- Gough Whitlam
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Gough Whitlam Mandats 21e Premier ministre d'Australie 5 décembre 1972 – 11 novembre 1975 Monarque Élisabeth II Gouverneur Paul Hasluck
John KerrPrédécesseur William McMahon Successeur Paul Keating Biographie Nom de naissance Edward Gough Whitlam Date de naissance 11 juillet 1916 Lieu de naissance Sydney
(Nouvelle-Galles du Sud, Australie)Nationalité australienne Parti politique Parti travailliste australien
(ALP)Conjoint Margaret Whitlam Diplômé de Université de Sydney Profession Avocat
Premiers ministres d'Australie modifier Edward Gough Whitlam, AC, QC, né le 11 juillet 1916 à Melbourne en Australie, est un homme politique travailliste qui fut le vingt et unième premier ministre d'Australie du 5 décembre 1972 au 11 novembre 1975.
Whitlam entra à la Chambre des représentants du Parlement australien en 1952, en tant que membre du parti travailliste. Il fut élu vice-président de ce parti en 1960, et quand Arthur Calwell se retira en 1967, Whitlam en devint le président, ainsi que le Leader de l'opposition.
Après avoir perdu de peu les élections fédérales de 1969, Whitlam amena le parti travailliste à la victoire aux élections de 1972 après 23 ans de gouvernement conservateur. Il remporta de nouveau les élections en 1974. Pendant ses mandats, lui et son gouvernement mirent en place un grand nombre de programmes et de réformes politiques majeurs comme l'abolition de la peine de mort et de la conscription, la création du Medicare et de l'aide juridictionnelle, ainsi que la suppression des frais de scolarité à l'université.
Il gagna les élections de 1974 avec une faible majorité, ce qui incita l'opposition majoritaire au Sénat, enhardie par les scandales gouvernementaux et une économie languissante, à le défier. À la fin de 1975, le Sénat refusa pendant plusieurs semaines de voter les projets de loi de finances, ce qui provoqua une crise constitutionnelle prolongée. Le gouverneur général, John Kerr, y mit fin en destituant Whitlam, et en nommant comme Premier Ministre intérimaire le leader de l'opposition, Malcolm Fraser, dans l'attente de nouvelles élections. Celles-ci furent gagnées avec une écrasante majorité par les conservateurs, et Whitlam devint le seul Premier Ministre australien à avoir perdu son poste de cette manière.
Whitlam démissionna de la présidence du parti travailliste, après que celui-ci perdit de nouveau les élections de 1977, et il quitta le parti en 1978. Plus de trois décennies après son départ, Whitlam continue à commenter les affaires politiques. Les circonstances de sa démission et ce qu'a réalisé son parti sont toujours présents dans le discours politique australien. On a soupçonné en particulier la Nugan Hand Bank, qui aurait eu des liens avec la CIA, d'avoir pris une part active dans la déstabilisation de son gouvernement, qui avait reconnu plusieurs pays communistes (Cuba, la Corée du Nord et la RDA) et avait proposé que l'Australie siège comme observateur au mouvement des pays non-alignés [1],[2]. Par ailleurs, il envisageait de fermer la base de Pine Gap, l'une des stations centrales du système ECHELON[1].
Sommaire
Jeunesse
Gough Whitlam est né à Kew, un quartier de Melbourne le 11 juillet 1916. Il était l'aîné de deux enfants, sa sœur Freda est aujourd'hui âgée de 90 ans[3]. Son père, Fred Whitlam[4], était un fonctionnaire fédéral qui travailla comme conseiller juridique du gouvernement. L'engagement de son père dans la défense des droits de l'homme eut une profonde influence sur lui[5]. Comme son grand-père maternel s'appelait aussi Edwards, Whitlam fut appelé par son second prénom dès sa plus tendre enfance[6]. En 1918, son père fut nommé conseiller juridique adjoint de la Couronne, et la famille emménagea à Sydney, et le jeune Gough entra à l'âge de six ans à l'école des filles de l'Église d'Angleterre de Chatswood, car il n'était alors pas rare que les tout jeunes garçons fréquentent l'école des filles. Il entra ensuite à l'école primaire de Mowbray, puis à l'école secondaire de Knox, dans les banlieues de Sydney[7].
Son père ayant été promu en 1927 conseiller assistant de la Couronne, il fut nommé dans la toute nouvelle capitale, Canberra, et la famille emménagea là. Gough Whitlam reste le seul Premier Ministre à avoir passé ses années formatrices à Canberra[8]. À cette époque, les conditions étaient assez rudimentaires dans ce qui était nommé la « capitale de brousse » ou « le pays des mouches »[9]. Gough, qui avait toujours fréquenté des écoles privées, fut envoyé dans une école publique (Telopea Park School), car il y n'avait aucune autre choix possible[10]. En 1932, Fred Whitlam transféra son fils à l'école secondaire de Canberra, où le jour de la distribution des prix de 1932, Gough reçut un prix des mains du Gouverneur général d'Australie, Sir Isaac Isaacs[11]. À Canberra, il devint l'ami de Francis James.
À l'âge de dix-huit ans, il s'inscrivit au Collège St Paul de l'Université de Sydney[10], et il gagna son premier salaire en apparaissant, avec plusieurs autres « Paulines », sur la scène d'un cabaret dans le film The Broken Melody. Les étudiants de St Paul avaient été choisis parce que dans ce collège on dînait (et on dîne encore) en tenue de soirée, et les étudiants pouvaient fournir leur propre habit[12]. Après avoir obtenu un Bachelor of Arts avec les honneurs de seconde classe, il resta à St Paul pour commencer des études de droit. Il aurait envisagé un moment une carrière universitaire, mais ses notes passables rendent cette hypothèse peu vraisemblable[13].
Peu après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939, Whitlam s'engagea dans le régiment de l'Université de Sydney, qui faisait partie de l'armée de réserve[14]. En fin 1941, suite à l'Attaque sur Pearl Harbor par les Japonais, alors qu'il lui restait un an pour finir ses études de droit, il se porta volontaire dans les forces royales aériennes australiennes[15]. En 1942, attendant d'entrer au service actif, il rencontra Margaret Dovey et ils se marièrent. Elle était la fille du juge Bill Dovey, qui allait devenir juge à la Cour Suprême, et elle avait fait partie de l'équipe australienne de natation aux Jeux de l'Empire britannique de 1938[16]. Il eut avec elle trois garçons et une fille. Margaret Whitlam est connue pour son esprit acerbe comparable à celui de son mari et est un auteur connu. Pour leur soixantième anniversaire de mariage, il demanda d'enregistrer le record d'"endurance matrimoniale" pour un couple politique[17].
Il s'entraîna comme navigateur et bombardier, avant de servir dans l'escadron 13 de la RAAF, basé principalement dans la presqu'île de Grove, dans le Territoire du Nord. Il vola sur des bombardiers Lockheed Ventura, et obtint le grade de lieutenant[18]. Il était encore en service, quand il débuta ses activités politiques, distribuant de la documentation sur le parti travailliste australien pendant les élections fédérales australiennes de 1943, et incitant à voter pour le Référendum australien de 1944, qui aurait donné plus de pouvoirs au gouvernement fédéral. Bien que le parti fût victorieux, le référendum fut repoussé[18]. En 1961, Whitlam dit du référendum qui avait échoué : « Mes espoirs furent réduits à néant par le résultat, et à partir de ce moment-là, je fus déterminé à faire tout ce que je pourrais pour moderniser la Constitution australienne, »[19]. Alors qu'il était toujours en uniforme, Whitlam rejoignit le parti travailliste de Sydney en 1945. Il acheva ses études après la guerre, obtenant sa licence de droit. Il fut admis comme avocat en Nouvelle-Galles du Sud en 1947[18].
Un de ses fils, Nicholas, devint un banquier célèbre et un personnage controversé en raison de son comportement. Un autre, Tony, fut pendant quelque temps député fédéral avant d'être nommé juge en 1993 à la cour fédérale australienne, puis en 1994 à la cour suprême du Territoire de la capitale australienne. Son troisième fils est diplomate[20]. Sa fille, Catherine Dovey (née en 1954) a travaillé comme juge d'application des peines (Parole Board) en Nouvelle-Galles du Sud[21].
Premières années politiques
Candidat et simple député
Avec son prêt d'ancien combattant, Whitlam fit construire une maison en bord de mer à Cronulla[22]. Il chercha à faire carrière au parti travailliste de cette ville, mais les travaillistes locaux doutèrent de sa loyauté, compte-tenu de son origine aisée[22]. Pendant les années d'après-guerre, il exerça le métier d'avocat, se spécialisant dans les conflits de propriétaires et de locataires, et cherchant à se gagner les bonnes grâces du parti. Il se présenta deux fois sans succès aux élections du conseil municipal, une fois, toujours sans succès, à l'Assemblée législative de Nouvelle-Galles du Sud, et fit campagne pour d'autres candidats[23]. Il devint aussi une célébrité de la radio, en gagnant l'Australian National Quiz Championship en 1948 et 1949, et en finissant second en 1950[24]. En 1951, Hubert Lazzarini, député travailliste de la Circonscription de Werriwa, annonça qu'il allait se désister aux prochaines élections. Whitlam remporta la présélection des candidats travaillistes. Lazzarini mourut en 1952 avant la fin de son mandat, et Whitlam fut élu à la Chambre des représentants au cours de l'élection partielle qui en résulta, le 29 novembre 1952[25]. Whitlam tripla la majorité de Lazzarini grâce à un accroissement de 12% du score des travaillistes[22].
