- Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski
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Fedor Dostoïevski
Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski Dostoïevski en 1876Activité(s) Romancier Naissance 11 novembre 1821
Moscou (Russie)Décès 9 février 1881
Saint-Pétersbourg (Russie)Œuvres principales Fedor (Fiodor) Mikhaïlovitch Dostoïevski (en russe : Фёдор Михайлович Достоевский) est un écrivain russe, né à Moscou le 30 octobre du calendrier julien/11 novembre 1821 et mort à Saint-Pétersbourg le 28 janvier du calendrier julien/9 février 1881. Il est généralement considéré comme l'un des plus grands romanciers russes, et a influencé de nombreux écrivains et philosophes.
Sommaire
Biographie
Jeunesse et premiers écrits
Selon les sources historiques, les Dostoïevskis avaient des origines dans la Szlachta (noblesse) polonaise (Dostoïevski se traduit Dostojewski en polonais). Le père de Dostoïevski, Mikhaïl Andréiévitch Dostoïevski, médecin militaire à l'hôpital des pauvres de Moscou, possède deux villages, acquis en 1831: Darovoié et Tchermachnia. En 1839, il est assassiné par des serfs de Darovoié, après qu'il les eut maltraités. Sa mère, Maria Fedorovna Netchaiev, était décédée de la tuberculose deux ans plus tôt, en 1837[1].
Après en avoir réussi l'examen d'entrée, Dostoïevski entre à l'École supérieure des Ingénieurs militaires de Saint-Pétersbourg en 1838. Il effectue sa scolarité dans l'indigence, n'ayant parfois pas de quoi se nourrir, car son père refuse de lui envoyer suffisamment d'argent. C'est un élève taciturne, au regard mystérieusement mélancolique, qui ne s'intègre pas bien à l'école. Il méprise le matérialisme et le carriérisme de ses camarades. En 1842, il est nommé sous-lieutenant et entre en tant que dessinateur à la direction du Génie. En 1844, il demande sa retraite pour pouvoir se consacrer à son premier roman, Les Pauvres Gens[2]. Publié en 1846, celui-ci connut un succès certain et valut à son auteur d'être remarqué par le poète Nikolaï Nekrassov et l'influent critique Vissarion Belinsky. Il se retrouve alors immédiatement propulsé au rang de "nouveau Gogol" et parade dans les cercles mondains de Saint Pétersbourg. Il ne se sent pas du tout à l'aise dans ce milieu où règnent la superficialité et l'hypocrisie. Bientôt, l'élite commence à railler son manque de tenue, son air abattu. Tourgueniev le surnomme le "chevalier à la triste mine"[3]. Sa disgrâce sera accélérée avec la publication de ses romans suivants (Le Double et La Logeuse) qui ne rencontrèrent pas le succès escompté.
En 1847, il fréquente le cercle du socialiste utopiste modéré Mikhaïl Petrachevski, fonctionnaire au Ministère des Affaires Étrangères. Il n'adhère pas à un système en particulier mais cherche à maintenir une présence dans les milieux intellectuels progressistes petersbourgeois. Il ne fréquente pas ces cercles pour fomenter de réelles actions révolutionnaires mais pour discuter d'idées nouvelles et surtout, parler de l'avenir de la Russie. Cette même année, il fait sa première crise d'épilepsie, à 26 ans.
Le bagne de Omsk
En avril 1849, les membres du cercle Petrachevski sont arrêtés, y compris Dostoïevski qui est emprisonné. Nicolas Ier voit resurgir le spectre du complot des décembristes, un mouvement insurrectionnel qui se propagea dans l'armée et aboutit la sanglante émeute du 14 décembre 1825. Après un simulacre d'exécution sur la place Semenov, le 22 décembre 1849, le tsar ayant gracié les prisonniers au moment même où ils allaient être exécutés, la sentence est transformée en un exil de plusieurs années et la peine commuée en déportation dans un bagne de Sibérie.
En 1850, il arrive à Omsk (Souvenirs de la maison des morts, 1860), épisode relaté dans le cycle romanesque La lumière des justes de Henri Troyat. Cependant, les punitions corporelles sont épargnées à Dostoïevski sur l'intervention de M. de Grave, un officier d'origine française.
