- Justinien le Magne
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Justinien
Pour l’article homonyme, voir Justinien II.Justinien Ier (né le 11 mai 482 en Illyrie - mort le 13 novembre 565) est empereur byzantin de 527 à 565. Il est l’un des plus importants dirigeants de l’Antiquité tardive. Que ce soit sur le plan du régime législatif, de l’expansion des frontières de l’Empire ou de la politique religieuse, il laisse une œuvre et une vision considérable.
Sommaire
La fin d’une époque
Le long règne de Justinien, près de 40 années, ne marque pas, contrairement à ce qui est souvent avancé, le début d’une ère nouvelle mais représente la dernière tentative du vieil Empire romain pour refaire l’unité impériale, tant par la reconquête militaire que par la codification du droit et la volonté d’imposer le pouvoir du souverain à l’Église. Les indéniables succès du règne vont, en particulier dans le domaine militaire et territorial, se révéler sans lendemains car démesurés pour les structures et les ressources de l’Empire. Ce n’est qu’au prix de profondes transformations sociales et politiques, qui en font l’Empire byzantin sous le règne d’Héraclius, que celui-ci trouvera les moyens de surmonter les nombreux adversaires et dangers auxquels il est confronté.
Origines, formation et caractère
Justinien (Flavius Petrus Sabbatius Justinianus) est né en Illyrie le 11 mai 482 à Tauresium (Justiniana Prima), (près de l’actuelle Leskovac), dans une famille assez modeste d’Illyriens romanisés. Sa chance est d’être le neveu d’un soldat à qui une brillante carrière permet d’accéder au trône impérial en 518, sous le nom de Justin Ier, succédant à l’empereur Anastase Ier.
Justin adopte son neveu et lui fait donner, alors qu’il est lui-même sans grande culture, la meilleure éducation possible; l’éducation d’alors se base sur le droit, la rhétorique et la théologie. Devenu empereur, Justin associe rapidement Justinien aux affaires et le nomme patrice, puis consul. Il est rarissime dans l’histoire politique byzantine de voir un homme né aussi loin du trône, à ce point préparé à régner. Quand il accède au pouvoir en 527, à l’âge de quarante-cinq ans, il est un homme mûr à la personnalité contrastée.
En effet, Justinien possède d’indéniables qualités: un grand sens de l’État et de l’idée impériale, une forte capacité de travail, une relative simplicité de mœurs assez rare pour l’époque: il est végétarien et ne boit pas de vin, et possède une grande culture. Ses qualités intellectuelles sont cependant parfois gâchées par un caractère soupçonneux, influençable, un autoritarisme qui se change brutalement en pusillanimité, comme lors de la sédition Nika et, surtout après la mort de l’impératrice Théodora en 548, un manque de persévérance dans l’action.
Il sait aussi, et c’est une de ses qualités premières, s’entourer de collaborateurs remarquables, quoique souvent sans scrupule, tels Bélisaire, Narsès, Tribonien, ou le préfet du prétoire Jean de Cappadoce. Justinien n’hésite pas à favoriser les hommes en qui il a confiance, l’exemple de Narsès, eunuque d’extraction modeste, devenu l’un des plus grands chefs militaires de son temps en est la meilleure illustration.
Enfin, et même s’il ne faut pas exagérer son influence, le rôle de Théodora, ancienne actrice de très humble origine (à tel point que Justin Ier fit modifier la loi interdisant à un sénateur d’épouser une actrice pour permettre le mariage de son neveu), épouse de Justinien depuis environ 523, est indéniable. Il est l'empereur qui va essayer de reconstruire l'Empire romain.
Politique extérieure de Justinien
Paix avec la Perse sassanide
Dès le début de son règne Justinien semble avoir comme objectif de reconstituer l’ancien empire romain autour de la Méditerranée (restauratio imperii). Mais, pour cela, il doit d’abord mettre fin à la lutte contre la Perse, dont les troupes sont aux portes d’Antioche en 529. Bélisaire remporte quelques succès entre 529 et 531 mais, Justinien préfère finalement, en 532, acheter la paix qui lui est nécessaire pour réaliser ses objectifs de reconquête en Occident.
