- Marguerite de france (1553-1615)
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Marguerite de France (1553-1615)
Marguerite de France ou Marguerite de Valois - surnommée « la reine Margot » au XVIe siècle X[réf. nécessaire] - est une princesse française de la branche dite de Valois-Angoulême de la dynastie capétienne, née le 14 mai 1553 et morte le 27 mars 1615 (27 mai 1615 ?).
Par son mariage avec le roi Henri de Navarre (futur roi de France Henri IV), elle devint reine de Navarre.
La jeunesse d'une princesse
Née au château de Saint-Germain-en-Laye, elle est le septième enfant de Henri II et de Catherine de Médicis. Trois de ses frères sont devenus rois de France : François II, Charles IX et Henri III. L'une de ses sœurs, Élisabeth de France, fut la troisième épouse du roi Philippe II d'Espagne; l'autre, Claude de France, fut la femme du duc Charles III de Lorraine.
Elle a peu l'occasion de connaître son père, mortellement blessé lors d'un tournoi en 1559. Avec sa mère, elle entretient des rapports distants, éprouvant pour elle un mélange d’admiration et de crainte. Elle est principalement élevée avec ses frères Alexandre, duc d'Anjou (le futur Henri III) et le dernier-né Hercule (ensuite renommé François), duc d'Alençon puisque ses sœurs partent en 1559 se marier à l’étranger. Lorsque Charles IX monte sur le trône à la mort de François II en 1560, elle vit à la cour de France au côté de ses deux frères aînés, ainsi que du jeune Henri de Navarre. Elle est présente aux États généraux de 1560 au côté de Renée de France, duchesse de Ferrare. Elle accompagne également le roi durant son grand tour de France de 1564 à 1566.
Elle entretient d'abord d'excellents rapports avec ses frères (à tel point que des rumeurs feront par la suite état de relations incestueuses avec Henri et François, voire Charles). C'est ainsi que lorsqu'Henri part en 1568 prendre le commandement des armées royales, il confie à sa sœur la défense de ses intérêts auprès de leur mère. Ravie de cette mission, elle s’en acquitte consciencieusement mais, à son retour, il ne lui en témoigne aucune gratitude. C'est du moins ce qu'elle raconte dans ses mémoires.
Entre-temps, une idylle est née entre la princesse et Henri, duc de Guise, l'ambitieux chef de file des catholiques intransigeants. Les Guise étant partisans d’une monarchie placée sous la tutelle des Grands et préconisant des mesures radicales contre les protestants (soit l’opposé de ce que souhaitent les Valois), une union est absolument inenvisageable. La réaction de la famille royale est donc très violente, d’autant que des négociations matrimoniales sont en cours. Cet épisode est peut-être à l'origine de la « haine fraternelle durable » (J. Garrisson) qui s’établit entre Marguerite et son frère Henri, ainsi que du refroidissement, non moins durable, des relations avec sa mère.
Le duc de Guise est le premier d’une longue série d'amants prêtés à Marguerite. Il est vrai que la princesse a reçu une éducation soignée et possède toutes les qualités pour briller à la cour, à commencer par son éclatante beauté (« S’il y en eust jamais une au monde parfaicte en beauté, c’est la royne de Navarre », écrira Brantôme). Toutefois, il est difficile de faire la part de vérité et de la rumeur parmi les liaisons qu’on lui prête. Comme pour les autres membres de sa famille (notamment sa mère et son frère Henri), les ragots circulant sur son compte ont été particulièrement nombreux. Parmi ces prétendues aventures, certaines sont sans fondement (telles les relations incestueuses avec ses frères), d'autres simplement platoniques.
La beauté de Marguerite vue par Brantôme« Pour parler donc de la beauté de ceste rare princesse, je croy que toutes celles qui sont, qui seront, et jamais ont esté, près de la sienne sont laides, et ne sont point beautez ; car la clarté de la sienne brusle tellement les esles de toutes celles du monde, qu'elles n'osent ni ne peuvent voler, ny comparestre à l'entour de la sienne. Que s'il se treuve quelque mescréant qui, par une foi escarse, ne veuille donner creance aux miracles de Dieu et de nature, qu'il la contemple seulement : son beau visage, si bien formé, en faict la foy ; et diroit on que la mere nature, ouvriere très parfaicte, mist tous ses plus rares sens et subtilz espritz pour la façonner. Car, soit qu'elle veuille monstrer sa douceur ou sa gravité, il sert d'embrazer tout un monde, tant ses traicts sont beaux, ses lineaments tant bien tirez, et ses yeux si transparans et agreables, qu'il ne s'y peut rien trouver à dire : et, qui plus est, ce beau visage est fondé sur un corps de la plus belle, superbe et riche taille qui se puisse veoir, accompaignée d'un port et d'une si grave majestée, qu'on la prendra tousjours pour une deesse du ciel, plus que pour une princesse de la terre ; encore croist on que, par l'advis de plusieurs, jamais deesse ne fut veue plus belle : si bien que, pour publier ses beautez, ses merites et vertus, il faudroit que Dieu allongeast le monde et haussast le ciel plus qu'il n'est , d'autant que l'espace du monde et de l'air n'est assez capable pour le vol de sa perfection et renommée. Davantage, si la grandeur du ciel estoit plus petite le moins du monde, ne faut point doubter qu'elle l'egaleroit. »
[...]
