Art safavide

Art safavide

Lappellation art safavide regroupe la production artistique qui a eu lieu en Iran durant la dynastie éponyme, entre 1501 et 1722. Elle marque un apogée dans lart du livre et de larchitecture persans alors que les arts mineurs tels que la céramique, lart du métal ou le verre ont plus ou moins tendance à péricliter. Bien que nourri de culture persane, lart safavide est fortement influencé par les cultures turkmène (eu égard aux origines de la dynastie), chinoise, ottomane et occidentale.

Sommaire

Contexte historique

Shah Ismail, le fondateur de la dynastie des Safavides
Carte de lempire safavide

La dynastie safavide est issue dune confrérie turcophone appelée Safavieh qui apparaît en Azerbaïdjan vers 1301, avec le Shaykh Safi al-Din, qui lui donne son nom. Les Safavides ont largement contribué à la diffusion du chiisme duodécimain qui considère le douzième imam caché comme son dirigeant.

Ce nest toutefois quen 1447 que la dynastie safavide commence à montrer des ambitions politiques, avec la prise de pouvoir de Shaykh Djunayd. Un système de luttes et dalliances avec les tribus turkmènes sinstaure, entraînant lextinction la dynastie des Qara Qoyunlu régnant jusque sur la région de Tabriz, opposée à celle des Aq Qoyunlu installés en Anatolie. Haydari, le successeur de Djunayd, étant rapidement tué, Shah Ismail, alors âgé de douze ans, prend la tête du mouvement en 1499. Une vigoureuse propagande se met bientôt en place permettant de recruter une armée. En 1500, ses 7000 soldats défont les troupes Turkmènes, fortes de 30 000 hommes, et en 1501, Shah Ismaïl entre à Tabriz au nord-ouest de lIran, proclame le rite imâmite religion dÉtat et fait frapper les premières monnaies à son nom.

Lexpansion territoriale saccélère vers Bagdad et lempire ottoman, mais larrivée de Selim Ier à la tête de lempire ottoman qui interdit le chiisme, ainsi que la bataille de Çaldiran (22 août 1514) marquent un coup darrêt. Larmée safavide ne connaissant pas lusage des armes à feu[1], subit une cuisante défaite. Selim Ier entre dans Tabrizdont il se retire quelques mois plus tard en raison de querelles internes —, et annexe une grande partie du territoire safavide. Shah Ismaïl, dont lascendance divine est fortement remise en cause, se retire de la vie politique tandis que les relations avec les Turkmènes Qizilbash se dégradent. En 1515, linstallation des Portugais à Ormuz amorce un commerce florissant vers lEurope.

Après la mort de Shah Ismaïl, son fils de dix ans Shah Tahmasp arrive au pouvoir. Peu brillant sur le plan militaire, il cède la ville de Bagdad à Soliman le Magnifique, transfère sa capitale à Qazvin en 1548 et signe finalement en 1555 le traité dAmaziya, qui assure une paix durable. Son règne, le plus long de toute lhistoire de la Perse, est marqué par la signature vers ses vingt ans dun « édit de repentance » qui instaure une religion autoritaire, interdisant la musique, la danse, les boissons alcoolisées ou encore le haschich.

Un pont de lépoque Safavide à proximité de Qazvin.

Douze ans de confusion suivent la mort de Tahmasp en 1576, et il faut attendre larrivée de Shah Abbas pour retrouver un calme relatif. Celui-ci signe très rapidement une paix très défavorable avec les Ottomans, pour se donner le temps de mettre sur pied une armée de ghulams (mercenaires caucasiens, arméniens et géorgiens). Des ghulams sont également intégrés à une administration centralisée, occupant les places de Turkmènes jugés trop remuants[2]. Ces différentes mesures permettent au shah de battre les troupes ouzbèkes et de reprendre Herat en 1598, puis Bagdad en 1624. Ce règne, le plus épanoui de la dynastie, donne lieu à un commerce et un art florissants, notamment avec la construction de la nouvelle capitale dIsfahan.

La période suivant la mort de Shah Abbas est un long déclin, en partie au « système du harem », qui favorise les intrigues et les manipulations. Le règne de Shah Safi (r. 1629-1642) se fait remarquer pour sa violence arbitraire et ses reculs territoriaux ; celui de Shah Abbas II marque le début de lintolérance religieuse envers les dhimmis et notamment les juifs[3], état qui se perpétue sous Shah Sulayman et Shah Husayn. Une rébellion des Afghans en 1709 conduit finalement à lextinction de lempire en 1722.

Architecture et urbanisme

Sous Shah Ismail

La tombe de Shaykh Safi à Ardabil et une partie du complexe qui lui est associé

Si le premier shah safavide poursuit une politique assez intensive de restauration et de conservation dans les grands lieux du chiisme, comme Kerbala (1508), Najaf (1508) et Samarra en Iraq et Mashhad (1514) dans lest de lIran, etc., perpétuant ainsi les traditions timurides et turkmènes, son mécénat architectural comme constructeur est quasiment nul, ceci sans doute car la conquête safavide sest réalisée sans destructions majeures. Ainsi, à Tabriz, la nouvelle capitale, tous les monuments turkmènes subsistants pourvoient largement aux besoins du shah et de la cour. Cest néanmoins bien Ismail qui fait de la ville dArdabil (nord de lIran) un centre dynastique et un lieu de pèlerinage, en embellissant le complexe situé autour du tombeau de Shaykh Safi et en y enterrant les restes de son père en 1509. On lui doit notamment lédification du Dar al-Hadith, un hall dédié à létude des hadiths, faisant pendant au vieux dar al-Huffaz, qui servait à réciter le Coran[4]. Cest sans doute également lui qui a planifié sa propre tombe, même si celle-ci a peut-être été réalisée peu après sa mort. On peut également créditer Ismail de la restauration de la masjed-e Jāmeh de Saveh, en 1520, dont la décoration extérieure a disparu, mais le mihrab combine une utilisation du stuc archaïsante et un décor délicat darabesques en mosaïque de céramique. Une autre mosquée de Saveh, la masjed-e meydān, a reçu un mihrab similaire, daté par deux inscriptions entre 1510 et 1518.

