- Traité de Lhassa
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Traité de Lhassa Titre Convention entre la Grande-Bretagne et le Tibet Pays Royaume-Uni Tibet Territoire d’application Tibet Type Traité Signature 7 septembre 1904 Texte Texte sur Wikisource modifier Le traité de Lhassa a été signé le 7 septembre 1904, dans le palais du Potala à Lhassa capitale du Tibet, entre les Britanniques et le gouvernement tibétain[1].
Ce traité reconnaissait les frontières entre le Sikkim et le Tibet. Des villes du Tibet sont ouvertes au commerce anglais. Jusqu'à la fin du règlement par le Tibet d'une indemnité financière, la Grande-Bretagne d'une part occupera la vallée de Chumbi et d'autre part aucune autre puissance ne pourra résider, intervenir ou avoir de concessions pour le chemin de fer ou des gisements miniers au Tibet. Ce traité reconnaît de facto l'indépendance du Tibet et de toute tutelle chinoise annulant ainsi les accords de 1890 et 1893 entre la Chine et les Britanniques. Le traité a été ratifié à Simla le 11 novembre 1904, réduisant l'occupation de la vallée de Chumbi, et des 2/3 l'indemnité[2].
Suite à des réactions internationales, le traité aurait été remis en cause notamment avec le traité de Pékin en 1906.
Sommaire
Contexte
Le Grand Jeu
En Asie
Dans le cadre du Grand Jeu, la Russie impériale et la Grande-Bretagne s'opposent en Asie au XIXe siècle, sans jamais s'affronter directement (mis à part le seul épisode de la guerre de Crimée). L'empire russe, puissance continentale, cherche à consolider ses acquis de la Mer Noire depuis la fin du XVIIIe siècle qu'il avait obtenus grâce à ses victoires sur l'Empire ottoman et parallèlement s'étend au long du XIXe siècle vers le Caucase et l'Asie centrale. L'Empire britannique cherche à étendre l'Empire des Indes, et y protéger ses intérêts. Les Russes comptent utiliser le Tibet pour approcher les marchés sud asiatiques alors les britanniques espèrent une ouverture vers le marché chinois[3]. Les Russes - les premiers à faire une tentative - essuient un échec.
L'hypothèse d'une influence russe au Tibet
En 1903 Lord George Curzon, vice-roi d'Inde et Sir Francis Younghusband, sont tous les deux convaincus que la Russie et le Tibet ont signé des traités secrets qui menacent les intérêts britanniques en Inde, et soupçonnent Agvan Dorjiev, un Bouriate et un citoyen russe proche du 13e dalaï-lama, de travailler pour le gouvernement russe[4],[5], ce qui sert d'excuse pour l'invasion britannique du Tibet en 1904.
Des rumeurs courent également selon lesquelles Dorjiev est en charge de l'arsenal de Lhassa et qu'il dirige des opérations militaires depuis le fort de Gyangzê Dong[6]. Il apparait finalement que ces rumeurs sont dénuées de tous fondements et qu'il n'y a donc aucune preuve permettant de croire que Dorjiev est un agent du tsar, même s'il a à plusieurs reprises été envoyé comme ambassadeur du dalaï-lama pour essayer d'obtenir le soutien de la noblesse russe[7].
Le 14e Dalai Lama déclare à propos de Dorjiev :
- « Évidemment, le 13e Dalai Lama avait un vif désir d'établir des relations avec la Russie, et je pense également qu'il était quelque peu sceptique envers l'Angleterre au début. Puis vint Dorjiev. Pour les Anglais il était un espion, mais en réalité, c'était un bon savant et un moine bouddhiste sincère qui avait une grande dévotion pour le 13e Dalaï Lama. » [8].
Les négociations avec la Chine (1876-1893)
À la fin du XIXe siècle, Les Britanniques négocient avec la Chine des accords afin de leur permettre l'accès aux territoires du Tibet. En 1876, ils obtiennent lors de la convention de Chefoo, un droit de passage sur le territoire tibétain.[réf. nécessaire]
En 1890, le traité sur le Sikkim est signé à Calcutta, il détermine la frontière entre le Sikkim et le Tibet. En 1893 le « Tibet Trade Regulation » autorise le commerce britannique au Tibet[9],[10].
Cependant les Britanniques prennent conscience que les Chinois sont dans l'incapacité de faire appliquer ces accords aux Tibétains[11]. Les Britanniques changent alors de stratégie et décident de négocier directement avec le gouvernement tibétain.
Les négociations avec le Tibet (1899 - 1904)
Lord Curzon, vice-roi des Indes de 1899 à 1905, indique :
- « Nous considérons la prétendue suzeraineté de la Chine sur le Tibet comme une fiction constitutionnelle. »[12].