Dans les baraquements il partage sa vie avec des forçats de droit commun, il écrit dans sa correspondance : « Je n'ai pas perdu mon temps : j'ai appris à bien connaître le peuple russe, comme peut-être peu le connaissent. ». Ce qui oblige l'intellectuel de salon qu'il était à commencer son évolution : « J'étais coupable, j'en ai pleine conscience... J'ai été condamné légalement et en bonne justice... Ma longue expérience, pénible, douloureuse, m'a rendu ma lucidité... C'est ma croix, je l'ai méritée... Le bagne m'a beaucoup pris et beaucoup inculqué. »
Cette période déterminante dans son œuvre donnera lieu à plusieurs passages importants de ses livres dont une partie de Crime et Châtiment.
Après le bagne
Sa peine se termine en 1854 et il est affecté comme officier à un régiment de Sibérie. Il recommence à écrire : les Souvenirs de la maison des morts, récit romancé de sa vie au bagne, puis une comédie, Le bourg de Stepantchikovo et ses habitants. En 1857 il épouse Maria Dimitrievna Isaeva.
En 1860, il obtient sa retraite comme sous-lieutenant et l’autorisation de rentrer vivre à Saint-Petersbourg, sous la surveillance de la police secrète. Il renoue alors avec les libéraux et fonde avec son frère Mikhaïl une revue modérée et nationaliste, Le Temps. Cette revue sera interdite en 1863 car un article publié est jugé trop contestataire par la censure. L'arrivée au pouvoir du nouveau tsar Alexandre II en 1855 amène de nombreuses réformes en Russie. Le servage est aboli en 1861. Malgré ces ouvertures politiques, on assiste à l'émergence de mouvements révolutionnaires violents, ce qui inquiète beaucoup Dostoïevski.
Les années d'errance
En 1862, il se rend en Europe pour la première fois et rencontre Apollinaria Souslova qui sera sa maîtresse lors de ses périples en Europe.
Sa femme Maria, puis son frère Mikhaïl, meurent en 1864. Il est couvert de dettes et doit fournir de quoi vivre à la femme et aux enfants de son frère qu'il a adoptés. Pour échapper aux créanciers, il continue à voyager et tente de faire fortune à la roulette. On trouve des échos de sa passion maladive du jeu dans Le Joueur (1866) et L'Adolescent (1875). Il revoit la jeune Apollinaria (Paulina) Suslova qui refuse sa proposition de mariage.
Ces années d'errances et de troubles marquent profondément Dostoïevski. Son aversion pour l'Europe et la démocratie grandit. Il publie le célèbre Carnets du sous-sol qui est en quelque sorte une réponse au roman Que faire ? du révolutionnaire Tchernitchevski (ouvrage que Lénine connaissait par cœur). Selon Dostoïevski, l'égalité démocratique n'efface pas la violence des rapports humains mais l'exacerbe au contraire. En outre, en détruisant Dieu et la monarchie, l'homme crée selon lui un monde dominé par le matérialisme, l'individualisme et l'égoïsme.
S'il s'oppose à la démocratie bourgeoise, c'est parce qu'elle donne une place trop importante à l'argent. Il admire en revanche sa liberté de la presse; lui qui a tant souffert de la censure en Russie. Il faut remarquer ici que de son incarcération en 1849, jusqu'à la publication des Frères Karamazov en 1879, Dostoïevski est toujours placé sous la surveillance des services secrets du Tsar qui révisent son courrier, surveillent ses relations et contrôlent ses bagages aux frontières.
Politiquement, il est un fervent "libéral" pour son pays et surtout un nationaliste convaincu. Il aime le peuple Russe avec passion et hait profondément les usuriers qui saignent le bon peuple. Le crime de Crime & Châtiment consistera d'ailleurs dans la vengeance gratuite d'un étudiant contre une usurière. Certains y ont vu l'émanation d'un antisémitisme connu de Doistoïevski.