Whitlam rejoignit la minorité travailliste au Parlement. Son discours inaugural fut interrompu par le futur Premier Ministre, John McEwen, qui fut rappelé à l'ordre par le président de l'assemblée, lui indiquant que les premiers discours étaient traditionnellement écoutés en silence. Whitlam répondit à McEwen en déclarant que Benjamin Disraeli avait été interpellé lors de son discours inaugural, et avait répondu : « Le temps viendra où vous devrez m'écouter. ». Whitlam ajouta à l'intention de McEwen : « Le temps viendra où vous pourrez m'interrompre ». Selon les premiers biographes de Whitlam, Laurie Oakes et David Solomon, cette réponse calme fit prendre conscience au gouvernement de coalition, que le nouveau député de Werriwa serait une force dont il faudrait tenir compte[26].
Connu depuis l'enfance pour son érudition, son éloquence et son esprit critique, il devint rapidement l'un des meilleurs orateurs du parti et l'un des rares à pouvoir affronter Robert Menzies sur les bancs du Parlement. Au cours des débats brutaux et houleux à la Chambre des représentants, Whitlam qualifia le député Bill Bourke de « collabo pleurnichard », Garfield Barwick (qui, devenu président de la Haute Cour, jouera un rôle dans la chute de Whitlam) de « salaud prétentieux », et affirma que William Wentworth montrait une « prédisposition héréditaire à la folie »[27]. Il s'excusa après avoir affirmé que le futur Premier ministre, William McMahon, était une « pute »[27].
Le parti travailliste (ALP) n'était plus aux affaires depuis la défaite du gouvernement Chifley en 1949, et depuis 1951, il était dirigé par Herbert Vere Evatt que Whitlam admirait beaucoup. En 1954, le parti travailliste semblait capable de revenir au pouvoir. Le Premier ministre de l'époque, Robert Menzies, utilisa adroitement à son avantage l'affaire Petrov, et son gouvernement de coalition, composé de libéraux et de conservateurs, gagna les élections de 1954 avec une majorité de sept sièges. Après l'élection, Evatt tenta d'éliminer du parti les Industrial Groups, qui avaient été créés dans les années 1940 par l'ALP lui-même pour combattre l'influence du parti communiste dans les syndicats. Constituant l'aile droite du parti, majoritairement catholiques et anti-communistes, ils avaient divergé depuis longtemps de la ligne du parti travailliste. La division qui s'ensuivit, et qui resta connue sous le nom de « The Split », fit naître le parti travailliste démocratique. Ce conflit écarta le parti travailliste du pouvoir pendant une génération, car les supporters du parti démocratiques optaient pour le parti libéral comme second choix dans le vote alternatif propre au système électoral australien. Whitlam soutint toujours loyalement Evatt pendant le Split[28].
En 1955, un nouveau découpage des circonscriptions divisa l'électorat de Whitlam à Werriwa en deux, son domicile de Cronulla se retrouvant dans la Circonscription de Hughes. Bien qu'il aurait obtenu le soutien de l'ALP dans l'une ou l'autre des circonscriptions, il choisit de continuer à représenter Werriwa. Il déménagea donc à Cabramatta, ce qui représentait pour ses enfants les plus âgés des trajets scolaires plus longs, car les deux circonscriptions ne possédant pas de lycée, ils devaient se rendre à Sydney[29].
En 1956, Whitlam fut nommé à la commission paritaire du Parlement chargée de la révision de la Constitution. Sa biographe, Jenny Hocking, considére que son travail dans ce comité, qui était composé de membres de tous les partis appartenant aux deux Chambres, eut une des plus grandes influences sur son évolution politique[30]. Selon Hocking, ce travail obligea Whitlam à se concentrer non plus sur les conflits internes qui consumaient l'ALP, mais sur les objectifs possibles et utiles au travaillisme dans un cadre constitutionnel. De nombreux objectifs travaillistes, comme la nationalisation, étaient contraires à la Constitution. Whitlam vint à penser que la Constitution — et plus particulièrement l'article 96, qui autorisait le gouvernement fédéral à accorder des subventions aux États australiens — pourrait être utilisée pour mettre en place un programme favorable au travaillisme[31].
Vice-présidence
À la fin des années 1950, Whitlam était considéré comme un prétendant possible à la présidence, une fois que les dirigeants travaillistes du moment quitteraient la scène. Ceux-ci, comme Evatt, le vice-président Arthur Calwell, Eddie Ward, et Reg Pollard, avaient la soixantaine, soit vingt ans de plus que Whitlam[32]. En 1960, après avoir perdu trois élections, Evatt démissionna et fut remplacé par Calwell, et Whitlam remporta le poste de vice-président contre le vétéran Eddie Ward[33]. Calwell fut à deux doigts de remporter les élections fédérales de 1961, mais perdit progressivement du terrain après cet échec. Il n'avait pas voulu de Whitlam comme vice-président, et pensait que les travaillistes auraient gagné si Ward avait été vice-président.
Peu après les élections de 1961, les événements commencèrent à tourner à la défaveur de l'ALP. Quand le président indonésien, Soekarno, annonça qu'il avait l'intention de s'emparer de la Nouvelle-Guinée occidentale, que la puissance coloniale hollandaise abandonnait, Calwell répondit en déclarant que l'Indonésie devait être arrêtée par la force. Cette déclaration de Calwell fut qualifiée de « folle et irresponsable » par le Premier ministre Menzies, et l'ALP y perdit un peu de son crédit dans l'opinion publique[34]. À cette époque, le congrès fédéral de l'ALP, qui dictait la ligne politique du parti à ses parlementaires, était composé de six membres pour chaque État, et ni Calwell, ni Whitlam en faisaient partie. En effet, le parti travailliste avait été créé pour représenter les classes laborieuses au Parlement et continuait de regarder ses élus comme des serviteurs du parti, qui devaient se plier aux décisions officielles de celui-ci. Au début de 1963, un congrès extraordinaire se tint dans un hôtel de Canberra pour définir la position du parti en ce qui concernait l'installation éventuelle d'une base US dans le Territoire du Nord. Calwell et Whitlam, qui attendaient la décision, furent photographiés en train de scruter la salle à travers des portes. Cette photographie eut une influence désastreuse sur l'ALP, Menzies raillant « le fameux groupe des trente-six hommes sans visages dont on ne connait pas les qualifications et qui n'ont pas de responsabilités électorales », et qui pourtant contrôlaient le parti[35].
Menzies manipulait l'opposition sur des questions qui la divisait profondément, comme l'aide directe des États aux écoles privées et l'installation éventuelle d'une base US. Il se déclara soutenir ces deux propositions et annonça des élections anticipées pour novembre 1963. Le Premier ministre, Menzies, fit une meilleure prestation que Calwell à la télévision, et l'assassinat de John F. Kennedy lui apporta un soutien supplémentaire inattendu. En conséquence, le gouvernement de coalition battit aisément les travaillistes. Whitlam espéra que Calwell allait démissionner après 1963, mais il resta, expliquant qu'on avait donné à Evatt trois occasions de gagner, et qu'on lui devait une troisième chance de devenir Premier ministre[36]. Calwell rejeta la proposition que le président et vice-président de l'ALP soient membres d'office du congrès fédéral du parti, ou de son comité central composé de douze membres (deux pour chaque État). Au lieu de cela, il se présenta avec succès à un des sièges du Victoria du congrès fédéral[37]. L'ALP subit un cinglant échec aux élections partielles de Tasmanie en 1964, et perdit des sièges lors du renouvellement de la moitié du Sénat en 1964. Le parti fut battu aussi lors des élections régionales de l'État le plus peuplé, la Nouvelle-Galles du Sud, perdant le contrôle de cet État pour la première fois depuis 1941[38].
