Mission jésuite de Moghol

Mission jésuite de Moghol
Deux jésuites aux débats religieux d'Akbar (1606)

La Mission jésuite de Moghol (ou Mogol) est une œuvre dévangélisation chrétienne entreprise par les Jésuites en Inde du Nord. Arrivés en 1580 à Fatehpur-Sikri comme invités personnels de lempereur Akbar lui-même, les jésuites résidèrent à Agra durant près de deux siècles. Ils furent remplacés par les Pères Carmes lorsque la Compagnie de Jésus fut supprimée (1773). Les Capucins prirent la relève en 1820 lorsque la mission devint le vicariat apostolique du Tibet-Hindustan.

Sommaire

Première mission auprès dAkbar (1580-1583)

Invitation

Des informations venues du Bengale disposent favorablement lempereur Akbar vis-à-vis du christianisme. On lui rapporte que des prêtres avaient réprimandé des marchands portugais pour ne pas avoir payé des taxes légitimement dues aux autorités mogholes. Akbar fait venir à sa cour un prêtre de Satgaon (Bengale). Sestimant peu compétent celui-ci suggère à lempereur de sadresser à Goa pour que lui soient envoyés des jésuites.

En décembre 1578 - de Fatehpur-Sikri qui est sa nouvelle capitale - Akbar envoie une lettre adresséeaux pères principaux de lOrdre de Saint-Paul[1] : « je vous dépêche mon ambassadeur Abdullah pour vous demander de menvoyer deux prêtres érudits avec les livres principaux de la Loi et lÉvangile, de telle sorte que je puisse étudier la Loi et ce qui sy trouve de plus parfait. (...) Que les pères qui viendront sachent quils seront reçus avec le plus grand des honneurs. Je serai enchanté de leur présence. Lorsque jaurai appris la Loi et sa perfection comme je le souhaite, ils seront libres daller bon leur semble (...) »[2]

Lambassade arrive à Goa en septembre 1579 et malgré les réticences du vice-roi portugais, linvitation est acceptée par lévêque et les jésuites. Rodolphe Acquaviva, un Italien de 30 ans récemment arrivé à Goa, Francis Henriques, un Perse converti de lislam, et Antoine Montserrate, Catalan de 43 ans, sont les trois prêtres choisis pour cette mission. Deux mois plus tard ils sont en route et, passant par Surat, Ujjain et Gwalior, le groupe arrive à Fatehpur-Sikri le 28 février 1580.

Fort courtoisement reçus, les pères sont logés dans lenceinte même du palais. Depuis quelque temps déjà Akbar organise dans lIbadat khana des débats de nature religieuse. Officiellement musulman Akbar est peu orthodoxe et ne cache pas sa désaffection. Il a déjà obtenu doulémas le droit de faire passer comme décrets légaux certaines interprétations libérales personnelles. Religieux et dévot mais esprit ouvert et curieux il cherche pour son empire une religion, ou philosophie religieuse, qui rassemble le meilleur des diverses traditions.

Débats religieux

Les pères sont immédiatement engagés dans les débats aux côtés doulémas de diverses écoles musulmanes, de représentants hindous, jains et zoroastriens. La langue est un obstacle mais Francis Henriques est leur interprète. Lempereur les reçoit souvent en privé, les traitant avec grande considération[3]. Ce qui permet aux pères de lui parler de choses plus personnelles et de sonsalut éternel’ : ils cherchent à obtenir sa conversion. Il est particulièrement impressionné par la personnalité de Rodolphe Acquaviva, son style de vie humble et austère, sa sincérité et son grand esprit religieux. Les pères refusent tout argent qui aille au delà de ce dont ils ont besoin pour leur subsistance.

Les débats sont vifs et souvent acrimonieux. Équipés dune mauvaise traduction latine du Coran, les jésuites népargnent pas le prophète Mahomet et nont rien de bon à dire au sujet du livre sacré. Maladroits (ou inconscients) ils emploient parfois un langage injurieux. Il arrive que lempereur les prenne à part les invitant à modérer leurs attaques: sils continuent ainsi il lui deviendra difficile de les protéger.