La maturité
Il engage Anna Grigorievna Snitkine comme secrétaire, et l'épouse peu après 1867 alors qu'elle n'a qu'une vingtaine d'années. Grâce à son esprit pratique et à sa volonté, la situation du ménage s'améliore considérablement. Dostoïevski renonce au jeu et se met à travailler régulièrement, publiant ses œuvres les plus abouties : Crime et Châtiment, l'Idiot, Les Démons (appelé parfois Les Possédés).
Ce dernier roman est inspiré d'un fait divers tragique : l'assassinat par les siens d'un des membres du groupe révolutionnaire de Netchaïev. Son œuvre romanesque s'achève par Les frères Karamazov, qu'il publie à l'âge de 60 ans. Cette œuvre incarne l'apogée de Dostoïevski. Le roman synthétise ses deux plus grands thèmes de réflexion : la force irrationnelle de la passion et l'existence ou non de Dieu. Ce livre connait un succès immense et assoit la place de Dostoïevski parmi les grands écrivains russes. En 1880, son Discours sur Pouchkine, où Dostoïevski évoque sa vision sur le rôle de la Russie dans le monde fait de lui un héros national acclamé tant par la jeunesse, les femmes russes, que par ses anciens ennemis (Tourgueniev au premier rang).
Ses dernières années restent marquées par des discours enflammés sur l'âme et le peuple russe ainsi que la supériorité du "génie russe" sur les autres nations. Il attribue un rôle messianique au peuple russe, seul peuple capable de comprendre tous les autres peuples et d'avoir ses propres spécificités nationales. Selon lui, le peuple russe a intrinsèquement pour mission d'apporter le bonheur à l'humanité.
Dostoïevski, à la fin de sa vie aura été un fervent croyant et non plus l'agnostique de ses premières années. Homme en dehors des systèmes (et notamment en dehors des Eglises), il reconnaitra le Christ comme prophète ayant révélé la Vérité.
Il succombe à une hémorragie le 27 janvier 1881 du calendrier julien (9 février 1881 du calendrier grégorien) et est enterré à Saint-Pétersbourg au cimetière Nevisky.
Après une vie marquée par la pauvreté, la marginalité et la maladie, ses obsèques qui ont lieu le 31 janvier 1881 sont suivies par 30 000 personnes[4] .
L'œuvre
Les sources : Dostoïevski lecteur
Avant d'être un écrivain, Dostoïevski fut un lecteur passionné et ce, dès l'adolescence. On trouve ainsi une touchante évocation du bonheur de la lecture dans Netotchka Neznavona. Dostoïevski avait une excellente connaissance de la littérature européenne de son temps. Byron, Balzac, Dickens, Victor Hugo, E.T.A. Hoffmann figurent parmi ses auteurs favoris. Dans ses premières années, il fut également volontiers lecteur de romans populaires, notamment des feuilletonistes français Eugène Sue ou Paul de Kock.
Honoré de Balzac a toutefois une influence déterminante sur l'écrivain russe qui traduit dès 1844 , Eugénie Grandet, œuvre dont il s'inspire pour écrire son premier roman à succès : Les Pauvres Gens . J.-W. Bienstock, verra en Balzac une source d'inspiration de Dostoïevski , tant dans la forme ( on retrouve dans Les Pauvres gens des expressions du père de La Comédie humaine ) que dans le fond .[5]
C'est aussi chez ses prédécesseurs russes Pouchkine et Gogol qu'il puisera une part de son inspiration littéraire, notamment le mélange de styles réalistes, grotesques et épiques caractéristique de cette tradition russe.
Il faut également souligner l'importance de son intérêt pour le théâtre (Racine, Shakespeare, Schiller, Molière en particulier). De fait ses romans se présentent fréquemment comme des suites de scènes dramatiques presque entièrement dialoguées. On rencontre encore des dispositifs classiques du théâtre tels que le quiproquo ou le témoin caché.
À cette passion pour la lecture s'ajoute celle pour la critique littéraire et le débat d'idées en général. Dans les Souvenirs de la maison des morts, le narrateur relate l'émotion intense qu'il ressent lorsqu'il parvient à se procurer pour la première fois depuis de nombreuses années une revue littéraire. Les allusions à la littérature contemporaine parsèment l'œuvre de Dostoïevski, sous forme de parodie, d'attaque directe ou implicite, notamment contre le romantisme. C'est une dimension importante de l'œuvre de Dostoïevski qui n'apparaît pas immédiatement au lecteur d'aujourd'hui.
