Epigenetique

Epigenetique

Épigénétique

Le terme épigénétique définit les modifications transmissibles et réversibles de l'expression des gènes ne s'accompagnant pas de changements des séquences nucléotidiques. Ce terme qualifie en fait ce qui résulte de modifications de l’ADN (par exemple méthylation des cytosines) ou des protéines liées à l’ADN (par exemple histones). Les changements peuvent se produire spontanément, en réponse à l'environnement, à la présence d'un allèle particulier, même si celui-ci n'est plus présent dans les descendants.

Au cours du développement, vient ainsi s’ajouter à l’héritage génétique inscrit dans les gènes, une programmation par des processus épigénétiques, elle-même sous l’influence d’une multitude de facteurs environnementaux. « On peut sans doute comparer la distinction entre la génétique et l’épigénétique à la différence entre l’écriture d’un livre et sa lecture. Une fois que le livre est écrit, le texte (les gènes ou l’information stockée sous forme d’ADN) seront les mêmes dans tous les exemplaires distribués au public. Cependant, chaque lecteur d’un livre donné aura une interprétation légèrement différente de l’histoire, qui suscitera en lui des émotions et des projections personnelles au fil des chapitres. D’une manière très comparable, l’épigénétique permettrait plusieurs lectures d’une matrice fixe (le livre ou le code génétique), donnant lieu à diverses interprétations, selon les conditions dans lesquelles on interroge cette matrice. »[1]

Ce type de régulation peut cibler l'ADN, l'ARN ou les protéines. Les modifications épigénétiques constituent l'un des fondements de la diversité biologique.

L'épigénétique se propose d'étudier les effets qui sont hérités d'une cellule à sa descendante, qu'il s'agisse de cellule eucaryote ou procaryote

Depuis quelque temps, on observe un intérêt croissant pour le fait que certains caractères épigénétiques hérités pouvaient être transmis lors de la réplication de cellules (mitose) voire subsister d'une génération à l'autre pour des organismes multicellulaires (méiose).

Les phénomènes épigénétiques constituent un programme qui déciderait quels gènes activer ou, a contrario, inhiber. L’environnement influence ces signaux épigénétiques qui peuvent ainsi subir de petits changements. Ces épimutations sont plus fréquentes que les mutations classiques de l’ADN.

Les phénomènes épigénétiques couvrent les paramutations, le bookmarking (en), le phénomème d'empreinte, les mécanismes d'extinction de gène (en), l'Inactivation du chromosome X, l' effet de position (en), la reprogrammation (en), la transvection (en)[2], l'effet maternel (en) (l'effet paternel est plus rare car le sperme est un vecteur moins important de matériel non nucléotidiques), la régulation des modification d'histone et de l'hétérochromatine. Ils sont entre autres impliqués dans l'évolution des cancers, latératogenèse, ainsi que dans les limitations de la parthénogenèse ou du clonage.

Sommaire

Rappels historiques

Certains biologistes ont pensé dans le passé que le « modèle génétique » postulant une équivalence unique entre phénotype et génotype, ne pouvait expliquer la Différenciation cellulaire. Ils développèrent alors une théorie dans laquelle chaque cellule indifférenciée passait par un état critique qui serait responsable de son développement futur non uniquement lié à ses gènes (et pour cette raison qualifié d'épigénétique). Avec la découverte de la double-hélice, cette théorie a été mise à l'écart jusque dans les années 90 où l'épigénétique, qui ne s'oppose pas à la génétique mais l'enrichit, a pris une définition légèrement différente : L'épigénétique s'intéresse aux changements d'expression de gènes héritables au niveau somatique, mais n'impliquant pas de modification des gènes (On peut en effet faire plus d'une seule chose avec l'ADN, même si dans un tissu donné il conserve une expression particulière).

Réversibilité

Même chez une cellule différenciée, à certaines conditions, l'ADN peut produire autre chose que ce qu'il produisait dans la cellule différenciée : ce caractère a été illustré par des expériences de transfert nucléaire : le noyau d'une cellule de peau d'amphibien transféré dans un œuf énucléé donne des animaux entiers (clone)


La chromatine (mélange ADN + protéines (histones) assurant la compaction par enroulement d'environ 2 m d'ADN dans un noyau de quelques microns de diamètre), est un substrat interne au noyau ; découvert dès 1880, par un biologiste qui a déduit que tout noyau cellulaire dérive d'un noyau prédécesseur.