Guerre contre les Vandales
L’empereur s’attaque dans un premier temps au royaume des Vandales, en Afrique du Nord. Il craint que leur flotte ne perturbe plus tard ses opérations militaires en Italie, et les liaisons commerciales. Outre cet aspect il y a une raison plus politique: Hildéric, roi des Vandales vient d’être renversé par Gélimer. Hildéric était le représentant de la tendance pro-byzantine, et favorable à un rapprochement. Aussi Bélisaire à la tête d’une forte armée pour l’époque, sans doute 18,000 hommes, débarque entre Sfax et Sousse en 533. La bataille de l’Ad Decimum en 533, puis le 15 septembre 533 la prise de Carthage et du roi Gélimer sonnent le glas du royaume fondé par Genséric. Dans la foulée les armées byzantines s’emparent de la Corse, de la Sicile et de la Sardaigne.
Guerre contre les Ostrogoths
L’assassinat, par son mari Théodat, de la fille de Théodoric Ier le Grand, la reine Amalasonte, est le prétexte évoqué par Justinien pour envahir l’Italie en 535. Deux armées prennent en tenaille les armées des Ostrogoths, l’une venant de Dalmatie, l’autre de Sicile, sous la direction de l’indispensable Bélisaire. Celui-ci s’empare de Naples, puis occupe Rome le 10 décembre 536, et enfin Ravenne en 540, malgré la résistance opiniâtre du nouveau roi Vitigés. Ce dernier est fait prisonnier, et est envoyé à Constantinople, où Justinien le traite avec honneur. Mais l’empereur commet l’erreur, en 540, de disgracier Bélisaire, dont il craint visiblement la popularité, et qu’il avait déjà tenté de contrôler en lui envoyant Narsès comme second, vers 538. L’échec cuisant de cette tentative avait abouti au rappel de Narsès un an plus tard.
En 540, le rappel de Bélisaire dans la capitale, où il se voit confier des missions plus honorifiques que de réels commandements, correspond aussi à une nouvelle offensive de la Perse dans le Caucase et en Syrie. La paix n’est définitivement signée qu’en 562, et aboutit à une progression de l’influence byzantine en Arménie et dans le Caucase. Toujours en 540, la capitale est menacée par les Bulgares dont Justinien ne se débarrasse qu’en lançant contre eux les Avars, qui vont s’établir dans la vallée du Danube. Ces difficultés permettent aux Ostrogoths, dirigés par Totila, de reprendre l’offensive, et de vaincre à deux reprises les Byzantins (Faenza, puis Mugillo en Italie centrale). La ville de Naples est reprise en 543, celle de Rome le 17 décembre 546.
Il faut attendre l’arrivée de Narsès, en 552, pour voir la situation tourner à l’avantage des troupes de Justinien. Narsès, seul commandant en chef cette fois, et pourvu d’une forte armée, se révèle un excellent chef de guerre et inflige aux Ostrogoths la défaite de Taginae (552) en Ombrie, où Totila est tué. Les dernières résistances sont balayées en 553 au mont Lactarus, près du Vésuve, où leur dernier roi, Téias est tué. En 555 Narsès écrase une invasion alamanne près de Capoue. L’Italie est redevenue romaine, mais au prix de la ruine de la péninsule.
Profitant de l’appel à l’aide du roi wisigoth Athanagild, en lutte contre un compétiteur, Agila Ier, Justinien se fait céder pour prix de son soutien l’ancienne province de Bétique (l’actuelle Andalousie) en 554, et impose la suzeraineté byzantine au royaume des Wisigoths.
Justinien est le dernier empereur à avoir tenté de réunir les deux parties de l’ancien Empire romain. Ses successeurs, s’ils ne renonceront pas au titre, prennent acte de la séparation définitive entre l’Orient et l’Occident.
Œuvre législative et administrative
À son accession au pouvoir Justinien trouve une situation économique et financière saine grâce à la sage politique suivie par ses prédécesseur tels Anastase Ier. Cela lui laisse les mains libres afin d’appliquer son programme de restauration et d’unification du monde romain. Dès le début de son règne il s’applique à une grande réforme juridique.