Le style romanesque
Une des caractéristiques les plus frappantes des romans dostoïevskiens est l'outrance des personnages et des situations. On rencontre ainsi des débauchés nihilistes, des femmes fatales, des mères prostituant leurs enfants, des alcooliques invétérés, de nombreux personnages à la limite de la folie (mégalomanie, délire de persécution, sadisme...), mais aussi des "saints" incarnant l'idéal chrétien, tel le starets Zossima ou le prince Muychkine. Les meurtres, les ruines soudaines, les mariages annulés, les maladies mortelles, les suicides se succèdent, parfois à la limite de la vraisemblance. L'intensité de ces scènes est encore relevée par l'utilisation de la narration à la première personne (Le Joueur, L'adolescent, Humiliés et Offensés entre autres) ou par l'utilisation du dialogue.
Les personnages de Dostoïevski ont en outre la particularité d'évoluer au cours du roman, et souvent radicalement, tel le Raskolnikov de Crime et Châtiment. Ce trait marque une profonde rupture avec la tradition littéraire qui privilégie l'unité et la cohérence des personnages, et ouvre vers la modernité littéraire.
Un autre aspect frappant est la place considérable dévolue aux dialogues. C'est ainsi que le critique russe Mikhaïl Bakhtine a été amené à définir le concept de dialogisme pour caractériser le style romanesque de Dostoïevski. Le roman Dostoïevskien se présente comme une confrontation de points de vue « existentiels » entre les différents personnages, points de vue qui s'expriment dans des styles différents. Le burlesque peut ainsi côtoyer le tragique, ou le sentimentalisme le cynisme. Dostoïevski apporte un soin particulier au réalisme des dialogues, en utilisant des expressions populaires, des digressions, des interruptions.
Chacun des personnages se définit par rapport aux autres, par imitation ou par opposition. De nombreux romans (souvent burlesques) sont bâtis sur les relations d'amour et de haine entre deux personnages très semblables ou complémentaires : Le Double, mais aussi Le bourg de Stépantchikovo ou L'éternel mari. On trouve également de longues scènes impliquant des discussions houleuses avec de nombreux personnages (L'Idiot ou Les Démons). Mais Dostoïevski fut également l'un des premiers à présenter des romans sous forme de monologue (Le manuscrit du souterrain, La douce, L'adolescent). Même dans ces monologues le principe dialogique est à l'œuvre : le narrateur s'adresse à un public imaginaire, répond à ses objections, cherche à le séduire ou à le défier.
Le style romanesque de Dostoïevski découle de ces caractéristiques. La confrontation de personnages incarnant des positions différentes entraîne une grande variété des styles, d'une œuvre à l'autre mais aussi au sein d'un même texte. Des épisodes grotesques ou bouffons sont intercalés au milieu de scènes dramatiques (Le bourg de Stepantchikovo), comme dans les pièces de Shakespeare. Enfin, on note aussi, dans les romans de Dostoïevski, les caractéristiques propres à la publication sous forme de feuilleton : foisonnement des intrigues, digressions, mais aussi des incohérences, caractéristiques que l'on peut retrouver dans d'autres œuvres contemporaines telles que La maison d'âpre vent de Dickens ou La foire aux vanités de Thackeray.
La relation de l'Homme au monde
Enfin il faut noter la place inhabituelle qu'occupent les thèmes philosophiques, religieux et politiques. On peut y voir au contraire la volonté de ne pas exclure du champ littéraire une dimension essentielle de l'existence humaine, ouvrant la voie aux romans de Hermann Broch et de Robert Musil.
