- Confucianisme
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Le confucianisme, Rújiā (儒家) « école des lettrés » puis Rúxué (儒學) « enseignement des lettrés » Rúxué, est l'une des plus grandes écoles philosophiques, morales, politiques et dans une moindre mesure religieuses de Chine. Elle s'est développée pendant plus de deux millénaires à partir de l'œuvre attribuée au philosophe Kongfuzi, « Maître K'ong » 孔夫子 (551-479 av. J.-C.), connu en Occident sous le nom latinisé de Confucius. Après avoir été confrontée aux écoles de pensée concurrentes pendant la Période des Royaumes combattants et violemment combattue sous le règne de Qin Shi Huang, fondateur du premier empire, elle fut imposée par l'empereur Han Wudi (-156 ~-87) en tant que doctrine d'État et l'est restée jusqu'à la fondation de la République de Chine (1911). Elle a aussi pénétré au Viêt Nam, en Corée et au Japon où elle a été adaptée aux circonstances locales[1].
À partir du milieu du IXe siècle se sont dégagés divers courants constituant le néoconfucianisme (Lǐxué 理學, Dàoxué 道學, Xīnxué 心學 etc.) qui en est devenu la version officielle au XIIIe siècle. Sous la dynastie Qing est apparu le Hànxué (漢學) critique du néoconfucianisme, puis au XXe siècle, le nouveau confucianisme.
L'influence de Confucius en Asie orientale est telle qu'on peut la comparer à celles de Platon et Jésus en Occident. Il n'est pas le fondateur d'une religion, mais a créé avec ses disciples, sur la base de la pensée de son époque, dont l'universisme, un système rituel achevé et une doctrine à la fois morale et sociale, capable de remédier selon lui à la décadence spirituelle de la Chine de l'époque[2].
Sommaire
La morale confucéenne
Confucius est convaincu que la réforme de la collectivité n'est possible qu'à travers celle de la famille et de l'individu. Les hommes de l'Antiquité, dit-il, « qui voulaient organiser l'État, réglaient leur cercle familial ; ceux qui voulaient régler leur cercle familial, visaient d'abord à développer leur propre personnalité ; ceux qui voulaient développer leur propre personnalité rendaient d'abord leur cœur noble ; ceux qui voulaient ennoblir leur cœur rendaient d'abord leur pensée digne de foi ; ceux qui voulaient rendre leur pensée digne de foi perfectionnaient d'abord leur savoir »[2].
Selon Confucius, la vertu est une richesse intérieure que tout homme peut acquérir, étant donné que la nature humaine n'est ni bonne ni mauvaise ; aussi tout homme a-t-il la possibilité de devenir un sage, ou de se comporter comme un sot[2]. L'artiste chinois Fang Lijun (né en 1963) illustre bien cette vision du monde lorsqu'il commente ses tableaux qui représentent des hommes hybrides surdimensionnés, pour la plupart rasés, ayant perdu leur individualité, dont on ne sait s'ils rient ou pleurent : « Ces hommes sont comme des billes qui roulent et changent immédiatement de direction lorsqu'elles rencontrent le moindre obstacle ; ou bien ils sont comme des billes immobiles qui commencent à rouler à la moindre inclination. Les hommes ne sont ni cruels ni bons ; leur comportement dépend toujours des circonstances dans lesquelles ils agissent »[3]. Confucius, dans la société, répartit les hommes en trois groupes. Les hommes parfaits (shèngrén 聖人), ou sages, représentent le modèle qu'il faut suivre une fois que l'on a atteint le degré de perfection le plus élevé, comme ce fut le cas, par exemple, des Empereurs de la Chine ancienne. Puis, viennent les nobles, ou les hommes supérieurs (jūnzi 君子). Enfin les hommes communs constituent le peuple. La finalité de la morale confucéenne est la noblesse spirituelle : ce que l'on attend d'un noble, d'un homme supérieur, c'est qu'il trouve le li(禮)[2].
