghelului Mihail), ont entre leurs mains le contrôle de l'ensemble de la politique. Le ton monte entre les deux leaders sur le sujet du vol de la population juive. Antonescu pense que le vol se fait au détriment de l'économie roumaine et que celui-ci ne profite pas au gouvernement, mais seulement aux légionnaires et à leurs acolytes. En plus de la question juive, les légionnaires, arrivant au pouvoir après de nombreuses années de persécutions par le régime précédent du roi Charles II, qui fit même tuer leur précédent leader, Corneliu Zelea Codreanu, sont animés de haine contre tous ceux qui sont associés au régime.

Horia Sima, le chef de la Garde de fer

Préparation de la rébellion

Le désaccord entre Antonescu et la Garde de fer concernant le dépouillement des Juifs, ne concerne pas le vol lui-même, mais sa méthode et la destination finale des biens spoliés. Antonescu souhaite que le vol soit fait par voie d'expropriation, progressivement, par la promulgation de lois antisémites successives spécifiques.

« …Les légionnaires veulent tout et le veulent immédiatement; Antonescu, bien que partageant le même but, essaye de l'atteindre graduellement, en utilisant des méthodes différentes. Le leader l'explique clairement dans un discours devant les ministres nommés par la Légion: "Pensez-vous réellement que nous puissions remplacer tous les Yids immédiatement? Les défis du gouvernement sont abordés un à un, comme dans un jeu d'échecs"[1]. »

Les légionnaires se dépêchent de dérober autant que possible et le plus rapidement possible, en utilisant des méthodes basées sur la terreur, la torture ou le meurtre. Les légionnaires ont aussi un différent supplémentaire avec la minorité allemande vivant en Roumanie. Selon les lois de roumanisation, les Juifs sont forcés de vendre leurs entreprises, et les Roumains en profitent pour leur acheter à très vils prix. Mais la minorité allemande entre en compétition et offre aux Juifs des meilleurs prix que ceux proposés par les légionnaires, en moyenne un cinquième de la valeur réel des biens. Les Allemands sur place reçoivent en prêt de l'Allemagne, l'argent roumain payé aux Allemands pour l'entretien de leurs régiments installés en Roumanie, pour protéger celle-ci des soviets. Antonescu demande aux légionnaires de cesser leurs actions de terreur. Les légionnaires décident alors de préparer un coup d'état afin de renverser Antonescu et de prendre seuls le contrôle du pays[3].

Tout d'abord, les légionnaires commencent par discréditer Antonescu, en signalant ses relations familiales avec les Juifs, sa belle-mère et son ex-femme, avec qui il s'était marié lorsqu'il effectuait une mission diplomatique en France, sont juives. Ils l'accusent aussi d'être lié avec la franc-maçonnerie. Selon la propagande nazie, les francs-maçons sont les ennemis de l'humanité, dépassés en perversité seulement par les Juifs.

Dans les 20 jours précédant la rébellion, le niveau de la propagande antisémite croit de façon importante, les légionnaires utilisent tous les moyens à leur disposition. La propagande se focalise sur la nécessité de résoudre le problème juif. Horia Sima et ses camarades recherchent la sympathie du régime nazi en Allemagne, et du fait des similarités idéologiques entre les deux mouvements, ils trouvent un certain nombre de partisans parmi les dignitaires nazis.

Le général Antonescu, qui a le support de l'armée roumaine, rencontre Adolf Hitler le 14 janvier 1941 en Allemagne. Lors de cette rencontre, Antonescu promet à Hitler la coopération de la Roumanie dans un conflit future avec l'Union soviétique, et obtient l'accord tacite d'Hitler pour éliminer ses opposants dans le mouvement légionnaire.

Du 17 au 19 janvier, le Légion organise une série de conférences à travers la Roumanie, afin de démontrer la nature nationale-socialiste de leur mouvement, et de montrer à Hitler leur loyauté.

Antonescu prend des mesures afin de restreindre les actions de la Légion. Le 19 janvier, il émet un ordre résiliant la position des commissaires de roumanisation; ces postes, très bien payés, étaient détenus par des légionnaires. En plus, il chasse les personnes responsables des actes de terreur commis par les légionnaires, le ministre de l'intérieur Constantin Petrovicescu, et les commandants de la police de sécurité et de la police de Bucarest. À leur place, il nomme des militaires loyaux. Les militaires prennent aussi contrôle des installations stratégiques, comme les standards téléphoniques, les commissariats de police ou les hôpitaux. Les officiers de région, légionnaires, sont convoqués dans la capitale pour une consultation économique importante et sont arrêtés au milieu de la réunion.