Pendant les années 1960, les relations de Whitlam avec Calwell et l'aile droite du parti devinrent difficiles. Whitlam s'opposa sur plusieurs points à la politique du parti, notamment sur la nationalisation de certaines industries, sur le refus de l'aide des États aux écoles privées et sur la décision politique de Calwell de continuer à soutenir l'Australie blanche. Le comportement de Whitlam l'amena plusieurs fois à des conflits ouverts avec la direction du parti. Les relations de Whitlam et Calwell se détériorèrent encore plus après un article de The Australian en 1965. L'article rapporte des commentaires confidentiels de Whitlam, disant que son président était « trop vieux et trop faible » pour gagner le pouvoir, et que le parti était gravement handicapé par un Calwell de 70 ans toujours à la recherche de son premier mandat de Premier ministre[39]. Plus tard cette année-là, à la demande pressante de Whitlam et malgré l'objection de Calwell, le congrès biennal du parti apporta de profonds changements à la ligne politique du parti, supprimant le soutien à la politique de l'Australie blanche et faisant du président et du vice-président du parti des membres de droit du congrès fédéral et du comité central du parti, ainsi que les président et vice-président du parti au Sénat. Mais comme il considérait que le Sénat n'était pas un organe représentatif, Whitlam s'opposa à l'admission de ces deux dernières personnes au conseil d'administration du parti[40].
En janvier 1966, Sir Robert Menzies se retira du gouvernement après avoir pulvérisé le record de longévité au poste de Premier Ministre. Ce fut le nouveau président du parti libéral, Harold Holt, qui lui succéda au poste de Premier ministre[41]. Après des années de politique dominées par les vieux Menzies et Calwell, le jeune Holt apportait un sang neuf.
Au début de 1966, le Congrès des 36 membres, en accord avec Calwell, interdit à tout parlementaire travailliste, sans peine d'exclusion, de défendre l'assistance fédérale aux États destinée à les aider à financer les écoles publiques et privées, appelée communément « aide de l'État ». Whitlam était en désaccord sur ce point avec le parti, et fut inculpé de « grave déloyauté » par le comité central, une infraction passible d'expulsion. Avant que cette affaire ne soit traitée, Whitlam partit pour le Queensland, où il mena une campagne intensive pour le candidat travailliste à l'élection partielle de Dawson. L'ALP gagna, marquant la première défaite du gouvernement à une élection partielle depuis 1952. Whitlam échappa à la sentence d'expulsion par un écart de deux voix, les deux votes du Queensland ayant été en sa faveur[42]. Fin avril, Whitlam se présenta à la présidence du parti contre Calwell. Bien que ce dernier obtînt les deux tiers des votes, il annonça que si le parti perdait les prochaines élections, il ne se maintiendrait pas à la présidence[43].
Holt annonça pour novembre 1966 une élection, dans laquelle l'engagement de l'Australie dans la Guerre du Viêt Nam était une question majeure. Calwell appela à un « retrait immédiat et inconditionnel » des troupes australiennes. Whitlam, quant à lui, dit que cela priverait l'Australie de toute participation à un accord, et que les troupes régulières, à la différence des conscrits, devaient rester sur le terrain sous certaines conditions[44]. Calwell trouva la remarque de Whitlam désastreuse, et contesta la ligne du parti cinq jours avant les élections. Holt, de son côté, réveilla l'intérêt du public, créant un élan nouveau[41] et conduisant sa majorité gouvernementale à une écrasante victoire à ces élections de novembre 1966 avec un programme pro-américain et pro-guerre du Viêt Nam. L'ALP, lui, subit une lourde défaite, tombant à quarante sièges à la Chambre des représentants. À la réunion du comité électoral du 8 février 1967, Gough Whitlam fut élu à la présidence du parti, battant de peu le docteur Jim Cairns, candidat de l'aile gauche du parti[45].
Présidence du parti travailliste
Réforme de l'ALP
Gough Whitlam comprit que le parti aurait peu de chances de gagner des élections s'il n'élargissait pas sa base populaire traditionnelle, en s'ouvrant aux classes moyennes des banlieues[46]. Il chercha à faire passer le contrôle du parti des mains des syndicalistes à celles des parlementaires, et espéra que même les membres de base pussent faire valoir leurs voix au moment des congrès[47]. En 1968, la controverse éclata à l'intérieur du parti, quand le comité central refusa de faire sièger le nouveau délégué de Tasmanie, Brian Harradine, un partisan de Whitlam, considéré comme un extrémiste de droite. Whitlam démissionna de la présidence, demandant un vote de confiance du comité. Il battit Cairns dans un vote étonnamment serré de 38 à 32. Malgré ce vote favorable à Whitlam, le comité refusa le siège à Harradine[48].
Les instances dirigeantes du parti ne voulant pas se réformer, Whitlam s'employa à rechercher un soutien au changement parmi les membres de base du parti. Il réussit à réduire l'influence des syndicats, mais il ne put faire accepter l'élection du comité central par le vote direct de tous les membres du parti[49]. La section victorienne du parti avait toujours posé problème, son comité directeur était bien plus à gauche que le reste de l'ALP, et avait bien peu de succès électoral. Whitlam réussit à reprendre l'organisation de cette section malgré l'opposition de ses dirigeants, et cette reconstruction montra son bien-fondé lors de la victoire travailliste à l'élection de 1972[48].
Lors du congrès de 1969, Whitlam avait acquis un pouvoir considérable sur le parti. Ce congrès vota 61 résolutions, dont de profonds changements de la politique du parti et de ses procédures. Il appela à la création d'une commission scolaire australienne, afin d'examiner le niveau convenable de l'aide fédérale aux écoles et aux universités, à la reconnaissance des revendications foncières aborigènes et à l'extension de la politique du parti à la couverture universelle de santé[50]. Le congrès demanda aussi un accroissement de la participation fédérale à l'urbanisme, tout cela formant la base du « Programme » du socialisme moderne, que Whitlam et l'ALP présenterait aux électeurs en 1972[51].
Depuis 1918, le parti travailliste demandait l'abolition de la Constitution australienne, et la remise de tout le pouvoir politique au Parlement, un plan qui aurait transformé les États en des régions impuissantes. Depuis 1965, Whitlam cherchait à modifier cette revendication. Il y réussit au congrès de l'ALP de 1971 à Launceston, qui demanda que le Parlement reçoive les « pleins pouvoirs nécessaires et désirables » à la réalisation des objectifs de l'ALP dans les affaires nationales et internationales[52]. Le parti travailliste avait aussi promis d'abolir le Sénat ; cet objectif ne sera pas effacé du programme du parti avant 1979, après que Whitlam en abandonna la présidence.
Leader de l'opposition
Peu après avoir pris la présidence, Whitlam réorganisa le comité central du parti, en mettant en place un cabinet fantôme avec les parlementaires du parti et en leur attribuant les portefeuilles[53]. Alors que le gouvernement de coalition disposait d'une large majorité à la Chambre des représentants, Whitlam dynamisa le parti par des campagnes intensives en vue de gagner deux élections partielles en 1967 : tout d'abord dans la Circonscription de Corio dans le Victoria, puis la même année dans la Circonscription de Capricornia dans le Queensland. L'élection pour le renouvellement de la moitié du Sénat en novembre 1967 vit une légère fluctuation en faveur de l'ALP, par comparaison avec l'élection générale de l'année précédente[54]. Ces victoires fédérales, pour lesquelles Whitlam et Holt avaient fait campagne, donnèrent à Whitlam la force dont il avait besoin pour conduire les réformes du parti[55].
En fin de 1967, le Premier ministre Holt disparut alors qu'il nageait dans une mer agitée près de Melbourne ; on ne retrouva jamais son corps[56]. McEwen, président du parti partenaire dans la coalition, le Country Party, le remplaça comme Premier ministre pendant trois semaines, le temps que les libéraux pussent élire un nouveau président. Le sénateur John Gorton gagna le vote et devint Premier ministre[57]. La campagne pour cette élection se déroula principalement à la télévision, et Gordon parut avoir le charisme nécessaire pour maintenir Whitlam à l'écart des affaires[58]. Gorton démissionna de son siège au Sénat, et en février 1968 il fut élu sur le siège d'Holt dans la circonscription de Higgins dans le Victoria[59]. Pendant le reste de l'année, Gorton apparut avoir l'ascendant sur Whitlam à la Chambre des représentants. Pourtant, dans sa chronique des années Whitlam, sa plume, Graham Freudenberg, affirme que le comportement fantasque de Gorton, le renforcement de l'ALP par Whitlam et des événements extérieurs à l'Australie, comme la Guerre du Viêt Nam entamèrent peu à peu la domination des libéraux[60].
Gorton annonça la tenue des élections fédérales pour octobre 1969. Whitlam et l'ALP, sans grande dissension interne, se présentèrent avec un programme appelant à des réformes nationales, la fin de la conscription, et le retrait des troupes australiennes du Viêt Nam pour le 1er juillet 1970[61]. Whitlam savait qu'étant donné la piètre position de l'ALP après les élections de 1966, la victoire était improbable[62]. Néanmoins, Whitlam gagna 18 sièges de plus, la meilleure performance des travaillistes depuis qu'ils avaient perdu le gouvernement en 1949. La coalition conserva le pouvoir, mais avec une faible majorité[61]. Le renouvellement de la moitié du Sénat en 1970 ne modifia pas le contrôle de cette Chambre par la coalition, mais les libéraux tombèrent pour la première fois en dessous de 40%, ce qui menaçait sérieusement la position de Gorton[63] En mars 1971, Gorton perdit la motion de censure au comité central des libéraux. William McMahon fut élu à sa place à la présidence du parti, et il devint le nouveau Premier ministre[61].