Ce terme désigne un concept très complexe qui peut se définir comme l'harmonie entre l'homme et l'ordre général du monde dans tous les aspects de la vie, depuis l'observation des rites religieux gouvernementaux et familiaux jusqu'aux règles de comportement de vie en société[2].
Le li, donc, guide l'homme dans ses devoirs aussi bien envers les autres hommes (respect, tolérance, pardon, fidélité, dévouement, confiance, contrôle de soi) qu'envers les êtres spirituels supérieurs (le culte rendu aux divinités et aux ancêtres)[2].
En outre, Confucius a accordé un rôle très important à la musique, synonyme d'ordre et d'harmonie, et d'expression de sentiments nobles et élevés. La musique classique confucéenne, avec ses instruments, existe encore aujourd'hui en Asie, principalement en Corée[2].
L'autre thème principal de cette philosophie humaniste, avec la puissance ordonnatrice qu'est le li, c'est le ren (仁 l'humanité, la bonté), si l'on veut dire par là "bienveillance qu'un homme doit montrer envers ses semblables", mais selon une hiérarchie des liens politiques et familiaux très précise. Le ren est la vertu parfaite, mère de toutes les autres. De fait, à la lumière de l'analyse de la littérature classique confucéenne (tel 四字小學 par exemple) qui doit être considéré comme le support des préceptes confucéens, il apparaît clairement que le confucianisme a servi dans l'histoire de l'Asie de l'Est d'outil politique pour les gouvernants permettant la constitution de barrières hermétiques entre les divers groupes sociaux, mais a particulièrement institué un ordre hiérarchique très marqué au sein même du cercle familial, où l'épouse doit être soumise aux ordres de son mari, à qui elle doit témoigner quotidiennement son respect et sa gratitude[4]. Ainsi, selon la morale confucéenne, dans cette même dynamique de pacification du corps social, d'ordre et d'harmonie, les enfants se doivent d'être obéissants à leurs aînés et faire preuve en toute situation de piété filiale (父母愛之, "aimer ses parents"). Plus globalement, le confucianisme permet l'émergence d'une classification verticale très poussée des couches de la société, érige en tant que dogme l'obéissance aux puissants, et contribue à placer au centre l'homme, la femme n'ayant que peu voix au chapitre au regard des textes classiques. Même si l'importance des principes moralistes confucéens a quelque peu décliné en République populaire de Chine suite à la Révolution culturelle, l'influence latente que le confucianisme exerce encore de nos jours par exemple sur le modèle social de la Corée du Sud mais aussi du Japon (respect des ancêtres, piété filiale, obéissance aux aînés, patriarcat, etc ...), est centrale.
Le développement du confucianisme
Quand le confucianisme devient doctrine officielle pour le recrutement des fonctionnaires sous les Han antérieurs, on peut déjà y distinguer différents courants. Par la suite, deux mille ans d'interprétations, d’influences extérieures et de retours aux sources successifs ont continué à compliquer le tableau. Néanmoins, selon les philosophes du XXe siècle Xu Fuguan (徐復觀) et Mou Zongsan (牟宗三), les différents courants ont toujours gardé comme constante l’importance de la dimension sociale et éthique de leur pensée. Ces deux spécialistes estiment qu’un confucianiste n’examine pas les choses avec une attitude détachée, mais toujours concernée.
On peut proposer[5] de distinguer six périodes dans l’histoire du confucianisme :
- Période classique de formation jusqu’à la dynastie Qin (-221)
- Dynastie Han (-206 — 220) : reconstitution des textes perdus et rédaction de commentaires qui deviendront eux-mêmes l’objet d’études philosophiques ; apparition d'un confucianisme d'État.
- Du IIe au VIIIe siècle : apparition du xuanxue généralement rattaché au taoïsme, mais dont certains auteurs se considèrent comme des confucéens ; développement d’une philosophie bouddhiste chinoise qui influencera le confucianisme.
- À partir du IXe siècle et jusqu’à la fin de la dynastie Ming (milieu du XVIIe siècle) : apparition de penseurs et de courants influencés par le taoïsme et le bouddhisme, tout en cherchant à s’en démarquer, qui constituent le néoconfucianisme ; ce courant devient la version officielle du confucianisme sous les Yuan lorsque ses quatre livres principaux deviennent le programme de référence des examens impériaux. Le néoconfucianisme se diffuse en Corée et au Japon où il acquiert une grande importance.