Dormish Khan Shamlu, beau-frère dIsmail, pallie partiellement ce manque de constructions à partir de 1503. En effet, ce gouverneur dIsfahan, qui réside plus souvent à la cour de Tabriz que dans sa ville, en laisse les rênes à Mirza Shah Hussein Isfahani, le plus grand architecte de lépoque, qui y édifie notamment la tombe de Harun-e Vilayat en 1512-1513[5]. Signalé par un voyageur occidental comme un grand lieu de « pèlerinage de Persans » (tant musulmans que juifs et chrétiens), ce monument est constitué dune chambre carrée sous une coupole, un plan tout à fait traditionnel. La coupole repose sur un haut tambour, des muqarnas emplissant la zone de passage octogonale. Deux minarets actuellement disparus magnifiaient le grand porche tandis que le décor dhazerbaf et de mosaïque de céramique, concentré sur la façade, restait dans la tradition timuride. La façade, rythmée par des arcs aveugles, est ainsi unifiée grâce au décor de fond, comme cétait déjà le cas à la mosquée de Yazd. On doit ajouter à ce tombeau la mosquée masjed-e Ali toute proche, achevée en 1522 sur ordre du même commanditaire.

Sous Shah Tahmasp

Comme son prédécesseur, Shah Tahmasp, au début de son règne (1524 - 1555) reste assez peu actif en ce qui concerne le mécénat architectural, se contentant de restaurations et dembellissements, toujours dans la lignée des grandes dynasties précédentes. Ce sont en particulier les grandes mosquées de Kerman, Shiraz et Isfahan, et les sanctuaires de Mashhad et dArdabil qui bénéficient de ses soins. Dans ce dernier lieu, on peut citer la tour funéraire de Shah Ismail, peut-être commandée par celui-ci, mais qui fut sans doute réalisée dans les premières années du règne de Shah Tahmasp, bien quaucune date ne soit mentionnée. Elle est située juste à côté de la tour funéraire du fondateur de la dynastie et, du fait de cette proximité, a un diamètre assez restreint. Elle semble donc un peu écrasée par le monument voisin. Démesurément haute, elle contient trois petites coupoles superposées, et joue sur un décor de céramique divisé en de nombreux registres pour éviter la monotonie. La couleur jaune de la céramique décorative est, en revanche, un élément totalement nouveau. Toujours à Ardabil, on attribue aussi à Shah Tahmasp le Jannat Sara, un édifice octogonal avec des dépendances et des jardins très dégradé au XVIIIe siècle (et très restauré). Situé au nord-est du tombeau, il daterait, selon Morton, des années 1536 - 1540[6]. Son utilisation première est encore discutée, car il est mentionné comme une mosquée dans les sources européennes, mais non dans celles de Perse, ce qui soulève quelques interrogations. Était-il prévu dy disposer la tombe de Shah Tahmasp, en fait enterré à Mashhad ? Cest de cet endroit que proviennent les fameux tapis dArdabil [voir plus loin].

On doit aussi à Shah Tahmasp un palais à Tabriz, sa capitale jusquen 1555, dont rien nest conservé sauf une description par le voyageur italien Michele Membre, qui visite Tabriz en 1539. Selon lui, il se composait dun jardin entouré de murs de pierre et de terre avec deux portes dun grand meydān à lest et dune nouvelle mosquée.

À la fin du règne, Tahmasp organise les jardins de Sādatabad. Celui-ci, comme tous les jardins persans, est divisé en quatre par deux allées perpendiculaires et bordé par un canal, disposition que lon retrouve notamment dans les tapis-jardins de la même époque. Il contient des bains, quatre marchés couvert et trois pavillons de plaisance : le Gombad-e Muhabbat, lIwan-e Bāgh et le Chehel Sutun. Le nom de ce dernier, édifié en 1556, signifie « palais aux quarante colonnes », nom qui sexplique par la présence de vingt colonnes reflétées dans un bassin. Dans la tradition persane, le nombre quarante est fréquemment employé pour signifier une grande quantité. Cette petite construction à un étage servait de lieu daudience, pour les banquets ou à des fins plus privées. Elle était décorée des panneaux peints de scènes littéraires persanes, comme lhistoire de Farhad et Shirin, ainsi que de scènes de chasses, de fêtes ou de polo, etc. Des bandes florales entouraient ces panneaux réalisés sur des modèles de Shah Tahmasp lui-même, peintre à ses heures, ou encore de Muzaffar Ali ou Muhammadi, alors employés dans latelier-bibliothèque (ketab khaneh) royal.

Dans la ville de Nain, la maison du gouverneur, bâtie sur un plan à quatre iwans, présente une décor élaboré sans doute entre 1565 et 1575[7] selon une technique rare et très sophistiquée : sur une couche de peinture rouge, lartiste a posé un enduit blanc, puis la gratté pour laisser apparaître en silhouette rouge des motifs rappelant ceux de lart du livre et des tissus. On y trouve des combats danimaux, des princes en trône, des scènes littéraires (Khosrow et Shirin, Yusuf et Zuleykha), un jeu de polo, des scènes de chasse, etc. On note que les silhouettes se courbent et que le taj, la coiffure caractéristique des Safavides au début de lempire a disparu, selon la mode de lépoque. Dans des cartouches sont calligraphiés des quatrains du poète Hafez.

Sous Shah Abbas

Le règne de Shah Abbas marque lexplosion de larchitecture safavide, avec la construction dune nouvelle Isfahan.

Ispahan

Dessin du meydān de G. Hofsted van Essen, 1703, bibliothèque de l'Université de Leyde.

Pour la troisième fois dans lhistoire des Safavides, la capitale de lempire change sous Shah Abbas : cest Ispahan, une ville plus centrée que Tabriz ou Qazvin (situé entre Téhéran et Tabriz). Une nouvelle capitale est donc mise en place à côté de lancienne ville, organisée autour dun meydān, une grande place de 512 mètres de long sur 159 de large. Dun côté prend place la mosquée du Shah, de lautre loratoire du Shah, dit mosquée du Sheykh Lutfallah, tandis que le pavillon Ali Qapu ouvre sur une grande allée de plaisance (Chāhār Bāgh) et le grand bazar mène à la vieille mosquée du vendredi. Deux ponts traversent la rivière Zayandeh rud, menant à un quartier arménien prenant le nom de Néa Julfa.

