Cantons rédimés

Cantons rédimés

Cantons de l'Est (Belgique)

Les cantons de lEst, par certains appelés cantons rédimés[1], se composent de l'ancienne circonscription (Kreis) prussienne d'Eupen-Malmedy et de Moresnet neutre (Kelmis), rattachés à la Belgique en 1919 au titre de dommages de guerre en application du traité de Versailles (article 34). Une tentative de négociations secrètes entre les gouvernements belge et allemand pour permettre à celui-ci de racheter les cantons de lEst échouera en 1925 face au refus opposé par la France à toute remise en cause du traité de Versailles.

Sommaire

Communes du canton

Au début des années 1920, les communes sont regroupées en trois cantons : Eupen, Malmedy et Saint-Vith. Un évêché dEupen-Malmedy est provisoirement établi en 1921, après une polémique ayant opposé le Saint-Siège et le primat de Belgique, mais dès 1925 les cantons sont rattachés à la province de Liège et le nouvel évêché absorbé par celui du chef-lieu (Liège).

Les communes des cantons de lEst ont, comme dans le reste de la Belgique, subi des fusions en 197677, et sont passées de 31 à 11 (anciennes communes entre parenthèses):

Configuration linguistique des Cantons de lEst et des communes belges voisines

À partir de 1920, la population locale a baptisé « Neubelgien » (Nouvelle Belgique) les cantons de lEst, les communes germanophones qui faisaient déjà partie du royaume de Belgique étant dès lors qualifiées de « Altbelgien » (Ancienne Belgique). La situation linguistique de cette zone est assez complexe car se situant à la fois sur la frontière entre les langues latines et germaniques et sur des isoglosses séparant plusieurs dialectes germaniques.

On distingue ainsi :

Sur le plan linguistique, les Cantons de lEst ne doivent donc pas être confondus avec la région de langue allemande créée en 1963 ni avec la Communauté germanophone de Belgique.

Voir également la cartographie des dialectes germaniques, plus particulièrement les dialectes 30, 36 et 37 couvrant les cantons de l'Est en Belgique.

Avant 1795

Avant 1795, Eupen fait partie du Duché du Limbourg (sous la tutelle du Duché du Brabant), Malmedy de la Principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy et Saint-Vith du Duché de Luxembourg.

17951815 : Ladministration française

Lannexion de la principauté de Stavelot-Malmedy à la France se fait par le décret du 9 Vendémiaire an IV (1/10/1795), elle était déjà de facto rattachée depuis le 14 Fructidor an III (31 août 1795) au nouveau département de lOurthe (carte), dont le chef-lieu est Liège et qui sétend plus à lest que lactuelle province de Liège, donc dans lAllemagne actuelle, jusquà Schleiden et Kronenburg, plus des enclaves dans le département de la Sarre (Schüller, Steffeln, Dhom).

18151919 : Ladministration prussienne

Carte de la Belgique en 1843 avec les frontières d'alors : les Cantons de l'Est font alors partie de l'aire allemande

Le Congrès de Vienne fixe en mai-juin 1815 la frontière entre le Royaume des Pays-Bas et le Royaume de Prusse[3].

Est donc annexée à la Prusse la ville majoritairement francophone de Malmedy, la langue française restera dailleurs celle des débats au conseil communal et le bourgmestre nommé par la France en 1801, Jean-Georges Delvaux, reste en place jusquen 1822. Ceci explique que certains, comme lAbbé Nicolas Pietkin, parlent de « Wallonie prussienne ». Même le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV aurait qualifié Malmedy, au cours dune visite en 1853, de « petit pays lon parle français ». À partir de larrivée de Bismarck au pouvoir en Prusse, en 1862, une politique de germanisation forcée des minorités se met en place, comme dans le reste de lAllemagne. Le conseil communal de Malmedy est par exemple obligé de se tenir exclusivement en allemand à partir de 1876 alors quil est majoritairement composé délus francophones. Lenseignement se fait en allemand à partir de 1879, et dix ans plus tard lapprentissage du français disparaît du programme scolaire[4].

