René Étiemble

René Étiemble

Celui qui, pour l'état civil, s'appelait René Étiemble signait simplement ses ouvrages Étiemble parce qu'il n'aimait pas l'hiatus provoqué par le doublement du é. Il naît le 26 janvier 1909 à Mayenne et meurt le 7 janvier 2002 à Digny (Eure-et-Loir). Il fut un écrivain, linguiste et universitaire français, reconnu notamment comme sinisant éminent, spécialiste du confucianisme et du haïku, traducteur de poésie, défenseur des littératures extra-européennes et l’un des initiateurs de la littérature comparée.

Sommaire

Origine

Fils d'Ernest Étiemble, voyageur de commerce, et d'Angèle Falaise, ouvrière modiste. Il est très tôt orphelin. Sa famille est d'origine dieppoise : le patronyme Étiemble est une forme régionale du prénom Étienne et se prononce comme s'il était écrit « éthyamble ».

Marié en secondes noces le 23 février 1963 à Jeannine Kohn (un enfant, Sylvie Étiemble).

Il passe son enfance entre Mayenne, sa ville natale, et Laval où il poursuit ses études secondaires, au Lycée de Laval, dont il ne garde pas un souvenir ébloui. Titulaire du baccalauréat, il rejoint Paris et prépare au lycée Louis-le-Grand, où Albert Bayet lui donne le goût de la clarté et de la simplicité efficace, le concours d'entrée à l'École normale supérieure, qu'il intègre en 1929.

Les débuts et les engagements

Il est agrégé de grammaire. Passionné par la Chine et la philosophie, il entreprend alors des études de chinois à l'École des Langues Orientales. Il est pensionnaire à la Fondation Thiers de 1933 à 1936. Il s'engage en politique en participant aux mouvements d'écrivains antifascistes. Il fonde en 1934 « Les Amis du peuple chinois », avec Louis Laloy, André Malraux, Paul Vaillant-Couturier[1], association proche du Parti communiste français qui soutient Mao Zedong. Bien que favorable à Mao pendant de nombreuses années (s'il reconnaît que les maoïstes chinois sont durs sans doute, et souvent impitoyables, il admire sans réserve leur volonté de relever la civilisation chinoise dont ils seraient les héritiers philosophiques[2]), il polémique durant les années 1960 avec les maoïstes français réunis autour de la revue Tel Quel, notamment Philippe Sollers et Julia Kristeva. Il fait l'éloge, lors de sa parution, de l'ouvrage, fortement critique à l'égard de Mao, de Simon Leys, Les Habits neufs du président Mao[3]. Après la parution de Quarante ans de mon maoïsme en 1976, « examen de conscience d'un de ces imbéciles qui, en 1934, fondèrent à Paris une association de soutien à Mao Tsö-tong[4] », Simon Leys écrit que « deux hommes seulement — Étiemble tout récemment et maintenant Claude Roy — peuvent fièrement remettre aujourd'hui sous les yeux du public ce qu'ils écrivaient hier sur ce sujet [la Chine][5] ».

C'était un athée convaincu, membre de plusieurs sociétés laïques.

La littérature

Il entre en littérature sous la tutelle de celui qu'il appellera plus tard son « parâtre[6] », Jean Paulhan : il signe, dans la N.R.F. d'avril 1934 sous le pseudonyme de Jean Louverné, un article consacré à André Gide[7] et publie en 1937 son premier roman autobiographique, L'Enfant de chœur. Après deux brefs séjours comme professeur au lycée de Beauvais et un voyage au Mexique, il enseigne à l'Université de Chicago jusqu'en 1943, date à laquelle il est détaché à l'Office of War Information de New York. Pendant ses années américaines, il fait de longs séjours en Arizona et se passionne pour les cultures indiennes, notamment hopi ; elles lui inspirent une pièce monumentale, Cœurs doubles, qu'il tentera vainement de faire jouer après la guerre.

Dans le domaine de la littérature comparée il a reçu le Prix Balzan en 1988 "Pour avoir étudié, dans ses recherches et dans ses nombreux essais, les problèmes théoriques de la littérature comparée et fait ressortir avec une grande honnêteté intellectuelle les qualités personnelles de plusieurs grands auteurs de cultures différentes" (motivation du Comité Général des Prix Balzan).

L'universitaire

À la fin de 1943, il s'installe en Égypte où il est nommé chef de la section de français de l'Université d'Alexandrie. Il y fonde, avec l'appui du recteur Taha Hussein, la revue littéraire Valeurs dont le premier numéro paraît en 1945. Il est par la suite nommé à l'Université de Montpellier, en 1948. Il est élu à la Sorbonne en 1955 où il enseigne la littérature comparée jusqu'en 1978.