Le Ali Qāpu
Article détaillé : Ali Qapu.
Ali Qapu et arcades du meydān, Ispahan, début du XVIIe siècle

Édifice assez haut, ouvrant dun côté sur le meydān et de lautre sur le Chāhār Bāgh, le pavillon Ali Qapu a sans doute été édifié en deux phases, selon Galieri, qui la longuement étudié. On y retrouve des traits caractéristiques de larchitecture iranienne, comme le goût pour les proportions deux tiers - un tiers, le portique en partie supérieure (talār), ou encore le plan cruciforme. Le décor rappelle souvent lart du livre contemporain, avec des nuages chinois, des oiseaux en vol, des arbres fleuris traités dans une palette douce. Les salles supérieure, dites salles de musique, présentent un décor de petites niches en forme de bouteilles à long col. Le Ali Qāpu servait de porte donnant sur lallée processionnelle à larrière, mais le Shah sen servait aussi pour se montrer et observer les jeux de polo et les présentations militaires qui avaient régulièrement lieu sur le meydān.

Le Qaysarieh, ou grand bazar
Entrée du Qaysarieh
Article détaillé : Grand bazar d'Esfahan.

Le grand bazar est raccordé à lancien marché dun côté et au meydān de lautre. Du côté ouvrant sur le meydān, sa haute voûte aux arêtes saillantes enserre une structure à plusieurs étages, dont la partie supérieure était réservée à lorchestre du Shah tandis quau-dessous se trouvaient les échoppes et les habitations, disposées selon les métiers. Un décor en mosaïque de céramique témoigne de lintérêt que portait le Shah à larchitecture civile autant quà l'architecture religieuse ou de plaisance.

La mosquée de Sheikh Lutfallah, ou oratoire du Shah
Article détaillé : Mosquée du Sheikh Lutfallah.
Mosquée du Sheikh Lutfallah, vers 1618-1618, Ispahan, intérieur

Cette mosquée fut la première construite dans la nouvelle Ispahan, avant la grande mosquée du Shah. Son chantier sétira sur seize longues années, mais deux dates (1616 sur le dôme et 1618 dans le mihrab) tendent à démontrer quelle fut achevée vers 1618. Larchitecte était Muhammad Riza ibn Husayn, et le calligraphe, peut-être Ali Riza al-Abbassi, très grand artiste du livre.

Le plan de cette mosquée est assez peu commun, avec une entrée en chicane volontairement sombre qui mène à une salle de prière entièrement couverte dun dôme et ouverte par un grand portail. Labsence de cour est notable. Le décor est constitué de lambris de marbre jaune, de niches ménagées dans les côtés avec de riches stalactites, et dun revêtement de céramique. La palette du dôme extérieur est très singulière, dominée par la couleur de la terre.

La mosquée du Shah
Entrée de la mosquée du Shah
Article détaillé : Mosquée du Shah.

La mosquée du Shah fut édifiée entre 1612 et 1630 sous la direction des architectes Muhibb al-Din Ali Kula et Ustad Ali Akbar Isfahani. Ses dimensions sont colossales : 140 mètres par 130, ce qui constitue une surface au sol de 18 000 mètres carrés. Le plan est cependant beaucoup plus orthodoxe que celui de la mosquée du Shaykh Lutfallah : il sagit dune mosquée rigoureusement symétrique, à quatre iwans et deux coupoles, des minarets sélevant devant la salle de prière. De part et dautre du bâtiment se trouvent deux madrasa.

Le plan du bâtiment, comme son décor, témoigne dune grande cohérence. Les revêtements de céramique recouvrent toute la surface des murs, mais le revers des iwans est souvent négligé au profit de la façade. La couleur dominante est le bleu, qui forme quasiment un « manteau bleu » et donne une unité à lensemble. Des rapprochements avec lart du livre peuvent être effectués.

Le pont Allahverdi-khan
Pont Allaverdikhan de nuit.

Datable de 1608, ce pont fut érigé par ordre du premier ministre géorgien de Shah Abbas[8]. Il se place dans la continuité du Chāhār Bāgh[9]. Avec ses arcades, dans les côtés et dans la base, il offre ainsi une possibilité de promenade à plusieurs niveaux, selon la hauteur de leau. Il sert évidemment de lieu de passage, mais aussi de barrage, pour réguler le cours du fleuve. En le traversant, leau donne lieu à un effet de grande fontaine grâce aux emmarchements. À côté se trouve un talār, le kiosque des miroirs, d le souverain pouvait observer le fleuve.

Sous Shah Abbas II

Le Chehel Sotoun

Article détaillé : Chehel Sotoun.
Le Chehel Sotoun, 1647-48?, Ispahan

Ce bâtiment, dont la datation reste très discutée, a sans doute été élevé sous le règne de Shah Abbas II, puis redécoré dans les années 1870. Selon un poème inscrit sur lédifice et un autre de Muhammad Ali Sahib Tabrizi, il aurait été créé en 1647-48, et si certains chercheurs pensent que cet édifice a été construit en plusieurs étapes, la plupart inclinent à penser quil fut construit en un seul jet, car il est assez cohérent[10]. Il sagit dun édifice rectangulaire, comportant des colonnes qui se reflètent dans des bassins (chehel sotoun signifie « quarante colonnes » en persan).

Fresque du Chehel Sotoun : Shah Abbas Ier recevant Vali Nadr Muhammad Khan

Le Chehel Sotoun est décoré de grandes peintures historiques, exaltant la magnanimité ou le courage guerrier des différents grands souverains de la dynastie : scène de bataille avec Shah Ismail, le sultan moghol Humâyûn est reçu par Shah Tahmasp, puis Vali Nadr Muhammad Khan, souverain de Bukhara entre 1605 et 1608, par Shah Abbas Ier, et enfin, on trouve une évocation de la prise de Kandahar par Shah Abbas II, qui doit être plus tardive, la ville nétant tombée quen 1649. Dans les salles secondaires se trouvent également de nombreuses scènes galantes et des personnages en pied. On note dans le décor des influences occidentales (ouverture sur un paysage, similarités avec le quartier arménien)[11] et indiennes (cheval représenté teint au henné, iwans couverts de miroirs).