Lannexion à la Prusse des autres communes, pourtant germanophones, ne se fait pas non plus sans craintes de la part dune partie de la population, catholique et méfiante à légard dun État protestant, mais en cela elle ne diffère guère des autres catholiques rhénans. Les habitants (germanophones) de Kronenburg par exemple, luxembourgeoise avant 1795 et prussienne à partir de 1815, font un très bon accueil aux Français en 1795 et en gardent dexcellents souvenirs par la suite, alors que lannexion à la Prusse marque le déclin de cette petite bourgade de lEifel à cause dune administration inefficace conjuguée au désintérêt du pouvoir central[5]. Il a dailleurs existé des tendances séparatistes en Rhénanie jusquaprès la Première Guerre mondiale, avec une éphémère République rhénane en 19191923.

19191925 : Ladministration provisoire belge

Le plébiscite des habitants est organisé entre le 26 janvier et le 23 juillet 1920 par le haut-commissaire royal, le lieutenant-général Herman Baltia, de telle manière que seuls 271 électeurs sur 33.726 osent sexprimer en faveur dun maintien de ces communes en Allemagne : le vote nest pas secret et la crainte est forte de se voir expulsé ou à tout le moins de se voir retirer sa carte de ravitaillement.

À lépoque, seul le Parti ouvrier belge (POB) dénonce ce procédé, notamment par la voix dEmile Vandervelde et de Louis De Brouckère, ce dernier déclarant encore en 1926 qu’« il nest pas dans lintérêt véritable de mon pays de créer une petite Alsace à sa frontière ».

Les habitants des cantons de lEst, nétant pas encore pleinement de nationalité belge, nont pas le droit de participer aux élections législatives avant 1925. Par la suite, ils ne seront dailleurs jamais des Belges à part entière puisque considérés comme nétant pas belges de naissance et donc susceptibles dêtre déchus de leur nationalité, à linstar dimmigrés naturalisés. De telles déchéances seront prononcées par les tribunaux belges à la fin des années 1930 à lencontre de dirigeants politiques autonomistes.

19251940 : Lintégration à la Belgique

Lors des premières élections législatives auxquelles ils peuvent voter le 5 avril 1925, 60 % des électeurs des cantons de lEst votent pour le Parti catholique et 25 % pour le POB. Toutefois, lopposition du Parti catholique à toute autonomie pour cette région aboutit en 1929 à la création du Christliche Volkspartei EupenMalmedySaint-Vith qui remporte les élections suivantes avec 52,1 % des voix pour lensemble des trois cantons, contre 19,4 % pour le Parti catholique et 23,3 % pour le Parti ouvrier belge, qui avait pourtant encore réclamé un nouveau référendum dautodétermination en 1926.

Dans les années 1930, la tension augmente à un tel point que quatre dirigeants du Heimatbund, dont lancien président du Christliche Volkspartei, A.J. Dehottay, sont expulsés vers lAllemagne et déchus de leur nationalité belge en 1935. Cela a pour effet que ce parti ne présente pas de candidats aux élections législatives de 1936 et appelle à rejoindre le Heimattreue Front (Front patriotique), une organisation visant au rattachement des cantons de lEst à lAllemagne. Le Heimattreue Front prône le vote blanc, qui recueille la majorité absolue, alors que le Parti catholique emporte 53 % des suffrages exprimés, le POB 12,7 % et les rexistes 26,4 %.

Aux élections suivantes, en 1939, le Parti catholique obtient 38,6 %, le POB 4 % et le Parti libéral 3,4 %, alors que le Heimattreue Front recueille 45,1 % des suffrages, ce qui constitue pourtant un succès moins absolu que dans dautres régions germanophones limitrophes de lAllemagne, la région des Sudètes, Danzig ou Memel, le pourcentage des « organisations patriotiques » pro-nazies dépasse alors les 80 %.