On attribue souvent la paternité de l'épigénétique au biologiste Conrad H. Waddington quand il le définit en 1942 comme une branche de la biologie qui étudie les implications entre les systèmes gènes + environnement, et leurs produits donnant naissance au phénotype d'un individu. Néanmoins le terme épigénétique est employé depuis le début du dix-huitième siècle (voir aussi Pierre Louis Maupertuis).

Le mot « épigenèse » remonte à l'Antiquité, chez Aristote qui nomme ainsi une théorie postulant que le développement s'effectuait à partir de l'informe de façon graduelle pour aboutir à un être humain à part entière. Cette théorie s'oppose au préformationnisme qui postulait que l'être vivant préexistait en miniature dans le germe.

L'épigénome

L’épigénome est l'état épigénétique de la cellule. À l'image des cellules embryonnaires qui peuvent avoir plusieurs fonctions finales, un unique génome peut être modifié de multiples manières pour donner un épigénome. Il est actuellement conjecturé qu'un code épigénétique existe dans chaque cellule eucaryote. À l'extrême, ce code épigénétique représente le type et la position de chaque molécule de la cellule.

Processus de transmission épigénétique

Plusieurs processus de transmission épigénétique peuvent jouer un rôle dans ce qu'on appelle quelquefois la mémoire de la cellule.

Transcription d'ARN

Ce mécanisme est en quelque sorte une autoactivation du gène. En effet, après transcription du gène en ARN, on observe un entretien de l'activation de ce même gène ou d'autres afférents. Par exemple, chez l'homme HNF4 et MyoD augmentent leur propre transcription. Même si le stimulus à l'origine de l'activation d'un gène est absent, les cellules filles peuvent hériter de cette activation chez la cellule mère. Le plus souvent l'activation d'un gène se produit par transduction, mais il est possible que l'ARN se transmette aux autres cellules par simple diffusion.

Système de transmission structurelle

La transmission structurelle est un mécanisme encore très mystérieux. Il implique la transmission entre cellules (voire entre cellules de générations différentes) de structures particulières (par exemple de protéines). Ces structures modifiées semblent jouer le rôle de "patron" pour l'organisation structurelle de génération suivante. Ce mécanisme de transmission a été mis en évidence dans les organismes unicellulaires ciliés comme la tetrahymena ou la paramécie. En effet, pour des cellules semblables au niveau génétique, on peut observer des différences dans l'organisation des cils de surface. Cette organisation est transmissible à la génération suivante. On soupçonne une telle transmission d'être possible pour les organismes multicellulaires.

Les modifications de la chromatine

Puisque le phénotype d'une cellule ou d'un individu est affecté par l'expression de ses gènes, les états issus de ces transcriptions peuvent donner lieux à des traces épigénétiques. Une des manières dont l'expression d'un gène peut être régulée est l'état de la chromatine. Celle-ci peut être dite "ouverte" permettant ainsi l'accès à la machinerie transcriptionnelle et l'expression génique ou "fermée", empêchant l'expression d'un gène. L'état de la chromatine est dicté par les modifications post-traductionnelles des protéines liées à l'ADN : les histones. La méthylation de ces protéines au niveau de résidus lysines entraîne une fermeture de la chromatine. Au contraire, l'acétylation également de lysines entraîne une ouverture de la chromatine permettant ainsi la transcription. Certaines régions du génome sont constitutivement dans un état chromatinien fermé (hétérochromatine). C'est le cas des centromères et des télomères. Aucune transcription n'a lieu dans l'hétérochromatine (effet de position). Les gènes sont au contraire situés dans la chromatine active (euchromatine) pour permettre leur expression. Puisque l'ADN n'est pas entièrement entouré de nucléosomes au cours de la réplication, les histones modifiées (méthylées ou acétylées) restantes sont supposées guider les modifications des nouvelles histones après la formation des nucléosomes. On peut noter cependant que les modifications d'histones ne sont pas toutes transmises d'une génération à l'autre.