Les libéraux étant dans la tourmente, Whitlam et l'ALP cherchèrent à gagner la confiance du public en tant que gouvernement possible crédible. Les actions du parti, comme l'abandon de la politique de l'Australie blanche, attirèrent les faveurs des media[64]. Le président des travaillistes se rendit en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et promit lui-même l'indépendance à ce qui était encore une possession australienne[65]. En 1971, Whitlam se rendit à Pékin et rencontra les dirigeants chinois, dont Zhou Enlai[66]. McMahon attaqua Whitlam pour sa visite et prétendit que les Chinois l'avaient manipulé. Cette attaque fit long feu, lorsque le président américain, Richard Nixon, annonça sa prochaine visite en Chine pour l'année suivante. Son Conseiller à la sécurité nationale, Henry Kissinger, s'était trouvé à Pékin en même temps que la délégation travailliste, ce que Whitlam ne savait pas. Selon la biographe de Whitlam, Jenny Hocking, cet épisode donna à Whitlam l'image d'un homme d'état connu internationalement[67], tandis que McMahon était considéré comme étant sur la défensive face aux actions de politique étrangère de son adversaire[68]. D'autres erreurs de McMahon, comme le discours confus improvisé lors de sa visite à Washington, et l'affirmation faite devant le président indonésien Soeharto que l'Australie était une nation d'Europe de l'Ouest, causèrent du tort au gouvernement[69].
Au début de 1972, le parti travailliste était passé en tête dans les sondages[70]. Le chômage n'avait jamais atteint un tel sommet depuis dix ans, augmentant de plus de 2% en août[71]. L'inflation avait aussi atteint son taux le plus élevé depuis le début des années 1950. Le gouvernement se remit un peu lors de la session budgétaire du Parlement en août, en proposant des réductions de l'impôt sur le revenu et un accroissement des dépenses[70]. La stratégie de l'ALP pour la préparation de l'élection était d'attendre et de laisser le gouvernement faire des erreurs. Pour créer des controverses, Whitlam affirma en mars que « l'insoumission n'était pas un crime » et qu'il serait ouvert à une réévaluation du dollar australien[72]. McMahon annonça l'élection générale pour la Chambre des représentants pour le 2 décembre 1972. Whitlam nota que ce jour était l'anniversaire de la bataille d'Austerlitz, au cours de laquelle une autre « coalition, réactionnaire et délabrée » avait subi une sévère défaite[71].
Les travaillistes firent campagne avec le slogan « Il est temps », une réminiscence du slogan victorieux de Menzies en 1949 « Il est temps de changer ». Les sondages montrèrent que même les électeurs libéraux approuvaient le slogan des travaillistes[73]. Whitlam promit de mettre fin à la conscription et de libérer les individus qui l'avaient refusée. Il promit également un supplément d'impôt pour financer une couverture maladie universelle, des soins dentaires gratuits pour les étudiants, et une rénovation des infrastructures urbaines vieillissantes. Le parti s'engagea à supprimer les frais de scolarité universitaires et de mettre en place une commission chargée d'évaluer les besoins scolaires[74]. Le parti bénéficia du soutien de Rupert Murdoch, propriétaire des News Limited, qui préférait Whitlam à McMahon[75]. Les travaillistes dominaient tant la campagne, que quelques conseillers de Whitlam le pressèrent de cesser ses plaisanteries au sujet de McMahon, car les gens commençaient à le plaindre[76]. L'ALP gagna douze sièges, principalement dans les banlieues de Sydney et de Melbourne, lui donnant une majorité de neuf sièges à la Chambre des représentants. L'ALP ne gagna pourtant rien au delà des ceintures de banlieue, perdant même un siège en Australie-Méridionale et deux en Australie-Occidentale[77].
Premier ministre 1972–75
Duumvirat
Whitlam entra en fonction avec une majorité à la Chambre des représentants, mais pas au Sénat, élu par moitié en 1967, puis en 1970. À cette époque, le Sénat était composé, pour chacun des six États, de dix membres élus au scrutin proportionnel plurinominal[78]. Les parlementaires du comité électoral de l'ALP devaient choisir les ministres, et Whitlam devait leur attribuer les portefeuilles[79]. Mais la réunion du comité ne pouvait se faire tant que les résultats définitifs de l'élection ne seraient pas proclamés, c'est-à-dire le 15 décembre. Pendant ce temps, McMahon resterait en fonction en tant que Premier ministre intérimaire[80]. Whitlam, cependant, n'était pas disposé à attendre aussi longtemps. Le 5 décembre, lorsque la victoire du clan travailliste fut certaine, Whitlam se fit faire prêter serment par le gouverneur général, Sir Paul Hasluck, comme nouveau Premier ministre et Lance Barnard, vice-président du parti, comme vice Premier ministre. Leurs ministres n'ayant pas encore été désignés par le comité du parti, les deux hommes durent s'occuper des 27 portefeuilles durant les deux premières semaines[81].
Durant ces deux semaines, ce duumvirat, ainsi qu'il fut appelé, parvint à fonctionner seul, Whitlam cherchant à remplir les promesses de campagne qui ne nécessitaient pas de législation. Il ordonna l'ouverture de négociations pour établir des relations diplomatiques complètes avec la République populaire de Chine, et la rupture de celles avec Taïwan[82]. La législation autorisait le ministre de la défense à accorder des exemptions pour la conscription. Barnard détenant ce portefeuille, il exempta tout le monde[83]. Sept hommes étaient détenus à ce moment-là pour avoir refusé la conscription ; Whitlam prit ses dispositions pour les faire libérer[84]. Le gouvernement Whitlam, dès ses premiers jours, relança la question de l'égalité de rémunération, qui était en souffrance devant la Commission australienne de conciliation et d'arbitrage, et nomma une femme, Elizabeth Evatt, à cette commission. Whitlam et Barnard supprimèrent la taxe sur les pilules contraceptives, annoncèrent d'importantes subventions pour les arts, et mirent en place une commission scolaire provisoire. Le duumvirat interdit en Australie les sports collectifs racialement discriminatoires, et donna comme instruction à la délégation australienne aux Nations-Unies de voter en faveur de sanctions à l'égard de l'Afrique du Sud et de la Rhodésie qui pratiquaient l'apartheid[85]. Il ordonna également le retour de toutes les troupes australiennes restant encore au Viêt Nam, bien que la plupart, dont tous les conscrits, avait été retirée par McMahon[86].
Selon la plume de Whitlam, Graham Freudenberg, le duumvirat fut un succès, car il démontra que le gouvernement travailliste était capable de manœuvrer la machinerie gouvernementale malgré sa longue absence du pouvoir. Freudenberg nota cependant que l'allure rapide des réformes et l'excitation du public causée par les actions du duumvirat poussèrent l'opposition à ne pas faciliter la tâche des travaillistes, ce qui a conduit à une remarque post-mortem du gouvernement Whitlam : « Nous avons fait trop, trop tôt »[87].
Mise en route du programme
Le gouvernement McMahon avait été composé de 27 ministres, douze d'entre eux faisant partie du Cabinet. Pendant la préparation de l'élection, le comité électoral travailliste avait décidé que, si le parti gagnait l'élection, les 27 ministres appartiendraient tous au Cabinet[88]. Ceci provoqua un intense démarchage électoral parmi les parlementaires travaillistes, pendant que le duumvirat était au travail, et, le 18 décembre, le comité électoral élut le Cabinet. Les résultats étaient généralement acceptables pour Whitlam, et en trois heures de temps, il distribua les 27 portefeuilles[89]. En janvier 1973, afin d'avoir un meilleur contrôle du Cabinet, Whitlam mit en place cinq comités de cabinet, dont les membres étaient nommés par lui et non par le comité[90].
Le gouvernement Whitlam abolit la peine de mort pour les crimes fédéraux[91]. L'aide juridictionnelle fut mise en place, avec des bureaux dans toutes les capitales d'État[92]. Il abolit également les frais de scolarité universitaires, et mit en place la Commission scolaire chargée de distribuer des fonds aux écoles[91]. Whitlam fonda le Département du développement urbain, et, ayant vécu à Cabramatta, à l'époque où il n'y avait pas véritablement d'assainissement, il fixa l'objectif que toute habitation urbaine devrait être raccordée à un réseau d'assainissement[93].
Le gouvernement Whitlam donna directement des subventions aux gouvernements régionaux pour le rénovation urbaine, la prévention des inondations et la promotion du tourisme. D'autres subventions fédérales financèrent les autoroutes reliant les différentes capitales et des lignes de train à l'écartement standard pour relier les États. Le gouvernement tenta de créer une ville nouvelle à Albury-Wodonga sur la frontière entre le Victoria et la Nouvelle-Galles du Sud. "Advance Australia Fair" devint l'hymne national australien à la place de "God Save the Queen". L'Ordre d'Australie remplaça le système britannique d'honneurs au début 1975[92].