«Bref, je n'aurois jamais faict si je voulois descrire ses parures et ses formes de s'habiller auxquelles elle se monstroit plus belle ; car elle en changeoit de si diverses, que toutes luy estoient bien seantes, belles et propres, si que la nature et l'art faisoient à l'envy à qui la rendroit plus belle. Ce n'est pas tout, car ses beaux accoustrements et belles parures n'osarent jamais entreprendre de couvrir sa belle gorge ny son beau sein, craignant de faire tort à la veue du monde qui se paissoit sur un si bel object ; car jamais n'en fust veue une si belle ny si blanche, si plaine ny si charnue, qu'elle monstroit si à plain et si descouverte, que la plupart des courtisans en mouroient, voire des dames, que j'ay veues, aucunes de ses plus prives, avec sa licence la baiser par un grand ravissement. »
Recueil des dames (I, V, « Sur la reine de France et de Navarre, Marguerite »)
Un mariage politique
À la fin des années 1560, Catherine de Médicis propose sa fille en mariage au fils de Philippe II d'Espagne, l'infant Charles, mais le mariage ne se fait pas. De sérieuses négociations ont aussi lieu pour marier Marguerite au roi du Portugal Sébastien Ier, mais elles sont aussi abandonnées.
Resurgit donc l’idée, déjà évoquée par Henri II, d’une union avec le jeune chef du parti protestant, Henri de Navarre. Héritier présomptif de la couronne après les fils de France (mais la perspective d'une accession au trône de France est alors très lointaine), Henri est aussi l’héritier de vastes possessions dans le Sud-Ouest. Cette union a surtout pour objectif la réconciliation entre catholiques et protestants à la suite de la troisième guerre de religion.
Des négociations s'engagent entre Catherine de Médicis et la mère d'Henri, la très huguenote reine de Navarre Jeanne d'Albret. Les discussions sont longues et difficiles. Jeanne d’Albret se méfie de la reine mère, et exige au préalable la conversion de Marguerite au protestantisme. Mais elle doit céder face à l’entêtement de la princesse à conserver sa religion et finit, sous la pression du parti protestant, par donner son consentement, non sans avoir obtenu pour sa future belle-fille une dot considérable. Elle meurt peu après, Henri devenant roi de Navarre. Quant à Marguerite, ce n'est que sous la contrainte de sa mère et de Charles IX et non sans réticences qu'elle consent à épouser le souverain hérétique d’un résidu de royaume.
Sans attendre la dispense pontificale requise en raison de la différence de religion et du cousinage des futurs époux (tous deux sont les arrière-petits-enfants de Charles d’Angoulême), l’ « union exécrable » (selon les termes du général des jésuites) est célébrée le 18 août 1572. Le déroulement des noces a été réglé de façon à satisfaire les protestants, venus nombreux assister au mariage de leur chef : la bénédiction nuptiale a lieu devant le parvis de Notre-Dame de Paris, leur évitant ainsi d’assister à la messe ; et elle est donnée par le cardinal de Bourbon en qualité d’oncle d’Henri et non de prêtre.
Les noces sont suivies de trois jours de fêtes somptueuses.
La Saint-Barthélemy et le début des intrigues
L’entente entre catholiques et réformés dure peu. Quelques jours seulement après les noces a lieu l’attentat manqué contre l’amiral de Coligny, l’un des chefs du parti huguenot. Le surlendemain, 24 août, jour de la Saint-Barthélemy, les protestants sont massacrés jusqu'à l'intérieur du Louvre (un gentilhomme gravement blessé trouve même refuge dans la chambre de Marguerite). La proximité du massacre a valu au mariage le surnom de « noces vermeilles ». Il n’est alors plus question de conciliation et la dissolution du mariage pourrait être prononcée, mais Marguerite choisit de faire preuve de loyauté envers son mari. Sous la pression, Henri accepte alors d’abjurer le protestantisme.
