Celestin Freinet

Celestin Freinet

Célestin Freinet

Célestin Freinet est un pédagogue français, né le 16 octobre 1896 à Gars dans les Alpes-Maritimes, mort le 8 octobre 1966.

Freinet est l'inventeur d'une pédagogie rigoureuse fondée sur des techniques novatrices : plan de travail, production de textes libres, imprimerie, individualisation du travail, enquêtes et conférences, ateliers d'expression-création, correspondance scolaire, éducation corporelle, réunion de coopérative (OCCE). Il expérimente sa conception de l'enseignement en fondant une école à Vence, devenue publique en 1991.

Élise Freinet, son épouse, est à l'initiative de l'« art enfantin ».

Sommaire

Biographie

Freinet naît en 1896 dans le petit village de Gars, dans les Alpes-Maritimes. Il fait ses études à Grasse (école primaire supérieure) et à l'école normale d'instituteurs de Nice.

Les débuts

Il devient instituteur à Bar-sur-Loup peu après la Première Guerre mondiale, en 1920. Il se lance dans le mouvement de l'Éducation nouvelle. Blessé à la poitrine lors de la guerre, ne pouvant parler longtemps, il ne pouvait faire la classe de façon traditionnelle. Certaines lectures l'aident à concevoir une pratique pédagogique qu'il appellera "moderne" : il s'inspire notamment du philosophe américain John Dewey. Divers voyages lui permettront de découvrir des méthodes alors inconnues en France. En 1925, il visite l'URSS en tant que membre d'une délégation syndicale et fait ainsi la connaissance de l'épouse de Lénine, Nadejda Kroupskaïa, alors Ministre de l'éducation. D'autre part, il devient en particulier l'ami du pédagogue suisse Adolphe Ferrière. Freinet se distingue de Ferrière, chrétien, par son anticléricalisme, même si, lorsqu'il avait visité en 1922 des écoles libertaires de Hambourg, il n'avait guère trouvé probante cette pédagogie, la trouvant trop individualiste et trop peu organisée.

Sa pédagogie

L'imprimerie dans les techniques Freinet

Quand, en 1928, Freinet quitte Bar-sur-Loup pour s'installer à Saint-Paul-de-Vence, où il a été muté avec son épouse Élise, il a déjà mis en œuvre l'essentiel de ses méthodes : l'imprimerie, la correspondance interscolaire, la coopérative scolaire, et il a même mis sur pied, au niveau national, la Coopérative de l'enseignement laïc (CEL). Grâce à sa participation à des congrès nationaux et internationaux, il s'est déjà fait un nom dans le monde pédagogique.

Sa pédagogie, qui entend faire de la classe un atelier, est incarnée dans ses dialogues par le personnage du « père Mathieu », dont « M. Long », instituteur très marqué par la IIIe République, aux idées modernistes un peu courtes, constitue l'antithèse. Elle insiste, comme celle de Dewey, sur le rôle du travail et de la coopération dans l'apprentissage, ainsi que sur l'insertion de l'école dans la vie locale, y compris politique (d'où des relations houleuses avec le maire).

Freinet ne s'est pas contenté de rattacher l'activité des élèves à la responsabilité et à la production intégrale d'un journal, impression comprise : il a théorisé également le « tâtonnement expérimental ». Il assimile l'autorité du maître à une violence. En effet, quand le travail de l'écolier est correctement organisé, il passionne l'élève et il n'est plus besoin d'autorité ni de discipline. Cette pédagogie est d'inspiration socialiste, mais aussi volontiers naturaliste et anti-intellectualiste (d'où le personnage du « Père Mathieu », berger de son état, qui représente la nature et le bon sens, l'équilibre avec le monde et ses « invariants »). L'intellectuel est décrit par Freinet comme une grosse tête, munie de bras atrophiés, une sorte de monstre. Qui voudrait que ses enfants lui ressemblent ?

L'éducation traditionnelle exagère le rôle des connaissances et des performances intellectuelles. On peut la comparer à l'industrie, par opposition à la nature et à l'artisanat. L'enfant est une « plante », qu'il faut aider à se développer harmonieusement, en respectant certains « invariants » de la pédagogie.

Mais Freinet a critiqué également la pédagogie du jeu, comme d'ailleurs le philosophe Alain. C'est parce que l'enfant est dépouillé de responsabilités réelles que son activité se réfugie dans le jeu. L'éducateur, en le responsabilisant et en le considérant comme un adulte, l'aidera à grandir de façon naturelle. Contrairement à la plupart des autres pédagogues, Freinet considère que l'enfant et l'adulte ont pour l'essentiel la même nature. Il voit même là le premier « invariant » pédagogique.

Freinet distingue cependant le « jeu-haschich » du « jeu-travail », moins critiquable, et enfin du « travail-jeu », c'est-à-dire du travail non aliéné, en accord avec la spontanéité de l'enfant, dans les phases de répétition du « tâtonnement expérimental ». Il faut rattacher cela à sa conception volontiers vitaliste de l'enfant, comme énergie ascendante de la vie. « Les aigles ne prennent pas l'escalier ».