LÉtat belge procède à de grands travaux : les barrages de Bütgenbach, Robertville et Eupen sont érigés. Devenu le point le plus élevé du pays, Botrange (694 m) se voit en 1923 accru de 6 mètres par la construction d'une butte (la "butte Baltia") pour atteindre les 700 mètres, et doté dune tour en 1934.

19401945 : La réannexion à lAllemagne

En 1940, la région est réintégrée au Reich pour retourner à la Belgique en 1945 non sans que loffensive des Ardennes nait exposé Saint-Vith et Malmedy à la destruction presque totale.

Comme en Alsace-Lorraine et au Grand-Duché de Luxembourg annexés par lAllemagne, les habitants des cantons de lEst sont soumis à la conscription en tant que citoyens allemands, quils sont (re)devenus depuis le 23 septembre 1941, et forcés de combattre dans la Wehrmacht de gré ou de force, comme pour les malgré-nous mosellans et alsaciens. Sur les 8000 conscrits, 3400 sont tués ou portés disparus.

1945 : La réintégration à la Belgique

Après la guerre une féroce répression pour cause de suspicion de collaboration sabat sur les habitants des cantons de lEst, dont le quart, comparé à une moyenne nationale de 4,15 %, est visé par des dossiers dinstruction de ce chef en 19461947, même si en fin de compte la proportion de procès et de condamnations par rapport aux dossiers ouverts se révèle plus faible quau niveau national.

En 1947 commence lexploration scientifique des Hautes Fagnes par lUniversité de Liège qui aboutira à la création dune réserve naturelle dix ans plus tard qui évoluera en parc naturel des Hautes Fagnes par la suite.

1963 : Création de la région de langue allemande

Dans la foulée des lois linguistiques, une région de langue allemande est créée, qui comprend les communes suivantes[6] :

Eupen, Eynatten, Hauset, Hergenrath, Kettenis, La Calamine (Kelmis), Lontzen, Neu-Moresnet, Raeren, Walhorn, Amblève (Amel), Bullange (Büllingen), Butgenbach (Bütgenbach), Crombach, Elsenborn, Heppenbach, Lommersweiler, Manderfeld, Meyerode, Recht, Reuland, Rocherath, Saint-Vith, Schönberg et Thommen.

Larticle 8 des mêmes lois précise que

Sont dotées dun régime spécial en vue de la protection de leurs minorités :
1° dans larrondissement de Verviers, les communes de la région de langue allemande;
2° dans larrondissement de Verviers, les communes de : Bellevaux-Ligneuville, Bevercé, Faymonville, Malmedy, Robertville et Waimes. Elles sont dénommées ci-après « communes malmédiennes »;

Ces entités prendront nom de communautés culturelles au début des années 1970 : Malmedy et ses environs appartiendront à la communauté culturelle française ; les communes du pays dEupen et de lEifel formeront la communauté culturelle allemande. Celle-ci connaîtra encore un avatar en devenant Communauté germanophone de Belgique.

Voir aussi

Résultats des recensements linguistiques des communes à facilités linguistiques

Notes

  1. cantons "rédimés", pourrait venir du latin "redimere", restituer, pour évoquer le retour de ces cantons dans le giron belge, voir page de discussion
  2. ulaval.ca
  3. « ... Dans lancien département de lOurte, les cinq cantons de Saint-Vith, Malmedy, Cronenbourg, Schleyden et Eupen, avec la pointe avancée du canton dAubel, au midi dAix-la-Chapelle, appartiendront à la Prusse, et la frontière suivra celle de ces cantons, de manière quune ligne tirée du midi au nord coupera la dite pointe du canton dAubel et se prolongera jusquau point de contact des trois anciens départements de lOurte, de la Meuse-Inférieure et de la Roer ... » euro-support.be et acte du congrès de Vienne
  4. ulg.ac.be
  5. (de)nordeifel.de
  6. article 5 des Lois du 18 juillet 1966 sur lemploi des langues en matière administrative

Liens externes

Sources

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