Dans ces débats les jésuites ont souvent le dessus. Il ne déplait pas non plus à Akbar de voir les oulémas mis à leur place. Cependant, deux ans plus tard, et sétant familiarisé avec la langue perse, Acquaviva se rend compte que la situation est plus complexe. Les débats ne sont que polémiques, sans dialogue. Les adversaires deviennent des ennemis. Quant à Akbar, il sinforme. Il est intéressé et il sinstruit. Il montre de la sympathie vis-à-vis du christianisme, visite la chapelle des religieux, touche avec révérence les objets sacrés (et invite ses fils à faire de même). Les jésuites ont permission de prêcher, de convertir, et douvrir un hôpital. Mais il est clair que, si Akbar nest plus un musulman (aux dires des missionnaires), il ne se convertira pas pour autant au christianisme, ce qui est lobjet principal de lamissionreçue.

Doutes et fin

En février 1581 Akbar part en campagne à Kaboul pour y mater la rébellion de son frère. Montserrate laccompagne comme précepteur de son deuxième fils Murad ( en 1570). Acquaviva approfondit létude de la langue perse. Rentré victorieux fin 1581 Akbar est triomphalement reçu à Fatehpur-Sikri. Il est de plus en plus distant de lislam mais adopte des pratiques parsies et hindoues. En 1582 Les jésuites estiment que leur mission est un échec et pensent retourner à Goa. Le Provincial les laisse libres de décider. Parmi les raisons qui militent pour rester à Fatehpur est la perspective de louverture dune mission dans une région dont Acquaviva entend parler: le Tibet. Le fils dAkbar, qui a 13 ans et dont léducation leur est confiée, est également source despoir.

Dans une nouvelle lettre, en septembre 1582, Acquaviva estime devoir être rappelé à Goa au moins pour pouvoir y consulter le provincial en personne sur lavenir de la mission. Akbar, fort attaché au jésuite, hésite à le laisser partir. Lautorisation nest donnée quen février 1583. Akbar écrit au Provincial de Goa : « comme votre Paternité ma demandé plusieurs fois, par lettre, de le laisser partir, je lui donne la permission. Mais comme mon intention est que notre amitié croisse jour après jour je demande à votre paternité de faire en sorte denvoyer à nouveau le père Rodolphe, avec quelque autre père, et ce dans le plus bref délai. Je souhaite que les pères de cet ordre soient avec moi, car je les estime beaucoup (...) » Acquaviva refuse tout présent avant de partir, sinon la libération de quelques esclaves chrétiens qui laccompagneront à Goa. Il y arrive en mai 1583.

Deux mois plus tard (25 juillet 1583) Acquaviva meurt pour la foi à Cuncolim. Montserrate rapporte que, apprenant la nouvelle de sa mort Akbar fut fort attristé et sexclama : « Hélas, Père ! Ne vous ai-je pas dit de ne pas partir ? Mais vous ne mavez pas écouté ! »[4]

Deuxième mission auprès dAkbar (1591)

Durant la seconde moitié de 1590 arrive à Goa un diacre grec, Leo Grimon. Venant de Lahore, la cour dAkbar sétait déplacée, il apporte une lettre de lempereur au contenu étonnement chrétien : « (...) Jespère par la présente que me seront envoyés des pères de Goa. Par leur sainte doctrine je souhaite être restauré de la mort à la vie, comme leur maître Jésus-Christ descendu du ciel sur la terre en a relevé beaucoup de la mort pour leur donner la vie... »[5] Il ordonne que approvisionnement, transport et escorte leur soient assurés, et assure quil leur construira un logement digne de leur statut.

Le diacre grec convainc les pères que les chances de succès de la mission sont grandes: lempereur est de moins en moins musulman. Il a renvoyé toutes ses femmes sauf une. Il fait marque de considération de plus en plus grande vis-à-vis du christianisme et a même célébré la fête de lAssomption de la Vierge (1590) en vénérant limage de Notre-Dame.

Linvitation dAkbar est reçue avec enthousiasme. De nombreux volontaires se présentent. Deux pères et un frère sont choisis : Duarte Leitao, Christoval de Vega et Estevao Ribeiro. Ils sont fort bien reçus (à Lahore) et logent au palais même. Ils ouvrent une école fréquentée par les enfants du roi et de nobles de la cour.