Hors de l'école publique

Il crée en 1935 son école à Vence après avoir été la cible de l'extrême droite à Saint-Paul-de-Vence, où il enseignait, conflit qui prend rapidement l'ampleur d'une affaire nationale. À cette occasion, il a maille à partir avec le Ministre de l'Éducation nationale, Anatole de Monzie, l'auteur des Instructions de 1925 sur l'enseignement de la philosophie. Le député communiste Gabriel Péri défendit le pédagogue à l'Assemblée nationale, puis en audience auprès de De Monzie. Maurice Wullens, présent lors de cet entretien, en fit le récit dans la revue Les Humbles. Le 21 juin 1933, les notables de Saint-Paul-de-Vence obtiennent de De Monzie le déplacement d'office de Freinet « dans l'intérêt de l'école laïque » (sic).

Celui-ci refuse cette décision et quitte l'Éducation nationale pour créer sa propre école à Vence. Il y accueille des élèves juifs allemands, qui fuient le nazisme[réf. nécessaire]. Le 23 juillet 1936, Jean Zay (1904-1944), nouvellement nommé ministre de l'Education par Léon Blum, autorise l'ouverture de son école du Pioulier à Vence. Cette école, devenue école publique en 1991 à statut expérimental, existe toujours. Elle a été dirigée pendant plus de 25 ans, jusqu'en 2009, par Carmen Montès. Le fonctionnement de cette école a été décrit dans une étude ethnographique et didactique[1].

Interné durant la guerre

En avril 1940, Freinet est arrêté en tant que militant communiste et est interné dans plusieurs camps du sud de la France, dans le Var, l'Ardèche et le Tarn. Son école est fermée. Ce sera néanmoins pour lui l'occasion de rédiger ses textes pédagogiques fondamentaux, auxquels il mettra la dernière main après sa libération (29 octobre 1941). Assigné à résidence à Vallouise (Hautes-Alpes), il prend contact avec la Résistance. Il finira la guerre en tant que chef d'un maquis.

Après la guerre

Dès 1945, le Parti communiste français orchestre une campagne sournoise envers Freinet. Celui-ci est en effet accusé d'avoir collaboré avec le régime de Vichy. À partir de 1950, il est accusé de diffuser une pédagogie bourgeoise. Il quitte le parti en 1952, quand la cellule communiste de sa coopérative est dissoute autoritairement par la direction du parti.

En 1946, il publie L'École Moderne Française et rouvre avec sa femme une école privée. Les Freinet habitent désormais à Cannes, dans les locaux de la CEL. Freinet se consacre entièrement à son école.

En 1947, l'Institut Coopératif de l’École Moderne création (ICEM) est créé. En 1957, c'est au tour de la Fédération Internationale des Mouvements de l'École Moderne (FIMEM) de voir le jour.


Influences et postérité

Freinet met au point une pédagogie originale, basée sur l'expression libre des enfants : texte libre, dessin libre, correspondance interscolaire, imprimerie et journal scolaire, etc., à laquelle son nom restera attaché : la pédagogie Freinet, qui se perpétue de nos jours. Cependant, il faut signaler que la pédagogie Freinet contemporaine est très influencée par le courant de la pédagogie institutionnelle, qui insiste sur le rôle de la parole et du débat, alors que Célestin Freinet pensait avant tout en termes d'organisation du travail et de coopération. Dans certaines techniques Freinet, telles qu'elles sont aujourd'hui pratiquées, on ne retrouve pas la philosophie qui les a inspirées. En revanche, l'école Freinet de Vence s'efforce de préserver l'esprit et les techniques inventées par Freinet. Cette école est dirigée jusqu'en 2009 par Carmen Montès, qui fut choisie en 1975 par Élise Freinet. Élise Freinet fit venir en 1978 Brigitte Konecny, qui pratique la méthode naturelle de lecture au CP.

En France, on a parfois exagéré la nouveauté de son inspiration par ignorance de l'histoire de la pédagogie, en particulier des apports de Dewey ou de la pédagogie suisse. On sait que Freinet avait déjà lu certains textes de Dewey entre 1922 et 1925. On a pourtant construit la légende d'un Freinet qui aurait inventé l'ensemble de la pédagogie nouvelle en s'appuyant sur ses seules expérience et inventivité pédagogiques, ainsi que sur l'observation de la nature, portée par le bon sens paysan. Jacques Bens, gendre de Freinet et lui-même freinetien, a notamment écrit : « Une légende a longtemps couru, dans les milieux de l'éducation, selon laquelle Célestin Freinet aurait été une sorte d'autodidacte, dont les découvertes seraient dues à l'heureuse rencontre d'une observation attentive de la vie rurale, pendant son enfance paysanne, et d'une intuition peu commune »[réf. nécessaire]. De façon assez complémentaire, d'autres accusent Freinet, à tort, de tous les errements de la pédagogie.