Le pont Khwaju

Deuxième grand pont dIsfahan, édifié cinquante ans après le Pol-e Allahverdikhan, le pont Khwaju présente une structure identique et légèrement complexifiée, avec des brise-flots en éventail, permettant des effets deau plus spectaculaires.

La fin de la période

Plafond du Hasht Behesht, Isfahan

On peut encore évoquer deux bâtiments dIsfahan, datant de lépoque Safavide tardive. Le Hasht Behesht (les « huit paradis »), est constitué dun pavillon comportant huit petites entités disposées autour dune grande salle sous coupole à quatre iwans. De petites voûtes couronnent les salles secondaires, décorées de miroirs qui rendent les surfaces mouvantes. Le décor extérieur, en céramique, est remarquable par lemploi extensif du jaune. On situe cet édifice dans les années 1671.

Porte dans la madreseh Mādar-e Shah, Isfahan

La madreseh Mādar-e Shah, ou madreseh de la mère du Shah, se trouve sur le Chāhār Bāgh et est datée de 1706-1714. Elle napporte aucune nouveauté architecturale, et à ce titre, évoque bien la stagnation relative de larchitecture à cette époque : un plan à quatre iwans et un dôme rappelant la mosquée du Shah constituent la majeure partie de ses éléments architectoniques. Le décor, très géométrisé, est par contre un peu différent des décors du XVIIe siècle, par une palette dominent le jaune, le vert et lor, et un réseau végétal plus dense que dans la mosquée du Shah.

Art mobilier

Céramique

Sous Shah Ismail et Shah Tahmasp

Plat aux deux grenades, v1500, musée du Louvre

Létude et la datation de la céramique sous Shah Ismail et Shah Tahmasp est difficile car il existe peu de pièces datées ou mentionnant un lieu de production. On sait aussi que les personnages les plus puissants préféraient de loin la porcelaine chinoise à la production de céramique locale. Plusieurs emplacements dateliers ont pourtant pu être identifiés, sans certitude cependant :

Les cinq premiers semblent plus assurés que les quatre suivants, ayant été cités dans des sources, mais aucun nest absolument certain.

En général, les décors tendent à imiter ceux de la porcelaine chinoise, avec la production de pièces bleues et blanches à forme et motifs sinisants (marli chantourné, nuages tchi, dragons, etc.) Toutefois, le bleu persan se distingue du bleu de Chine par ses nuances plus nombreuses et subtiles. Souvent, des quatrains poétiques persans, parfois en relation avec la destination de la pièce (allusion au vin pour une coupe, par exemple) prennent place dans des cartouches. On peut aussi signaler un tout autre type de décor, beaucoup plus rare, qui comporte des iconographies très spécifiques à lislam (zodiaque islamique, écailles, arabesques) et semble influencé par le monde ottoman, comme en témoigne des palmettes effilées, dites palmettes rumies, très utilisées en Turquie.

De nombreux types de pièces sont produites : coupes, plats, bouteilles a long col, crachoirs, etc. Des gourdes, avec un goulot très petit et une panse plate dun côté et fortement ventrue de lautre, peuvent être signalées : un exemplaire se trouve au Victoria and Albert Museum, un autre à lErmitage.

Entre le règne de Shah Abbas et la fin de lempire

Plat au dragon, XVIIe siècle, musée du Louvre

Selon les céramiques pétrographiques, on peut distinguer quatre groupes, chacun lié à un lieu de production :

  • Lias
  • Mashhad
  • Tabriz (centre qui reste hypothétique, peut-être avec un atelier suscité par le mécénat royal)
  • un centre non identifié, qui produit des bleus et blancs imitant la céramique wanli (kraak porselein)

Avec la fermeture du marché chinois en 1659, la céramique persane prend un nouvel essor, afin de combler les besoins européens. Lapparition de fausses marques datelier chinois au dos de certaines céramiques marque le goût qui se développe alors en Europe pour les porcelaines extrême-orientales, satisfait en grande partie par des productions safavides. Cette nouvelle destination entraîne lutilisation toujours plus grande dune iconographie chinoise et exotique (éléphants) et larrivée de nouvelles formes, parfois étonnantes (ghelyan, plats octogonaux, objet zoomorphes).

Dans le même temps, de nouvelles figures apparaissent, influencées par lart du livre : jeunes échansons élégants, jeunes femmes à la silhouette courbe ou encore cyprès entremêlant leurs branches, qui rappellent les peintures de RizaAbbasi. On note lutilisation de très beaux jaunes, et de la technique du lustre encore présente sur quelques pièces aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Un cas à part : la céramique de Kubacha

Céramique de Kubacha : Carreau au jeune homme, Kubatcha, XVIIe siècle

La découverte, sur les murs des maisons de Kubacha, de céramiques accrochées aux murs des maisons au style très homogène a rapidement conduit les historiens dart à penser quil existait un centre de production dans la ville. Cette interprétation fut toutefois contestée par Arthur Lane et beaucoup dautres après lui, et semble aujourdhui erronée.

Cette série est produite sur trois siècles, au cours desquels elle évolue beaucoup, mais conserve toujours un trou dans les bases destiné à la suspension de ces pièces. Schématiquement, on peut distinguer trois époques :

  • au XVe siècle, une bichromie entre glaçure verte et motifs peints en noir ;
  • au XVIe siècle, une bichromie entre glaçure turquoise et motifs toujours noirs ;
  • au XVIIIe siècle, des pièces polychromes (cobalt, rouge terne, jaune orangé), avec des influences de lart du livre, ottomanes et indiennes.

La série des Kubacha reste encore très mystérieuse, et de nombreux centres de production ont été proposés sans quaucun ne se dégage vraiment.

Lart du métal

Aiguière. Bronze coulé, Iran, XVIe siècle. Musée du Louvre

Lart du métal subit un déclin progressif lors de la dynastie safavide, et reste difficile à étudier, notamment en raison du faible nombre de pièces datées.

Sous Shah Ismaïl, on note une perpétuation des formes et des décors dincrustation timurides : motifs de mandorles, de shamsa (soleils) et de nuages tchi se retrouvent sur des encriers en forme de mausolée ou des pichets de forme globulaire rappelant celui dUlugh Beg en jade.