En 1973, la National Gallery of Australia, appelée alors « Australian National Gallery », acheta le tableau Blue Poles de l'artiste contemporain Jackson Pollock pour deux millions de dollars US, soit 1,3 million de dollars australiens à l'époque du paiement[94], soit le tiers du budget annuel du musée. Ce prix nécessita la permission personnelle de Whitlam, qu'il donna à condition que le prix soit rendu public[95]. Cet achat provoqua un scandale politique et médiatique, où il était dit qu'il symbolisait soit la prévoyance et la vision de Whitlam, soit sa folie dispendieuse[94].
Whitlam voyagea beaucoup, et il fut le premier Premier ministre australien en exercice à faire une visite en Chine[92]. On le critiqua pour ces déplacements, surtout après le passage du Cyclone Tracy, qui frappa Darwin. Whitlam interrompit alors un vaste voyage en Europe pendant 48 heures pour venir observer les désastres, un temps jugé trop court par beaucoup[96].
Premiers ennuis
En février 1973, le ministre de la justice, le sénateur Lionel Murphy, déclencha une descente de police dans les bureaux de Melbourne de l'Australian Security Intelligence Organisation, le service de renseignements intérieur australien, qui était sous sa responsabilité. Murphy pensait que l'ASIO pouvait détenir des dossiers relatifs à des menaces contre le Premier ministre yougoslave, Džemal Bijedić, qui devait se rendre en Australie, et il craignait que l'ASIO dissimulât ou détruisît ces dossiers[97]. L'opposition attaqua le gouvernement sur cette opération de police, traitant Murphy d'« électron libre ». Une enquête du Sénat sur cet événement tourna court, lorsque le Parlement fut dissous en 1974[98]. Selon le journaliste et auteur Wallace Brown, la controverse sur cette opération continua à poursuivre le gouvernement Whitlam tout au long de son mandat, car ce fut une décision « tellement stupide »[97].
Dès le début du gouvernement Whitlam, l'opposition, conduite par Billy Snedden, qui avait remplacé McMahon à la tête du parti libéral en décember 1972, chercha à utiliser son contrôle du Sénat pour contrecarrer Whitlam[99]. Il ne s'agissait pas de bloquer tout le travail législatif du gouvernement ; les sénateurs de la coalition, menés par le président libéral au Sénat, Reg Withers, ne cherchèrent à bloquer que lorsque l'obstruction était à l'avantage de l'opposition[100]. Le gouvernement Whitlam avait aussi des ennuis avec les gouvernements régionaux. La Nouvelle-Galles du Sud refusait d'accéder à la demande du gouvernement fédéral de fermer le Centre d'information rhodésien de Sydney. Le Premier ministre du Queensland, Joh Bjelke-Petersen, refusait d'examiner tout ajustement de la frontière de son État avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le Queensland possédait en effet dans le détroit de Torrès des îles, qui se trouvaient à 500 mètres de la côte papouasienne[101]. En 1973, des gouvernements régionaux libéraux furent réélus en Nouvelle-Galles du Sud et dans le Victoria avec de larges majorités[102]. En décembre 1973, Whitlam et sa majorité à la Chambre des représentants proposèrent un référendum, susceptible de modifier la Constitution, demandant que le contrôle des prix et des salaires passent des États au gouvernement fédéral. Dans aucun État, les deux propositions (prix et salaires) n'eurent la faveur de la majorité des votants, et elles furent rejetées par plus de 800 000 voix à l'échelle nationale[103].
Au début de 1974, le Sénat avait rejeté dix-neuf propositions de loi gouvernementales, dix d'entre elles deux fois. Un demi-renouvellement du Sénat étant prévu en milieu d'année, Whitlam cherchait des moyens pour disposer de plus de soutien dans cette Chambre. Le sénateur du Queensland et ancien président du DLP, Vince Gair, fit connaître son désir de quitter le Sénat pour un poste diplomatique. Cinq sièges du Queensland étaient en jeu dans cette demi-élection, et l'ALP pouvait probablement en gagner seulement deux. Mais s'il y en avait six, le parti pourrait espérer en gagner trois, et le contrôle du Sénat serait alors possible. Whitlam accéda à la demande de Gair, et il le fit nommer par le gouverneur général, Sir Paul Hasluck, ambassadeur en Irlande. Mais il y eut des fuites sur la démission imminente de Gair, et les opposants à Whitlam tentèrent de contrer cette manœuvre. Pendant ce qui allait s'appeler la « Nuit des longues crevettes », les membres du Country Party invitèrent en secret Gair à une petite soirée dans un de leurs bureaux, pendant que les membres de l'ALP le recherchaient pour lui faire signer sa démission. Pendant que Gair appréciait la bière et les crevettes, Bjelke-Petersen avisa le gouverneur du Queensland, Sir Colin Hannah, de rédiger des assignations pour seulement cinq sièges vacants, puisque celui de Gair ne l'était pas, contrant ainsi les plans de Whitlam[104].
L'opposition menaçant de perturber l'attribution des crédits, ou de bloquer les projets de loi de finances, Whitlam prit prétexte que le Sénat avait rejeté deux fois plusieurs projets de loi pour provoquer une double dissolution, à la place du demi-renouvellement du Sénat[105]. Après une campagne qui mit en avant le slogan des travaillistes « Donnez à Gough un beau succès », l'élection fédérale de 1974 maintint une majorité travailliste à la Chambre des représentants, mais en la réduisant de sept à cinq sièges[106]. Au Sénat, le gouvernement et l'opposition obtinrent tous les deux 29 sièges, l'équilibre des forces se trouvant dans les mains de deux sénateurs indépendants[107]. L'impasse sur les propositions de loi rejetées deux fois fut levée, pour la première fois dans l'histoire australienne, par un vote des deux Chambres réunies, vote permis par l'article 57 de la Constitution. Cette session, autorisée par le nouveau gouverneur général, Sir John Kerr, vota les propositions de loi qui concernaient, l'une l'assurance santé universelle, appelée alors Medibank, et aujourd'hui Medicare, les autres les représentations sénatoriales du Territoire du Nord et du Territoire de la capitale australienne, qui deviendraient effectives à l'élection suivante[108].
Second mandat
Au milieu de l'année 1974, l'Australie était en pleine crise économique. Le premier choc pétrolier de 1973 avait fait bondir les prix, et selon les chiffres du gouvernement, l'inflation était passée à 13% pendant plus d'une année entre 1973 et 1974[109]. Une partie de cette inflation était due au désir de Whitlam d'accroître les salaires et d'améliorer les conditions de travail du service public fédéral, émulateur du secteur privé[110]. Le gouvernement de Whitlam avait baissé les tarifs douaniers de 25% en 1973, et 1974 vit une augmentation des importations de 30%, et un accroissement de 1,5 milliard de dollars du déficit de la balance commerciale. Les producteurs de matière première furent piégés par le resserrement du crédit, quand les taux à court terme atteignirent des niveaux extrêmes[109]. Le chômage augmenta aussi de façon significative[110]. Le malaise à l'intérieur de l'ALP conduisit à la défaite de Barnard devant Jim Cairns pour le poste de vice-président. Whitlam aida peu son compagnon en difficulté, avec qui pourtant il avait formé le duumvirat[111].
En dépit de ces indicateurs économiques, le budget présenté en août 1974 prévoyait de larges augmentations des dépenses, en particulier dans l'éducation[112]. Les fonctionnaires du trésor avaient conseillé une série d'augmentation des impôts et taxes, allant des contributions indirectes jusqu'au coût des timbres postaux, mais leurs avis furent pour la plupart rejetés par le Cabinet[113]. Ce budget fut incapable de lutter contre l'inflation et le chômage, et Whitlam introduisit de larges réductions d'impôt en novembre. Il annonça aussi des dépenses supplémentaires pour aider le secteur privé[112].
À partir d'octobre 1974, le gouvernement Whitlam rechercha des prêts à l'étranger pour financer ses plans de développement, auprès de pays nouvellement enrichis par l'or noir. Il tenta d'obtenir les financements avant d'en informer le Conseil des emprunts, dont faisaient partie des hommes politiques hostiles à Whitlam. Son gouvernement habilita le financier pakistanais, Tirath Khemlani comme intermédiaire, dans l'espoir d'obtenir des prêts pour un total de 4 milliards de dollars US. Cette affaire des prêts n'aboutit pas[114], mais, selon l'auteur et plume de Whitlam, Graham Freudenberg, « le seul coût de cela fut le coût à la réputation du gouvernement. Ce coût fut immense, puisqu'il leur coûta le gouvernement »[115].