La Saint-Barthélemy vue par Marguerite« Pour moy, l'on ne me disa rien de tout cecy [les préparatifs du massacre]. Je voyois tout le monde en action ; les huguenots desesperez de cette blessure [référence à l'attentat manqué contre l'amiral de Coligny] ; messieurs de Guise craignans qu'on n'en voulust faire justice, et se suchetans tous à l'oreille. Les huguenots me tenoient suspecte parce que j'estois catholique, et les catholiques parce que j'avois espousé le roy de Navarre, qui estoit huguenot. De sorte que personne ne m'en disoit rien, jusques au soir qu'estant au coucher de la Royne ma mere, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine, que je voyois fort triste, la Roine ma mere parlant à quelques-uns m'apperceust, et me dist que je m'en allasse coucher. Comme je lui faisois la reverence, ma sœur me prend par le bras et m'arreste, et se prenant fort à pleurer me dit :
« Mon Dieu, ma sœur, n'y allez pas. »
Ce qui m'effraya extremement. La Roine ma mere s'en apperceut, et appellant ma sœur se courrouça fort à elle et luy deffendit de me rien dire. Ma sœur luy dit qu'il n'y avoit point d'apparence de m'envoyer sacrifier comme cela, et que sans doute s'ils descouvroient quelque chose, ils se vengeroient sur moy. La Roine ma mere respond, que s'il plaisoit à Dieu, je n'aurois point de mal ; mais quoy que ce fut, il falloit que j'allasse, de peur de leur faire soupçonner quelque chose qui empeschast l'effet.
Je voyois bien qu'ils se contestoient et n'entendois pas leurs parolles. Elle me commanda encore rudement que je m'en allasse coucher. Ma sœur fondant en larmes me dist bon-soir, sans m'oser dire autre chose ; et moy je m'en allay toute transsie et esperdue, sans me pouvoir imaginer ce que j'avois à craindre. Soudain que je fus en mon cabinet, je me meits à prier Dieu qu'il luy plust me prendre en sa protection, et qu'il me gardast, sans sçavoir de quoy ny de qui. Sur cela le Roy mon mary qui s'estoit mis au lit me manda que je m'en allasse coucher ; ce que je feis, et trouvay mon lit entourné de trente ou quarante huguenots que je ne cognoissois point encore, car il y avoit fort peu de temps que j'estois mariée. Toute la nuict ils ne firent que parler de l'accident qui estoit advenu à monsieur l'admiral, se resolvants, des qu'il seroit jour, de demander justice au Roy de monsieur de Guise, et que si on ne la leur faisoit, il se la feroient eux-mesmes. Moy j'avois toujours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvois dormir pour l'apprehension en laquelle elle m'avoit mise sans sçavoir de quoy. La nuict se passa de cette façon sans fermer l'œil. Au point du jour, le Roy mon mari dit qu'il vouloit aller jouer à la paume attendant que le roy Charles fust esveillé, se resolvant soudain de luy demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentils-hommes aussy. Moy voyant qu'il estoit jour, estimant que le danger que ma sœur m'avoit dit fust passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu'elle fermast la porte pour pouvoir dormir à mon aise.
Une heure aprez, comme j'estois le plus endormie, voicy un homme frappant des pieds et des mains à la port et criant : « Navarre ! Navarre ! » Ma nourrice pensant que ce fust le Roy mon mary, court vistement à la porte. Ce fust un gentil-homme nommé monsieur de Leran, qui avoit un coup d'espée dans le coude et un coup de hallebarde dans le bras, et estoit encores poursuivy de quatre archers, qui entrerent tous aprez luy en ma chambre. Luy se voulant garantir se jetta dessus mon lit. Moy sentant ces hommes qui me tenoient, je me jette à la ruelle, et luy aprez moy, me tenant toujours à travers du corps. Je ne cognoissois point cet homme, et sçavait s'il venoit là pour m'offenser, ou si les archers en vouloient à luy ou à moy. Nous crions tous deux, et estions aussi effrayez l'un que l'autre. En fin Dieu voulust que monsieur de Nançay, capitaine des gardes, y vinst, qui me trouvant en cet estat-là, encore qu'il y eust de la compassion, ne pust tenir de rire ; et se courrouça fort aux archers de cette indiscretion, les fit sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenoit, lequel je feis coucher et penser dans mon cabinet jusques à tant qu'il fust du tout guery. Et, changeant de chemise, parce qu'il m'avoit toute couverte de sang, monsieur de Nançay me conta ce qui se passoit, et m'asseura que le Roy mon mari estoit dans la chambre du Roy, et qu'il n'auroit nul mal. Et me faisant jeter un manteau de nuict sur moy, il m'emmena dans la chambre de ma sœur madame de Lorraine, où j'arrivay plus morte que vive, et entrant dans l'antichambre, de laquelle les portes estoient toutes ouvertes, un gentil-homme nommée Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivoient, fust percé d'un coup de hallebarde à trois pas de moy. Je tombai de l'autre costé presque esvanouie entre les bras de monsieur de Nançay, et pensois que ce coup nous eust percez tous deux. Et estant quelque peu remise, j'entray en la petite chambre où couchoit ma sœur. »
Mémoires de Marguerite de Valois
Réagissant aux écrits de Brantôme, Marguerite écrit des Mémoires.