- Dynastie Qing, à partir de la fin du XVIIe siècle : développement du courant Hanxue(漢學), « études Han », qui reproche aux philosophes des siècles précédents de s’être trop écartés du confucianisme originel et préconise le retour aux textes de l’époque Han.
- À partir du début du XXe siècle : développement du nouveau confucianisme sous l’influence de la philosophie occidentale.
Confucius
La relation entre le confucianisme et Confucius lui-même est ténue. Le confucianisme a profondément influencé l'Asie orientale durant 20 siècles, néanmoins, les idées de Confucius n'ont pas été acceptées durant sa vie et il a souvent déploré le fait qu'il ne trouvait aucun maître à servir. De même que pour de nombreuses autres figures historiques majeures (Bouddha, Socrate, Jésus, Mahomet ...), on ne dispose pas de traces directes de ses idées ; ne sont parvenues jusqu'à nous que des paroles et des pensées recueillies par ses disciples dans un unique ouvrage : Les Analectes ou Entretiens de Confucius. Le confucianisme s’est développé à partir de l’interprétation qu’ont faite ses successeurs des thèmes des Analectes, mais aussi d’autres textes, appelés Cinq classiques, dont la rédaction, la compilation ou le commentaire lui étaient attribués à tort : Shijing, Shujing, Yijing, Lijing, Chunqiu. Le problème est aggravé par la vague d'éradication des idées discordantes durant la Dynastie Qin, plus de deux siècles après la mort de Confucius. Ce qui est parvenu de sa pensée jusqu'à nous est donc limité.
Cependant, il est possible d'esquisser les idées de Confucius à travers les fragments qui restent. Confucius était un homme de lettres, qui se préoccupait des temps troublés qu'il vivait et allait de place en place en essayant de répandre ses idées politiques et d'influencer les nombreux royaumes luttant pour la domination de la Chine. L'affaiblissement de la Dynastie Zhou avait créé un vide, rempli par des petits États luttant pour le pouvoir. Intimement persuadé qu'il avait une mission, Confucius promouvait infatigablement les vertus des anciens rois et politiciens illustres, tels que le Duc de Zhou(周公), et s’efforça de jouer un rôle politique, acceptant même à l’occasion l'invitation de souverains à la réputation douteuse comme le Duc Ling de Wei. Néanmoins, bien qu'il ait été appelé un « roi sans couronne », il n'eut jamais l'occasion d'appliquer ses idées, fut expulsé de nombreuses fois et finalement retourna dans ses terres natales pour passer la dernière partie de sa vie à enseigner.
Les Entretiens de Confucius, l'œuvre la plus proche de la source de ses pensées, relatent des discussions avec ses disciples. Ce livre est une compilation de conversations, de questions et de réponses ou d’éléments biographiques, et non pas l’exposé d'un système de pensée cohérent. N'utilisant pas le raisonnement déductif et la loi de non-contradiction à la différence de nombreux philosophes occidentaux, il recourt à des tautologies et des analogies pour expliquer ses idées. De ce fait, les lecteurs occidentaux pourraient penser que sa philosophie est confuse, ou que Confucius n'a pas d'objectif clair. Cependant il a aussi dit « je cherche une unité infiltrant tout » [6].
Avant l'empire
Les premières ébauches d'un vrai système ont été réalisées par des disciples ou des disciples de disciples. Le premier d'entre eux est Zi Si(子思), petit-fils de Confucius, à qui l’on attribue le Zhong Yong qui disserte sur la notion d’invariable milieu : pour une société et un État harmonieux, il faut que chacun soit fidèle à sa nature propre liée à la position sociale (zhicheng 致誠 « être fidèle à sa nature »). Cette fidélité entraine un état de sérénité, dont on ne doit s’écarter que par des sentiments conformes aux circonstances (zhonghe 中和 « être en harmonie avec les circonstances »)[7]. Ce texte deviendra important surtout à partir du IXe siècle pour promouvoir le conformisme social et la modération.