Cependant les pères font face à une forte opposition à la cour même. Ils comprennent rapidement que lempereur na aucune intention de devenir chrétien. Malgré la désapprobation dAkbar - et sans laccord du provincial de Goa qui souhaitait les voir rester - les pères retournent à Goa. La conclusion de la seconde mission est abrupte et reste mal expliquée.

Troisième mission auprès dAkbar (1595-1605)

La manière dont la seconde mission tourna court mécontenta lempereur Akbar. A Goa également on estime que les pères avaient agi de manière prématurée. Akbar envoie une nouvelle lettre en 1594. Un marchand arménien en est le courrier. Après de nouvelles délibérations à Goa, cette fois le vice-roi se montre le plus enthousiaste, il est décidé dy faire suite. Jérôme Xavier est choisi pour diriger le groupe dont font également partie le frère Bento de Góis, et le père Manuel Pinheiro (1556-1619). Un interprète, Domingo Pires, les accompagne.

Le départ a lieu en décembre 1594. Quittant Goa le groupe arrive à Cambay ils sont cordialement reçus par le second fils dAkbar, le prince Murad, ancien élève de Montserrate. Il leur procure tout ce dont ils ont besoin pour le voyage jusque Lahore réside lempereur. Les voyageurs se joignent à une large caravane de 400 chameaux et 100 chevaux. Au bout dun voyage éprouvant - cinq mois au lieu des deux mois habituels - ils arrivent à Lahore le 5 mai 1595. Larrivée des ascètes chrétiens que lon appellepadres, et la réceptionavec grande pompe’, est remarquée par le chroniqueur de la cour Abual-fazl qui le note dans son Akbarnama.

Durant les dix dernières années de la vie dAkbar, dabord quatre ans à Lahore et ensuite six ans à Agra, les missionnaires restent les invités de lempereur. Manuel Pinheiro en est le plus proche et a une bonne influence. Les débats religieux nont plus la même importance. Akbar parle en fait plus de politique (le progrès des Portugais en Inde) que de religion. Il nen montre pas moins une grande révérence pour les images saintes, visite fréquemment la chapelle des missionnaires, assistant aux prièresagenouillé et les mains jointeset est très tolérant. Il les autorise à ouvrir une école pour les enfants des membres de sa cour. Une modeste église est construite à Lahore (1597). Les missionnaires notent quAkbar, esprit religieux, a fondé sa propre secte ; il nest certainement plus musulman.

Jérôme Xavier passe un temps considérable à étudier la langue perse. Son compagnon, Manuel Pinheiro est le premier à soccuper directement de personnes extérieures à la cour. En 1600, un jésuite italien arrive de Goa pour le seconder: Francisco Corsi. En 1602, à la suite dun conflit avec le gouverneur de Lahore hostile aux pères, Pinheiro obtient dAkbar un firman donnant permission deprêcher la religion chrétienne et convertirdans tout lempire[6] Une communauté chrétienne se développe à Lahore, dont Pinheiro est le pasteur. La vie y est cependant difficile après le départ dAkbar. Lhostilité du gouverneur, un strict musulman, est évidente. Seule lamitié quAkbar leur porte protège les deux missionnaires, Pinheiro et Corsi.

Bento de Góis et Jérôme Xavier accompagnent Akbar lors de sa campagne militaire au Deccan (1598). Laffaire est politiquement délicate car un des rois rebelles du Deccan est allié des portugais. Bien que sollicité par Akbar Jérôme Xavier refuse dintervenir. Mécontent, Akbar le tient pour un temps à distance. La campagne étant malgré tout un succès les missionnaires reviennent en faveur et sinstallent avec lempereur à Agra (1601), qui devient la nouvelle capitale de lempire. Pinheiro reste à Lahore.

A la recherche derésultats’ (cest-à-dire : la conversion dAkbar...) et encouragé par le supérieur de Goa, Jérôme Xavier obtient un entretien privé avec Akbar, et lui enjoint de rendre son attitude claire. Akbar tergiverse à nouveau, ne manquant pas de souligner cependant que les missionnaires avaient reçu de grandes libertés dans son empire, entre autres lautorisation de construire une église à Agra.