Sous Shah Tahmasp, lincrustation disparaît rapidement, comme en témoigne un groupe de chandeliers en forme de pilier. Par contre, on remarque lapparition de pâtes colorées (rouges, noires, vertes) pour remplacer la polychromie autrefois donnée par les incrustations dargent et dor. On note aussi le début du travail de lacier, en particulier par ajourages, pour réaliser des éléments de placage de porte et détendards.

Le travail des pierres dures

On connaît plusieurs objets en pierre dure, datables le plus souvent du XVIe siècle. Il existe ainsi une série de pichets à la panse globulaire, montés sur une petite base annulaire et portant un col large et court, dont deux (un en jade noir incrusté dor, lautre en jade blanc) sont inscrits au nom dIsmail Ier. Lanse prend une forme de dragon, ce qui trahit une influence chinoise, mais ce type de pichet vient en fait directement de la période précédente : le prototype en est le pichet dUlugh Beg. On connaît aussi des coupes et des manches de couteau en jade, souvent incrustés de fils dor et gravés.

La pierre dure sert aussi à créer des cabochons pour les incruster dans des objets de métal, comme la grande bouteille de zinc incrustée dor, de rubis et de turquoises datable du règne dIsmail et conservée au musée de Topkapi à Istanbul.

Le tapis

Article connexe : Tapis persan

Détail dun coin du tapis de Mantes, conservé au musée du Louvre.


De nombreux tapis (entre 1500 et 2000) ont été conservés depuis la période safavide, mais la datation et létablissement de la provenance de ces tapis restent très difficiles. Les inscriptions sont une indication précieuse pour déterminer les artisans, les lieux de fabrication, les commanditaires, etc. De plus, une fois quun tapis a été fabriqué et est resté dans un endroit précis, il permet didentifier les autres pièces qui lui sont relatives.

Il est généralement accepté parmi les spécialistes que ce sont les Safavides qui ont fait passer le tapis dune production artisanale assurée par des tribus nomades au statut d’« industrie nationale » dont les produits étaient exportés en Inde, dans lEmpire ottoman et en Europe[12]. Lexportation du tapis a été florissante à la période safavide vers lEurope (parfois via la colonie portugaise de Goa[13]) et vers lempire Moghol, les tapis persans ont stimulé la production locale. Quelques tapis safavides ont aussi été transportés par la Compagnie hollandaise des Indes orientales vers Batavia, Ceylan, la Malaisie, Cochin ainsi que vers la Hollande même. Des commandes européennes étaient passées en Perse pour le tissage de tapis spéciaux : par exemple, le groupe des « tapis polonais » a sans douté été noué à Ispahan, mais certains portent les armes de Pologne.

Sur la base de récits de voyageurs et dautres sources textuelles[14], il apparaît que des ateliers de tapis royaux existaient à Ispahan, Kashan et Kerman. Ces ateliers produisaient des tapis pour les palais et mosquées du Shah, mais aussi pour être offerts aux monarques voisins ou aux dignitaires étrangers, ou encore réaliser des pièces sur commande de la noblesse ou dautres citoyens. Le commanditaire versait alors du capital sous forme de matières premières et versait un salaire aux artisans pendant la durée du nouage.

Le développement rapide de lindustrie du tapis en Perse à lépoque safavide semble être au goût des souverains pour cet artisanat. Ismaïl Ier puis Shah Tahmasp et Shah Abbas le Grand sont connus pour avoir été personnellement intéressés par la production des tapis. On a même supposé que les deux derniers souverains cités se soient personnellement investis dans la production de tapis, notamment par le dessin des motifs[15]. Au cours de leur règne, les productions de tapis persan ont été les plus importantes de toute lépoque safavide.

Cest à cette époque et plus particulièrement à partir de Shah Tahmasp (1523-1576) que sont créés les premiers tapis à décors floraux, afin de satisfaire les goûts des Safavides. La différence entre les tapis des nomades et les tapis floraux est due au rôle du « maître » (ostad). Cest lui qui dessine le carton qui sera reproduit par les noueurs. Les dessins des tapis des nomades sont, eux, transmis par la tradition

La fabrication des tapis est fortement soumise à la tutelle de latelier royal dart du livre, qui en fournit les modèles. Cest ainsi quen les comparant à des reliures et à des enluminures, les spécialistes ont pu déterminer une évolution stylistique. Ainsi, la plupart des tapis produits au XVIe siècle, cest-à-dire principalement sous Shah Ismail et Shah Tahmasp sont dits « à médaillon » car ils sont organisés autour dun grand médaillon central polylobé, dit parfois Shamsa, cest-à-dire soleil, et les écoinçons portent chacun un quart de médaillon qui rappelle fortement celui du centre. Les tapis de ce types les plus célèbres sont la paire de tapis dits dArdébil, dont lun, conservé au Victoria and Albert Museum, est daté de 946 de lHégire, soit 153940 de lère chrétienne et signé « lœuvre de lhumble serviteur de la cour Mahmud Kashani »[16].

À partir de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, soit avec lavènement de shah Abbas, le médaillon tend à disparaître, alors que les écoinçons ont déjà pu être éliminés dès la seconde moitié du XVIe siècle, comme le prouve le tapis de Mantes. Cest la floraison des « tapis-vases », qui, comme leur nom lindique, présentent un vase d jaillit une composition florale. Le jardin, qui est associé au paradis[17] donne également lieu à un type de composition qui apparaît dès le XVIIe siècle en Perse afin dimiter les jardins des Shah, divisés en parcelles rectangulaires ou carrées par des allées et des canaux dirrigation (chahar bāgh)[18] .

On peut trouver aussi des tapis à thème cynégétique : la chasse est une activité prisée des Shah, requérant adresse, force et connaissance de la nature. Ce thème est également lié au paradis et aux activités spirituelles, puisque la chasse se déroule souvent dans une nature qui peut rappeler les jardins du paradis. Lun des plus fins est sans doute le tapis vraisemblablement tabrizi actuellement conservé au musée Poldi Pezzoli à Milan et daté de 1542 - 1543. Le tapis de Mantes, daté de la deuxième moitié du XVIe siècle et conservé au musée du Louvre, est également à ce titre exemplaire.