Durant la période philosophiquement fertile des Cent Écoles de Pensée, les figures les plus importantes du confucianisme sont Mencius (孟子), peut-être disciple de Zi Si, et Xun Zi(荀子)(ne pas confondre avec Sun Zi 孫子), qui développèrent les aspects éthique et politique du confucianisme, luttant contre les idées concurrentes pour gagner la confiance des dirigeants à l'aide de l'argumentation et du raisonnement. Ils se penchèrent particulièrement sur le thème de la nature humaine (renxing 人性). Elle est un thème essentiel chez Mencius, qui la considère comme fondamentalement bonne. Il ne semble pas avoir obtenu un très grand succès dans l’immédiat, mais devint un millénaire plus tard l’auteur principal des néoconfucianistes, la théorie de la bonne nature humaine constituant un élément essentiel de leur système métaphysique. La vision qu’a Xun Zi de la nature humaine est opposée à celle de Mencius ; il la considère comme fondamentalement mauvaise, mais s’accorde avec lui sur le rôle capital de l’éducation et des rites, qui peuvent la corriger.
Certains de ses disciples, comme Han Fei Zi (韩非子), connurent un grand succès politique, mais sous la bannière légiste, s’étant ralliés à l’idée qu’un système pénal très sévère, et non l’enseignement moral préconisé par le confucianisme, faisait fonctionner la société. Ils aidèrent Qin Shi Huang à unifier la Chine sous un contrôle très strict des activités humaines. Ainsi, le rêve de Confucius d'une Chine unifiée et pacifiée fut-il réalisé sous une école de pensée diamétralement opposée à ses idées. Néanmoins, cette postérité légiste de Xun Zi peut aussi être vue comme une indication que l’opposition entre les différentes écoles de pensée n’est pas absolue[8].
Reconnaissance officielle sous les Han
Le confucianisme survécut aux épreuves de la dynastie Qin - autodafé des textes non techniques et interdiction d’enseigner le Shijing et le Shujing - grâce à des lettrés ayant mémorisé les textes et à des redécouvertes, dont la plus notoire est celle du trésor de Classiques dissimulé dans les murs de la maison ancestrale de Confucius. Bien que les premiers empereurs de la Dynastie Han semblent plutôt avoir été partisans du huanglao(黄老)taoïsto-légiste, les lettrés confucianistes n'étaient pas mal en cour. Peut-être pour rompre avec la clique huanglao dominée par sa grand-mère l'impératrice douairière Dou, peut-être influencé par des lettrés tels que Dong Zhongshu(董仲舒), Han Wudi(漢武帝)(-156 ~ -87) fit du confucianisme la philosophie d'État officielle en établissant en -136 des chaires impériales pour les « docteurs » des Cinq Classiques confucéens[9] à l’exclusion de tout autre corpus. Une école fut créée en -124 à Chang'an pour la formation des talents recrutés pour le service de l’État. Ces mesures ne furent toutefois pas suffisantes pour certains lettrés qui, déçus, soutinrent l'usurpation de Wang Mang(王莽)(-45 ~ 23) qui promettait de revenir à l’âge d’or des premiers Zhou vanté par Confucius.
En tout état de cause, l'étude des Classiques confucéens devint la base d'examens de recrutement ou de certification des fonctionnaires, faisant du confucianisme le noyau du système d'éducation chinois - bien que le plein régime des concours mandarinaux ne débute qu'au VIIe siècle sous les Sui. Inculqué profondément dans le système de pensée des Chinois et de leurs politiciens, cette philosophie devint un courant politique important et l'idéologie sociale dominante, particulièrement à partir du IXe siècle, mais non sans s’être constamment enrichie des apports d’autres courants.