Il peut être considéré comme le véritable introducteur en France de la littérature comparée. Après avoir donné, avec Le Mythe de Rimbaud, un imposant exemple des études de réception littéraire (comment l'œuvre et le personnage de Rimbaud ont été lus, compris, interprétés voire déformés en "mythe" à travers le monde), il s'est ainsi employé à faire l'histoire exhaustive des liens culturels entre la Chine et l'Europe depuis l'Antiquité (L'Europe chinoise). Outre ces deux entreprises monumentales, il a défendu et illustré le comparatisme littéraire dans de nombreux articles, en partie rassemblés dans ses Essais de littérature universelle.

Ces travaux se fondent en effet sur cette idée de littérature universelle, inspirée de Goethe (Weltliteratur). Pour lui, les littératures, et plus généralement les cultures, ne peuvent être considérées comme des entités pures et hermétiques : les formes et les idées circulent sans cesse et depuis toujours, même entre des univers culturels sans rapports apparents, et cette circulation est créative, même quand elle repose sur des contre-sens ; Étiemble a ainsi montré comment l'esthétique poétique symboliste, stérile et obsolète en Europe, a eu en revanche un effet novateur et fécondant dans les littératures chinoise ou japonaise ; de même que des formes littéraires orientales comme le haïku ou le pantoum ont inspiré les poètes européens, même quand ils en avaient une conception erronée.

En outre, Étiemble considère que les grandes catégories poétiques dépassent les littératures nationales et ne peuvent être vraiment comprises que par une approche aussi universelle que possible. Il est ainsi absurde, selon lui, de disserter sur l'épopée à partir des seuls exemples européens, en ignorant les littératures épiques persane, indienne, peule...

Il a défendu ce mondialisme littéraire par ses activités de traducteur, de critique, de directeur de collection et de professeur d'université, en entretenant des échanges incessants avec des écrivains, des intellectuels, des universitaires de tous les continents, en accueillant et dirigeant de nombreux étudiants étrangers et en encourageant les travaux comparatistes.

L'écrivain

Directeur littéraire des éditions du Scarabée, il signe dans le même temps des articles de critique littéraire dans La Nouvelle Revue française et Les Temps Modernes (1946-1952). Il exerça une plume acérée et sensible au service d'Arthur Rimbaud et de Confucius. C'est un défenseur des valeurs de la langue française. Il sera directeur de collection chez Gallimard (collection Connaissance de l'Orient) pour faire connaître la littérature chinoise en France.

Éclectisme et combats

  • La Défense de la langue française, dans son livre le plus célèbre Parlez-vous franglais ? (1964). Écrivant l'anglais comme le français, il trouvait qu'aucune de ces deux langues ne devait empiéter l'une sur l'autre. Il considérait comme une régression ce qu'il appelait le babélien et se méfiait considérablement des anglicismes.
  • Ses nombreux ouvrages sur la Chine, en particulier Confucius (1956) montre une grande admiration pour la civilisation chinoise, qu'il affirme mal jugée par les intellectuels occidentaux.
  • Il est l'auteur du concept de Mythe de Rimbaud, par lequel il estimait que l'interprétation de l'œuvre du poète Arthur Rimbaud avait été plombée par les commentaires et les crétineries. Il en fait le sujet de sa thèse en 1952.
  • Ses combats : Racismes (réédité, en 1998, par Arléa), et l'Érotisme et l'amour, en 1987, où il entendait montrer qu'on parle trop d'amour, c'est-à-dire mal.
  • Étiemble aurait été également un pamphlétaire littéraire : invité de Bernard Pivot en 1988, il se prit à réexaminer la figure de Jean Paulhan, précepteur de Claude et de Michel Gallimard, le fils et le neveu de Gaston Gallimard. À propos de l'accident pendant lequel Michel Gallimard s'est tué avec Albert Camus en voiture, en 1960 : « J'ai longtemps enquêté et j'avais les preuves que cette Facel Vega était un cercueil. J'ai cherché en vain un journal qui veuille publier mon article… ».