Des débats religieux reprennent. Jérôme Xavier y parle cette fois en persan. La langue lui est devenue familière. En 1602 il offre à Akbar uneVie du Seigneur Jésus’ (Dastan-i hazrat-i 'isa) quil a composée en persan spécialement pour lui, lempereur refusant de croire en la divinité du Christ et aux miracles de Jésus. Le livre ravit Akbar et fait sensation à la cour il est recopié et circule abondamment, de même quune image de laMadonna del popoloapportée de Rome par un missionnaire récemment arrivé.

Même si une présence publique de la foi chrétienne est tolérée (une église est consacrée en 1604, des processions religieuses sont autorisées dans les rues de la ville), la situation reste précaire. Il suffit quun renégat portugais calomnie les pères, les faisant passer pour espions du Portugal, pour que le soupçon sinstalle, même si par après il se rétracte et demande pardon.

Larrivée en 1603 dun anglais, John Mildenhall, se déclarant ambassadeur de la reine Elisabeth, marque le commencement dune lutte dinfluence entre anglais et portugais à la cour moghole. Cherchant à obtenir pour la nation anglaise laccès aux ports de lempire moghol, il apporte à Akbar de riches cadeaux, soulignant volontiers que les pères, durant tant dannées de présence à Agra ne lui avaient encore rien offert de la part des portugais...

Dautres soucis sont causés par lattitude de lhéritier du trône, le prince Salim. Il est à cette époque en rébellion ouverte et fait assassiner le ministre préféré de son père, Abul al Fazl (août 1602). Akbar est âgé, et il est important pour les missionnaires de garder de bons rapports autant avec lempereur quavec son héritier. Jérôme fait le voyage de Fatehpur Sikri pour le rencontrer (1603). Par ailleurs il accompagne Akbar dans sa campagne contre son fils en août 1604. Une réconciliation incertaine a lieu en novembre 1604, à laquelle Jérôme Xavier nest sans doute pas étranger. Peu après, en septembre 1605, Akbar tombe malade : il meurt le 17 octobre. Écrivant en 1615 Jérôme Xavier déclare quAkbar nest mort « ni musulman ni chrétien, mais dans la religion de sa secte »

Mission auprès de Jahangir (1605-1627)

Missionnaire (habillé de noir) présent au darbar de Jahangir

Apparemment plus ouvert au christianisme, le prince Salimdevenu lempereur Jahangir - est cependant de caractère moins prévisible que son père. Son attitude est ouvertement chrétienne, sauf lorsquil a besoin de soutiens musulmans comme lors de la rébellion de son fils Khusru. « Jai une grande dévotion pour le Seigneur Jésus » dit-il. Il collectionne les images pieuses, porte une croix en or au cou, mais explique-t-il aux missionnaires, il ne peut être satisfait dune seule femme. Le père Jérôme Xavier lui offre son Miroir de la vérité (A'ìina-yi haqq-numa) un ouvrage de doctrine chrétienne. Plus tard (1609) il écrira pour lui un livre sur les devoirs du roi.

Jahangir visite léglise dAgra, surtout pour la fête de Noël. Il souhaite que sy trouve son image, « pour que les pères puissent prier pour lui ». Son dais est porté par quatre chrétiens portugais. Des chrétiens font partie de son entourage immédiat dont un arménien qui obtient la permission de construire des églises à Lahore et Ahmedabad. Les pères ont une place dhonneur lors des audiences publiques de lempereur. Un témoin anglais rapporte que Jahangir aurait publiquement affirmé que le christianisme était la vraie religion et queMahomet nétait que mensonges et fables’.

Lespoir des jésuites est au zénith lorsque Jahangir suggère que trois neveux (fils de son frère décédé) soient baptisés. Après avoir été instruits dans la religion chrétienne par le père Corsi ils sont baptisés le 5 septembre 1610 par Jérôme Xavier lors dune cérémonie publique, précédée dune imposante procession (à dos déléphants) les acheminant à travers la ville, du palais à léglise. On leur donne les noms des rois dEspagne et du Portugal : Don Felipe, Don Henrique et Don Carlos. Cette extraordinaire nouvelle est communiquée au vice-roi de Goa et par lui, à Philippe III, roi dEspagne. Celui-ci écrit à Jahangir lui assurant quil se considérerait comme le parrain de ses trois neveux. Deux ans plus tard, lors de nouvelles tensions politiques entre le Portugal et Mogor, les princesrendent leur crucifix aux pères’. Jahangir lui-même semble plus dune fois sur le point de demander le baptême, mais ne fera jamais le pas décisif.