L'épisode où un gentilhomme protestant vient trouver refuge dans la chambre de Marguerite a été repris par Alexandre Dumas dans son roman La Reine Margot. Mais le protagoniste en est La Molle et non Leran.
En 1574, alors que Charles IX se meurt, protestants et catholiques modérés (surnommés les Malcontents, ils préconisent la modération de l’État dans les affaires religieuses) préparent un complot pour s’emparer du pouvoir. Ils ont à leur tête François d’Alençon, allié à Henri de Navarre. Mais la conspiration est déjouée, et deux complices sont arrêtés et décapités. L’un d’eux est Joseph Boniface de la Môle, prétendu amant de Marguerite (et héros de La Reine Margot d'Alexandre Dumas). Après l’échec de la conjuration, Alençon et Navarre sont retenus prisonniers au château de Vincennes (elle rédige une plaidoirie, le Mémoire justificatif pour Henri de Bourbon pour qu’il se défende devant le roi après le complot de Vincennes [1]). A l'avènement d'Henri III, ils sont laissés en liberté sous surveillance à la cour.
Les rapports du couple de Navarre se détériorent, notamment sous l’influence de l’une des maîtresses d’Henri, Charlotte de Sauve. Dame d'honneur de Catherine de Médicis, celle-ci provoque également une brouille entre Alençon et Navarre, tous deux ses amants, que Marguerite s’employait à allier. Cet épisode relativise l’image d’un couple multipliant certes les infidélités mais à l’alliance politique solide. En réalité, Henri ne se rapproche de sa femme que lorsque cela sert ses intérêts mais n’hésite pas à la délaisser sinon.
Alençon et Navarre parviennent finalement à s'enfuir, l'un en septembre 1575 et l'autre en 1576. Henri n’avertit même pas sa femme de son départ. Marguerite se retrouve recluse au Louvre, des gardes aux portes de sa chambre, car Henri III (qui règne depuis 1574) la tient pour complice. Mais Alençon, qui s’est allié aux huguenots, a pris les armes et refuse de négocier tant que sa sœur sera captive. Elle est donc libérée et assiste avec sa mère aux pourparlers de paix. Ils aboutissent à un texte extrêmement avantageux pour les protestants et pour Alençon : l’édit de Beaulieu.
Henri de Navarre appelle bientôt sa femme auprès de lui (ils se sont réconciliés au point que, pendant le conflit, elle lui a rapporté ce qu’elle apprenait à la cour). Mais Catherine et Henri III refusent de la laisser partir, Marguerite étant susceptible de devenir une otage aux mains des huguenots ou de renforcer l’alliance entre Navarre et Alençon.
L'aventureuse expédition aux Pays-Bas
En 1577, alors que la guerre civile reprend, Marguerite fait valoir qu’elle est partagée entre la loyauté due à son mari et à son frère aîné (même si, s’agissant de ce dernier, elle est toute relative) et réclame l’autorisation de partir en mission dans le sud des Pays-Bas (Nord de la France et Belgique actuels) pour le compte de son frère cadet. Les Flamands, qui se sont soulevés en 1576 contre la domination espagnole, semblent disposés à offrir un trône à un prince français tolérant et susceptible de leur apporter l’appui diplomatique et militaire nécessaire à la conquête de leur indépendance. Henri III accepte finalement l’expédition de sa sœur, y voyant l’occasion de se débarrasser de ce frère gênant.
