- Confédération Des III Cantons
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Confédération des III cantons
La Confédération des III cantons désigne la première étape de formation de la Confédération suisse, la période du Haut Moyen Âge entre 1291 et 1332 et est suivie par la Confédération des VIII cantons.
En avril 1291, Rodolphe de Habsbourg, premier membre de la famille à devenir empereur, rachète les droits sur la ville de Lucerne, située à l'extrémité du lac de Lucerne dans le but de rétablir l'autorité de sa famille dans la région. Après sa mort le 15 juillet 1291 et en prévision d'éventuels troubles de succession, les hommes libres des vallées d'Uri, de Schwytz et de Nidwald[1],[2] renouvellent au début du mois d'août (la date précise est inconnue) un pacte d'alliance juridique et défensive éternelle[précision nécessaire], pacte qui marque la fondation de la Confédération des III cantons. En réaction, les Habsbourg augmentent leur pression sur la région afin de récupérer leurs droits[nhss 1]. Lors de la bataille de Morgarten, le 15 novembre 1315, la cavalerie lourde du duc Léopold Ier d'Autriche, suivie d'un corps d'infanterie, s'engage dans un défilé coincé entre la montagne et le lac d'Ägeri, ils sont surpris par les Schwytzois aidés par quelques Uranais qui les attaquent à coup de hallebardes et de pierres, causant un massacre parmi les Autrichiens. L'évènement, provoquant une prise de conscience politique, fait forte impression dans la population et amène à un renouvellement du pacte trois semaines plus tard à Brunnen (pacte de Brunnen).
Sommaire
Le Saint-Empire romain germanique
Otton le Grand devient, en 962, le premier dirigeant du Saint-Empire romain germanique, empire qui englobe la totalité du territoire helvétique alors morcelé en une multitude de petites seigneuries et de possessions épiscopales. Suite à la fin des incursions des Sarrasins et des Hongrois, l'Europe centrale connait une période de calme relatif de 200 ans qui débute au milieu du Xe siècle, les grands évènements politiques se déroulant dans l'Est, en Italie et en Terre Sainte où les croisades se succèdent[durrenmatt 1]. Économiquement et socialement, la féodalité se développe de plus en plus lors du règne des derniers Carolingiens ; sur le territoire de la future Suisse, les premières sources faisant mention de vassaux datent du IXe siècle et les décrivent comme les représentants de la noblesse d'Empire (en allemand Reichsaristokratie) qui constituent une aristocratie intermédiaire tout d'abord peu rattachée à un lieu particulier. En parallèle, l'Église d'Empire (en allemand Reichskirche) se voit également confier des territoires de plus en plus étendus, les évêques faisant ainsi de plus en plus fréquemment partie des élites sociales[3].
Dès le début du millénaire et jusqu'en 1250, quatre familles vassales des empereurs romains germaniques augmentent progressivement leur influence dans la région, en particulier en cherchant à obtenir la couronne du royaume de Bourgogne-Provence ou de ses dépouilles, comme le tentera de le faire le duc de Bourgogne Charles le Téméraire deux siècles plus tard. Les troubles politiques, couplés à une ère de prospérité économique et à l'ouverture d'un nouveau passage dans les Alpes, poussent les villes et les campagnes, où l'esprit de famille prévaut encore sur des lois générales, à nouer des alliances souvent temporaires.
Les Zähringen
Originaire de Souabe, la famille Zähringen se voit contester son territoire, qui s'étend sur les pays actuels du Bade-Wurtemberg, par la dynastie de Hohenstaufen qui la repousse sur la rive gauche du Rhin[durrenmatt 2]. Les Zähringen entrent ainsi dans l'histoire de la région en 1098 lorsque Berthold II de Zähringen renonce officiellement à toute prétention sur le trône du duché. Il reçoit en contrepartie la suzeraineté de Lenzburg et le bailliage de Zurich, alors décrite comme « la plus importante ville de Souabe »[nhss 2], tout en étant affranchi de la suzeraineté ducale. Il peut ainsi créer un duché de Zähringen qui va progressivement s'étendre vers l'ouest, à partir de 1100, où d'importants territoires des bassins de l'Aar et de l'Emme puis du pays de Vaud vont y être inclus. Mais une coalition menée par les comtes de Genève, les évêques de Lausanne et surtout la maison de Savoie finit par briser politiquement l'élan de Conrad Ier de Zähringen, le fils de Berthold, qui tentait de se faire couronner duc de Bourgogne.