La rébellion

Le 20 janvier 1941, un officier allemand, que l'on suppose être le commandant Döring, chef de l'Abwehr (service de renseignement de l'état-major allemand) dans les Balkans, est abattu à Bucarest par un Grec. Les raisons de ce meurtre demeurent toujours inexpliquée, mais va servir d'étincelle pour déclencher le coup d'état par la Légion. Antonescu a changé les commandants de la police de sécurité et de la police de Bucarest, mais leurs subordonnés continuent à recevoir des ordres directement d'Horia Sima et font blocage à l'installation de leurs nouveaux commandants. Les légionnaires armés d'armes à feu, prennent le Ministère de l'Intérieur, les commissariats de police et les autres bâtiments gouvernementaux et municipaux, en ouvrant le feu sur les soldats qui gardent ses bâtiments[4].

Les déclarations publiques d'Antonescu dans le but de calmer le peuple, ne sont ni publiées ni radiodiffusées, l'ensemble des média étant entre les mains des légionnaires. Par contre, les légionnaires appellent le peuple à s'insurger contre les Juifs et les francs-maçons, insinuant les relations d'Antonescu[4].

Les gens qui risquent d'être des cibles potentielles se terrent dans les ministères. Les principaux chefs des légionnaires, avec à leur tête Horia Sima, passent à la clandestinité. Les légionnaires recrutent des masses de paysans dans les villages avoisinant. Ceux-ci envahissent les rues de Bucarest, répondant à l'appel de défendre le pays contre les Juifs et les francs-maçons. Les légionnaires prennent les stations-service et les dépôts de carburants et utilisent des bidons d'huile bouillante comme arme contre les soldats. Seuls 15 officiers loyaux restent avec Antonescu dans son palais[4].

L'armée roumaine va se défendre pendant deux jours, et essaye d'assiéger les places fortes des légionnaires, mais n'initie aucune attaque leur laissant même parfois les mains libres. Les légionnaires publient des déclarations, annonçant que les Juifs se sont révoltés. Pendant la rébellion, le seul journal publié est celui des légionnaires qui engage une vigoureuse propagande antisémite et qui finit chaque article par le leitmotiv: « Vous savez qui vous devez abattre » [4].

Le pogrom de Bucarest

Le pogrom de Bucarest n'est pas un effet secondaire du coup d'état de la Légion, mais un évènement majeur de celui-ci, organisé à dessein pour légitimer la rébellion et pour assimiler les opposants à la Légion aux sympathisants des Juifs.

De nombreux groupes prirent part aux émeutes contre les Juifs: des officiers de police loyaux aux légionnaires, des syndicats de travailleurs, des unions d'étudiants, des étudiants des grandes écoles, des Roms et des criminels. Les attaques contre les deux quartiers juifs de Bucarest, Dudești et Văcărești, commencent quelques heures avant la rébellion. Le ministre Vasile Iasinschi donne l'ordre de mettre à sac les quartiers juifs et la foule déchainée prend d'assaut les maisons des Juifs, les synagogues et les autres institutions. Les quartiers généraux des légionnaires deviennent des centres de torture. Les maisons des Juifs sont incendiées et leurs habitants regroupés dans des lieux où ils sont torturés pour les dépouiller de leurs biens, et les femmes violées. Les Juifs sont abattus au hasard, mais aussi selon des plans préparés d'avance. Certains Juifs sont jetés du dernier étage du commissariat général de la police, et d'autres exécutés dans l'abattoir.

Les militaires dans leur ensemble ne prirent pas part au pogrom, ni les officiers de police fidèles à Antonescu. Ces policiers furent mirent aux arrêts après avoir du rendre leurs armes et leur uniforme.

Une synagogue détruite pendant le pogrom

Destruction des synagogues

Les légionnaires mettent le feu aux synagogues et dansent autour du brasier avec joie. Pour accomplir leur mission, ils utilisent des camions-citernes remplis d'essence dont ils aspergent les murs avant d'y mettre le feu.

Les fidèles sont dépouillés, les objets de culte volés, les livres saints et les rouleaux de Torah lacérés et embrasés. Les archives et des documents historiques plusieurs fois centenaires se trouvant dans la Grande synagogue sont brulés. Tout est saccagé, même les toilettes.