C'est lors de son passage au bagne que se développe la force spirituelle de Dostoïevski. Il ne s'endurcit pas, il ne se révolte pas et accepte les révélations qui lui arrivent peu à peu, sur la Russie, le peuple russe, la monarchie russe et la religion. Il écrit dans une correspondance : « Je te jure que je ne perdrai pas espoir et garderai purs mon esprit et mon cœur... Je dois vivre... Ces années ne seront pas stériles. » Au fond de son enfer, il rencontre le Christ, et sa foi renouvelée va désormais le guider dans sa vie privée, dans sa vie d'écrivain et dans sa vie politique : « ... il n'est rien de plus beau, de plus profond, de plus sympathique, de plus raisonnable, de plus viril et de plus parfait que le Christ... Désormais, je n'écrirai plus d'âneries. »
Mais cette découverte du Christ, n'est pas, comme on pourrait le supposer à première vue, un retour à la religion. Au contraire. Kirilov, personnage des Possédés imagine que Jésus mourant ne s'est pas retrouvé au Paradis: « Les lois de la nature, dit l'ingénieur, ont fait vivre le Christ au milieu du mensonge et mourir pour un mensonge ». Ce qui fait dire à Albert Camus analysant l'œuvre de Dostoïevski, que « Jésus incarne bien tout le drame humain. Il est l'homme parfait, étant celui qui a réalisé la condition la plus absurde. Il n'est pas le Dieu-homme, mais l'homme-dieu. Et comme lui, chacun de nous peut être crucifié et dupé - l'est dans une certaine mesure. »[6]
La question du Christ, et de l'existence de Dieu, est en fait au cœur de sa réflexion, ainsi que Dostoïevski lui-même l'affirme, parlant des Karamazov: « la question principale qui sera poursuivie dans toutes les parties de ce livre est celle même dont j'ai souffert consciemment ou inconsciemment toute ma vie: l'existence de Dieu. »[7]
Dostoïevski penseur ?
Lorsque l'on cherche à définir la pensée de Dostoïevski, on se heurte d'emblée à une difficulté : son œuvre romanesque comporte très peu d'interventions directes de l'auteur comme on en trouve souvent dans les romans du XIXe siècle. Ce ne sont pas des « romans à thèse », mais des romans où s'opposent de façon dialectique des points de vue différents. Ainsi, dans Les Frères Karamazov, Aliosha le croyant s'oppose à Ivan le sceptique, mais l'auteur fait de chacun un personnage cohérent et touchant. Rien ne serait donc plus trompeur que de prêter à Dostoïevski les opinions de ses personnages. C'est avec la plus grande prudence qu'il faut lire des citations extraites de son œuvre romanesque.
Ces précautions établies, on peut néanmoins soutenir qu'il existe bien une pensée originale chez Dostoïevski, notamment au vu de son influence sur de nombreux philosophes tels que Nietzsche, André Suarès, André Gide, Camus, les existentialistes ou René Girard. C'est à travers son œuvre romanesque prise dans son ensemble et non dans les paroles de ses personnages qu'il faut chercher cette pensée, principalement d'ordre ontologique, voire anthropologique.
L'une des idées forces de Dostoïevski est l'existence chez tout être humain d'un besoin inné d'imitation. Le thème de l'imitation est récurrent dans son œuvre, qu'il s'agisse d'un personnage historique (Napoléon Ier dans Crime et Châtiment, Rothschild dans L'adolescent) ou d'un autre personnage romanesque (Le Double, Netotchka Nezvanova, L'Eternel Mari, etc.) Ce besoin d'imitation porte en lui une tension entre admiration et rivalité qui peut dégénérer en fusion passionnelle comme en haine acharnée. C'est en repérant ce thème dans l'œuvre de Dostoïevski (entre autres auteurs) que René Girard élabora son concept de désir mimétique. Pour Dostoïevski comme pour René Girard, seule l'imitation du Christ, du fait de sa nature à la fois divine et humaine, sublime et humble, peut déboucher sur une société juste et sans violence.
Selon Fedor Dostoïevski, la société démocratique dans laquelle la Russie est brutalement projetée au cours des années 1850 ne fait que rendre les conflits plus violents. Elle promet en effet à chacun un égal droit à la réussite et à la gloire : serfs affranchis, petits fonctionnaires, étudiants pauvres se sentent à égalité avec les nobles ou les grands bourgeois. Inévitablement, les obstacles et les rigidités sociales engendrent alors frustrations et amertume (cf. Le manuscrit du souterrain). C'est là le point de départ du concept de ressentiment chez Nietzsche.