La ville de Kashan quant à elle se distingue par une production assez particulière de tapis relativement petits et entièrement de soie à fond rouge ou bleu se battent des animaux fantastiques hérités du bestiaire chinois (kilins, dragons, phénix). Comme dans les grands tapis, ceux du XVIe siècle présentent un médaillon (tapis de la Fondation Gulbenkian), qui disparaît au siècle suivant. Le musée du Louvre et le Metropolitan Museum en conservent chacun un exemplaire au champ libre[19].

Lart du livre

Scène de bataille entre Timur et le roi égyptien, Behzad, 1515. conservé au Palais du Golestan à Téhéran.

Sous le règne des Safavides, lart du livre constitue le moteur essentiel des arts. Le ketab khaneh, latelier-bibliothèque royal, fournit la plus grande partie des modèles de motifs pour les objets : tapis, céramique ou métaux lui sont soumis.

Plusieurs types de livres sont copiés, enluminés, reliés et parfois illustrés : des livres religieuxCorans, mais aussi commentaires du texte sacré et ouvrages théologiqueset des livres de littérature persaneShah nama, Khamsa de Nizami, Jami al-tawarikh de Rashid al-Din, Timur nāmeh —, des encyclopédies et des traités scientifiques de soufis. Le papier, invention chinoise arrivée très tôt en Iran (VIIIe siècle), est toujours employé. On note lemploi fréquent de papiers colorés. Vers 1540 apparaît aussi un papier marbré, qui disparaît cependant assez rapidement.

Les reliures sont pour la plupart réalisées en maroquin teinté, et de très belle qualité. Elles peuvent être dorés et estampées de motifs géométriques, floraux ou figuratifs ou encore rehaussée de couleur bleue. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, on ajoure le cuir pour laisser apparaître au-dessous des feuilles de papier ou de soie colorées. À la même époque, à Shiraz, apparaît la reliure laquée, qui reste cependant très rare et très estimée en Iran.

Le décor des marges peut être réalisé de différentes manières : elles sont parfois encartées, cest-à-dire insérées dans un papier différent (tradition qui apparaît dès le XVe siècle), sablée dor, daprès une habitude chinoise, ou encore peinte en couleurs ou à lor.

Les styles des illustrations varient beaucoup dun manuscrit à lautre, selon les périodes et les centres de production.

1501-1550 : lhéritage

Reliure en papier mâché laqué : Scène de divertissement princier, XVIe siècle, musée du Louvre
Sultan Muhammad, Miraj (ascension de Mahomet vers le paradis sur son âne burāq) dans un Khamseh de Nizami daté de 1539-43.

Trois centres sont actifs à cette période :

Tabriz, capitale de lempire safavide entre 1501 et 1548, remploie elle aussi les artistes du ketab khaneh Aq Qoyunlu. Les illustrations dénotent un double héritage : celui des Aq Qoyonlu et des Timurides. Celui-ci est favorisé par la prise de Herat en 1501, mais ne se manifeste vraiment que dans les années 1525. Les différents directeurs du ketab khaneh sont :

  • Sultan Muhammad (1515-1522)[20]
  • Bihzad (1522-v.1540)[21]
  • Mir Musavvir (v. 1540 - 1548)

De nombreux grands peintres, comme Aqa Mirak, Mir Sayyid Ali ou encore Dust Muhammad sont employés alors par latelier-bibliothèque, et produisent de grands manuscrits royaux. Le premier dont on ait une trace est le Shah Nāmeh inachevé commandé par Ismail pour son fils Tahmasp, pour lequel seulement quatre peintures ont été réalisées dont Raksh défendant Rustam endormi[22]. Cette dernière est sans doute lune des pages les plus célèbres de la peinture Safavide, qui montre encore la forte prégnance de lart turkmène dans le traitement de la végétation très dense, comme un tapis, et dans les maladresses de perspectives. On pense que cest lorsque Shah Tahmasp revient à Tabriz en 1522 que sa réalisation sarrête vers 1522, alors que, pétri de linfluence de ses maîtres Behzad et Sultan Muhammad, il met en route la réalisation de son grand Shah Nāmeh[23]. Il commande aussi dautres œuvres exceptionnelles, telles un Khamsa et un Iskandar Nāmeh. Dautres mécènes emploient les artistes du ketab khaneh royal : le prince Braham Mirza (1517-1549) se fait ainsi constituer un album (muhaqqa) par le peintre Dust Muhammad.

Lart de la calligraphie est alors dominé par un homme très important, surnommé « Zarrin Qalam », cest-à-dire « calame dor », qui excelle dans les six calligraphies canoniques.

Linfluence des ateliers royaux de Tabriz est extrêmement importante, et les manuscrits non royaux, enluminés et illustrés se diffusent dans tout lempire, marquant les centres provinciaux comme celui de Shiraz.

Shiraz est la capitale du Fars et un centre provincial du sud de lIran très actif. Les artistes sont toujours les mêmes que ceux employés par les Aq Qoyunlu, et produisent des volumes de petits formats, copies de Corans et de grands textes poétiques, destinés pour la plupart au commerce vers lempire ottoman (Syrie, Égypte). Malgré le blocus imposé par cet empire en 1512, la production ne faiblit pas, ce qui laisse à penser quelle se tourne vers dautres acheteurs encore mal identifiés, étant donné labsence de mécénat local. Sous linfluence de Tabriz, on note des évolutions entre 1501 et 1525 : les silhouettes deviennent plus élancées, la taj, le bonnet qizilbash caractéristique, avec un bâton rouge et douze plis correspondants aux douze imams du chiisme duodécimain, apparaît. À partir de 1525, les ateliers de Shiraz ne produisent plus que des copies des œuvres des ateliers royaux de Tabriz, puis de Qazvin et Isfahan.

Bukhara nest pas à proprement parler un centre safavide, étant donné que la ville est au centre dun État indépendant dirigé par la dynastie ouzbèke des Chaybanides entre 1500 et 1598. Mais le nomadisme des artistes, aux fréquents changements politiques et au nomadisme des souverains, implique des influences notables de la part des centres safavides. Les manuscrits de cette école sont caractérisés par leurs marges richement décorées avec la technique de lencartage. Leurs reliures possèdent un contre-plat avec un grand décor de cuir ajouré et un plat avec de grandes plaques rectangulaires à motifs animaliers ou à arabesques, selon lancienne tradition timuride. Les peintures utilisent une palette harmonieuse, avec des compositions aérées, mais labsence de modèles nouveaux et la répétition de poncifs créé une certaine sécheresse.