Diverses commissions, dirigées par le juriste Tribonien, compétent mais détesté pour sa vénalité, sont chargées de remettre de l’ordre dans l’ensemble des constitutions impériales publiées depuis Hadrien. Cette réorganisation, le Corpus Juris Civilis, est ce que nous appelons le Code Justinien (529) écrit en latin, la langue vernaculaire de l’Empire romain, qui n’était pas compris par la plupart des citoyens de l’empire d’Orient. Une seconde version, le Codex retitae praelectionis, la seule que nous ayons, celle de 529 étant perdue, est publiée en 534. En 529, Justinien ferme l'école néoplatonicienne d'Athènes, alors dirigée par Damascios le Diadoque, et qui prolongeait l'illustre Académie de Platon, close avec Sylla en 86 av. J.-C.[1] : sept philosophes (Damascius le Diadoque, Simplicios de Cilicie, Priscien de Lydie, Eulamios de Phrygie, Hermias de Phénicie, Diogène de Phénicie, Isidore de Gaza) durent se réfugier chez le roi de Perse, Khosrô Ier, et revinrent en 533.
En 533 est publiée aussi le Digeste (ou Pandectes), qui correspond à une modernisation de toute la législation antique ainsi qu’à une synthèse de la jurisprudence antique. À cela s’ajoute un manuel pour enseigner le droit, les Institutes (533). Enfin les lois nouvelles, voulues par Justinien, les Novelles, sont écrites en grec, la langue véhiculaire de l’empire, après 534. Cette œuvre législative prend une importance fondamentale en Occident car c’est sous cette forme reçue de Justinien que l’Occident médiéval, à partir du XIIe siècle adopte le droit romain.
Justinien entreprend aussi de nombreuses réformes administratives, contenues surtout dans les grandes Novelles de la période 535-536. Leur objectif est essentiellement de renforcer le pouvoir de l’empereur en démembrant les grands offices, de lutter contre l’inquiétant développement de la grande propriété foncière ainsi que contre la corruption endémique des fonctionnaires impériaux. Aussi, souvent pour des raisons fiscales, Justinien regroupe diverses provinces, considérées de taille insuffisante et, afin de simplifier l’administration locale, supprime un certain nombre de diocèses et regroupe parfois, comme en Égypte agitée par des troubles réguliers, les pouvoirs civils et militaires entre les mains de commandants militaires.
Politique religieuse
Justinien se conçoit comme l'élu de Dieu, son représentant et son vicaire sur la terre. Il se donne pour tâche d’être le champion de l’orthodoxie dans ses guerres ou dans le grand effort qu’il fait pour propager la foi orthodoxe, soit dans la façon dont il domine l’Église et combat l’hérésie[2].Il veut gouverner l’Église en maître, et, en échange de la protection et des faveurs dont il la comble, il lui impose sa volonté, se proclamant nettement empereur et prêtre.[3]. L’action législative de Justinien s’inscrit donc dans la durée, avec une attention toute particulière pour l’Église. En effet, l’empereur est un chrétien sincère et il s’estime, dans la tradition de césaropapisme héritée de Constantin Ier, le dirigeant suprême de l’Église. Le christianisme est, d’un point de vue institutionnel et juridique, religion d’État. C’est en cela qu’il règle avec une minutie pointilleuse les conditions de recrutement des membres du clergé, leurs statuts, l’organisation de l’administration des biens ecclésiastiques. C’est lui qui légalise le contrôle des évêques sur les autorités civiles locales, ce qui a comme curieuse conséquence d’atténuer les excès centralisateurs de nombre de ses décisions. En effet, les notables provinciaux qui participent aux élections épiscopales, peuvent ainsi exprimer leur avis, et contrôler en partie l’emploi de certains fonds publics.
Justinien est confronté aux dernières résurgences du paganisme, contre lequel il agit avec vigueur. C’est ainsi qu’il met fin à l’Académie de Platon à Athènes, alors présidée par Damase, et interdit l’adoration des dieux païens, en particulier dans certaines régions reculée de l’Anatolie. Il persécute les Juifs bien que la contrainte employée ne suscite guère de conversions.
C’est aux dissensions internes des Églises chrétiennes que Justinien tente de mettre fin pour maintenir la cohésion de l’Empire. C’est pourquoi il tente un rapprochement avec les monophysites, nombreux dans la partie orientale de l’empire (en Syrie et en Égypte), d’autant que les convictions religieuses de Théodora sont notoirement proches des leurs. L’impératrice, en 537, n’hésite pas à ordonner à Bélisaire, qui combat alors en Italie, de s’emparer du pape Silvère, pour le remplacer par Vigile, réputé moins intransigeant envers ce que la papauté considère comme hérésie. Cependant, Justinien doit aussi composer avec les divers papes dont il a besoin dans son entreprise de reconquête de l’Italie.