La famille Zähringen cesse alors ses conquêtes vers l'ouest pour améliorer l'exploitation des terres appartenant au duché familial, particulièrement en fondant les villes de Fribourg en 1157 et de Berne en 1191[bouquet 1], mais aussi Rheinfelden, Berthoud, Morat et Thoune. Une tentative d'expansion vers le sud, en passant par le col du Grimsel à travers les Alpes, échoue en 1211 face aux Valaisans[nhss 3]. Dans le même temps cependant, une nouvelle voie s'ouvre à travers les Alpes et va changer l'histoire de la région : le col du Saint-Gothard reliant la Lombardie à la vallée de la Reuss (dans la région d'Uri) par le chemin le plus direct qui soit. La date exacte de l'ouverture du col n'est pas connue, bien qu'elle soit généralement située vers 1200. Il n'est pas certain non plus que les Zähringen aient participé activement à ce développement, bien que le territoire concerné se trouve au sein de leur duché.
Le dernier des ducs de Zähringen s'éteint en 1218, les droits revenant alors à la famille des Kybourg. Cependant, alors en lutte contre le pape et certains de ses vassaux, l'empereur Frédéric II accorde volontiers à plusieurs villes du duché dont Berne, Soleure et Zurich, le statut de ville libre par « immédiateté impériale », privant ainsi les seigneuries locales de profits[bouquet 1]. Le conflit entre l'empereur et le pape, qui atteint son paroxysme lors du Ier concile de Lyon en 1245, connaît également des répercussions sur le plateau suisse, entre les tenants pour l'empereur (surnommés les gibelins) et ceux du pape (les guelfes) ; ainsi, Lucerne, du côté de Rome, entre en guerre contre Berne, tenant de l'autre camp. Cette crise prend fin avec la mort de l'empereur Frédéric II en 1250[andrey 1].
Les Kibourg
Les premières mentions concernant la famille des Kibourg (parfoit écrit Kybourg ou Kyburg en allemand les situent dans le haut Danube avant qu'ils n'acquièrent, par mariage et par héritage, des terres en Suisse orientale, dans la région entre Zurich et l'actuelle Thurgovie. Ils tirent leur nom du château de Kybourg, situé dans l'actuel canton de Zurich, sur le territoire de la commune homoyme[4].
Héritier de la partie du domaine située dans le nord de la Suisse, le comte Hartmann III de Kibourg est admis, suite à son mariage avec Richenza de Lenzbourg-Baden, en 172 comme héritier avec les Hohenstaufen et les Zähringen des territoires de la maison comtale des Lenzbourg ; si on ne connait pas précisément les détails de la répartition du territoire, on sait qu'elle entraîne de nombreux litiges jusqu'en 1254 lorsqu'Elisabeth de Chalon revendique Lenzburg pour son époux, Hartmann V de Kibourg dit « le Jeune ». De son côté, Ulrich III de Kibourg, marié à la fille de Berthold V de Zähringen, devient le principal héritier des Zähringen et entre en possession des villes de Laupen, Fribourg, Thoune et Berthoud, ainsi que de nombreux territoires situés dans les cantons actuels d'Argovie et de Zurich ; la famille de Kibourg échoue toutefois à prendre sous son contrôle la ville de Zurich puis l'abbaye de Saint-Gall, principalement par manque d'appui de la famille liée des Hohenstaufen[5].
À son apogée, l'influence des Kibourg s'étend donc de 1218 à 1277 du lac de Constance jusqu'à la Nuithonie et même jusqu'à Fribourg et Laupen. La maison va toutefois à son tour s'éteindre, le dernier représentant mâle des Kibourg mourant en 1263 et ne laissant qu'une fille mineure ; ses terres vont être distribuées entre les deux familles héritières de Savoie et de Habsbourg[6].
Les Savoie
La maison de Savoie, originaire de la région de Vienne et de Grenoble, hérite du royaume de Bourgogne pour les cols alpins. Dès le XIe siècle, elle s'empare de la Maurienne et de la vallée d'Aoste, étendant son influence jusqu'à la plaine du Pô et Turin. De l'autre côté des cols, elle s'assure également le contrôle du Chablais et du bailliage de Saint-Maurice[7]. La maison de Savoie va alors mettre en œuvre une politique de promotion du culte de saint Maurice, ajoutant ainsi une dimension religieuse à son autorité.