Lécole de Bukhara connaît son apogée entre 1530 et 1550, et influencera directement lart moghol.

1550-1600 : période de transition

Représentation de Shirin et Farhad par Vahshi Bâfqi, Nastaliq, non signée, 1588. Conservé au Musée national d'Iran.

Les années 1550-1600 sont marquées par de nombreux changements dans lorganisation de lempire et donc de la production de livres chez les Safavides. Avec le transfert de la capitale en 1548, latelier royal se déplace, et cest Qazvin qui prend la suite de la production royale. Toutefois, les centres provinciaux comme celui de Shiraz (au sud) ou du Khorasan (à lest de lIran) continuent de produire des manuscrits plus ou moins riches.

Avec le transfert, en 1548, de la capitale de Tabriz à Qazvin, le ketab khaneh est en grande partie démantelé, suite aux édits de repentance édités par le Shah pour des raisons religieuses et économiques. Les artistes fuient vers les cours provinciales ou étrangères (moghole et ottomane). Seul Aqa Mirak résiste à cette série de départs[24]. Dautres artistes, comme Siavush Beg le Géorgien ou Sadiqi Beg prennent la place de la génération précédente. De nouveaux grands calligraphes, tels Mir Ali ou Malik Dayalami apparaissent et donnent naissance à la « règle des deux calames », qui définit des règles identiques pour la calligraphie et la peinture. Lenluminure et la reliure évoluent en parallèle de lart du tapis, étant donné que les cartons utilisés sont identiques. Dans les manuscrits, les peintures sont le plus souvent des doubles pages sans lien avec le texte, tandis que les images déchanson, de jeunes femmes, de princes ou encore de derviches remplissent les albums (muhaqqa).

Si la fin du règne de Shah Tahmasp est peu fructueuse (on connaît pourtant un Fāl Nāmeh datant de ces années avec les signatures dAqa Mirak et Abd al-Aziz), Shah Ismail II (r. 1576-77) exerce une influence bénéfique, commandant un grand Shah Nāmeh et un Ajayibnāmeh (livre des merveilles). Malheureusement, son règne court empêche une réelle renaissance, même sil pose de nouvelles bases, marquant le début de la multiplication des pages dalbums. Son successeur, Shah Muhammad Khudabandeh, étant aveugle, il sintéresse peu aux livres, et casse ainsi la reprise amorcée. La recrudescence de lart du livre royal naura lieu que partiellement sous Saha Abbas Ier le Grand, qui commande, comme cétait la tradition, semble t-il, un grand Shah Nāmeh avant le transfert de la cour à Isfahan.

Latelier provincial de Shiraz reste florissant jusquen 1620, mais continue le plus souvent à recopier des modèles issus des ateliers royaux de Tabriz puis de Qazvin et du Khorasan. Le décor est foisonnant, lillustration très abondante dans les manuscrits et les couleurs éclatantes, quoique peu variées. Le dessin, fin, représente des personnages aux visages ronds et aux nez allongés. Lenluminure reste très répétitive, et les calligraphies, le plus souvent en nastaliq, se copient les unes les autres. La plupart des manuscrits ne sont pas signés.

Les ateliers dits du Khorassan se situent à Herat et dans le district de Bakharz. Sous le mécénat du frère de Braham Mirza, Ibrahim Mirza, à partir de 1565, ils concurrencent lécole de Qazvin avec lemploi dartistes comme Shaykh Muhammad, Muzaffar Ali ou Muhammadi, spécialisés dans les dessins. Le manuscrit le plus célèbre sorti de ces ateliers est un exemplaire des Haft Awrang (Sept trônes) de Jami, et se démarque par sa profonde originalité des productions des ateliers officiels.

1600-1660 : le déclin des manuscrits enluminés et le développement dun genre spécifique : la page dalbum

RizaAbbasi, Jeune prince et derviche, second quart du XVIIe siècle, Metropolitan Museum.
Une page dalbum : Jeune fille au bonnet de fourrure, signée par MuhammadAlî. Isfahan, milieu du XVIIe siècle, musée du Louvre

Au cours des règnes de Shah Abbas Ier et Shah Safi, le nombre de manuscrits enluminés et illustré baisse beaucoup, laissant place à un nouveau type dart du livre : la page dalbum. Les albums, ou muhaqqa, sont composés le plus souvent sous la direction dun peintre ou dun calligraphe, et regroupent des pages dartistes différents en juxtaposant dessins, calligraphies voire miniatures anciennes. RizaAbbasi, qui dirige le ketab khaneh entre 1597 et 1635 (celui-ci étant transféré, en 1602, à Isfahan), est sans doute le plus grand représentant de ce genre. Les personnages de ces pages dalbums ont souvent des silhouettes allongées, avec des têtes petites et arrondies. Les sujets peuvent être des courtisans, les échansons étant privilégiés, mais aussi des paysans ou des derviches. Alors que Riza résiste jusquà sa mort, en 1635, à linfluence européenne, dautres artistes nhésitent pas à sinspirer voire à reproduire les gravures apportées par les marchands hollandais. Dautres grands peintres dalbums de cette période sont des disciples de Riza, ayant probablement étudié avec lui, Moin Musavvir, Muhammad Qasim et Muhammad Ali ou encore son fils Safi Abbassi, connu pour ses peintures doiseaux[25].

Ce goût pour lalbum ne met pas fin pour autant entièrement aux manuscrits à peintures : le Shah Nāmeh pour Shah Abbas, les deux Divan de Navai ou encore le manuscrit de Khosrow et Shirin (1632, Victoria and Albert Museum) constituent autant dexemples de la perpétuation de cette tradition, que les ateliers provinciaux abandonnent dailleurs moins facilement que le ketab khaneh royal. Lécole de Herat, notamment, produit régulièrement des copies des grands textes persans illustrés.

1660-1722 : la fin des manuscrits illustrés

La halte de nuit de Mohammad Zaman.