George Curzon, assuré de l'inertie des Russes aux prises avec l'empire japonais en Extrême-Orient avec la guerre russo-japonaise qui se déroule du 8 février 1904 au 5 septembre 1905, tente de prendre contact avec le gouvernement du Tibet, mais ce dernier ne répond pas à cette sollicitation[13]. Aussi en 1903, les Britanniques répondent à cette indifférence à leur égard par une mission diplomatique britannique appuyée par une force militaire commandée par Sir Francis Younghusband qui se rend à Lhassa. Quand cette expédition militaire britannique au Tibet atteint la capitale Lhassa, le 13e Dalaï Lama a déjà fui à Urga - la capitale de la Mongolie[14] accompagné du Russe Agvan Dorjiev Dorjieff. Il y est reçu par le Bogdo Gegen et les représentants Russes, ces derniers en guerre contre le Japon ne peuvent pas intervenir au Tibet.
Le colonel Francis Younghusband pour le gouvernement britannique, signe un traité avec Lobsang Gyaltsen, le Ganden Tripa, les représentants du Conseil des trois monastères de Sera, Drepung, et Ganden et les délégués laïques et religieux de l'Assemblée nationale pour le Gouvernement du Tibet.[réf. nécessaire]
Clauses du traité
Dès l'arrivée à Lhassa de Francis Younghusband le 1er août 1904, les Britanniques entament les négociations avec le régent, le Kashag (cabinet des ministres du gouvernement tibétain) et l'amban chinois You Tai. La présence de ce dernier et des délégués népalais et bhoutanais est symbolique. Ces négociations permettent de signer le traité de Lhassa le 7 février 1904, dans le Palais du Potala. Ce traité se décline en 10 articles.
Les frontières entre le Sikkim - protectorat britannique depuis 1890 - et le Tibet sont confirmées. Outre Yatoung, les villes de Gyantsé et de Gartok sont ouvertes au commerce britannique. À titre de compensation le gouvernement tibétain s'engagent à verser une indemnité de guerre de 75 lacks[15] de roupies payables par annuités sur 75 ans. Jusqu'à la fin du règlement de cette indemnité d'une part la Grande-Bretagne occupera la vallée de Chumbi et d'autre part aucune autre puissance ne pourra résider, intervenir ou avoir de concessions pour le chemin de fer ou les mines au Tibet. Selon Laurent Deshayes ce traité place le Tibet dans la « zone d'influence britannique » et reconnaît « de facto l'État tibétain comme politiquement séparé et libre de toute tutelle chinoise » annulant ainsi les accords de 1890 et 1893 entre la Chine et les Britanniques[16].
À l'issue de la signature de cette convention, les militaires britanniques et Francis Younghusband quittent Lhassa le 23 septembre 1904.
Le traité a été ratifié à Simla le 11 novembre 1904, réduisant l'occupation de la vallée de Chumbi, et des 2/3 l'indemnité[2].
Par ce traité, la Grande-Bretagne reconnaissait le Tibet comme pays souverain[17].
Conséquences
Les réactions internationales
Dès le début de la mission britannique, la France intervient auprès de la Chine pour lui demander de renforcer sa présence militaire dans les territoires de ses Marches dans la crainte de bouleversements des secteurs proche de l'Indochine française.[réf. nécessaire]
Les Russes protestent rapidement contre le traité de Lhassa. La Grande-Bretagne fait alors marche arrière et rejette la responsabilité des termes du traité sur Francis Younghusband soutenu par Curzon. Le traité est qualifié de simple arrangement et ses termes en sont modifiés. L'indemnité est réduite à 25 lacks, la Grande Bretagne s'engage à évacuer la vallée du Choumbi à la troisième annuité et les agents britanniques ne pourront désormais plus pénétrer à Lhassa. Les Russes sont ainsi rassurés.[réf. nécessaire]
La traité de Pékin en 1906
La Chine, exclue des affaires du Tibet, refuse le traité de Lhassa. Les britanniques acceptent de réviser le traité directement avec les Chinois. En 1905, la Chine se déclare responsable du paiement des indemnités financières. L'indemnité sera réglée par la Chine à la Grande-Bretagne en trois annuités seulement. Celles-ci seront payées en 1906, 1907 et 1908. Londres conserve ses trois comptoirs.[réf. nécessaire]
Le 27 avril 1906, la Chine et la Grande-Bretagne, à l'insu des Tibétains, signent à Pékin un traité, la Convention sur le Tibet entre la Grande-Bretagne et la Chine. « Le gouvernement de la Grande-Bretagne s'engage à ne pas annexer le territoire tibétain et à ne pas intervenir dans l'administration du Tibet. Le gouvernement de la Chine s'engage également à ne permettre à aucune autre puissance étrangère de s’infiltrer sur le territoire ou dans l'administration interne du Tibet » (Article II).