Car le confucianisme qui séduisit le pouvoir Han, dont les écrits de Dong Zhongshu donnent un exemple, intégrait des éléments issus d’autres écoles (yin-yang, qi, cinq éléments), et s’accommodait des structures légistes conservées par les empereurs[10]. Il ne se limitait pas aux propositions de perfection morale pour l’amélioration de la société, mais proposait une métaphysique dans laquelle le Ciel, la Terre et la société humaine étaient liés. Le Ciel, auquel un culte impérial était rendu, réagit positivement ou négativement aux actes de l’empereur et émet des signes lisibles par les sages. Confucius était dans ce système quasiment déifié comme le sage absolu qui avait su lire les signes et transmettre ce savoir dans les écrits qu’on lui attribuait, en particulier la version Gongyangzhuan du Chunqiu. Les Cinq classiques rédigés et commentés par lui contenaient des messages cachés et des présages qui devaient être retrouvés par les lettrés, qui les explicitaient dans des textes oraculaires appelés chenwei (讖緯). Wang Mang en fit grand usage pour justifier son usurpation[11]. Ce confucianisme Han aux aspects ésotérico-magiques est appelé « École du nouveau texte » car, apparu au débuts de la dynastie, il se basait sur les textes récemment reconstitués.
Les opposants à cette vision surnaturelle se regroupèrent pour leur part autour de textes découverts dans la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C. dans la maison ancestrale de Confucius, et constituent « l’École du texte ancien ». Ils voyaient Confucius seulement comme un homme modèle sans aspect surnaturel et préconisaient une exégèse plus rationnelle des classiques. Liu Xin et Yang Xiong en sont deux exemples représentatifs. Ils tentèrent d’imposer leur version, mais le Nouveau texte garda son ascendant sur les études confucéennes officielles. Les arguments des deux parties sont connus grâce au rapport du débat (58 ap. J.-C.) de la salle du Tigre blanc rédigé par Ban Gu[12]. Vers la fin de la dynastie, Zheng Xuan (郑玄) tenta la synthèse des deux courants[13].
Des Trois royaumes à la fin des Tang
École du Nouveau texte ou du Texte ancien, à la chute de la dynastie Han les deux partis sont également blâmés pour s’être perdus en débats scholastiques stériles et avoir laissé se corrompre le système confucéen de sélection des sages, favorisant le délitement de l’empire. Des lettrés comme Wang Bi, He Yan, Guo Xiang et Xiang Xiu s’appuient alors sur le Yijing et des textes taoïstes (Daodejing, Zhuangzi) pour proposer une nouvelle métaphysique sur laquelle baser la formation des gouvernants et l’harmonie de la société. Leur courant de pensée est nommé « École du mystère » ou « École de la profondeur » (xuanxue) d’après une phrase du Daodejing[14]. Parfois surnommé en Occident « néotaoïsme », il peut aussi être considéré comme un maillon du confucianisme[15]. En effet, Confucius reste le modèle parfait pour la plupart de ses penseurs. Ainsi, Wang Bi considère qu’il incarne mieux l’idéal taoïste du non-agir (wuwei) que Laozi lui-même car, contrairement à ce dernier, il n’a rien écrit. Guo Xiang également place Confucius au-dessus de Laozi et Zhuangzi car ces derniers manquent d’après lui de l’expérience du monde[16].
Les classiques restent primordiaux pour la formation des fonctionnaires, mais le grand empire reconstitué en 265 par les Jin est repoussé au sud du Chang Jiang en 316 et disparait définitivement en 420. De nombreux États, dont plusieurs sont fondés par des membres d’ethnies non Han, le remplace. Le destin du confucianisme d’État suit ces changements, soutenu par certains comme Liang Wudi ou négligé par d’autres. Des textes se perdent au cours des guerres. Parallèlement, le bouddhisme gagne du terrain, des moines devenant conseillers des souverains « barbares », et certains groupes taoïstes (Nouveaux Maîtres célestes, Shangqing etc.) se structurent et obtiennent de l’influence auprès du pouvoir. Le grand empire est reconstitué en 581 par les Sui, rapidement suivis des Tang qui restent au pouvoir jusqu’en 907. Le système des examens est réinstauré sous les Sui. Au début des Tang, de nouvelles écoles pour lettrés sont fondées, un corpus officiel des Classiques est reconstitué et les rites confucianistes sont réinstaurés. Néanmoins, le taoïsme et le bouddhisme ont aussi une grande influence en cour et au sein de l’aristocratie. La philosophie bouddhiste, en particulier, sous la forme de courants tels que Tiantai ou Huayan, séduit les élites.