Avec lémergence de Ali Qoli Djebbeh Dar et de Muhammad Zaman, deux peintres très européanisants, la part du livre illustré dans lart du livre chute encore. Une grande activité de calligraphie et denluminure se met en œuvre, avec un véritable regain dintérêt pour la première et un style foisonnant très fin et très riche en éléments végétaux pour la seconde.

Conclusion

Les Safavides furent les derniers souverains à promouvoir un art national « perse ». On leur doit un nouvel essor de la production artistique dans lactuel Iran, particulièrement remarquable dans lurbanisme : Ali Qapu, Chehel Sutun ont des écrins à leur mesure dans des parcs verdoyants tracés selon des perspectives précises, alors que le boulevard monumental de Tchehar Bagh (ou avenue des Quatre-Jardins) traverse la ville dIsfahan sur trois kilomètres. Gardiens de lancienne tradition artistique iranienne plus que véritables novateurs, ils élaborèrent un art de cour raffiné et somptueux dont les tendances maniéristes dans le décor sont comblées par un grand charme poétique. Leur chute entraîna une dégénérescence rapide de lart en Iran[26].

Annexes

Notes et références

  1. (en) Article « Çaldiran », Michael J. McCaffrey, Encyclopædia Iranica
  2. (en) Article « Abbas I », R. M. Savory, Encyclopædia Iranica
  3. (en) Article « Abbas II », R. M. Savory, Encyclopædia Iranica
  4. Les chercheurs sont partagés sur lattribution du dar al-Hadith à Shah Ismail, mais Sussan Babai fait remarquer la mention, en 1570, dune inscription avec les titres de Shah Ismail sur la façade. S. Babaie, “Building on the past: the shaping of Safavid architecture, 15011576”, in Hunt for paradise, p32.
  5. La datation est possible grâce à une inscription.
  6. A. H. Morton, « The Ardabil Shrine in the Reign of Shah Tahmasp I », Iran 12, 1974, pp. 31-64, 13, 1975, pp. 39-58.
  7. Sheila Canby, The Golden age of Persian art, British Museum Press, 2002, 192 p., (ISBN 0-7141-2404-4).
  8. (en)« Allahverdi Khan », R. M. Savory, Encyclopædia Iranica (consulté le 18/10/2006).
  9. (en) Article « Chāhār Bāgh », Roger M. Savory, Encyclopædia Iranica
  10. S. Babaie, « Shah 'Abbas II, the conquest of Qandahar, the Chihil Sutun and its wal paintings »Muqarnas n°11, 1994 lire en ligne
  11. (en) Article « Chehel Sutun », Ingeborg Luschey-Schmeisser, Encyclopædia Iranica.
  12. Encyclopædia Iranica, p. 837.
  13. E. Gans-Ruedin, Splendeur du Tapis Persan, Office du Livre, Fribourg (Suisse), 1978 (ISBN 2 8264 0110 6), p11.
  14. Florencio, p102; Tavernier, I, p397,589 ; Chardin, III, p120.
  15. Vārzi, p58.
  16. S. Canby, The golden age of Persian art, p. 48.
  17. Le mot dérive en effet du vieux-persan pairideieza qui signifie « jardin », « enclos », qui a donné pardis en persan.
  18. Enza Milanesi, Le tapis, Gründ, 1999 (ISBN 2-7000-2223-8).
  19. Le tapis du Metropolitan Museum.
  20. (en) Article « MirzaAli Soltan Mohammad », A. Welch, Encyclopædia Iranica.
  21. (en) « Behzad », Priscilla Soucek, Encyclopædia Iranica.
  22. conservé au British Museum
  23. A kings book of kings: the Shah-nameh of Shah Tahmasp, Stuart Cary Welch, New York : Metropolitan Museum of Art : distributed by New York Graphic Society, Greenwich, Conn., 1972, 199 p., (ISBN 0-87099-028-4)
  24. (en) Aqa Mirak, P. Soucek, Encyclopædia Iranica (consulté le 18/10/2006).
  25. S. Canby, The golden age of Persian art, p. 122
  26. Encyclopédie Les Muses, article Séfévide, tome 13, coédition Grande Batelière (Paris), Kister (Genève) et Erasme (Bruxelles-Anvers), 1969-1974.

Bibliographie

  • (fr) Yves Bomati, Houchang Nahavandi, "Shah Abbas, empereur de Perse - 1587-1629", Perrin, 1998, "Prix Eugène Colas" de l'Académie française 1999, (ISBN 2-262-01131-1)
  • (fr) « Safawides » in Encyclopédie de lIslam, vol. IX, Brill
  • (fr) F. Richard, Splendeurs persanes, (exposition Paris 1997), BNF, Paris, 1997, 239 p. (ISBN 2-7177-2020-0)
  • (en) Ghulam Sarwar, History of Shah Ismail Safawi, New York : AMS Press, 1975, 1 vol. (xii-126 p.), (ISBN 0-404-56322-8)
  • (en) S. Canby, The golden age of Persian art 1501 - 1722 Londres, British Museum Press, 2002, (ISBN 0-7141-2404-4)
  • (en) S. Canby, J. Thompson, Hunt for paradise, courts arts of Safavid Iran 1501 - 1576, (exposition New-York 2003-2004 et Milan 2004), Skira, 2003, 340 p. (ISBN 0-87848-093-5)
  • (fa) Negārkari irāni (« Persian painting »), Sheila R. Canby, tr. M. Shayestehfar, Téhéran, 1992, (ISBN 964-92904-8-6)
  • (fa) Naqāshi irāni (« Persian painting »), Basil Gray, tr. Arabali Sherveh, Téhéran, 1995, (ISBN 964-6564-86-0)<>span>
  • Florencio del Niño Jesús, A Persia (1604-09). Peripecias de una embajada pontificia que fué a Persia a principios del Siglo XVII, Biblioteca Carmelitana-Teresiana de Misiones II, Pamplona, 1929.
  • J.B.Tavernier, Les six voyages de J.B.Tavernier en Turquie, en Perse et aux Indes, 2 vols., Paris, 1676
  • J. Chardin, Voyages du Chevalier Chardin en Perse, 4 vols., Amsterdam, 1735.
  • M.Vārzi, Honar va san'at-e qālī dar Irān, Tehran, 1350/1971.

Articles connexes

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