Modification chimique de l'ADN

L'expression d'un gène peut également être guidée par une modification chimique de l'ADN : la méthylation de cytosine en 5-methylcytosine[3] dans les dimères C-G de l'ADN. Le nombre et la façon dont sont méthylées ces bases influencent souvent l'expression des gènes composés de ces bases : une faible méthylation se traduit le plus souvent par une forte expression du gène alors qu'un haut niveau de méthylation inactive le gène. Cependant il existe des exemples où une forte méthylation n'a pas de répercussions sur le niveau d'expression. La méthylation de l'ADN est l'acteur majeur de la mise en place de l'empreinte parentale, mécanisme par lequel l'expression d'un gène va dépendre de l'origine parentale. Par exemple, dans le cas d'un gène à expression maternelle, l'allèle paternel est méthylé et entièrement éteint alors que l'allèle maternel est non-méthylé et entièrement exprimé. L'empreinte parentale dépend également des modifications de la chromatine. La méthylation de l'ADN est souvent observée dans les gènes répétés et pourrait être un mécanisme naturel pour l'inactivation des gènes inutiles. Les méthylations de l'ADN peuvent soit être héritées soit créées ou modifiées en réponse à un facteur environnemental. Dans ce dernier cas, la modification créée par l'environnement sera transmise aux descendants au même titre qu'une marque héritée.

Chez l’Homme, la méthylation de l’ADN s’effectue au niveau des résidus cytosines des îlots CpG[4] qui se trouvent essentiellement dans les régions proximales des promoteurs (le terme promoteur est défini dans la définition « gène suppresseur de tumeurs ») de 60 % des gènes. Dans les cellules normales, ces îlots sont non méthylés, une petite portion devient méthylée pendant le développement rendant ainsi quelques gènes silencieux de manière stable.

Il existe une interdépendance entre la méthylation de l’ADN et celle des histones : on a montré une interaction entre certaines protéines à activité de méthylation de l’ADN et un système de méthylation des histones. Nous sommes donc en présence d’un lien direct entre les activités enzymatiques responsables de deux mécanismes épigénétiques distincts. L’épigénétique est donc un système régulateur fondamental au-delà de l’information contenue dans la séquence d'ADN. Le gène défini par Mendel doit maintenant être considéré avec la chromatine qui l’entoure puisqu’elle joue un rôle primordial dans la régulation transcriptionnelle et que, de plus, elle est héréditaire tout comme les gènes Mendéliens.

Prions

Les maladies infectieuses ne sont pas habituellement décrites comme des régulateurs épigénétiques, mais l'infection et la transmission verticale de virus fonctionnent de manière identique. De plus, certains prions ont montré des effets[5] bénéfiques et, comme ils décrivent la nature adaptative des protéines, ils ont été décrits comme des mécanismes de transmission épigénétique.

Codage épigénétique et évolution

L'épigénétique est une réminiscence de l'héritage de caractères acquis chers à Lamarck (ou encore des spéculations de Darwin sur le pangénétisme[6] ou à celles de Mitchourine). Mais contrairement à ces anciennes théories, l'épigénétique admet la prééminence de la sélection naturelle et de l'altération aléatoire du génome[réf. nécessaire].

Effet épigénétique possible sur l'être humain

Sans avoir identifié les porteurs de ces modifications transmissibles des études sur l'Homme (étude du poids des nouveau-nés lors de la famine aux Pays-Bas en 1947[7], ainsi que chez leurs descendants), les drosophiles (larves soumises à des températures élevées)[8] ont montré l'influence de l'environnement sur la diversité du vivant.

Une étude faite sur une population dont étaient référencés tous les individus ainsi que leur alimentation en fonction des récoltes a montré qu'une grand-mère ayant vécu une famine transmet cette information à sa descendance et par conséquent modifie l'ADN de son petit-fils, qui peut développer des maladies alors qu'il n'a jamais connu de famine.[9] De même, les femmes enceintes durant les événements du 11 septembre 2001 ont montré que l'enfant possédait un taux de cortisol plus élevé[10].