Au siècle suivant, les Savoyards contrôlent également l'Entremont et le Bas-Valais et tiennent sous leur autorité l'évêque de Sion qui leur cède le château de Chillon comme fief. Devant cette position de force, la tentative effectuée en 1189 par le roi d'Allemagne de rattacher le Valais à l'autorité directe de l'empereur échoue. À la fin du siècle, la maison de Savoie contrôle donc le passage nord du col du Grand-Saint-Bernard, ainsi que les défilés de Chillon et de Saint-Maurice, assurant ainsi sa mainmise sur les deux côtés des cols[nhss 4].
Lors du XIIIe siècle, les Savoie concentrent leurs efforts sur le nord du lac Léman où ils se heurtent aux comtes de Genève, alors en possession du Genevois et sont en conflit successivement avec l'évêque de Genève qui finit par les écarter de la ville de Genève, avec les Zähringen suite à leur incursion dans le pays de Vaud dès le XIIe siècle et avec l'évêque de Lausanne. Thomas Ier de Savoie reçoit en 1207 outre le titre de seigneur de Piémont, le fief de Moudon, marquant ainsi le début de la fin des conquêtes genevoises en pays de Vaud. Son fils Pierre II de Savoie, surnommé le « petit Charlemagne », poursuivra quant à lui cette extension en achetant successivement Morat, Fribourg et Berne grâce à l'appui financier de l'Angleterre[bouquet 2]. Finalement, le comté de Genève sera à son tour absorbé au début du XVe siècle[nhss 5].
Les Habsbourg
La famille des Habsbourg, originaire d'Alsace et qui tire son nom du château de Habsbourg en Argovie, ne possède au XIe siècle que peu de terres sur le territoire de la Suisse, à l'exception de quelques terres dans la basse vallée de l'Aar. Ce n'est qu'en 1173 et surtout en 1218 que l'empereur, pour qui la famille combat, lui attribue plusieurs bailliages dont celui d'Uri, en héritage des possessions des familles disparues des Lenzbourg et des Zähringen. En 1264, lors de la disparition de la famille Kybourg, alliée avec les Savoie par mariage[5], Pierre de Savoie revendique pour le duché familial les terres de Thurgovie et Glaris mais se fait devancer par le comte Rodolphe de Habsbourg. Dans les années qui suivent, le compte tente de lier ses deux domaines alsacien et de Suisse occidentale, en particulier en prenant le contrôle de Bâle dont l'évêché s'étend alors jusqu'aux cols du Haut et du Bas-Hauenstein[nhss 6].
La mort de l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen en 1250 marque le début d'une période troublée appelée le Grand Interrègne qui se termine par l'élection de Rodolphe de Habsbourg à la dignité impériale en 1271[andrey 2].
Une nouvelle traversée des Alpes
Pendant longtemps, la vallée d'Uri, au mains des Habsbourg, avait été un cul-de-sac : le col du Saint-Gothard est bien le seul qui franchisse les Alpes centrales en une seule fois mais il est d'un trajet malaisé, en particulier à cause de deux passages infranchissables que sont la falaise de l'Axenberg, qui ne sera franchissable que par bateau sur le lac des Quatre Cantons jusqu'à l'ouverture d'une route en 1864[8], et le défilé des Schöllenen, entre la vallée transversale d'Uri et celle, longitudinale, d'Urseren. Il permet toutefois de contourner la ville de Vérone qui contrôle alors le col du Brenner[nhss 7] et d'éviter le détour par le Valais et le lac Léman imposé par le passage du col du Grand-Saint-Bernard.
La date exacte de la construction d'un chemin muletier menant au col n'est pas connue, mais estimée entre 1215 et 1230, probablement par les habitants de la vallée d'Uri aidés par les Walsers valaisans récemment arrivés dans la région. Le chemin comporte en particulier un pont si délicat dans sa construction que certains y voient une intervention du diable, d'où son nom de « pont du Diable ». Quoi qu'il en soit, l'ouverture de ce passage donne une importance accrue à Uri qui reçoit, des mains de Henri II de Souabe qui gouverne au nom de son père Frédéric II, l'« immédiateté impériale » en 1231, dépossédant ainsi les Habsbourg du droit d'avoirie (c'est-à-dire le commandement militaire et l'exercice de la justice) qu'ils avaient sur cette région depuis 1218[bouquet 3]. Cette franchise précise en particulier que la fonction de bailli est dès lors remplie par un « Ammann », nommé par le roi sur proposition des autorités locales ; par la suite, les habitants élurent leur bailli, nommé dès la fin du XIIIe siècle, directement tout en continuant à le faire confirmer par le roi[durrenmatt 3].