Quand les légionnaires pénètrent dans le Temple choral, c'est l'heure de la prière du soir. Ils emmènent l'officiant, Ozias Copstik, et les autres fidèles dans un centre de torture, puis les conduisent dans la forêt de Jilava où ils sont assassinés. Les légionnaires retournent alors au Temple choral avec un camion et chargent tous ce qui est transportable. Ils brisent l'armoire contenant les objets de culte et volent son contenu. Puis ils mettent le feu à la synagogue qui est gravement endommagée mais pas entièrement détruite par manque de carburant, et a pu, après la guerre, être reconstruite.

La synagogue Beth El est entièrement détruite à la hache, au marteau et à la barre métallique pour éviter l'embrasement des maisons voisines.

Une troupe de légionnaires, conduite par le prêtre Brigadeu, pénètre le 21 janvier dans la Cahal Grande (Grande synagogue séfarade) et s'y barricade en attendant l'armée. Mais l'armée ne vient pas. Les légionnaires commencent alors à piller les œuvres d'art se trouvant dans le temple, et considérées comme faisant partie des plus belles d'Europe. Les livres sur la religion, la bibliothèque, les rouleaux de Torah sont rassemblés au centre du temple et brulés. Dans la soirée du 22 janvier, les légionnaires amène un camion-citerne et mettent le feu au bâtiment, interdisant aux pompiers de l'éteindre. Témoin oculaire, le procureur militaire I.N. Vlădescu fera une déposition devant le tribunal populaire de Bucarest en 1946 après la guerre qui sera citée dans le Jurnalul de Dimineață du 21 janvier 1946:

« Le Temple espagnol ressemblait à une torche géante qui illuminait lugubrement le ciel de la ville. Les légionnaires dansaient comme des diables, en tirant en l'air et en chantant leur hymne tinereții legionare (La Garde des jeunes), tout en frappant avec leurs bottes, dans leur fureur sauvage, trois femmes nues, afin de les pousser dans les flammes. Les victimes écrasées, dans leur atroce désespoir, déchiraient l'air de leurs cris de douleur[5]. »

De rares synagogues sont épargnées, comme la Grande synagogue où une employée chrétienne, Lucreția Canjia, supplie les émeutiers de ne pas bruler une maison de Dieu en leur rappelant les valeurs chrétiennes.

Les centres de torture

Les Juifs ne sont pas uniquement torturés pour leur voler leurs biens cachés, mais aussi par de jeunes sadiques, et parmi eux des adolescents, dont le seul but est la torture pour leur propre plaisir. Les tortures durent des heures voire des jours, les tortionnaires se relayant à tour de rôle. Les Juifs sont forcés de donner tout ce qu'ils ont sur eux, et parfois même leurs habits, d'avouer où se trouvent leurs biens et ceux de la communauté, et après avoir parlé, ils sont froidement abattus[6]. Parfois, avant de les tuer, on les force à écrire une lettre de suicide.

Les tortionnaires sont dirigés par Mircea Petrovicescu, le fils de Ministre de l'intérieur déposé par Antonescu. Petrovicescu lui-même procède à des interrogations. Il accroche des Juifs sur des cibles et tire en visant de plus en plus près de leur tête afin qu'ils avouent où se trouve leur argent, leurs bijoux et autres biens cachés. Il accroche aussi des femmes juives nues sur les cibles et leur coupe les seins. Uns seule femme survit à cette torture, mais elle est abattue par la suite avec d'autres Juifs. Les femmes légionnaires prennent aussi part au pogrom; tous les survivants confirment leur implication dans les tortures. Selon des témoins, des femmes légionnaires déshabillaient des hommes juifs et leur coupaient les organes génitaux[2].

  • La préfecture de police

A partir du 20 janvier, des dizaines de Juifs sont arrêtés et conduits à la préfecture de police et dans d'autres centres de torture. Parmi les personnes amenées à la préfecture, on trouve: Sigmund Goldfarb, le président de la communauté juive de Bucarest, Moise Orecovscky, le responsable du bureau d'émigration vers la Palestine, le Dr M. Cottiennes, M. Lindner, A. Shapira et C. Haimovici, tous les quatre membres de la commission officielle de l'émigration vers la Palestine. Tous sont torturés si sauvagement que deux des victimes préfèrent se jeter par la fenêtre du troisième étage: le Dr. Aschenazy est tué sur le coup, tandis que A. Aftalion, grièvement blessé, va rester un long moment sans secours. 15 personnes prises au hasard parmi les personnes arrêtées, sont conduites à l'abattoir et assassinées[7].