Ce phénomène impliquerait que certaines maladies ne sont pas dues à une variation de la séquence d’ADN mais peut-être à des épimutations. Les mécanismes épigénétiques constitueraient de nouvelles cibles pour la mise au point de médicaments spécifiques. En attendant cette confirmation, nous pouvons déjà reconsidérer notre hérédité et défendre l’idée que nous ne sommes pas que le pur produit de nos gènes.

L'épigénétique et le cancer

Le cancer est clairement une maladie des gènes. Chez l’Homme, l’incidence des cancers augmente exponentiellement dans les dernières décennies de la vie, avec un développement prédominant de carcinomes. Les cellules humaines en culture présentent un taux de mutations spontanées de 2.10-7/gène/division cellulaire. Étant donné la faible incidence spontanée de ces mutations, d’autres mécanismes doivent être mis en place pour entraîner l’apparition des cancers. Dans plusieurs types de cancers, il a été observé une réduction globale du taux de méthyl-cytosines dans le génome par rapport au tissu normal, alors que plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs sont rendus silencieux par méthylation de novo de leur promoteur. Depuis, il a été mis en évidence que les tumeurs peuvent maintenir stablement une mutation sur un allèle d’un gène alors que l’autre est hyperméthylé, entraînant ainsi son inactivation. De plus, les gènes suppresseurs de tumeurs résident souvent au sein de régions caractérisées par des délétions fréquentes, aboutissant à une perte d’hétérozygotie (LOH). Par ailleurs, dans certaines de ces régions sont observés des événements épigénétiques au lieu d’une altération génétique. Ces altérations épigénétiques, telles que méthylation de l’ADN et modifications des histones, semblent initier des processus qui résultent en une perte ou une activation de la transcription des gènes. Même une mutation peut être initialement due à un mécanisme épigénétique puisque, par exemple, une 5-méthyl-cytosine peut se désaminer (perte de la fonction amine) spontanément en thymine (autre base de l’ADN). Dans ce cas la cause primaire est un phénomène épigénétique.

Le terme d'épigénétique en psychologie

Le psychologue Erik Erikson développa une théorie épigénétique du développement humain traitant des crises psycho-sociales vécues par l'individu, servant ainsi à décrire différentes étapes développementales entrecoupées par ces crises. Selon Erikson, même si ces crises ont le plus souvent une origine génétique, la manière dont elles se vivent ne peut être expliquée par la génétique et donc, en écho à la théorie en biologie, sont qualifiées d'épigénétiques.

Notes et références

  1. Thomas Jenuwein (Research institute of molecular pathology, Vienne, Autriche)
  2. La transvection est le résultat d'une interaction entre un allèle sur un chromosome et l'allèle sur l'autre chromosome de la même paire
  3. (en) 5-Methylcytosine
  4. (en) îlots CpG, site CpG
  5. Exemple : Inhibition épigénétique relative de la réplication du prion par la biosynthèse in situ de l'hypodermine du Hypoderme (insecte)
  6. La pangénésie est une hypothèse de Darwin présentée en 1868 dans "De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication", cette hypothèse n'a pas été confirmée par l'observation, voir (en) Pangenesis, voir # ↑ De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication : Texte en ligne
  7. Epigénétique Arte, 09/04/2009 à 18:15 (Allemagne, Canada, Japon, 2008, 43mn) ZDF Réalisateur: Frank Papenbroock, Peter Moers
  8. Rapport d'activité de l'unité Biologie Cellulaire du Noyau, PDF [1]
  9. Il s'agit des travaux menés par Le généticien clinique Marcus Pembrey (institut de la santé infantile, University college de Londres) et Lars Olov Bygren (Université d'Umea, Suède). Voir l'article d'Hervé Morin paru dans le Monde "Une étude suédoise questionne le darwinisme" 28/12/2002
  10. Selon des recherches de Gerard Essed et Rachel Yehuda, voir respectivement Le stress rend les nouveau-nés plus petits et Après le choc

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