Pacte de 1291
La situation des Waldstätten
Les Waldstätten (littéralement « pays forestiers » en allemand mais également appelés Dreiländer soit « trois pays »[andrey 3]) regroupent les habitants des quatre corporations d'Uri, de Schwytz et des deux Unterwald, au dessus et au dessous (Ob- et Nidwald) de la forêt de Kern qui les séparent[9], entre le passage du Gothard et la ville de Lucerne, soit une superficie d'environ 2 000 km2 peuplée de 20 000 personnes au maximum[andrey 4]. Ces communautés montagnardes, dépendantes d'une économie pastorale de montagne, ont gardé au début du XIIIe siècle certaines spécificités de l'ancien droit alaman, en particulier les réunions printanières de l'ensemble de la communauté qui représentent alors pour les habitants l'une des rares occasions de se réunir pour traiter les problèmes du moment. Ces réunions, appelées Landsgemeinde, sociales et économiques à leur origine, sont progressivement devenues politiques[bouquet 1].
Tout comme Uri, la communauté de Schwytz, alors possession de la branche des Habsbourg-Laufenbourg[nhss 8], avait reçu en 1240 de la part de l'empereur Frédéric II une lettre de protection qui les plaçait « sous la protection tant de l'Empire que de lui-même » suite à l'envoi de soldats schwyztois dans la guerre menée en Lombardie contre les forces du pape Grégoire IX, faisant entrer ainsi la communauté dans le camp des « gibelins »[durrenmatt 4]. Cette lettre, sans conférer à Schwytz une véritable immédiateté, plaçait la communauté hors de la sphère d'influence des Habsbourg qui contestèrent cette charte (appelée « Charte de Faenza »[9] par référence au lieu où elle aurait été écrite par le roi[durrenmatt 4]) pendant plus de 100 ans[bouquet 4]. Pendant la période de l'interrègne, Rodolphe de Habsbourg renforce sa domination sur la région en achetant à ses cousins leurs droits sur Schwytz et sur Unterwald en 1273, l'année même où il est sacré empereur. Continuant à augmenter son influence dans la région, il s'empare de la vallée d'Urseren en 1283 puis achète la ville de Lucerne en 1291 quelques jours avant sa mort qui survient le 15 juillet 1291 sans qu'il n'ait désigné de successeur officiel.
À son entrée dans l'histoire, la communauté d'Unterwald est déjà divisée en deux parties et la situation politique y est bien moins claire que chez ses voisins. Composée également en grande partie de paysans libres, la population des deux communautés, probablement encouragée par les manœuvres politiques indépendantistes chez ses voisins d'Uri, de Schwytz et de l'Oberhasli, s'efforce également probablement de se constituer en communes libres ; aucune mention spécifique n'a cependant pu être retrouvée sur ce sujet, avant la référence faite à la corporation indépendante Ob und Nid dem Kernwals lors du traité d'alliance signé avec ses voisins[durrenmatt 5].
Le pacte d'alliance perpétuelle
Suite à l'annonce de la mort de l'empereur, les notables d'Uri, de Schwytz (dont le sceau au bas du document a disparu) et de Nidwald — ceux d'Obwald n'ont soit pas reçu la convocation, soit ont décidé de ne pas s'y rendre — se réunissent pour renouveler « leur ancienne confédération » (en latin antiqua confœderatio) par un pacte qui confirme un accord précédent mais aujourd'hui disparu. Ce texte est un traité d'assistance mutuelle ainsi qu'une ébauche de code pénal qui, loin du texte révolutionnaire que l'on présente parfois — le texte précisant même que « chacun reste soumis à son seigneur, comme il se doit. »[10] — se contente de préciser le refus de la reconnaissance d'« un juge qui aurait payé sa charge ou qui ne serait pas de chez nous »[10]. Ce document conclu « à perpétuité si Dieu le veut »[10], ce qui ne signifie pas qu'il ne peut être modifié, a été traduit en allemand vers 1400 et est mentionné par Werner Steiner en 1532[nhss 9]. Il finit par tomber dans l'oubli. Il n'est retrouvé qu'en 1758 à Schwytz et n'a jamais été traduit officiellement par le gouvernement suisse, favorisant ainsi l'apparition de traductions plus ou moins fantaisistes au cours des années, alimentant la polémique et le débat mais stimulant également la recherche[andrey 5].