Enfin, on soulignera la proximité de la pensée de Dostoïevski de l'existentialisme, à tel point qu'on a pu le compter parmi les fondateurs de cette philosophie, au même titre que Søren Kierkegaard. En effet pour Dostoïevski, l'homme se construit à travers ses rapports dialectiques à autrui, par imitation ou opposition. Contrairement à la plupart des romanciers qui cherchaient à construire des « types » littéraires parfaitement homogènes et définis, Dostoïevski souligne au contraire des personnages qui se « construisent eux-mêmes », au travers de leurs actes et de leurs interactions sociales. Il montre également la part d'angoisse associée au libre-arbitre (voir par exemple le célèbre apologue du Grand Inquisiteur dans Les Frères Karamazov).
Citations
- « Mais alors, que deviendra l'homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? » (Dmitri Karamazov à Rakitine, Les Frères Karamazov; XI,IV: L'hymne et le secret) ;
- « Je dois te faire un aveu, commença Ivan. Je n'ai jamais pu comprendre comment on peut aimer son prochain. C'est précisément le prochain qu'il est impossible d'aimer, peut-être seulement le lointain. » (Ivan Karamazov à Aliochka, Les Frères Karamazov; V,IV: La rébellion) ;
- « Je triompherai de toute ma douleur juste pour pouvoir dire "je suis" ». (Dmitri Fiodorovitch Karamazov, accusé à tort de parricide) ;
- « La beauté est une énigme », (L. Mychkine; L'Idiot);
- « J'admets que deux fois deux quatre est une chose excellente, mais s'il faut tout louer, je vous dirais que deux fois deux cinq est aussi une chose charmante. » (Les carnets du sous-sol) ;
- « Dostoïevski est la seule personne qui m'ait appris quelque chose en psychologie » (Friedrich Nietzsche) ;
- « Nos désirs sont presque toujours erronés à cause d'une conception erronée de nos intérêts. » (Les carnets du sous-sol) ;
- « Oui, l'homme a la vie dure ! Un être qui s'habitue à tout. Voilà, je pense, la meilleure définition qu'on puisse donner de l'homme.» (Souvenirs de la maison des morts).
Chronologie des œuvres
- 1846 : Les Pauvres Gens
- 1846 : Le Double
- 1846 : Un roman en neuf lettres
- 1846 : Monsieur Prokhartchine
- 1847 : La Logeuse
- 1847 : Les Annales de Pétersbourg
- 1848 : Polzounkov
- 1848 : La Femme d'un autre et le mari sous le lit
- 1848 : Le Voleur honnête
- 1848 : Un sapin de Noël et un mariage
- 1848 : Les Nuits blanches
- 1848 : Un cœur faible
- 1848 : Les Récits d’un homme d’expérience
- 1848 : Le Retraité
- 1848 : Le Mariage sous l’arbre
- 1848 : Le Mari jaloux
- 1848-1849 : Nétotchka Nezvanova (inachevé)
- 1849 : Le Petit Héros
- 1855-1859 : Le Rêve de l'oncle
- 1859 : Le Bourg de Stépantchikovo et sa population
- 1861 : Humiliés et offensés
- 1860-1862 : Souvenirs de la maison des morts
- 1862 : Une sale histoire
- 1863 : Notes d'hiver sur impressions d'été
- 1863 : Un événement curieux
- 1863 : Mémoires écrits dans un souterrain (autres traductions : Les Carnets du sous-sol, Le sous-sol, Manuscrit du souterrain)
- 1864 : Le Crocodile
- 1866 : Crime et Châtiment
- 1866 : Le Joueur
- 1868 : L'Idiot
- 1870 : L'Éternel Mari
- 1871 : Les Démons (traduit également sous le titre Les Possédés)
- 1873 : Journal de l'écrivain :
- « Bobok »
- « Petites images »
- « Le Quémandeur »
- 1874 : Petites images (en voyage)
- 1874-1875 : L'Adolescent
- 1876 : Journal de l'écrivain :
- « Le Garçon «à la menotte» »
- « Le Moujik Maréï »
- « La Douce » (autres traductions : Une femme douce, Douce)
- « La Centenaire »
- 1877 : Journal de l'écrivain :
- « Le Rêve d'un homme ridicule »
- 1878 : Le Triton
- 1880 : Les Frères Karamazov
- 1880 : Discours sur Pouchkine
Correspondance
- Correspondance, en 3 tomes, Édition Bartillat, 2003. Intégrale présentée et annotée par Jacques Catteau ; traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard
Carnets
- Dostoïevski. Carnets. Paris : éditions Payot et Rivages, 2005. Extraits des carnets de l'auteur de 1872 à 1881.