Prenant prétexte d’une cure aux eaux de Spa, Marguerite part donc à l’été, en grand équipage. Elle consacre deux mois à sa mission. À chacune des étapes de son voyage, elle s’entretient, à l’occasion de rencontres fastueuses, avec des gentilshommes hostiles à l’Espagne et, leur vantant les mérites de son frère, tente de les persuader de l’intérêt qu’ils auraient à se rallier à lui. Elle fait aussi la connaissance du gouverneur des Pays-Bas, Don Juan d'Autriche, le vainqueur de Lépante, avec qui elle a un entretien cordial. Mais pour Marguerite, que les réceptions intéressent davantage que les réalités politiques locales, le retour en France est mouvementé, à travers un pays en pleine insurrection, alors que, de surcroît, elle craint que les troupes espagnoles ne tentent de s'emparer d'elle.
Finalement, si elle noua quelques contacts utiles, Alençon ne put ni ne sut en tirer parti.
Nérac : littérature et amour
Après avoir rendu compte de sa mission à son frère cadet, Marguerite revient à la cour, où l’atmosphère est toujours aussi tendue. Les combats se multiplient entre mignons d’Henri III et partisans d’Alençon, au premier rang desquels Bussy d'Amboise, amant de Marguerite, « né, écrit-elle, pour estre la terreur de ses ennemis, la gloire de son maistre et l’esperance de ses amis. » La situation est telle qu’en 1578 Alençon demande à s’absenter. Mais Henri III y voit la preuve de sa participation à un complot : il le fait arrêter en pleine nuit et le consigne dans sa chambre, où Marguerite le rejoint. Quant à Bussy, il est conduit à la Bastille. Quelques jours plus tard, François s’enfuit de nouveau, grâce à une corde jetée par la fenêtre de sa sœur.
Peu après, Marguerite, qui a nié toute participation à cette évasion, obtient enfin l’autorisation de rejoindre son mari. Henri III et Catherine de Médicis ôtent ainsi à Henri de Navarre un motif de mécontentement. Peut-être espèrent-ils aussi que Marguerite pourra jouer un rôle conciliateur et ramener l’ordre dans les provinces troublées du Sud-Ouest. Pour accomplir cette mission, elle est accompagnée de sa mère et de son chancelier, un humaniste, magistrat et poète de renom, Guy Du Faur de Pibrac.
Le voyage de Catherine et Marguerite est l’occasion d’entrées fastueuses dans les villes traversées, façon de resserrer des liens distendus avec la famille régnante. Au terme de leur voyage, elles retrouvent enfin Navarre (qui a mis peu d'empressement à venir à leur rencontre). Catherine et son gendre s’accordent sur les modalités d’exécution du dernier édit de pacification (c’est l’objet de la conférence de Nérac en 1579) puis la reine mère regagne Paris.
Après son départ, les époux séjournent brièvement à Pau où Marguerite souffre de l’interdiction du culte catholique. Ils s’installent ensuite à Nérac, capitale de l’Albret (qui fait partie du royaume de France et où ne s'applique donc pas la réglementation religieuse intolérante en vigueur au Béarn).
« La reine de Navarre eut bientôt dérouillé les esprit et verrouillé les armes » écrit Agrippa d’Aubigné. Il se forme en effet autour de Marguerite une véritable académie littéraire. Outre Agrippa, compagnon d’arme de Navarre, et Pibrac, le poète Salluste du Bartas ou encore Montaigne fréquentent la cour. Marguerite eut d'ailleurs de nombreux échanges avec l’auteur des Essais.
La cour est surtout célèbre pour les aventures amoureuses qui s’y multiplient, au point d’avoir inspirée Shakespeare pour sa pièce Peines d'amour perdues. « L’aise y amena les vices, comme la chaleur les serpents » dénonce Agrippa. « La cour y fut un temps douce et plaisante ; car on n’y parlait que d’amour, et des plaisirs et passe-temps qui en dépendent » se félicite en revanche Sully. On prête à Marguerite une liaison avec l’un des plus illustres compagnons de son mari, le vicomte de Turenne.
Mais en 1580 éclate la « guerre des Amoureux », ainsi nommée parce qu’on a prétendu à tort qu’elle avait été déclenchée par Marguerite par rancœur envers son frère aîné. Elle y aurait poussé Turenne et aurait incité ses dames d’honneur, également liées à des capitaines huguenots, à l’imiter. Il est vrai que pendant le conflit, Marguerite prend plutôt le parti de son mari. Mais, en réalité, le conflit fut provoqué par la mauvaise application du dernier édit de pacification et par un conflit entre Navarre et le lieutenant général du roi en Guyenne (province dont Henri est gouverneur). Il dure peu, en partie grâce à Marguerite qui suggère de faire appel à Alençon pour mener les négociations. Elles sont rapides et aboutissent à la paix de Fleix.