Dans son contenu, le pacte ressemble bien à un pacte local, destiné à régler l'ordre public et ébauchant une direction politique limitée. Dans sa structure, il respecte les standards de l'époque avec un préambule et une formule finale, le tout en continu et sans séparation en paragraphes. Cependant, il n'indique ni le lieu ni la date précise de son adoption (« début août »[10]), pas plus qu'il n'est signé ou qu'il ne donne de noms précis. En outre, il continent des fautes d'orthographe, des omissions de mots et des imprécisions comme si le scribe n'avait pas pu se relire. Enfin, alors que la quasi-totalité du texte est rédigé à la troisième personne du pluriel, la partie qui exclut les juges étrangers, est rédigée à la première personne du pluriel[nhss 10]. Tous ces éléments ont provoqué de nombreuses controverses pour savoir si les omissions avaient pu être faites volontairement, impliquant ainsi la volonté des auteurs de rester anonymes et faisant du pacte un document séditieux, voir un appel à la rébellion. L'utilisation de certains mots, tel que « conspirati », traduit en français par « confédérés » semble jouer en faveur de cette interprétation[andrey 5].
Avec ce pacte, si les communautés signataires ne rejettent pas la domination royale ou le fait de devoir servir en cas de levée de troupes pour défendre le territoire contre une menace extérieure, elles réclament leur indépendance pour les décisions liées aux impôts, au choix des fonctionnaires et des juges, refusant ainsi d'abandonner leur souveraineté aux ducs d'Autriche, vassaux du roi[durrenmatt 6].
Les mythes fondateurs
Autour des évènements historiques ayant conduit à la signature du pacte, de nombreux mythes et légendes ont vu le jour, la plupart dans la première moitié du XVe siècle (soit plus d’un siècle après les évènements), et sont regroupés dans les manuscrits du Livre blanc de Sarnen, datant de 1470 environ et repris vers 1550 par le chroniqueur Gilg Tschudi, qui décrit les supposées actions héroïques de la résistance des Suisses contre l'envahisseur autrichien[bouquet 5].
Parmi ces mythes, le plus connu reste celui de Guillaume Tell et de son tir à l'arbalète sur une pomme placée par le bailli sur la tête de son fils. Tell se venge de cet acte en tuant le bailli après avoir échappé à une tempête. Cette légende d'origine danoise s'est progressivement enrichie au cours des siècles en mettant en scène, par exemple dans les peintures du XVIIIe siècle ou dans l'opéra de Rossini, sa femme baptisée du nom d'Hedwige[andrey 6]. Un autre mythe raconte l'histoire des trois Confédérés qui se réunirent sur la prairie reculée du Grütli pour y prêter le serment du même nom destiné à libérer les trois vallées et de vivre ou de mourir en hommes libres. Cet épisode est à relier à la légende de la destruction de plusieurs châteaux forts de la région, appartenant aux Habsbourg, par une insurrection générale des habitants. Des fouilles archéologiques récentes prouvent que ces châteaux ont été progressivement abandonnés sur une période de 100 ans, ce qui contredit la légende[nhss 11].
Le pacte de 1315
Un raid contre Einsiedeln et Morgarten
L'élection, le 27 juillet 1298 du fils de Rodolphe, Albert Ier, comme roi allemand met l'alliance confédérée en grand danger : en effet, les communautés s'étaient rangées aux côtés d'Adolphe de Nassau dans la guerre qui avait éclaté suite à l'élection controversée de ce dernier qui est tué par Albert pendant une bataille le 2 juillet de la même année. Cependant, après avoir forcé la ville de Zurich a dénoncer une alliance de trois ans conclue avec les conférés, le nouvel empereur se contente d'encercler les trois communautés et de ne pas renouveler les franchises accordées à Schwytz et Uri, sans intervenir militairement sur leur territoire[durrenmatt 7].