Jérôme Xavier vieillit et retourne à Goa en 1614, il meurt trois ans plus tard. Dautres missionnaires prennent la relève. La mission elle-même change progressivement en sélargissant, ne se limitant plus au seul travail auprès de lempereur et de sa cour. François Corsi (1573-1635), un Florentin, apprend la langue locale, lhindoustani. Joseph de Castro (1577- 1646) fait de même: il est le premier à ne pas être engagé dans les affaires de la cour (sauf à la fin de la vie de Jahangir). Son énergie est principalement consacrée au développement du collège dAgra. Lun et lautre missionnaires sont enterrés dans le cimetière dAgra.

Pour des raisons commerciales les anglais tentent de pénétrer la cour de lempereur moghol. Des missions diplomatiques sont envoyées auprès de Jahangir, dont celle de William Hawkins. Les portugais sy opposent farouchement et ont le soutien des jésuites. A Agra Hawkins craint les jésuites : « qui sont comme des chiens enragés faisant tout leur possible pour menvoyer dans lautre monde ». Après Hawkins arrive Paul Canning avec une lettre du roi Jacques. Dans cette lutte dinfluence à la cour les jésuites sortent généralement vainqueurs, non pas sans que de déplorables querelles forcent parfois lempereur à intervenir personnellement...

En 1613 un grave incident a lieu. Les portugais saisissent un navire moghol appartenant à la mère de lempereur. Les représailles ne sont pas que commerciales. Les églises dAgra et de Lahore sont fermées, les allocations aux pères sont supprimées, les chrétiens fuient Agra. La mission est au bord du désastre. Cependant, la crise est résolue aussi soudainement quelle est apparue. Un accord est bientôt signé entre le Portugal et les Moghols, avec restitutions des biens confisqués. Mais cela révèle la fragilité de la mission. La rivalité diplomatique avec les anglais continue.

En 1615 arrive à Agra une ambassade anglaise de très haut niveau. Elle est conduite par Sir Thomas Roe. La lutte dinfluence à la cour de Jahangir nen est que plus intense. Les portugais perdent du terrain. Tout en manifestant dans son journal[7] une grande aversion pour les jésuites toujours prêts à lui mettre des bâtons dans les roues, Roe établit avec le père François Corsi, à linitiative de ce dernier, une relation de courtoise collaboration dans les domaines qui ne touchent pas les intérêts divergents. La mission de Roe est un succès : les anglais sont autorisés à utiliser les ports moghols pour y faire du commerce. Cest le point de départ de la Compagnie anglaise des Indes orientales. Cette mission diplomatique se termine avec le départ de Roe en 1618.

Jahangir continue à se montrer favorable au christianisme et aux pères, sans jamais faire le pas tant espéré des missionnaires. Il réprimande les membres de sa cour qui nommentIsa’ (Jésus) sans ajouter le terme honorifique deHazrat Isa’ (le Seigneur Jésus). Il reproche à un arménien de ne pas porter de petite croix au cou... Les missionnaires estiment que sa femme, Nur Jahan est lobstacle principal à sa conversion. Le prince Parviz, le successeur présumé qui donnait également quelque espoir, décède en 1626.

Jahangir meurt le 28 octobre 1627. Tout en étant pieux comme son père Akbar, il nen avait pas le raffinement culturel et lesprit de recherche. Les commentateurs écrivent cependant quil était plus attaché au Christ quà Mahomet. Lorsque malade, il parlait volontiers de devenir chrétien, ...après son rétablissement ! Une fausse rumeur circula quil avait reçu le baptême secrètement. Selon Roe ces histoires répétées de conversion annoncée puis différée nétaient que gesticulations diplomatiques sans sérieux engagement.