Une réaction contre l’emprise du bouddhisme se dessine chez certains confucianistes, comme Han Yu et Li Ao. Ils préconisent de se concentrer sur les Classiques confucéens qui montrent parfaitement la Voie sans qu’il faille recourir à des philosophies étrangères, et de prendre les sages qui y sont cités comme modèles. Ils écartent néanmoins Xunzi et les confucéens Han et désignent Mencius, qui considère la nature humaine comme fondamentalement bonne, comme le dernier confucéen orthodoxe. Han Yu est franchement hostile au bouddhisme, qu’il accuse d’être antisocial à cause de l’importance donnée au monachisme ; il critique le culte des reliques comme superstitieux et rejette les notions qu’ils considère étrangères à la pensée chinoise comme le karma. Li Ao, tout en critiquant l’oisiveté des moines, fréquente des bouddhistes et a des idées proches du taoïsme et du Chan. Leurs idées seront reprises par le courant néoconfucianiste.
Des Song à la fin des Ming
Article détaillé : Néoconfucianisme.Différentes Écoles se développent sous les Song autour de lettrés qui, à l’instar de Han Yu des Tang, rejettent les aspects du bouddhisme qu’ils considèrent antisociaux comme le célibat, et certaines notions comme l’absence de soi, tout en lui accordant parfois aussi des qualités[17]. Ils souhaitent remettre l’homme au centre d’un cosmos que sa bonne conduite, basée sur les vertus confucéennes, contribue à maintenir en ordre. Les premiers néoconfucianistes établissent chacun leur système cosmologique et métaphysique qui doit en fait beaucoup au bouddhisme et au fond ancien taoïste et naturaliste (taiji, qi, yin-yang) ; ils préconisent un certain détachement et l’effacement des désirs, et emploient parfois la méditation. Zhu Xi réalise la synthèse de leurs pensées. Les Quatre livres (Analectes, Mencius, Zhong Yong, Da Xue), les plus importants textes du confucianisme selon le courant dont il se réclame, deviennent à partir du début du début du XIVe siècle le programme officiel des examens impériaux, et son interprétation du confucianisme, appelée « École du principe » (理學 lixue) s’impose seule jusqu’à la fin du XVe siècle, lorsque l'« École de l’esprit » (心學 xinxue) de Wang Yangming vient la concurrencer[18].
Chez Zhu Xi, le cosmos est représenté comme l’ensemble Ciel-Terre présent dans les anciens classiques, mais aussi comme le taiji, source de toute création, notion adoptée très tôt par le taoïsme. L’activité du taiji se déploie selon une forme fondamentalement correcte appelée [dao]li ([道]理) ou principe, notion inspirée du tianli (天理) des frères Cheng, qui peut être appréhendée à travers ses reflets partiels que sont les li individuels des objets, êtres et phénomènes. La compréhension du daoli requiert donc l’étude minutieuse des classiques et l’investigation attentive de tous les phénomènes. Cette étude, proposée aussi par Cheng Yi, se nomme qiongli (窮理) ou gewu (格勿) et amena parfois Zhu Xi à entreprendre des observations quasi-scientifiques[18]. Mais un courant de penseurs comprenant l’aîné des Cheng et Lu Jiuyuan pense que l’investigation est fastidieuse et inefficace et que, puisque la nature humaine reflète parfaitement le li suprême, le meilleur moyen d’y accéder est l’introspection de l’esprit débarrassé de l’égocentrisme et des désirs matériels. Les néoconfucianistes pensent en effet comme Mencius que la nature humaine est fondamentalement bonne, puisqu’elle est conforme au li ; suivant Zhu Xi, ils rejettent Xun Zi comme hérétique. Pour expliquer les imperfections observables en réalité, Zhu Xi fait appel à la déjà ancienne notion de qi, sorte de matière ou de force qui remplit l’univers, qui peut obscurcir le li.