À l'inverse, au début du XIVe siècle, des querelles au sein de la maison de Habsbourg puis entre les différentes familles princières, profitent indirectement aux confédérés : suite à l'assassinat du roi en 1308, son successeur Henri VII de Luxembourg confirme la liberté impériale des trois pays, offrant ainsi également, mais de manière ambigüe, l'immédiateté à la vallée d'Unterwald tout en désignant un bailli unique pour les trois vallées[bouquet 6]. En réaction, les Habsbourg augmentent leur pression sur la région afin de récupérer leurs droits[nhss 12].
Parallèlement, les Schwytzois, qui sont en guerre larvée pour des questions de territoire et de taxes avec l'abbé du couvent d'Einsiedeln dont les Habsbourg sont les protecteurs, se font mettre au ban de l'Église catholique romaine. Le 6 janvier 1314, ils se vengent par un raid nocturne sur le couvent où, selon le récit fait par un instituteur du couvent, « ils volent ce qui peut leur être d'une utilité quelconque [...], ils boivent outre mesure de notre vin [...], ils souillent le temple de Dieu de leurs propres ordures et chacun lâche son urine ou paie le tribut de son ventre dans l'église... »[11]. Cette opération n'est rien qu'un épisode de plus dans le conflit entre les deux parties mais elle provoque une riposte du duc Léopold Ier, alors partisan du duc Frédéric le Bel dans la lutte de celui-ci pour la couronne impériale qui l'oppose au roi Louis de Bavière pour qui les Confédérés avaient pris parti. L'accès au marché de Lucerne leur est fermé, un embargo sur le blé est déclaré contre les trois communautés et la route du Gothard est bloquée alors que des troupes originaires d'Argovie, de Winterthour, de Lucerne et de Zurich bien équipées et fournies d'une importante cavalerie, se rassemblent dans la région de Zoug, une possession habsbourgoise.
Devant ces préparatifs, les Waldstätten prennent de leur côté plusieurs contres-mesures : les Uranais concluent un armistice avec les habitants de la vallée de Glaris avec qui ils sont en guerre depuis quelques années, les Schwytzois construisent des barrages sur les routes menant à Zoug et Küssnacht et les Unterwaldiens font de même en direction de la vallée d'Urseren. Parallèlement, les trois communautés mettent en place un important service de renseignements dans la région, leur permettant ainsi d'être rapidement informés de tout mouvement de l'armée ennemie[durrenmatt 8].
Le matin du 15 novembre 1315, la cavalerie lourde du duc Léopold, suivie d'un corps d'infanterie, s'engage dans un défilé dominé par la montagne de Morgarten. Coincé entre cette montagne et le lac d'Ägeri, ils sont surpris par les Schwytzois aidés par quelques Uranais et commandés par Werner Stauffacher[9] qui les attaquent à coup de hallebardes et de pierres — l'histoire y ajoutera par la suite des troncs d'arbre —, causant un massacre au corps-à-corps et forçant une partie des Autrichiens à tenter de se sauver par le lac et de s'y noyer. Seule une partie des troupes, dont le duc en personne, parvient à s'échapper de cette bataille qui prendra par la suite le nom de la montagne[bouquet 7]. Le nombre exact de soldats engagés des deux côtés, tout comme le nombre des victimes, n'a jamais pu être déterminé avec précision mais est évalué à quelques milliers du côté autrichien contre un millier de Schwytzois environ. Les pertes ont pu s'élever à quelques centaines de morts dont plusieurs chevaliers d'un côté contre quelques dizaines de l'autre. On est donc loin des « 20 000 Autrichiens » mentionnés dans certains récits[andrey 7].
Pour les Habsbourg, les conséquences de cette défaite sont pratiquement nulles : l'affaiblissement des forces armées n'est que provisoire et l'autorité de Frédéric sur les villes de son territoire ira grandissant jusqu'à la paix générale imposée en 1319. Côté confédéré par contre, l'évènement provoque une prise de conscience politique et fait forte impression dans la population : des paysans mal armés et inférieurs en nombre qui battent une armée de professionnels, commandée par le chef de l'une des plus importantes maisons d'Europe, au mépris total de toutes les coutumes chevaleresques ! Les vainqueurs, décrits comme des « sauvages assoiffés de sang » ou comme des « hordes paysannes grossières et impies »[bouquet 8] par leurs ennemis, font forte impression et deviennent les héros d'un culte du souvenir qui perdure encore six siècles plus tard[andrey 8].