La convention anglo-russe de 1907
La convention anglo-russe de 1907 est un accord signé le 31 août 1907 entre la Grande-Bretagne et la Russie impériale à Saint-Petersbourg. Ce traité, signé dans le cadre de la Triple-Entente, définit les sphères d'influence respectives de la Russie et de la Grande Bretagne en Perse, en Afghanistan et au Tibet. Concernant ce dernier et suite à l'expédition britannique au Tibet en 1903 et 1904, les deux puissances sont convenues de maintenir l'intégrité territoriale de cet état tampon et de ne traiter avec Lhassa que par l'intermédiaire de la Chine, désigné dans cette convention comme puissance suzeraine.
Selon le Centre d'Informations Internet de Chine cette convention serait le premier document international qui substitue le terme suzeraineté à souveraineté[18].
Cependant, selon le Dr. Hienstorfer du Scientific Research Service for International Law, la Chine a persisté à revendiquer une suzeraineté sur le Tibet sur la base d'un traité de 1720. Le Tibet considére cependant que le traité est caduc depuis la chute de la dynastie Qing en 1911. Le traité n'étant pas disponible, il n'est pas possible d'analyser la controverse[19]
Par ailleurs, ainsi que le rappela le 14e dalaï lama dans sa lettre au Secrétaire général de l'ONU datée du 29 septembre 1960, le Tibet n’était pas représenté lors des débats qui menèrent à la signature de la Convention anglo-russe, et il n'est donc pas lié à ce traité[20].
Invasion du Tibet par l'armée impériale mandchoue (1910-1912)
L'armée impériale mandchoue tenta de réaffirmer son influence en 1910 en envahissant le Tibet et en occupant Lhassa[21].
La conférence de Simla de 1913
En 1913, les Britanniques convoquent une Conférence à Simla, en Inde, pour évoquer le problème du statut du Tibet[22]. À cette conférence, assistent les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne, de la Chine, et du Tibet. La conférence s'ouvre le 6 octobre 1913 sous l'égide de Henry Mac-Mahon. Sous le Raj britannique, les Britanniques souhaitent que le Tibet devienne un État tampon pour contrer l'influence de la Russie[23] et endiguer les poussées expansionnistes chinoises. Les Tibétains souhaitent la reconnaissance de leur indépendance, décrétée en 1912 par le 13e Dalaï Lama, et l'intégrité de leur territoire. Les Chinois, quant à eux, veulent intégrer à leur territoire les zones tibétaines orientales du Kham[réf. nécessaire] conquises par les troupes du général et seigneur de guerre Zhao Erfeng en 1908 et revendiquent lors de la conférence une souveraineté sur le Tibet. Pour résoudre ces différends et les problèmes frontaliers, Henry Mac-Mahon tranche le 11 mars 1914 en proposant un accord - la Convention de Simla - qui définit la frontière entre l'Inde et le Tibet par la ligne Mac-Mahon et divise le Tibet en : « Tibet Extérieur » (correspondant aux territoires tibétains à l'ouest du Yangtsé[23]) sous l'administration du gouvernement du Dalaï Lama ; et « Tibet Intérieur » (correspondant aux régions tibétaines limitrophes de la Chine, une partie du Kham et de l'Amdo[23]) où Lhassa aurait uniquement l'autorité spirituelle. Les deux secteurs sont considérés comme étant sous la « suzeraineté » chinoise[24]. Les Britanniques proposent en outre que la suzeraineté du Tibet soit proposée à la Chine afin de contrer d'éventuelles influences de leurs rivaux russes[23]. Les trois représentants approuvent l'accord le 27 avril 1914[25]. Cependant, Pékin s'oppose à la frontière proposée entre Tibet Intérieur et Extérieur et renie l'accord ainsi que le paraphe de son délégué[26].
Après les tentatives de compromis avec les Chinois, la convention est signée par les plénipotentiaires britanniques et tibétains, déclarant qu'elle entrera en application pour ce qui concerne les relations entre les deux pays et que la Chine ne pourra en bénéficier tant qu'elle ne signera pas l'accord[23].
Ainsi, le Tibet conserve son indépendance de facto, et les Britanniques - qui sont libérés des contraintes liées à la Convention anglo-russe de 1907 après la fin du régime tsariste en Russie - peuvent entretenir des relations diplomatiques avec le gouvernement tibétain indépendamment de la Chine[23].