Freinet diffuse sa première innovation, le texte libre imprimé par les enfants eux-mêmes, grâce aux conférences qu'il anime. C'est une sorte d'expression limite de la philosophie des Lumières, qui insiste sur l'autonomie au risque de sous-estimer l'importance de la culture et de l'enracinement historique[2]. En revanche, on peut créditer Freinet de préoccupations écologiques avant la lettre. D'ailleurs, Célestin et Élise Freinet ont conçu leur école, en 1934-1935, comme une « réserve d'enfants » située dans un milieu paysage[3].

Monographies, films, et évocations littéraires

  • Henri Peyronie, Freinet : pédagogie et émancipation, Hachette éducation, coll. Portraits d'éducateurs, 1999, 2e édition en 2001. Extraits de ses écrits.
  • L'École buissonnière, un film de Jean-Paul Le Chanois (1949) qui raconte la vie romancée de Célestin Freinet.
  • L'homme qui laissait les enfants rêver, un téléfilm français de Daniel Losset (première diffusion sur France 3 en 2006), qui retrace l'affaire de Saint-Paul-de-Vence ; Freinet y est incarné par Alexandre Thibault.
  • Dans son roman autobiographique Une enfance volée (Denoël, 1994), René Frégni consacre un long passage aux deux années scolaires que le narrateur, un petit garçon turbulent prénommé René-Jean, passe à l’école de Vence, sous l’autorité de « Papa Freinet » et « Maman Freinet ». Voici comment il raconte le jour de la rentrée :
« 

À l’école Freinet, il faut l’avouer, des grilles il n’y en avait pas. Nous nous sommes engouffrés dans la classe en désordre et en chahut, sans cartables, sans rangs et sans appels. Une école à discipline gentille. Chacun a choisi sa place, je me suis précipité contre la fenêtre où les pins viennent jouer si près de votre joue qu’on se croirait dehors. (…) On ne m’a pas demandé grand chose. Les autres se sont occupés comme s’ils n’avaient jamais quitté la classe, ils se sont organisés par petits groupes pour faire de l’imprimerie, de la gravure et du dessin, ils s’expliquaient les choses comme des artisans. Ils pouvaient parler assez fort. Papa Freinet passait d’un groupe à l’autre avec un bon conseil, il n’avait pas de blouse et comme il était petit on aurait dit une classe sans instituteur avec des enfants qui jouent à être devenus grands. Il n’y avait pas de livres, rien pour trahir les mauvais yeux.

 »
  • On peut lire l'ouvrage publié par la fille d'Élise et Célestin Freinet, Madeleine Freinet, qui est un recueil de lettres échangées entre Freinet et Élise lors de l'internement du pédagogue en 1940 : Freinet, M. (2004). Correspondance. Paris : PUF.
  • Le premier tome d'une biographie de Freinet (en cours de re-publication avec le tome 2 inédit) : Freinet, M. (1997). Elise et Célestin Freinet. Paris : Stock.

Hommage

L'Institut universitaire de formation des maîtres de l'Académie de Nice porte le nom de Célestin Freinet, à la suite d'une proposition du directeur René Lozi et sur vote du Conseil d'administration de l'IUFM.


Bibliographie

Ouvrages de Célestin Freinet

  • L'École Moderne Française, 1946.
  • Œuvres pédagogiques, Seuil, 1994. Édition en deux tomes établie par Madeleine Freinet.
    • Tome 1 : L’éducation du travail [1942-1943] - Essai de psychologie sensible appliquée à l’éducation [1943].
    • Tome 2 : L’école moderne française [1943. Autre titre : Pour l'école du peuple, 1969] - Les dits de Matthieu [1954] - Méthode naturelle de lecture [1963] – Les invariants pédagogiques [1964] - Méthode naturelle de dessin - Les genèses.
  • Touché ! Souvenirs d'un blessé de guerre, récit, Ateliers du Gué, 1996.

Études sur Célestin Freinet

  • H-L. Go, Freinet à Vence. Vers une reconstruction de la forme scolaire, Rennes, PUR, 2007.
  • Guy Goupil, Comprendre la pédagogie Freinet. Genèse d'une pédagogie évolutive, Mayenne, Éditions des Amis de Freinet, 2007.
  • Michel Barré, Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps, 2 tomes, PEMF, 1995 et 1996. Version remise à jour et restructuré en 2008 en ligne

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. H-L. Go, Freinet à Vence. Vers une reconstruction de la forme scolaire. Rennes : PUR, 2007
  2. Voir les critiques d'Hannah Arendt à ce sujet
  3. Vers une nouvelle forme scolaire ? Une étude de l'école Freinet de Vence, thèse de doctorat de Henri Go, Université de Rennes 2, 2005.
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