Le pacte du Brunnen
Trois semaines après leur succès militaire, les délégués des confédérés se réunissent à Brunnen, une localité située au point de jonction entre les trois cantons primitifs, sur les bords du lac des Quatre Cantons. Le 9 décembre 1315, ils renouvèlent l'alliance de 1291 dans un nouveau pacte[12] qui reprend les articles et les termes du précédent mais est rédigé dans la langue courante, à savoir l'allemand[andrey 8].
Certaines dispositions de politique extérieure sont ajoutées, en particulier l'article selon lequel chaque canton s'engage à ne reconnaître aucun seigneur sans l'assentiment de ses confédérés, ni à traiter avec quelque pouvoir étranger que ce soit sans que les autres soient inclus dans la négociation[13]. C'est également dans ce traité qu'apparaît pour la première fois le terme d'Eidgenossen, littéralement « compagnons de serment », qui sera par la suite traduit en français par « confédérés »[14]. Le pacte de Brunnen restera en vigueur jusqu'en 1798, soit jusqu'à la fin de l'ancienne confédération[15].
En 1316, le roi Louis de Bavière confirme l'immédiateté des trois cantons alors que le duc Léopold, refusant sa défaite, mène une guerre d'usure qui se traduit par plusieurs affrontements mineurs avant qu'un simple armistice ne soit finalement conclu avec les Habsbourg en juillet 1318, ses derniers ne renonçant pas à défaire les communautés[durrenmatt 9]. Dans les années suivantes, les cantons primitifs vont nouer des liens et s'allier avec les cités de Lucerne, Zurich et Berne, formant ainsi la base de ce qui devait devenir la Confédération des VIII cantons.
Bibliographie
- Jean-Jacques Bouquet, Histoire de la Suisse, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2005 [détail des éditions]
- Peter Dürrenmatt, Histoire illustrée de la Suisse, Payot, 1958 [détail des éditions]
- Grégoire Nappey, illustrations de Mix & Remix, Histoire Suisse, LEP, Le Mont-sur-Lausanne, 2007 [détail des éditions]
- Guy P. Marchal (trad. Eugène Badoux), « Les racines de l'indépendance », Nouvelle Histoire de la Suisse et des Suisses, Payot, Lausanne [détail des éditions]
- Georges Andrey, Histoire de la Suisse pour les nuls, Paris, 2008 [détail des éditions]
Notes et références
- George Andrey, Histoire de la Suisse pour les nuls, 2008
- J.-J. Bouquet, Histoire de la Suisse coll. « Que sais-je ? », 2005
- P. Dürrenmatt, Histoire illustrée de la Suisse, 1958
- Guy P. Marchal, Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, 1982
- Autres références
- ↑ Pacte fédéral du 1er août 1291 sur Admin.ch "vallée inférieure d'Unterwald" signifie Nidwald
- ↑ Pacte fédéral du 1er août 1291 sur Cliotexte
- ↑ Société féodale en français, allemand et italien dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
- ↑ Zurich Château de Kybourg sur swisscastles.ch. Consulté le 13 décembre 2008
- ↑ a et b La famille de Kibourg en français, allemand et italien dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
- ↑ p 66
- ↑ Chablais en français, allemand et italien dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
- ↑ Les voies de communication sur memo. Consulté le 21 avril 2008
- ↑ a , b et c Frederic Bey, « La Suisse au Moyen-Âge », dans Vae Victis, no 80, mai-juin 2008, p. 20-29
- ↑ a , b , c et d Voir le Pacte fédéral suisse sur Wikisource
- ↑ Cité par G. Andrey, Histoire de la Suisse pour les nuls op. cit. page 77
- ↑ Une traduction en français du pacte est disponible Le Pacte de Brunnen (1315) sur cliotexte. Consulté le 25 avril 2008
- ↑ Jean-François Bergier, Morgarten et le pacte de Brunnen, Paris pages 373-377
- ↑ Pacte de Brunnen (1315) sur Le droit Suisse. Consulté le 25 avril 2008
- ↑ Le pacte de Brunnen: 9 décembre 1315 sur Histoire Suisse. Consulté le 25 avril 2008
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