Ouvrages

  • Rimbaud (avec Yassu Gauclère), Paris, 1936. Gallimard.
  • L'Enfant de chœur, 1937. Gallimard.
  • Notre paix (avec Michel Berveiller), Mexico et Chicago, 1941. [s.n.]
  • Proust et la crise de l'intelligence, Alexandrie, 1945. Ed. Valeurs.
  • Six Essais sur trois tyrannies, Paris, 1947. Editions de la Revue Fontaine.
  • Peaux de couleuvre, 1, 1948. Gallimard.
  • Le Mythe de Rimbaud, thèse soutenue en 1952. Gallimard.
  • Hygiène des lettres 1 : Premières notions, 1952. Gallimard.
  • Hygiène des lettres 2 : Littérature dégagée, 1955. Gallimard.
  • Hygiène des lettres 3 : Savoir et goût, 1958. Gallimard.
  • Tong Yeou Ki ou Le Nouveau Singe pèlerin, 1958. Gallimard.
  • Supervielle. 1960. Gallimard.
  • Blason d'un corps, 1961. Gallimard.
  • Connaissons-nous la Chine ?, 1964. Gallimard.
  • Parlez-vous franglais ?, 1964. Gallimard.
  • Hygiène des lettres 4 : Poètes ou faiseurs ?, 1966. Gallimard.
  • Confucius, 1966. Gallimard.
  • Hygiène des lettres 5 : C'est le bouquet !, 1967. Gallimard.
  • L'Orient philosophique, 1968
  • Le Babélien, 1968
  • Le Jargon des sciences, 1968
  • Le Sonnet des voyelles, 1968. Gallimard.
  • Retours du monde, 1969. Gallimard.
  • Correspondance avec Jules Supervielle (1936 - 1959), 1969. Seyes.
  • Yun Yu érotique chinoise, 1970
  • L'Art d'écrire, 1970
  • L'écriture. 1973. Gallimard.
  • Les Jésuites en Chine, 1973. Gallimard.
  • Mes contre-poisons, 1974. Gallimard.
  • Essais de littérature (vraiment) générale, 1974. Gallimard.
  • Quarante ans de mon maoïsme. 1934-1974, 1976, Gallimard, « NRF ».
  • Comment lire un roman japonais ?, 1980
  • Le Kyoto de Kawabata, 1980
  • Trois femmes de race, 1981. Gallimard.
  • Quelques essais de littérature universelle, 1982. Gallimard.
  • Le Cœur et la Cendre, soixante ans de poésie, 1985
  • Racismes, Arléa, 1986
  • L'Érotisme et l'Amour, Arléa, 1987
  • Ouverture(s) pour un comparatisme planétaire, 1988
  • Lignes d'une vie 1 ou le meurtre du père, Arléa, 1988
  • L'Europe chinoise 1, De l'Empire romain à Leibniz, 1988. Gallimard.
  • L'Europe chinoise 2, 1989. Gallimard.
  • Lignes d'une vie 2: le meurtre du petit père, Arléa, 1990
  • Vingt-cinq ans après, 1991
  • Nouveaux essais de littérature universelle, 1992. Gallimard.
  • Propos d'un emmerdeur. Entretiens sur France Culture avec Jean-Louis Ezine. Arléa, 1993
  • Édition des deux volumes de la Pléiade consacrés aux Romanciers du XVIIIe siècle.
  • Édition du premier volume des Philosophes taoïstes, Bibliothèque de la Pléiade, 1980.
  • Traductions de Giuseppe Antonio Borgese et de T. E. Lawrence

Paul Martin, qui a réuni un volume de textes d'Étiemble et d'hommages, notamment de Simon Leys, Jacques Dars..., intitulé Pour Étiemble (Picquier, 1993), écrit: « Les valeurs d'Étiemble sont celles d'un humanisme militant et planétaire: vérité, justice, liberté. Ces valeurs interdisent à celui qui les a choisies de mentir au peuple, de flatter le Prince et de suivre les modes intellectuelles sous prétexte qu'elles peuvent assurer une promotion rapide. »

Articles

Étiemble, « Ce que je dois à Marcel Granet », Études chinoises, n° 4-2, 1985. [lire en ligne]

Notes et références

  1. Étiemble, Quarante ans de mon maoïsme, pp. 64-66.
  2. Étiemble, Connaissons-nous la Chine, 1964.
  3. Étiemble, « Les Habits neufs du président Mao », Le Nouvel Observateur, 13 décembre 1971, repris dans Quarante ans de mon maoïsme, pp. 357-361.
  4. Quatrième de couverture de Quarante ans de mon maoïsme.
  5. Simon Leys, Essais sur la Chine, Robert Laffont, collection « Bouquin », 1998, p. 685
  6. Étiemble, Lignes d'une vie, Arléa, 1988.
  7. Étiemble recopie cet article dans ses Lignes d'une vie. Il explique que Conversion ? avait été largement tronqué et dénaturé par Paulhan, père tyrannique.

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