C’est alors que Marguerite s’éprend du grand écuyer de son frère, Jacques de Harlay, seigneur de Champvallon. Les lettres qu’elle lui a adressées illustrent sa conception de l’amour, empreinte de néoplatonisme. Il s’agit, en privilégiant l’union des esprits sur celle des corps (ce qui ne signifie pas pour autant que Marguerite n’apprécie pas l’amour physique) d’aboutir à la fusion des âmes. Cette conception est illustrée par un dialogue intitulé La Ruelle mal assortie (dont l'attribution à Marguerite a toutefois été discutée).
Entre deux cours
Après le départ d’Alençon, la situation de Marguerite se détériore. Responsable de cette situation, l’une de ses filles d’honneur, la jeune Françoise de Montmorency-Fosseux, dite Fosseuse, dont son mari s’est épris alors qu'elle n'est âgée de quatorze ans, et qui est tombée enceinte. Elle ne cesse de monter Henri contre sa femme, espérant peut-être se faire épouser. Le roi de Navarre exige même de son épouse qu’il couvre sa grossesse. Mais « Dieu voulut qu’elle ne feit qu’une fille, qui encores estoit morte » (Mémoires).
En 1582, Marguerite revient à Paris. Les raisons de son départ sont obscures. Sans doute veut-elle échapper à une atmosphère devenue hostile, peut-être aussi se rapprocher de son amant Champvallon, ou soutenir son frère cadet. De plus, Henri III et Catherine la pressent de rentrer, espérant ainsi attirer Navarre à la cour.
Mais elle est accueillie froidement, le roi la tenant pour responsable du dernier conflit. Et la situation se dégrade encore. Alors qu’Henri III alterne vie dissolue et crises de mysticisme, Marguerite encourage les moqueries contre ses mœurs et mène une vie scandaleuse (elle serait tombée enceinte de Champvallon). De plus, elle encourage Alençon à poursuivre son expédition aux Pays-Bas que le roi souhaite interrompre, craignant une guerre avec l’Espagne.
Finalement, en 1583, le roi chasse sa sœur de la cour, mesure sans précédent qui fait grand bruit en Europe, d’autant plus que le départ de Marguerite s’accompagne d’humiliations : Henri III, croisant le cortège de sa sœur, l’ignore ; puis, il fait fouiller sa litière et arrêter certains de ses serviteurs qu’il interroge lui-même à propos d’un éventuel avortement.
De plus, averti des rumeurs, Navarre refuse de recevoir sa femme. Il réclame à un Henri III embarrassé des explications, puis des compensations. Marguerite reste pendant ce temps dans l’incertitude, entre la cour de France et celle de Navarre, attendant que les négociations aboutissent. Les bellicistes protestants trouvent là le casus belli qu’ils attendaient et Navarre en profite pour s'emparer de Mont-de-Marsan, qu’Henri III accepte de lui céder pour clore l’incident.
Huit mois après son départ, Marguerite peut enfin retrouver son mari, qui ne s’est pas pressé pour la rejoindre et lui témoigne peu d’intérêt, passionné qu’il est par sa maîtresse du moment, Corisande. Aux malheurs de Marguerite s’ajoute encore la nouvelle de la mort d’Alençon, en juin 1584.
D'Agen à Usson : la révolte et l'emprisonnement
En 1585, alors que la guerre reprend, Marguerite, rejetée par sa famille comme par son mari, rallie la Ligue, qui rassemble les catholiques intransigeants et est hostile aussi bien à Henri de Navarre qu'à Henri III. Elle prend possession d’Agen, ville faisant partie de sa dot et dont elle est la comtesse, et en fait renforcer les fortifications. Recrutant des troupes, elle les lance à l’assaut des cités alentour. Mais, las des exigences de Marguerite, les Agenais se révoltent et s’entendent avec le lieutenant du roi. Marguerite doit fuir précipitamment.
Elle s’installe alors au château de Carlat, dont elle est propriétaire. Elle y tombe malade. Le gouverneur de la forteresse entre en conflit avec son amant, qu'elle a nommé capitaine de ses gardes et qui sera par la suite tué par ordre du roi. Elle doit repartir, au bout d'un an, en raison de l’approche des troupes royales.
Elle veut trouver refuge un peu plus au nord de l'Auvergne, au château d’Ibois, qui lui a été proposé par sa mère. Mais elle s’y retrouve assiégée par les troupes royales qui s’emparent de la forteresse. Elle doit alors attendre près d’un mois que l’on statue sur son sort.