Mission auprès des successeurs

Sous Shah Jahan (1627-1658)

Sous Shah Jahan, empereur de 1627 à 1658, les perspectives de la mission sobscurcissent. Shah Jahan na ni sympathie ni antipathie pour le christianisme et les pères. Par contre il est rapidement en conflit avec les portugais et les conséquences en sont graves pour les chrétiens. La conduite des portugais au Bengale (en particulier à Chittagong ils se comportent en pirates) conduit lempereur à assiéger Hugli quil conquiert en 1632. Plusieurs milliers de chrétiens, portugais et autochtones, sont emmenés comme esclaves à Agra. Cest la plus grave persécution jamais vécue dans lempire moghol. Beaucoup meurent de mauvais traitements reçus, y compris les prêtres qui accompagnaient les prisonniers. La chapelle des martyrs dans le cimetière dAgra est érigée à leur mémoire. Seuls sont mieux traités ceux qui renoncent à la foi chrétienne.

Les missionnaires nont plus guère dinfluence à la cour et sont en peine pour venir en aide aux prisonniers. Dailleurs la vague dhostilité anti-portugaise a fait des dégâts à leur église qui est fermée pour un temps. Dans les années qui suivent la situation des prisonniers saméliore et les pères peuvent les recevoir pour des services pastoraux. Tout cela se fait sous haute surveillance. Par ailleurs les relations des Jésuites avec les anglais saméliorent.

La relève est assurée, entre autres, par Antonio Ceschi (Italien arrivé en 1645), Antonio Botelho, portugais et supérieur du collège dAgra de 1648 à 1654, et surtout Heinrich Roth, jésuite bavarois arrivé à Agra en 1653. Il est le premier à se tourner délibérément vers la culture et langue sanscrite (au lieu du persan de la cour impériale), la population de lempire moghol étant largement hindoue. Roth, recteur du collège dAgra depuis 1659, y accueille en 1662 Albert Dorville et Johann Grueber qui, partis de Pékin onze mois auparavant, ont traversé le Tibet et le Népal, et sont en route pour Goa. Leur épuisement est tel que Dorville meurt peu après, à Agra (8 avril 1662). Roth accompagnera Grueber à Goa, et de à Rome[8]

Shah Jahan étant plus distant, les chrétiens et leurs missionnaires sont moins protégés. Les jésuites nont plus laccès facile auprès de lempereur. Les incidents avec les musulmans se multiplient dans la même mesure. Antonio Ceschi les trouvehostiles’. De plus en plus le travail des missionnaires consiste en fait à soccuper des petites communautés chrétiennes dAgra, de Delhi et de Lahore, et du collège dAgra.

Un dernier espoir disparait lorsque le fils héritier de Shah Jahan, Dârâ Shikôh, perd la lutte pour le trône. Il est vaincu par son jeune frère Aurangzeb et fait prisonnier en 1658. Ce prince, à beaucoup dégards semblable à son arrière grand-père Akbar - intellectuel, tolérant et ouvert aux questions religieuses (il avait relancé la coutume des débats religieux) - est sauvagement assassiné en prison sur ordre d'Aurangzeb (1659). Il avait repris contact avec les jésuites. Un jésuite des Pays-Bas aux propensions scientifiques, Henri Uwens (1618-1667), connu commeHenri Busi’, avait été spécialement envoyé à Agra pour satisfaire à la curiosité scientifique de Dara Shikoh. Ce missionnaire austère et bienveillant, compétent, cultivé et raffiné avait d'excellents rapports avec le prince qui l'estimait beaucoup. Busi était lepadrechrétien lors des débats organisés par Dârâ Shikôh : il exposait la doctrine de la foi chrétienne de manière très courtoise.

Avec laccession dAurangzeb sur le trône moghol (1658), la mission particulière auprès des empereurs moghols est pratiquement terminée, même si les changements ne sont immédiatement perceptibles. Le travail missionnaire continue cependant auprès des populations locales.

Sous les successeurs

Bientôt la politique religieuse dAurangzeb saffirme, surtout après la mort de Busi (1669) pour lequel il gardait de lestime. La taxe sur les infidèles (laDjizîa’) est réintroduite (1679), qui devient un fardeau intolérable pour les chrétiens, même si les missionnaires obtiennent quelques exemptions. Les conversions sont interdites, sauf vers lIslam. Goa nest de plus aucun soutien, ni politique ni financier, les portugais ayant perdu leur prédominance sur les mers et leur prestige depuissance mondialeétant fort écorné par les anglais et hollandais.