À voir
Bibliographie
- Histoire du Tibet de Laurent Deshayes 1997, Fayard (ISBN 978-2213595023)
- Tibet, le pays sacrifié, de Claude Arpi préfacé par le Dalaï Lama, Calmann-Lévy, 2000 (ISBN 2702131328)
- Le Grand Jeu, enjeux géopolitiques de l’Asie centrale, sous la direction de Jacques Sapir et Jacques Piatigorsky, éditions Autrement, Paris, 2009
Articles connexes
- Expédition militaire britannique au Tibet (1903-1904)
- Influence britannique au Tibet (1904-1950)
- Convention anglo-russe de 1907
- Le Grand Jeu géostratégique
- Tibet (1912-1951)
- Convention de Simla
- Accord en 17 points sur la libération pacifique du Tibet
- Débat sur la souveraineté du Tibet
Liens externes
Références et notes
- Irenees : L’Inde des britanniques à Nerhu : un acteur clef du conflit sino tibétain.
- Convention entre la Grande-Bretagne et le Tibet
- Le monde de Clio : L’enjeu tibétain au XIXe siècle par Laurent Deshayes.
- (en) Patrick French Younghusband: The Last Great Imperial Adventurer, p. 188. (1994). Flamingo, Londres (ISBN 0-00-637601).
- (en) Martin Saxer (2004). Journeys with Tibetan Medicine: How Tibetan Medicine came to the West: The Story of the Badmayev Family, p. 37. Université de Zurich. Consultable en ligne
- (en) Patrick French. Younghusband: The Last Great Imperial Adventurer, p. 233. (1994). Flamingo, Londres. (ISBN 0-00-637601).
- (en) Patrick French. Younghusband: The Last Great Imperial Adventurer, p. 241. (1994). Reprint: Flamingo, London. (ISBN 0-00-637601).
- (en)Thomas Laird (2006). The Story of Tibet: Conversations with the Dalai Lama, p. 221. Grove Press, N.Y. (ISBN 978-0-8021-827-1).
- La question du Tibet en droit international Stéphane Guillaume,
- Convention Between Great Britain and China Relating to Sikkim and Tibet (1890)
- Bienvenue au Sénat - Tibet : un peuple en danger.
- Claude Arpi, Tibet : le pays sacrifié, Calmann-Lévy, 2000 (ISBN 2702131328).
- L’irruption du Tibet dans le jeu colonial.
- Traité d'amitié et d'alliance entre le Gouvernement de Mongolie et le Tibet sera signé en 1913. Note : Un
- lack correspond à 100 000), soit environ 500 000 livres ou 12,5 millions de francs français en 1904. Note : 75 lacks de roupies (un
- Laurent Deshayes 1997 Éditeur : Fayard Page 235(ISBN 978-2213595023) Histoire du Tibet de
- LE TRIANGLE INDE-TIBET-CHINE, par Claude Arpi, La Revue de l'Inde N°4 – juillet/septembre 2006
- Origine de la soi-disant "indépendance du Tibet", Centre d'Informations Internet de Chine « Le 31 août 1907, la Grande-Bretagne et la Russie signèrent un traité d'alliance, dont certaines clauses utilisaient le terme "suzeraineté" à la place de souveraineté de la Chine sur le Tibet. C'était le premier document international qui substituait le mot "suzeraineté" à celui de souveraineté chinoise sur le Tibet. »
- Report to German Parliament on Tibet (1987)« China continues to base its claim to suzerainty over Tibet on the Treaty of 1720. Tibet, on the other hand, considered the treaty terminated after the fall of the Manchu Dynasty in the year 1911. An evaluation of this dispute is not possible because the treaty is not available for examination. »
- Letter to the Secretary General of the United States, September 29, 1960, the Dalai Lama
- Michael van Walt van Praag, Introduction de The Legal Status of Tibet, Three Studies by Leading Jurists, 1989, Dharamsala, Office of Information & International Relations; « Imperial armies tried to reassert actual influence in 1910 by invading the country and occupying Lhasa. »
- (en)India’s China War, New York, Pantheon, 1970. Maxwell, Neville,
- Michael Harris Goodman, Le dernier Dalaï-Lama ? Biographie et témoignages, Éditeur Claire Lumière, 1993, (ISBN 2-905998-26-1).
- (en)Convention Between Great Britain, China, and Tibet, Simla (1914).
- (en)The China-India Border War, Marine Corps Command and Staff College, avril 1984. Calvin, James Barnard,
- A History of Modern Tibet, 1913-1951: The Demise of the Lamaist State. Berkeley: University of California Press. p. 75. Goldstein, Melvyn C. 1989.
Catégories :- Traité du Tibet
- Traité du Royaume-Uni
- 1904
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