  • Bureaux de la CML "Eng George Clime", 37 route de Călărași

Près de 200 Juifs sont amenés dans ces bureaux. Parmi eux, le rabbin H. Gutman, ses fils Iancu et Iosef, Sigmund Colin le trésorier de la communauté juive de Bucarest, S. Rivensohn le secrétaire général de la communauté, Mayer Marcus l'intendant du Temple choral ainsi que sa femme Fany. Tous les Juifs sont roués de coup et volés. Les femmes sont conduites au sous-sol et fouettées avant d'être libérées. Les hommes sont torturés de 19 heures jusqu'au matin du 22 janvier, puis sont divisés en deux groupes. Le premier groupe est conduit à Jilava où ils sont abattus. Le second est emmené à Bucarest à la Ferma Căpitanului (Moulin Străulești).

Les commissaires de la Légion, Robescu et Jipescu, avec un groupe d'environ 40 jeunes gardes, la plupart des ouvriers de l'usine Parcomer sont les responsables des tortures affligées dans ce centre. Les victimes ont été arrachées de leur maison, raflées dans la rue, ou capturées à l'organisation sioniste de la rue Pann. Parmi ces 150 victimes, se trouvent le journaliste Horia Carp, âgé de 72 ans, ancien sénateur et ancien secrétaire général de communauté juive de Bucarest, son fils Matatias Carp, secrétaire général de la Fédération des unions juives de Roumanie, ainsi qu'un groupe de 20 jeunes Juifs, prêts à partir pour la Palestine. Toutes les victimes sont lacérées de coups de ciseaux, dépouillées de tout ce qu'elles ont sur elles, battues à de nombreuses reprises, et forcées d'avaler une grande quantité de sel mélangé avec de l'huile, de l'essence et du vinaigre, un mélange fortement purgatif, et emprisonnées dans une petite cellule dans la cave, avec interdiction de se rendre aux toilettes. Pendant toute la période de rétention de 46 heures, les légionnaires descendent tous les quarts d'heure pour les battre[8].

  • Siège de l'union des communautés juives, 3 rue Burghele

Une équipe de 24 légionnaires, dirigée par C. Măruntu, envahit le siège de l'Union dans la nuit du 21 au 22 janvier. Après avoir fait sauter la porte, les légionnaires pénètrent dans les bureaux et dévastent tout ce qui s'y trouve. Ils se rendent alors tout d'abord chez le Grand-Rabbin, Dr. Alewxandru Șafran et saccagent son appartement, dérobant tout ce qui possède de la valeur, puis chez l'ingénieur C. Salomon qu'ils enferment dans la cave avec sa femme et sa fille, pendant qu'ils pillent leur maison.

  • Le Moulin Străulești, dans le Nouveau Bucarest

Le Moulin Straulesti sert de centre de détention pour 79 Juifs, qui vont être battus pendant deux jours et une nuit, menacés de mort, affamés, ne recevant pendant toute cette période qu'une seule tranche de pain. Après avoir été torturés, ils sont relâchés dans la campagne, nus et sans chaussure dans la neige, à une distance de 16 kilomètres de la ville.

  • Mairie de Jilava

Les Juifs qui survivent à la première exécution de la forêt de Jilava sont transférés dans la mairie de Jilava: parmi eux, le rabbin Zvi Gutman, le chantre Ozias Copstik et le docteur Eugen Solomon qui était venu chercher son frère. Il n'existe pas de données fiables sur les actes de torture auxquels ils ont été soumis, car presque tous ont été par la suite abattus. Le rabbin Gutman qui a survécu a été battu et trainé par les cheveux et la barbe[9].

  • Autres centres de détention et de torture: le siège central de la Légion, rue de Rome; le siège de la Légion, 1 rue Circulaire; le commissariat de police XII, du quartier Moșilor.
Cadavres de Juifs dénudés, dans la neige, dans la forêt de Jilava

Massacre de la forêt de Jilava

90 Juifs sont transférés par camion des centres de torture de la Légion dans la forêt de Jilava où on leur tire une balle dans la tête. Le lendemain, quelques légionnaires se rendent dans la forêt pour récupérer les vêtements des morts et les dents en or[10]. Parmi les morts de la forêt de Jilava, on relève le nom d'Alexandru Solomon, pharmacien, vice-président de la communauté, Ozias Copstik (ou Cuperștic) le chantre du Temple choral, Jacob et Joseph Gutman, les fils du rabbin Zvi Gutman, qui lui a survécu malgré les deux balles reçues en pleine tête. Un autre fils du rabbin Gutman, Efraim Gutman deviendra rabbin de la synagogue Jacob et Joseph Gutman à Tel Aviv[11].