Cette politique de bascule s’illustre dans l’affaire dite des Trois Chapitres: sous l'accusation de nestorianisme, Justinien fait condamner la mémoire de trois théologiens détestés par les monophysites, (Théodore de Mopsueste, Ibas d’Édesse et Théodoret de Cyr), dans l’espoir de les rallier à l’Église officielle. Le Ve concile œcuménique de 553 qui officialise cette condamnation, voit ses décrets fort mal accueillis en Occident, surtout par le pape Vigile que Justinien fait enlever afin de le contraindre à accepter les Trois Chapitres, sans pour autant rallier les monophysites.
Prospérité commerciale et vie culturelle et artistique
La destruction du royaume vandale, et la baisse de la piraterie qui en découle, augmentent le dynamisme de l'économie. Les marchands d’Égypte et de Syrie entretiennent un commerce assez dynamique avec l’Occident, dont la Gaule mérovingienne, où ils vendent de l’huile, des fruits secs, des vins réputés, des verreries de Syrie et du papyrus. L’empire est ravitaillé en esclaves par la Mer Noire. Il entretient des relations commerciales avec Ceylan par l’intermédiaire du royaume éthiopien d’Axoum, avec la Chine par la route de la soie. La nécessité d’approvisionner les ateliers byzantins en soie, et la volonté de contourner la Perse des Sassanides, explique en partie la politique entreprise par Justinien pour faire entrer les peuples caucasiens dans la sphère d’influence de l’empire. À partir de 552-553, grâce à l'importation clandestine de vers à soie de Chine, Byzance commence d’ailleurs elle-même à produire de la soie. Il faut noter cependant que l’empire, et ses relations économiques, sont profondément perturbés par une grande épidémie de "peste", à qui d’ailleurs les historiens donnent le nom de peste de Justinien.
La vie culturelle est intense sous Justinien et profondément marquée par la personnalité et les préoccupations de l’empereur. On retrouve chez l’historien Procope, qui écrit l’histoire du règne de Justinien, cette recherche de la grandeur romaine qui anime le couple impérial (dont pourtant il médit beaucoup). Les hymnes (poésies religieuses) de Romanos le Mélode sont un écho fidèle de la foi chrétienne profonde, quoiqu’intolérante, de Justinien et Théodora. Il fait reconstruire Antioche, sous le nom de Théopolis, après sa destruction par un terrible tremblement de terre en 526, et son pillage par les Perses en 538.
Le bâtisseur
Justinien est aussi un grand bâtisseur. Il a fait construire l’église Sainte-Sophie à Constantinople (dédiée à la Sagesse divine, Sophia en grec) avec l'aide de deux architectes, cent maîtres maçons et dix mille ouvriers. Elle fut érigée entre 532 et 537 par Anthemius de Tralles et Isidore de Milet. La première coupole s’étant effondrée en 558, une seconde fut reconstruite en 562. Dans tout l’empire, Justinien finance la construction de villes, de ponts, de thermes, et de routes.
Justinien meurt le 13 novembre 565, après avoir désigné son neveu, Justin II, comme successeur.
Justinien et Théodora sont représentés dans leurs ornements impériaux, avec les dignitaires de leur cour, par deux fameux panneaux de mosaïque visibles dans la basilique San Vitale à Ravenne.
Empereur romain d’Orient ou Basileus Précédé par
Justin Ier
Justinien IerSuivi par
Justin IIRéférences
Bibliographie
- Procope, Guerres de Justinien.
- Procope, Traité des édifices.
- Charles Diehl, Justinien et la civilisation byzantine au VIe siècle, Paris, 1901.
- Article « Justinien », Encyclopædia Universalis, tome 13, pages 224/226, édition de 1989.
- Michel Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, article Justinien, édition 1996.
- Guy Gauthier, "Justinien, le rêve impérial", France-empire, 1998.
- Georges Tate, Justinien. L'épopée de l'Empire d'Orient (527-565), Paris, Fayard, 2004.
- Éditions de référence
- CPG 6865-6893
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
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