Whitlam nomma le sénateur Murphy à la Haute Court, alors que son siège ne serait pas mis au vote, si des élections de demi-Sénat avaient lieu. Les travaillistes tenaient alors trois des cinq sièges à court terme de Nouvelle-Galles du Sud. Avec le scrutin proportionnel plurinominal, les travaillistes pouvaient conserver ces trois sièges lors du prochain demi-renouvellement. Mais si le siège de Murphy était aussi en jeu, les travaillistes ne pourraient vraisemblablement pas gagner quatre des six sièges. Ainsi la nomination de Murphy signifiait la perte presque certaine d'un siège à la prochaine élection dans un Sénat également divisé entre travaillistes et libéraux[116]. Whitlam nomma pourtant Murphy, et il fallait donc le remplacer provisoirement jusqu'à la prochaine élection. Depuis l'introduction en 1949 du vote à la proportionnelle aux élections sénatoriales, il était convenu que les sénateurs remplaçants, nommés par le corps législatif de l'État concerné, appartiendraient au même parti politique que le sénateur remplacé. Mais en février 1975, le Premier ministre de Nouvelle-Galles du Sud, Tom Lewis, ne respecta pas cette tradition. Il considéra que cette convention ne s'appliquait que si le siège était libre à cause d'une mort ou d'une maladie, ce qui n'était pas le cas présent. Il fit en sorte de choisir Cleaver Bunton, ancien maire indépendant d'Albury[117]. Cette décision ne changeait rien à la situation politique, car on savait que Bunton était opposé au blocage des lois par le sénat, mais elle créa un précédent, qui allait avoir des conséquences quelque temps plus tard.
En mars 1975, beaucoup de parlementaires libéraux trouvèrent que Snedden ne faisait pas correctement son travail de leader de l'opposition, et que Whitlam le dominait à la Chambre des représentants[118]. Malcolm Fraser se présenta contre Snedden, le battit le 21 mars[119], et devenant ainsi le nouveau leader de l'opposition.
Peu après l'accession de Fraser, une controverse survint à propos des tentatives du gouvernement Whitlam de reprendre les pourparlers de paix au Viêt Nam. Comme le Nord se préparait à mettre fin à la guerre civile, Whitlam envoya des télégrammes aux deux gouvernements vietnamiens, en disant au Parlement que les contenus de ces télégrammes étaient en substance les mêmes[120]. L'opposition soutint que ce n'était pas vrai et qu'il avait trompé le Parlement, mais la motion de censure fut rejetée[121]. L'opposition attaqua aussi Whitlam pour n'avoir pas permis à suffisamment de réfugiés vietnamiens d'entrer en Australie, Fraser en réclamant 50 000. Freudenberg prétend que 1 026 réfugiés vietnamiens entrèrent en Australie pendant les huit derniers mois du gouvernement Whitlam, alors qu'il y en eut seulement 399 en 1976 sous le gouvernement Fraser[122]. Pourtant jusqu'en 1977, l'Australie avait accepté plus de cinq mille réfugiés[123].
Alors que la situation politique se détériorait, Whitlam et son gouvernement continuaient à légiférer : le « Family Law Act » de 1975 prévoyait le divorce sans faute, tandis que le « Racial Discrimination Act » de 1975 permettait à l'Australie de ratifier les conventions des Nations Unies contre la discrimination raciale, que l'Australie avait signées sous Holt, mais qui n'avaient jamais été ratifiées[92]. En août 1975, Whitlam donna au peuple Gurindji du Territoire du Nord les actes de propriété notariés de leurs terres traditionnelles, entamant le processus de la réforme foncière aborigène. Le mois suivant, l'Australie accorda l'indépendance à la Papouasie-Nouvelle-Guinée[92].
Suite à la Révolution des Œillets de 1974, le Portugal entama un processus de décolonisation et commença à se retirer du Timor Portugais, qui s’appellera plus tard le Timor oriental. L'Australie s'était intéressée depuis longtemps à cette colonie, elle y avait envoyé des troupes durant la Seconde Guerre mondiale, et beaucoup d'est-timorais s'étaient battus contre les japonais par des formes de guérillas[124]. En septembre 1974, Whitlam rencontra en Indonésie le président indonésien, Soeharto, et lui indiqua qu'il soutiendrait l'Indonésie s'il annexait le Timor oriental[125]. Au plus fort de la guerre froide et les Américains se retirant de l'Indochine, la région serait ainsi plus stable, et l'Australie ne risquerait pas que le Front révolutionnaire pour l'indépendance du Timor oriental, que beaucoup croyait communiste, vînt au pouvoir[124].
Whitlam avait offert à Barnard un poste diplomatique ; au début de 1975, Barnard accepta et déclencha une élection partielle dans sa circonscription de Bass en Tasmanie. Cette élection du 28 juin s'avéra un désastre pour les travaillistes, qui perdit son siège avec une balance en sa défaveur de 17% [126]. La semaine suivante, Whitlam démissionna Cairns, successeur de Barnard, de ses toutes nouvelles fonctions de vice-Premier ministre. Cairns avait trompé le Parlement au sujet de l'affaire des prêts, et il aurait eu des relations particulières avec Junie Morosi, responsable de cet office[127].
Au moment de la démission de Cairns, un siège du Sénat devint vacant, suite à la mort, le 30 juin, de Bertie Milliner, sénateur travailliste du Queensland. Dans cet État, la tradition de remplacement des sièges vacants de sénateur était un peu particulière ; elle avait été créée en 1952 par le Premier ministre travailliste de l'État : lorsqu'un sénateur de l'opposition mourait, celle-ci fournissait une liste de trois candidats possibles pour le poste et c'était le Premier Ministre de l'État qui désignait le nouveau sénateur entre ces trois candidats. Le parti travailliste de l'État proposa la candidature de Mal Colston, mais cela aboutit à une impasse, car le corps législatif unicaméral du Queensland, dirigé par Bjelke-Petersen, vota deux fois contre Colston. Bjelke-Petersen expliqua qu'il avait des doutes sur l'honnêteté de Colston, tandis que le parti travailliste prétendait que la véritable intention du Premier Ministre était de nommer un sénateur qui soutiendrait l'opposition. Aussi le parti refusa de proposer une autre candidature. Bjelke-Petersen finit par convaincre le corps législatif de voter pour Albert Field, président du syndicat des travailleurs de l'ameublement et membre du parti travailliste depuis 38 ans, qui l'avait joint et lui avait exprimé son désir de servir. Pendant les entretiens, Field ne cacha pas qu'il ne soutiendrait pas Whitlam. Field fut expulsé de l'ALP pour s'être présenté contre Colston, et les sénateurs travaillistes boycottèrent son serment[128]. Whitlam affirma qu'à cause de la façon dont les vacances étaient remplacées, le Sénat était « corrompu » et « dépravé », tandis que l'opposition se réjouissait d'une majorité au Sénat qu'elle n'avait pu obtenir par les urnes[129]. Mais Field dut démissionner quand la Haute Cour décréta qu'il ne remplissait pas les conditions pour être élu. En effet Field était salarié de l'Éducation nationale et il aurait dû quitter son poste au moins trois semaines avant sa nomination, alors qu'il n'avait démissionné que la veille.
Crise constitutionnelle
En octobre 1975, l'opposition, conduite par Fraser, décida de bloquer l'attribution des crédits en ajournant l'examen des projets de loi de finances, menaçant à terme le blocage de toute l'administration fédérale par manque de recettes financières. Fraser prévint que le blocage serait maintenu tant que Whitlam ne réclamerait pas de nouvelles élections. Field étant absent, car son élection était toujours contestée, la coalition disposait d'une majorité véritable de 30 sièges contre 29 au Sénat. La coalition pensait que si Whitlam ne pouvait distribuer les crédits et ne demandait pas de nouvelles élections, Kerr le démettrait de ses fonctions[130]. Les crédits seraient épuisés le 30 novembre[131].
Les enjeux dans le conflit montèrent encore d'un cran le 10 octobre, quand la Haute Cour déclara valide la loi accordant deux sénateurs à chaque territoire. Les sénateurs les plus heureux ne gagneraient pas leurs sièges avant le 1er juillet 1976, date du prochain demi-renouvellement du Sénat. Par contre les nouveaux sénateurs territoriaux et ceux qui remplaçaient Field et Bunton allaient gagner leurs places immédiatement. Ceci donnait aux travaillistes une chance inattendue de contrôler le Sénat, du moins jusqu'au 1er juillet 1976[132]. Le 14 octobre, le ministre du travail, Rex Connor, cerveau du système des emprunts, fut forcé de démissionner, quand Khemlani rendit publics des documents montrant que Connor avait fait des dépositions mensongères. La poursuite de ce scandale conforta la position de la coalition de maintenir le blocage des crédits[133]. Whitlam, de son côté, convaincu qu'il gagnerait la bataille, fut heureux de la diversion apportée par l'affaire des emprunts, et croyait qu'il allait écraser non seulement le Sénat, mais aussi l'autorité de Fraser[134].