Massacre de l'abattoir

Le 23 janvier, quelques heures avant la répression de la rébellion, un groupe de Légionnaires sélectionne 15 Juifs au hasard parmi ceux retenus à la Préfecture de police, et les conduit par camions à l'abattoir où ils sont abattus d'une balle dans la nuque[7]. Cinq des agonisants, dont une petite fille de cinq ans, sont pendus encore vivants à des crochets de l'abattoir. Puis après les avoir encore torturés, les légionnaires leur coupent le ventre et sortent leurs intestins qu'ils enroulent autour des cous des victimes, puis apposent dessus les corps une pancarte marquée Cacher[12]. L'abattoir est fermé pendant une semaine pour le nettoyer de ce carnage[2].

Quand Antonescu appointera un procureur militaire pour investiguer les faits passés à l'abattoir, celui-ci indiquera qu'il reconnait parmi les corps « torturés professionnellement », trois de ses amis, l'avocat Millo Beiler et les frères Rauch. Il ajoutera: « les corps des morts étaient pendus sur des crochets utilisés par les abatteurs[1]. »

L'écrivain roumain Virgil Gheorghiu écrira plus tard dans Mémoires : Le Témoin de la vingt-cinquième heure[13] :

« Dans le grand hall de l’abattoir, où le bétail est suspendu avant d’être découpé, se trouvaient des corps humains nus…Sur certains de ces corps était inscrit CUȘER (Cacher). C'était des corps de Juifs…Mon âme était souillée. J'étais honteux de moi-même. Honteux d'être roumain, comme les criminels de la Garde de fer[14] »

Bilan du pogrom

Pendant le pogrom, 125 Juifs de Bucarest ont été assassinés: 120 corps ont été retrouvés, et cinq n'ont jamais pu être découverts. D'autres Juifs qui ne faisaient pas partie de la communauté de Bucarest et qui pouvaient se trouver dans la ville, ont peut être aussi été tués.

Pendant les émeutes, 1 274 ateliers, usines, magasins et appartements ont été saccagés ou détruits. Après la fin de la rébellion, les militaires saisirent le butin des légionnaires, qui remplissait 200 camions (sans compter l'argent et les bijoux).

La répression du coup d'état

Pendant la rébellion, Antonescu évite la confrontation directe avec les légionnaires, mais fait venir des autres villes à Budapest des unités militaires, comprenant 100 chars. Alors que le chaos s'installe à Bucarest, Hitler commence à s'inquiéter de voir son allié potentiel sombrer dans l'anarchie. Les images horrifiques du pogrom se répandent et attirent de la compassion pour les victimes parmi la population. L'armée est furieuse contre les légionnaires, qui ont capturés des soldats, les ont désarmés et leur ont retiré leur uniforme. Plusieurs soldats ont même été brûlés. Quand Antonescu pense que le moment est le plus approprié, il donne l'ordre de mater la rébellion. L'armée, dirigée par le général Ilie Șteflea, réprime la rébellion en quelques heures sans grande difficulté. Les légionnaires ne peuvent pas se défendre contre les canons et les chars de l'armée.

Quand l'armée attaque leur quartier général, les légionnaires s'enfuient. Pendant les escarmouches, 30 soldats sont tués et une centaine d'autres blessés. Le nombre de légionnaires tués est d'environ 200[15], bien que quelques années plus tard, Horia Sima annoncera environ 800 légionnaire tués[2]. Une fois la rébellion matée, Antonescu s'adresse au public à la radio, expliquant sa vérité, mais en ne mentionnant jamais le pogrom. Il demande à la garnison allemande, qui était restée passive durant le coup d'état, d'apporter son support. Les troupes allemandes défilent alors à travers des rues de Bucarest, s'arrêtant devant le bâtiment du Premier ministre, où elles applaudissent Antonescu[16].