Marguerite assiégée au château d'Ibois« Monsieur de Sarlan [maître d'hôtel de Catherine de Médicis], puisque la cruauté de mes malheurs et de ceux à qui je ne rendis jamais que services est si grande que, non contents des indignités que depuis tant d'années ils me font pastir, ils veulent poursuivre ma vie jusques à la fin, je desire au moins, avant ma mort, avoir ce contentement que la Royne ma mere sache que j'ay eu assez de courage pour ne tomber vive entre les mains de mes ennemys, vous protestant que je n'en manquerai jamais. Assurez l'en, et les premieres nouvelles qu'elle aura de moy sera ma mort. Soubs son asseurement et commandement je m'estois sauvée chez elle, et au lieu de bon traictement que je m'y promettois, je n'y ay trouvé que honteuse ruine. Patience ! elle m'a mise au monde, elle m'en veut oster. Si sais-je bien que je suis entre les mains de Dieu ; rien ne m'adviendra contre sa vollonté ; j'ay ma fiance en luy et recevrai tout de sa main.
Vostre plus fidele et meilleur amye, Marguerite »
Lettre à Monsieur de Sarlan
Henri III décide finalement de l’emprisonner dans un château qui servit de prison sous Louis XI : Usson. « Plus je vais en avant, plus je ressens et reconnais l’ignominie que cette misérable nous fait. Le mieux que Dieu fera pour elle et pour nous, c’est de la prendre », écrit-il même. Sa mère n’étant pas mieux disposée (d’autant qu’elle envisage de remarier Navarre à sa petite-fille préférée, Christine de Lorraine), il n’est pas étonnant que Marguerite craigne alors pour sa vie.
À partir de 1586, Marguerite est donc retenue prisonnière « parmy les déserts, rochers et montagnes d’Auvergne » (Brantôme). Elle parvient néanmoins rapidement à adoucir sa détention en séduisant son gardien : « car celui qui la tenait prisonnière en devint prisonnier en peu de temps » (ibid.). Elle n’en souffre pas moins du manque de revenus et de l’isolement.
Pour s’occuper, elle entreprend la rédaction de ses Mémoires, qu’elle dédie à Pierre de Bourdeille dit Brantôme. Elle lit beaucoup (notamment des ouvrages religieux) et reçoit la visite d’écrivains, à commencer par le fidèle Brantôme, mais aussi Honoré d'Urfé, qui s’inspira sans doute de Marguerite pour créer le personnage de Galathée dans L’Astrée.
La réconciliation et le retour à Paris
En 1593, Marguerite renoue avec son mari (devenu roi à la mort d’Henri III en 1589) qui, pour consolider son pouvoir, souhaite se remarier pour s’assurer une descendance légitime. Les arguments ne manquent pas pour appuyer l’annulation du mariage : consanguinité, contrainte exercée sur la mariée, stérilité... L’appui de Marguerite s’avérant nécessaire, sa situation s’améliore. Henri songe alors à épouser sa maîtresse, Gabrielle d'Estrées, mère de son fils César. Marguerite est d’abord réticente à céder la place à cette « bagasse » (« femme de mauvaise vie » selon le Littré). En revanche, les négociations aboutissent après la mort subite de Gabrielle en 1599, favorisées par de fortes compensations financières. L’annulation prononcée, Henri IV épouse Marie de Médicis. De bons rapports se rétablissent alors entre les deux anciens époux.
Marguerite revient enfin à Paris en 1605. Après dix-neuf années à Usson, elle a peu changé (tout au moins en ce qui concerne ses goûts ; quant au physique, elle est devenue « horriblement grosse » à en croire Tallemant des Réaux). Elle est désormais très dévote et Vincent de Paul est un temps son aumônier.
Elle se fait construire un vaste hôtel sur la rive gauche de la Seine, face au Louvre (il ne reste aujourd'hui rien de ce bâtiment qui initia le caractère aristocratique de ce quartier jusque là plutôt voué à l’Église et à l’Université. Seule une chapelle, dite des louanges, dans la cour Bonaparte de l'école de Beaux-Arts, rue Bonaparte, témoigne de la présence de la propriété en ce lieu). Par son amour des lettres, par les réceptions qu'elle donne (des ballets notamment), par les poètes et philosophes dont elle s’entoure (Marie de Gournay, Philippe Desportes, François Maynard, Étienne Pasquier, Mathurin Régnier, Théophile de Viau...), Marguerite perpétue le souvenir de la cour brillante des Valois.
« Unique héritière de la race des Valois », comme elle s’intitule, Marguerite réalise, en ses dernières années, la transition, non seulement entre sa dynastie et celle des Bourbons, mais aussi entre l’esprit de la Renaissance et celui du Grand Siècle. Elle est d’autant plus apte à jouer ce rôle de trait d’union entre deux époques qu’elle entretient d’excellentes relations avec la reine puis régente Marie de Médicis (qu’elle conseille à l’occasion) et le dauphin, futur Louis XIII (dont elle fait son héritier).