Whitlam déclara à la Chambre des représentants le 21 octobre :
« Laissez-moi indiquer clairement à cette assemblée la position de mon gouvernement. Je ne demanderai pas au gouverneur général la tenue d'une élection pour la Chambre des représentants dans l'intérêt du Sénat. Je ne présenterai pas de demande d'élection ni pour une Chambre, ni pour les deux, tant que cette question constitutionnelle ne sera pas réglée. Ce gouvernement, aussi longtemps qu'il détiendra une majorité à la Chambre des représentants, poursuivra le mandat que lui a accordé l'année dernière le peuple australien[135] »
Whitlam et ses ministres avertirent à plusieurs reprises que l'opposition faisait du tort non seulement à la Constitution, mais aussi à l'économie. Les sénateurs de la coalition essayèrent de rester unis, alors que beaucoup d'entre eux étaient de plus en plus préoccupés par le blocage des crédits[136].
Comme la crise se prolongeait en novembre, Whitlam tenta de trouver des arrangements pour que les fonctionnaires et les fournisseurs pussent obtenir de l'argent dans les banques. Les transactions envisagées étaient des prêts temporaires que le gouvernement rembourserait une fois que les crédits seraient débloqués[137]. Le gouverneur général Sir John Kerr était inquiet de la légalité des projets de Whitlam d'emprunter de l'argent et de pouvoir gouverner sans que la loi des finances soit votée, bien que les ministres concernés par l'affaire aient assuré en avoir vérifié la légalité[138].
Le gouverneur général Kerr suivait de près la crise. À un déjeuner avec Whitlam et plusieurs de ses ministres le 30 octobre, Kerr suggéra un compromis : si Fraser concédait les crédits, Whitlam serait d'accord pour ne pas demander d'élection de demi-renouvellement du Sénat avant mai ou juin 1976, ou sinon serait d'accord pour ne pas convoquer le Sénat avant le 1er juillet. Whitlam rejeta l'idée, cherchant à mettre fin au droit du Sénat de bloquer les crédits[139]. Le 3 novembre, après une réunion avec Kerr, Fraser proposa que si le gouvernement était d'accord pour organiser une élection à la Chambre des représentants en même temps qu'une élection de demi-renouvellement au Sénat, il voterait les crédits. Whitlam rejeta cette offre, affirmant qu'il avait nulle intention de provoquer une élection avant au moins un an[140].
La crise n'étant pas résolue le 6 novembre, Kerr décida de démettre Whitlam de ses fonctions de Premier ministre[141]. Craignant que Whitlam ne s'adressât directement à la reine et qu'il ne le fît démettre, Kerr n'indiqua pas à Whitlam ce qu'il allait faire[142]. Il s'entretint, contre l'avis de Whitlam, avec Sir Garfield Barwick, président de la Haute Cour, ancien ministre libéral de la justice, qui pensait également que Kerr avait le pouvoir de démettre Whitlam[143]. Il le lui confirma par lettre le 10 novembre 1975:
« [...] Le Sénat ne peut pas être à l'origine ou ne peut pas modifier une loi de finances [...] Le Sénat a le droit de refuser de voter une loi de finances : il a le droit de refuser de traiter du sujet [...] Un Premier ministre qui ne peut faire voter les lois de finances pour faire fonctionner son gouvernement doit soit organiser des élections générales... soit démissionner. [...] Le gouverneur général a le pouvoir constitutionnel de retirer sa charge au Premier Ministre. »
Le 11 novembre, une réunion des présidents de parti, dont Whitlam et Fraser, destinée à résoudre la crise, n'aboutit à rien[144]. Kerr et Whitlam se réunirent dans les bureaux du premier cet après-midi-là à 13h. Whitlam ne savait pas que Fraser attendait dans l'antichambre, et, plus tard, il dit que s'il l'avait su, il n'aurait pas mis les pieds dans le bâtiment[145]. Whitlam déclara, comme il lui avait déjà dit plus tôt ce jour-là par téléphone, qu'il était prêt à demander une élection de demi-renouvellement du Sénat pour le 13 décembre[146]. Pour toute réponse, Kerr lui dit que sa mission de Premier ministre était terminée, et il lui tendit la lettre officielle de destitution[147]. Après la conversation, Whitlam retourna à la résidence du Premier ministre, The Lodge, déjeuna et conféra avec ses conseillers. Immédiatement après sa réunion avec Whitlam, Kerr nomma Fraser Premier ministre intérimaire, à la condition qu'il débloque les crédits, et qu'il demande à Kerr de dissoudre les deux Chambres pour de nouvelles élections[148].
Dans la confusion, ni Whitlam, ni ses conseillers n'avaient prévenu immédiatement les sénateurs travaillistes de sa destitution. Aussi, quand le Sénat se réunit à 14h, les projets de loi de finances furent rapidement votés, les sénateurs travaillistes pensant que l'opposition avait cédé[149]. Les projets de loi furent rapidement envoyés à Kerr pour recevoir la sanction royale. À 14h 34, soit dix minutes après que les crédits furent libérés, Fraser prit la parole à la Chambre des représentants et annonça qu'il était le nouveau Premier ministre. Whitlam fit voter une motion qui lui renouvelait la confiance de la Chambre des représentants, et il demanda au Speaker de demander au gouverneur général de lui laisser former son gouvernement. Les résultats du vote furent transmis directement à Kerr par le Speaker Gordon Scholes, mais Kerr refusa de le recevoir[150].
À ce moment-là, le Parlement avait été dissous par proclamation. David Smith, le secrétaire officiel de Kerr, s'était rendu à la Maison du Parlement pour proclamer la dissolution depuis l'escalier principal. Une foule nombreuse et en colère s'y était rassemblée, et la voix de Smith fut quasiment couverte par le bruit de la foule. Il conclut par le traditionnel "God save the Queen". L'ancien Premier ministre, Whitlam, qui se tenait derrière Smith, s'adressa ensuite à la foule en ces termes[151] :
« Nous faisons bien de dire "God save the Queen", car rien ne pourra sauver le gouverneur général ! La proclamation, que vous venez juste d'entendre lue par le secrétaire officiel du gouverneur général, était contresignée par Malcolm Fraser, qui, sans aucun doute, restera dans l'histoire australienne comme le chien bâtard de Kerr. Mais ils ne feront pas taire les alentours de la Maison du Parlement, même si l'intérieur va rester silencieux pendant quelques semaines ; [...] Conservez votre rage et votre enthousiasme pour la campagne et pour l'élection qui va suivre, jusqu'au jour du scrutin[152]. »
De nombreux syndicats se mobilisèrent et se préparèrent à la grève, mais Bob Hawke, le président des syndicats, leur demanda de ne pas faire de provocation. Malgré le nombre de manifestations et de protestations publiques contre Fraser pendant la campagne électorale, les médias, et plus particulièrement la presse de Rupert Murdoch, qui avait soutenu le parti travailliste en 1972, avaient perdu toute confiance en Whitlam, révélant une cohorte d'échecs de son gouvernement. La presse joua un grand rôle sur l'opinion publique, et il en résulta une victoire de la droite aux élections générales.
Hors fonction
Retour à l'opposition
Lorsque l'ALP débuta sa campagne de 1975, il semblait que ses supporters allaient conserver leur rage. Les premiers rassemblements consistèrent en d'immenses foules, avec des participants donnant de l'argent à Whitlam pour payer ses frais de campagne. Les foules dépassaient largement toutes celles des campagnes précédentes de Whitlam. À Sydney, 30 000 de ses partisans se rassemblèrent au Domain sous la bannière : « Honte à Fraser »[153]. Les apparitions de Fraser provoquaient des protestations, et une lettre piégée envoyée à Kerr fut désamorcée par les autorités. Au lieu de faire un discours politique pour introduire sa campagne, Whitlam attaqua ses opposants et appela le 11 novembre « un jour qui vivra dans l'infamie »[154].
Les sondages de la première semaine de campagne montrèrent une balance de 9% en défaveur du parti travailliste. Tout d'abord Whitlam y crut pas, mais les sondages suivants furent clairs : l'électorat se détournait de l'ALP. La coalition attaqua les travaillistes sur les conditions économiques et publièrent des publicités télévisuelles, comme « les trois années noires », qui montraient des images des scandales du gouvernement Whitlam. La campagne de l'ALP, qui s'était concentrée sur la démission de Whitlam, ne parla jamais d'économie. À ce moment, Fraser, confiant en sa victoire, se contenta de rester à l'écart, d'éviter les détails et de ne pas faire de faute[155]. La nuit de l'élection, le 13 décembre, la coalition connut sa plus large victoire de l'histoire australienne, obtenant à la Chambre des représentants 91 sièges, contre 36 pour l'ALP, et gagnant la majorité au Sénat par 37 sièges contre 25, une balance de 6,5% en défaveur des travaillistes[156].
Whitlam resta leader de l'opposition après un vote du parti[157]. Au début de 1976, une nouvelle controverse éclata, lorsqu'on révéla que Whitlam avait été compromis dans les tentatives de l'ALP d'obtenir durant les élections 500 000 dollars du pré-gouvernement de Saddam Hussein d'Irak. Rien ne fut finalement versé, et aucune charge ne fut retenue[158].