Après la chute des légionnaires, tous les opportunistes qui s'étaient joints à eux auparavant s'enfuient. La presse arrête de les supporter, mais reste antisémite et nationaliste. Certains responsables légionnaires, y compris Horia Sima, s'enfuient en Allemagne. Près de 9 000 membres de la Légion sont arrêtés et envoyés en prison.

Les légionnaires qui avaient mené le combat antisémite en Roumanie ne reviendront plus au pouvoir, mais le mouvement continue même sans eux, bien qu'il soit pendant un certain temps mis en sommeil, quand les atrocités du pogrom de Bucarest seront révélées progressivement au public roumain. Quelques mois plus tard le pogrom de Iași dépassera par son ampleur celui de Bucarest.

Négation du pogrom et théorie de la conspiration

La négation du pogrom et des actes de cruautés commis dans les centres de torture, à l'abattoir et dans la forêt de Jilava, commence immédiatement après la répression de la rébellion et dès que des documents commencent à être publiés avec des détails sure l'action des légionnaires. La Légion, par la voix de ses chefs essaye de nier qu'il y ai eu un pogrom à Bucarest, et que des actes de barbarie aient été commis. Ils émettent même différentes théories, dont celle que le coup d'état contre le général Antonescu est une prétendue conspiration des Juifs et/ou des communistes[1].

Un des responsables du pogrom, Valerian Trifa, a préféré renoncer à la nationalité américaine en 1982 et a quitté les États-Unis, plutôt que d'être jugé et expulsé.

Voir aussi

Pogrom de Iași

Notes

  1. a, b, c, d, e et f (en) et (ro): The report of the International Commission on the Holocaust in Romania; consulté le 11 mars 2007.
  2. a, b, c et d (he): Jean Ancel: Histoire de la Shoah - Roumanie; éditeur: Yad Vashem; Israël; 2002; isbn: 9653081578; concernant le pogrom lui-même, voir le volume I, p.363-400.
  3. (he) Jean Ancel, Histoire de la Shoah – Roumanie, Yad Vashem, Israël, 2002, p. 354-361 (ISBN 9653081578).
  4. a, b, c et d (he): Jean Ancel: Histoire de la Shoah – Roumanie; éditeur: Yad Vashem; Israël; 2002; chapitre 11; isbn=9653081578
  5. (ro): „Jurnalul de Dimineață" du 21 janvier 1946: [1]
  6. (ro): Matatias Carp: Cartea Neagră; seconde édition; éditeur: Diogene; 1996; vol. 1; pages: 183-184
  7. a et b (ro): Matatias Carp: Cartea Neagră; seconde édition; éditeur: Diogene; 1996; vol. 1; page: 182
  8. (ro): Matatias Carp: Cartea Neagră; seconde édition; éditeur: Diogene; 1996; vol. 1; pages: 182-183
  9. (ro): Matatias Carp: Cartea Neagră; seconde édition; éditeur: Diogene; 1996; vol. 1; page: 185
  10. (ro): Professeur Iaacov Geller: Rezistența spirituală a evreilor români în timpul Holocaustului; éditeur: Hasefer; 2004; page: 34
  11. (ro): Professeur Iaacov Geller: Rezistența spirituală a evreilor români în timpul Holocaustului; éditeur: Hasefer; 2004; page: 35
  12. (ro): Professeur Iaacov Geller: Rezistența spirituală a evreilor români în timpul Holocaustului; éditeur: Hasefer; 2004; pages: 430-431
  13. Virgil Gheorghiu : Mémoires : Le Témoin de la vingt-cinquième heure ; Éditions Plon ; 1986 ; ISBN 2259014356
  14. (en): The Holocaust in Romania Under the Antonescu Government
  15. (en): The Nizkor Project - The Pre-War Years; consulté le 5 août 2010
  16. (he): Jean Ancel: Histoire de la Shoah – Roumanie; éditeur: Yad Vashem; Israël; 2002; pages: 374-375; isbn=9653081578


Bibliographie

  • (he): Jean Ancel: History of the Holocaust; éditeur: Yad VaShem; 2002
  • (ro): Matatias Carp: Cartea Neagră; vol 1; éditeur: Diogene; 1996
  • (ro): Iaacov Geller: Rezistența spirituală a evreilor români în timpul Holocaustului; éditeur: Hasefer; 2004
  • (en): Radu Ioanid: The Holocaust in Romania: The Destruction of Jews and Gypsies Under the Antonescu Regime, 1940-1944; éditeur: Ivan R. Dee; 2000; (ISBN 1566632560).

Liens externes


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