Malgré le prestige de Zhu Xi, le courant d'introspection et de subjectivité radicale (École de l’esprit »ou 心學 xinxue) prit progressivement le dessus avec Wang Yangming. Il donna parfois des versions contestataires du confucianisme comme chez Li Zhi (1527-1602) et séduisit les Japonais et les Coréens[18].
Vers la fin des Ming, le courant philologique Hanxue contesta l’interprétation « fantaisiste » que les néoconfucianistes ont fait des Classiques.
« Temples de la littérature » et textes classiques canoniques
Depuis l'époque, où, sous les Han (env. 206 av. J.-C., 220 apr. J.-C.); le confucianisme est devenu idéologie d'État en Chine, chaque ville qui était un centre d'administration disposait d'un temple consacré à Confucius, où les fonctionnaires de l'État devaient régulièrement organiser des cérémonies en son honneur. Les salles dans lesquelles Confucius et ses disciples étaient vénérés portaient le nom de wénmiào (文庙 « temples de la littérature ») ; dans ces édifices se trouvaient simplement une table devant laquelle le fonctionnaire en question faisait ses génuflexions rituelles. Ces temples étaient souvent flanqués d'une bibliothèque, où les « fonctionnaires de la littérature » discutaient des textes classiques[2].
Le confucianisme repose essentiellement sur l'étude approfondie d'un certain nombre de livres canoniques, dont les Cinq Classiques (Shi Jing《詩經》, Shu Jing《書經》, Li Ji《禮記》, Chun Qiu《春秋》et Yi Jing《易經》) canonisés dès la dynastie Han, et les Quatre Livres (Lun Yu《論語》, Da Xue《大學》, Zhong Yong《中庸》, et le Mencius《孟子》) représentant le néoconfucianisme, choisis comme programme des examens impériaux à partir du XIIe siècle.
Notes et références
- Le Néoconfucianisme au Japon sur wsu.edu
- Gerhard J. Bellinger (ISBN 978-2-253-13111-3) d'après Encyclopédie des religions de
- d'après L'art du 20e siècle, Museum Ludwig Cologne
- rédigé en chinois classique et traduit en coréen moderne ) Voir ici un extrait d'un texte confucéen,
- Internet Encyclopedia of Philosophy J H Berthrong,
- Entretiens XV. 3.
- Zi Si sur le site officiel du Shandong
- [1] Paolo Farah, L'influenza confuciana sulla costruzione del sistema giuridico e politico cinese in Giovanni Bombelli e Bruno Montanari (eds), Identità europea e politiche migratorie, Vita e Pensiero, 2008, pp. 193-226
- Shijing, Shujing, Lijing, Yijing, Chunqiu
- Former Han, site de Washington State University ; Xinzhong Yao An introduction to Confucianism Cambridge University Press (2000) (ISBN 978-0-521-64430-3), (ISBN 978-0-521-64430-3) p82-86
- The New Text School, site de University of Cumbria
- Baihu tongyi (白虎通义)
- The Old Text School, site de University of Cumbria
- « [Le Dao est] mystérieux et encore mystérieux, ou profond et encore profond » 玄之又玄
- ISBN 978-0-521-24327-8 p826 834 Yao (2000) p89-90 , Demieville cité dans Denis Twitchett, Michael Loewe, John King Fairbank (1986) "Han Emperors" in Cambridge History of China: Volume I xxxix-xli Cambridge University Press
- Yao (2000) p92
- ISBN 978-1-57607-355-1) - (ISBN 978-1-57607-355-1) Exemple de Zhou Dunyi : Phyllis G. Jestice Holy people of the world: a cross-cultural encyclopedia, Volume 3 ABC-CLIO (2004) p 940 (
- Kirill O. Thompson Zhu Xi sur IEP
Voir aussi
Bibliographie
- Lin Yutang, La sagesse de Confucius, 1938.
Article connexe
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