Les Whitlam visitaient la Chine au moment du Séisme de Tangshan en juillet 1976, séjournant à Tianjin, à 150 kilomètres de l'épicentre. The Age publia un dessin de Peter Nicholson montrant les Whitlams blottis l'un contre l'autre dans le lit, et Margaret disant : « Est-ce que la terre a aussi bougé pour toi, chéri ? » Cette caricature déclencha une pleine page de lettres de sympathisants travaillistes scandalisés, et un télégramme de Gough Whitlam, en sécurité à Tōkyō, réclamant l'original du dessin[159].
Au début 1977, Whitlam fit face à une candidature de Bill Hayden, son dernier ministre des finances, pour le poste de leader de l'opposition, et Whitlam gagna avec deux voix de différence[160]. Fraser appella à des élections pour le 10 décembre 1977, et bien que les travaillistes réduisissent un peu leur retard, la coalition bénéficiait encore d'une majorité de 48 sièges (86 sièges contre 38)[161]. Selon Freudenberg, « Le message et sa signification étaient parfaitement clairs. Le peuple australien ne voulait plus d'Edward Gough Whitlam. »[162]. Son fils, Tony Whitlam, qui avait rejoint son père à la Chambre des représentants lors de l'élection de 1975, était battu[162]. Peu après l'élection, Whitlam démissionna de la présidence du parti, et fut remplacé par Hayden[161].
Ambassadeur et vétéran de la politique
Whitlam fut fait Compagnon de l'Ordre d'Australie en juin 1978[163], et il démissionna du Parlement le 31 juillet de cette même année. Il accepta plusieurs postes universitaires, et quand les travaillistes revinrent au pouvoir en 1983 avec Bob Hawke, Whitlam fut nommé ambassadeur à l'UNESCO, basé à Paris. Il resta trois ans en poste, défendant l'UNESCO contre des allégations de corruption. En 1985, il fut nommé à la Commission constitutionnelle de l'Australie[164]
Whitlam fut nommé président de la National Gallery of Australia en 1987, après que son fils Nick, alors directeur général de la Banque d'État de Nouvelle-Galles du Sud, avait refusé ce poste[165]. En 1995, Gough et Margaret Whitlam firent partie de l'équipe de promotion, qui réussit à convaincre le Comité international olympique à organiser les Jeux olympiques d'été de 2000 à Sydney[164].
Kerr mourut en 1991; lui et Whitlam ne s'étaient jamais réconciliés[166]. En revanche, Whitlam et Fraser mirent de côté leurs différends, pour faire campagne ensemble en faveur du référendum de 1999, qui aurait pu faire de l'Australie une république[167]. En mars 2010, Fraser rendit visite à Whitlam dans ses bureaux de Sydney, pour la promotion de ses mémoires qu'il faisait paraître. Whitlam accepta une copie autographée du livre, et il lui présenta une copie du sien, paru en 1979 au sujet de sa démission, intitulé La vérité sur l'affaire[168].
En 2003, Mark Latham devint le président de l'ALP. Bien que Latham fût plus conservateur que Whitlam, l'ancien Premier ministre le soutint beaucoup, et selon ce que certains rapportent, « il le consacra comme son héritier politique »[169]. Comme Whitlam, Latham représentait Werriwa à la Chambre des représentants[169]. Whitlam soutint Latham quand il s'opposa à l'invasion et à l'occupation de l'Irak, malgré l'avertissement du Premier ministre John Howard, qui disait que cela risquait de mettre en danger l'alliance avec les États-Unis. Les travaillistes manquèrent de peu l'élection fédérale de 2004, et Latham démissionna de la Chambre des représentants l'année suivante[170]
Whitlam avait été un partisan de mandats fixes de quatre ans pour les deux Chambres du Parlement. En 2006, il accusa l'ALP de ne pas réussir à exiger ce changement[171]. En avril 2007, Gough et Margaret Whitlam furent faits membres à vie du parti travailliste australien. Ce fut la première fois que quelqu'un fut fait membre à vie au niveau national de l'organisation du parti[172].
En 2007, Whitlam témoigna dans une enquête sur la mort de Brian Peters, qui faisait partie du groupe de cinq journalistes de la télévision, qui était basé à Balibo, dans le Timor oriental, et qui y fut tué en octobre 1975. Whitlam indiqua qu'il avait prévenu Greg Shackleton, un collègue de Peters, qui fut également tué, que le gouvernement australien ne pouvait les protéger au Timor oriental, et qu'ils ne devaient pas aller là-bas. L'ancien Premier ministre prétendit aussi que Shackleton était « coupable » s'il n'avait pas fait passer l'avertissement de Whitlam[173].
En février 2008, Whitlam se retrouva au Parlement avec trois autres anciens Premiers ministres, pour témoigner lors de la cérémonie d'excuse nationale aux Générations volées présidée par le Premier ministre de l'époque Kevin Rudd[174]. Le 21 janvier 2009, Whitlam eut le plus grand âge ( 92 années 195 jours ) jamais atteint par les Premiers ministres australiens, dépassant le record précédent établi par Frank Forde.[175]. Les Whitlams étaient alors mariés depuis plus de deux tiers de siècle. Lors de leur soixantième anniversaire de mariage, Gough Whitlam qualifia leur union de « très satisfaisante » et réclama un prix d'« endurance matrimoniale »[176]. En 2010, on rapporta que Gough Whitlam avait été transféré en 2007 dans un établissement de soins pour personnes âgées de l'est de Sydney. Pourtant l'ancien Premier ministre continuait à aller à son bureau trois jours par semaine. Margaret Whitlam réside toujours non loin de là dans l'appartement du couple[3].
Héritage
Ayant maintenant plus de quatre-vingt dix ans, Whitlam demeure bien connu par les circonstances de sa démission. C'est un événement qu'il n'a guère cherché à effacer, puisqu'il a écrit en 1979 un livre intitulé La vérité sur l'affaire. Ce titre est un jeu de mot avec le titre des mémoires de Kerr, publiées en 1978, Affaires à jugement. Whitlam a consacré une partie de son livre suivant, Abiding Interests, aux circonstances de sa démission[177]. Selon le journaliste et auteur Paul Kelly, qui écrivit deux livres sur la crise, Whitlam a « obtenu un triomphe paradoxal : l'ombre de sa démission a caché les péchés de son gouvernement »[166].
Il n'y a jamais eu autant de livres écrits sur Whitlam, en incluant les siens, que sur aucun autre Premier ministre australien[178]. Selon la biographe de Whitlam, Jenny Hocking, pendant une période d'au moins une décennie, l'ère Whitlam a été considérée presque entièrement négativement, mais cela a changé. Elle sent que les Australiens considèrent toujours comme acquis les programmes et les politiques initiés par le gouvernement Whitlam, telles que la reconnaissance de la Chine, l'aide juridictionnelle et Medicare[175]. Ross McMullin, qui a écrit un livre sur l'histoire de l'ALP, note que Whitlam demeure énormément admiré par de nombreux travaillistes, grâce à ses efforts pour réformer le gouvernement australien, et aussi grâce à sa présidence stimulante[175].
Dans son livre, Wallace Brown, alors qu'il assurait la couverture du Premier ministre australien en tant que journaliste, décrit ainsi Whitlam :
Whitlam fut le Premier ministre le plus paradoxal de toute la seconde moitié du 20e siècle. Homme d'une grande intelligence et au savoir immense, il était cependant peu compétent dès qu'il s'agissait d'économie ; […] Whitlam rivalisa avec Menzies dans sa passion pour la Chambre des représentants et son habileté à l'utiliser comme une scène, et pourtant, son adresse parlementaire était plus rhétorique que tactique. Il était capable d'imaginer une stratégie, puis de la faire échouer en essayant de la mettre en oeuvre ; […] Par-dessus tout, c'était un homme ayant de grandes visions, mais avec de sérieux points aveugles[179].
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Liens externes
- Gough Whitlam – Australia's Prime Ministers / National Archives of Australia
- The Whitlam Institute
- The Whitlam Dismissal – 11 November 1975
- Dismissal letter – Copy of dismissal letter
- Gough Whitlam at the National Film and Sound Archive
- Video of Norman Gunston, Gough Whitlam, Bill Hayden and Bob Hawke at 'The Dismissal'
- Video of Gough Whitlam and Malcolm Fraser in their pro-republic commercial
- Gurindji Land Ceremony Speech – transcript and audio from August 1975
- Listen to an excerpt of Gough Whitlam's 'Kerr's Cur' speech on australianscreen online
- Gough Whitlam's 'Kerr's Cur' speech was added to the National Film and Sound Archive's Sounds of Australia Registry in 2007
Précédé de :
William McMahonPremier ministre d'Australie
5 décembre 1972 - 11 novembre 1975Suivi de :
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