Les rapports annuels des jésuites font état de grandes difficultés financières et dengagement missionnaire limité par les circonstances au simple service pastoral des communautés chrétiennes de lempire moghol. Cela ne les empêche pas de chercher dautres terrains de mission. Un voyage explorateur auKafiristan’ (nord-est de lAfghanistan) est sans suite (1678). Une tentative dexpansion du côté du Bengale (1680), province de lempire moghol se trouve une communauté chrétienne relativement importante, se heurte aux moines augustiniens. Le père Marco-Antonio Santucci et ses quelques compagnons sen retirent en 1685. Des contacts sont tentés avec quelques royaumes voisins : Népal, Tripura, Deoghar (royaume de Gond).

Des contacts occasionnels avec les successeurs dAurangzeb, Bahâdur Shâh puis Jahandar Shâh, ont lieu de manière indirecte. Donna Juliana, dame chrétienne de haut rang et grande influence à la cour des moghols, fait discrètement passer aux empereurs les images pieuses dont ils sont très friands (en transgression des préceptes de lIslam). A la mort de Juliana (1734) tout contact cesse. Lorsque Nadir Shah de Perse conquiert et saccage Delhi en 1739, la mission est moribonde. Elle continue auprès du raja de Jaipur, Jai Singh Sawai, passionné dastronomie, qui en fait est surtout intéressé à obtenir des jésuites astronomes et mathématiciens...

En 1759 lorsquils sont expulsés de tous les territoires portugais, les jésuites ont encore cinq églises et congrégations chrétiennes dans lempire moghol : Narwar, Jaipur, Agra et deux à Delhi. Avec leur expulsion de Goa, la mission jésuite de Moghol ne saurait survivre longtemps.

Suite à la suppression universelle de la Compagnie de Jésus (1773) les deux derniers jésuites en remettent la responsabilité aux pères Carmes (1781). Lun, Joseph Tieffenthaler, géographe de renom, sillonnera lInde septentrionale y faisant des relevés scientifiques quil envoie en Europe. Il meurt à Lucknow en 1785. Lautre, François-Xavier Wendel reste en charge de la petite communauté catholique dAgra jusqu'à sa mort en 1803. Paradoxalement la disparition du dernier jésuite coïncide avec la chute de lempire Moghol, la ville de Delhi étant prise par les forces anglaises en septembre 1803.

Les pères carmes dabord (1781), et les capucins de Patna ensuite (début du XIXe siècle) sont nommés administrateurs duvicariat général du grand Moghol’.

Bibliographie

  • Henri Hosten: List of Jesuit Missionaries inMogor’ (1580-1803), dans The Journal of the Asiatic Society of Bengal, 1910, Vol.VI, pp.527-542.
  • Edward MacLagan: The Jesuits and the Great Mogul, Burns & Oates, London, 1932.
  • Arnulf Camps: Jerome Xavier S.J. and the Muslims of the Mogul empire, Fribourg (Suisse), Nouvelle revue de science missionnaire, 1957, 260p.
  • Paul Jackson : Jesuits at Akbars court, dans The Journal of Sophia Asian studies, Sophia University, Tokyo, 1994 (N°12), pp. 201-211.

Notes et références

  1. Les jésuites de Goa étaient connus commePaulistescar ils avaient repris la direction du collège Saint-Paul
  2. Traduit de John Correia-Afonso : Letters from the Mughal court, Anand, 1988, p.1
  3. Commentary of Father Montserrate on his journey to the Court of Akbar, (ed. par J.S. Hoyland), London, 1922, p.63-64
  4. Commentary, ibid., p.192
  5. Edward MacLagan : The Jesuits and the great Mogul, London, 1932, p.47.
  6. Le texte se trouve dans Arnulf Camps : Jerome Xavier S.J. and the Muslims of the Mogul empire, Fribourg (Suisse), Nouvelle revue de science missionnaire, 1957, p.201
  7. Publié et édité par William Foster : The embassy of Sir Thomas Roe to the court of the Great Mogul, 1615-1619: as narrated in his journal and correspondence (Vol.2), The Hakluyt society, 1899
  8. À Rome ils rencontreront Athanasius Kircher ; leur collaboration est à lorigine de la première grande œuvre encyclopédique| sur la Chine et lAsie, laChina illustratade 1667

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Mission jésuite de Moghol de Wikipédia en français (auteurs)

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