Notes et références
- ↑ Fedor Dostoïevski, Les Démons (Les Possédés), chronologie, p. 751, (ISBN 2070394166)
- ↑ ibid
- ↑ Voir la biographie de Fedor Mikhailovitch Dostoievski, de Henri Troyat, Édition Fayard, p. 89
- ↑ ibid, p. 754
- ↑ Voir : Dostoïvski et Balzac sur le site de La Chronique des Lettres Françaises :[1]
- ↑ Le mythe de Sisiphe, ed. Folio essais p.145-146
- ↑ Le mythe de Sisiphe, ed. Folio essais p.150
Voir aussi
Liens internes
Ouvrages sur Dostoïevski
- Dostoïevski, John Cowper Powys, préface de Marc-Edouard Nabe, Bartillat, Paris, 2001 (ISBN 284100242X)
- La transversalité du thème religieux dans Les Démons (ou les Possédés) de Dostoïevski, par A. Messaoudi, Paris, éditeur Indépendant, 2006, 358 p. ISBN 2-35335-006-2
- Dostoïevski, mémoires d'une vie, par sa femme A.G. Dostoïevskaïa, aux éditions Mémoire du Livre
- "Instant historique" in Les Très Riches Heures de l'humanité, Stefan Zweig, éd. Livre de Poche, 2005 : récit du simulacre d'exécution sur la place Semenov le 22 décembre 1849.
- L'esprit de Dostoievski, par Nicolas Berdiaeff (1921), éd. St-Michel 1929, Paris et Liège.
- La vie pathétique de Dostoïevski, par André Levinson, éd. Plon, Paris, 1931.
- La philosophie de la tragédie, Dostoïevski et Nietzsche, par Léon Chestov, Paris, J. Shiffrin - Editions de la Pléiade 1926.
- La Création littéraire chez Dostoïevski, Jacques Catteau, Paris, Institut d'études slaves, 1978. ISBN 2-7204-0142-0.
- La Figure du crime chez Dostoïevski, Vladimir Marinov, Paris, Puf, 1990. ISBN 2-13-043173-9.
- Correspondance de Dostoïevski (1832-1864), présentée par Jacques Catteau, traduction d'Anne Coldefy-Faucard, éd. Bartillat, 1998, 816 pages.
- Dostoïevski, les années miraculeuses (1865-1871), Joseph Frank, traduit de l'américain par Aline Weil, éd. Actes Sud, 1998, 768 pages.
- Récit et foi chez Fédor M. Dostoïevski. Contribution narratologique et théologique aux "Notes d'un souterrain" (1864), Daniel S. Larangé, Paris-Turin-Budapest, éd. L'Harmattan, 2002 (Critiques littéraires). ISBN 2-7475-1845-0.
- Dostoïevski, biographie par Leonid Grossman, Éd. Parangon, Paris, 2003.
- La poétique de Dostoïevski, Mikhaïl Bakhtine.
- Vérité romanesque et mensonge romantique, René Girard.
- Dostoïevski, André Gide.
- Dostoïevski, André Suarès.
- Le christianisme de Dostoïevski, Jacques Madaule, Bloud & Gay, 1939.
- Dostoïevsky. Le Problème du Bien, Léon Zander, Éditions Corrêa, 1946.
- Dostoïevski et le problème du mal, Paul Evdokimov.
- Gogol et Dostoïevski ou la Descente aux enfers, Paul Evdokimov.
- Cahier de L'Herne Dostoïevski, L'Herne.
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