Marguerite survit quelques années à son ancien mari, et meurt en 1615.
Inspirations littéraires et cinématographiques
Le personnage de la reine Margot a inspiré à Alexandre Dumas un roman et pièce de théâtre, La Reine Margot, publié en 1854 et adapté de nombreuses fois au cinéma et au théâtre :
- 1910 : La Reine Margot , film français réalisé par Camille de Morlhon
- 1914 : La Reine Margot, film français réalisé par Henri Desfontaines
- 1935 : Margot, pièce de théâtre d'Édouard Bourdet créée au théâtre Marigny avec Pierre Fresnay et Yvonne Printemps, mise en scène de Pierre Fresnay, musique de scène de Georges Auric et Francis Poulenc
- 1954 : La Reine Margot , film français réalisé par Jean Dréville
- 1961 : La Reine Margot, téléfilm français réalisé par René Lucot
- 1994 : La Reine Margot , film français réalisé par Patrice Chéreau
- 2004 : La Reine Margot , film norvégien réalisé par Ruben Alexander Claassens
Sources imprimées
- Correspondance, 1569-1614, édition critique par Éliane Viennot, Honoré Champion, 1998.
- Mémoires et autres écrits, 1574-1614, édition critique par Éliane Viennot, Honoré Champion, 1999.
- Mémoires et discours, édition établie, présentée et annotée par Éliane Viennot, Presses universitaires de Saint-Étienne (coll. de livre de poche « La cité des dames »), 2004.
Bibliographie
- Biographies :
- Éliane Viennot, Marguerite de Valois : histoire d'une femme, histoire d'un mythe, Payot (coll. « Grande Bibliothèque Payot ») 1994. 480 p. Réedition poche : Perrin (coll. « tempus »), 2005. Importante révision historiographique.
- Janine Garrisson, Marguerite de Valois, Paris, Fayard, 1994.
- Études :
- Éliane Viennot, « Marguerite de Valois et La Ruelle mal assortie : une attribution erronée », in Nouvelle Revue du Seizième Siècle, 10, 1992, p.81-98.
-
- Madeleine Lazard et Jean Cubelier de Beynac, Marguerite de France, reine de Navarre et son temps. Actes du colloque d'Agen (12-13 octobre 1991), Agen, Centre Matteo Bandello, 1994, 356 p. :
-
- Anne-Marie Cocula, « Marguerite de Valois, de France et de Navarre : l'impossible identité de la reine Margot », p. 17-27.
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- Jacqueline Boucher, Deux épouses et reines à la fin du XVIe siècle : Louise de Lorraine et Marguerite de France, Presses universitaires de Saint-Étienne, 1998. 413 p.
-
- Laurent Angard, «La nuit de la Saint-Barthélemy (1572) : un cas extrême d'écriture, d'interprétation et de création (Marguerite de Valois, Agrippa d'Aubigné, Prosper Mérimée)», Entr'actes. Regards Croisés en Sciences Humaines (Strasbourg), 2005, p. 297-313.
-
- Laurent Angard, « Les Mémoires de Marguerite de Valois : un retour salutaire sur soi », dans VARIATIONS Literaturzeitschrift der Universität Zürich, n°14, Zürich, 2006, p. 115-130.
-
- Laurent Angard, «Les Mémoires de Marguerite de Valois: une autobiographie au XVIe siècle? Entre (pré)-texte et (pré)-histoire d'un genre», TEXTE (Univ. de Toronto), 41-42, 2007, p.81-102.
-
- Laurent Angard, « À propos des genres littéraires dans les Mémoires de Marguerite de Valois », dans Europe XVI-XVII- Les Genres littéraires de la mémoire, dir. Marie ROIG MIRANDA, Nancy, Université de Nancy 2, 2008, p. 137-164.
Liens externes
- Mémoires et lettres de Marguerite de Valois
- Marguerite vue par Brantôme : un portrait hagiographique (p. 283)
- Marguerite vue par Tallemant des Réaux : un portrait ironique (p. 87)
- Notice par Éliane Viennot, in Dictionnaire des femmes de l'Ancienne France, SIEFAR, 2002
- La ruelle mal assortie (1610), notes de Jean-H. Mariéjol (Paris : La Sirène, 1922). Court dialogue libertin longtemps attribué à tort à Marguerite de Valois.
- Iconographie de Marguerite de Valois
- Marguerite de Valois en Auvergne: 1585-1605
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