- Pantoum
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Le pantoum (ou plus exactement pantoun) est un poème de forme fixe dérivé du pantun malais.
Sommaire
Définition
La forme fixe du pantoum, ou plus exactement pantoun, est définie par Théodore de Banville dans son Petit traité de Poésie Française.
Le pantoun consiste en une suite de quatrains (d'octosyllabes ou de décasyllabes - le même mètre est conservé dans tout le poème.) où s'appliquent deux systèmes de reprises :
- le deuxième et le quatrième vers de chaque strophe sont repris respectivement comme premier et troisième vers de la strophe suivante,
- le tout dernier vers du poème reprend le premier.
L'alternance des rimes masculines et féminines impose un nombre de quatrains pair. Le nombre de quatrains est illimité, mais doit être supérieur à six.
Cette forme permet de donner au poème une musicalité particulière très typée.
La particularité vraiment originale du pantoum réside dans le sens : il développe dans chaque strophe, tout au long du poème, deux idées différentes :
- La première idée, contenue dans les deux premiers vers de chaque strophe, est généralement extérieure et pittoresque.
- La deuxième idée, contenue dans les deux derniers vers de chaque strophe, est généralement intime et morale.
Dans un pantoun, il faut éviter de travailler par vers-phrase : un vers doit se connecter au vers qui le précède dans un quatrain comme au vers qui lui succède dans le quatrain suivant sans pour autant constituer un vers totalement indépendant d'un point de vue syntaxique ; il peut ne contenir que des compléments sans verbe ou des subordonnées auxquelles l'adresse du poète pourra donner plusieurs sens suivant le vers qu'elles complètent.
De plus les deux distiques constituant un quatrain sont indépendants l'un de l'autre, le second vers devant impérativement se terminer sur une ponctuation forte : point, point d'exclamation, point d'interrogation. Cette ponctuation est rendue impérative par la présence des deux thèmes qui n'enjambent jamais l'un sur l'autre.
Une erreur fréquemment commise est de prendre le poème "Harmonie du soir" de Baudelaire comme exemple de pantoun. Pourtant ce poème n'a qu'un vague lien avec cette forme, comme nous le verrons plus bas. Les exemples les plus aboutis de pantouns sont à rechercher chez Leconte de Lisle.
- Origine
Le pantoum français dérive du « pantun berkait » malais, c'est-à-dire "pantoun enchaîné", à cause du mécanisme de reprise des vers. Un pantun malais en tant que tel est constitué d'un quatrain unique.
Histoire du pantoum en France
« Dans une des notes de ses Orientales, Victor Hugo, en 1828, avait cité, traduite en prose, une poésie malaise de cette forme[1], d'où se dégageait une séduction singulière, due non seulement à la répétition des vers selon un certain ordre, mais au parallélisme de deux idées se poursuivant de strophe en strophe, sans jamais se confondre, ni pourtant se séparer non plus, en vertu d'affinité mystérieuses.
Un poète érudit, Charles Asselineau, essaya de constituer un poème français sur ce modèle, et y parvint. Théodore de Banville marcha sur ses traces ; Leconte de Lisle écrivit à son tour quelques pantoums, sur un sujet qui ramenait le poème à son pays d'origine, car il les intitula : Pantouns Malais. C'était, en cinq courtes pièces, une histoire d'amour, terminée par les lamentations de l'amant, meurtrier de la femme infidèle. » (Auguste Dorchain)Il semblerait qu'une coquille dans le texte de Hugo cité ci-dessus, dans sa première édition, soit à l'origine de l'usage du mot "pantoum" en place du mot exact "pantoun".
Exemples
La deuxième occurrence des vers répétés est mise en évidence en gras.
Pantoum malais, tel que rapporté par Victor Hugo dans Les Orientales
Le poème qui suit, traduction en prose d'un poème malais par un érudit de l'époque, Ernest Fouinet, reprise par Victor Hugo dans les notes des Orientales, est le premier exemple de pantoum apparu en France - voir la section Histoire du pantoum :
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- Les papillons jouent à l'entour sur leurs ailes ;
- Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers.
- Mon cœur s'est senti malade dans ma poitrine,
- Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente.
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- Ils volent vers la mer, près de la chaîne de rochers...
- Le vautour dirige son essor vers Bandam.;
- Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente,
- J'ai admiré bien des jeunes gens ;
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- Le vautour dirige son essor vers Bandam,...
- Et laisse tomber de ses plumes à Patani.
- J'ai admiré bien des jeunes gens ;
- Mais nul n'est à comparer à l'objet de mon choix.
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- Il laisse tomber de ses plumes à Patani.
- Voici deux jeunes pigeons !
- Aucun jeune homme ne peut se comparer à celui de mon choix,
- Habile comme il l'est à toucher le cœur.
Pantouns malais, de Leconte de Lisle
Le poème qui suit est le dernier des cinq Pantouns malais (texte sur wikisource) qui figurent dans le recueil Poèmes tragiques de Leconte de Lisle. Voici comment Auguste Dorchain le présente : « ...[Ce pantoum], dont le mécanisme rythmique apparaîtra par le soulignement des vers répétés, et où vous trouverez à chaque quatrain, le parallélisme nécessaire de deux sens : dans les deux premiers vers, la plainte du meurtrier ; dans les deux derniers, le paysage en merveilleuse harmonie avec la plainte. L'obsession qui se dégage de ce petit poème est vraiment extraordinaire. »
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- Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !
- J’ai dans l’âme un chagrin amer.
- Le vent bombe la voile emplie,
- L’écume argente au loin la mer.
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- J’ai dans l’âme un chagrin amer :
- Voici sa belle tête morte !
- L’écume argente au loin la mer,
- Le praho[2] rapide m’emporte.
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- Je l’ai coupée avec mon kriss ;
- Elle saigne au mât qui la berce.
- En bondissant comme l’axis
- Le praho plonge ou se renverse.
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- Elle saigne au mât qui la berce ;
- Son dernier râle me poursuit.
- Le praho plonge ou se renverse,
- La mer blême asperge la nuit.
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- Son dernier râle me poursuit.
- Est-ce bien toi que j’ai tuée ?
- La mer blême asperge la nuit,
- L’éclair fend la noire nuée.
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- Est-ce bien toi que j’ai tuée ?
- C’était le destin, je t’aimais !
- L’éclair fend la noire nuée,
- L’abîme s’ouvre pour jamais.
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- C’était le destin, je t’aimais !
- Que je meure afin que j’oublie !
- L’abîme s’ouvre pour jamais.
- Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !
Pantoum, de Louisa Pène-Siefert
Louisa Pène-Siefert (1845-1877) a écrit le Pantoum suivant. Ce texte merveilleux, écrit par une jeune femme de 20 ans, enlace le thème du temps qui passe, au sens chronologique du terme, annonce d'une mort précoce, et celui du temps des saisons qui s'écoule et voit le retour de l'automne, précédant l'hiver. Les deux thèmes sont liés par cette fuite irrémédiable, l'un étant l'allégorie de l'autre.
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- Vraiment j'ai vingt ans révolus,
- Ma première enfance est enfuie.
- — Hélas ! les beaux jours ne sont plus,
- C'est l'automne, voici la pluie.
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- Ma première enfance est enfuie,
- Mes premiers muguets sont passés.
- — C'est l'automne, voici la pluie,
- Les nuages sont amassés.
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- Mes premiers muguets sont passés,
- Mon aubépine est effeuillée.
- — Les nuages sont amassés,
- La prairie est toute mouillée.
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- Mon aubépine est effeuillée,
- Et j'ai pleuré sur ses débris.
- — La prairie est toute mouillée,
- Plus de soleil, le ciel est gris.
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- Et j'ai pleuré sur ses débris.
- Pourtant, ce n'était rien encore.
- — Plus de soleil, le ciel est gris,
- Le bois de rouge se colore.
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- Pourtant ce n'était rien encore,
- D'autres fleurs s'ouvraient sous mes pas.
- — Le bois de rouge se colore
- Mais le beau temps ne revient pas.
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- D'autres fleurs s'ouvraient sous mes pas
- J'ai teint de mon sang leurs épines.
- — Mais le beau temps ne revient pas,
- La sève descend aux racines.
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- J'ai teint de mon sang leurs épines.
- Adieu, fleurs qu'on ne peut cueillir.
- — La sève descend aux racines,
- La nature va défaillir.
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- Adieu, fleurs qu'on ne peut cueillir :
- Joie, amour, bonheur, espérance !
- — La nature va défaillir
- Dans une indicible souffrance.
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- Joie, amour, bonheur, espérance,
- Que vous étiez beaux autrefois !
- — Dans une indicible souffrance,
- Faut-il que tout meure à la fois ?
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- Que vous étiez beaux autrefois,
- Au clair soleil de la jeunesse !
- - Faut-il que tout meure à la fois ?
- Est-il sûr qu'un jour tout renaisse ?
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- Au clair soleil de la jeunesse,
- Pauvre enfant d'été, moi, j'ai cru.
- - Est-il sûr qu'un jour tout renaisse,
- Après que tout a disparu ?
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- Pauvre enfant d'été, moi, j'ai cru !
- Et tout manque où ma main s'appuie.
- Après que tout a disparu,
- Je regarde tomber la pluie.
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- Et tout manque où ma main s'appuie.
- Hélas ! les beaux jours ne sont plus.
- Je regarde tomber la pluie...
- Vraiment, j'ai vingt ans révolus.
Harmonie du soir, faux pantoum de Baudelaire
Harmonie du soir de Baudelaire est un poème souvent donné en exemple. Il s'agit pourtant d'un faux pantoun : très irrégulier, il déroge aux règles sur bien des points fondamentaux :
- - il ne développe qu'un seul thème ;
- - il est en alexandrins ;
- - les rimes des quatrains sont embrassées et non croisées ;
- - il ne possède que deux rimes ;
- - il ne possède que quatre strophes ;
- - son dernier vers diffère du premier.
En fait seule la reprise des vers apparente ce poème aux pantouns. Baudelaire lui-même ne l'a jamais qualifié de pantoun.
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- Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
- Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
- Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
- Valse mélancolique et langoureux vertige !
- Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
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- Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
- Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
- Valse mélancolique et langoureux vertige !
- Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
- Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
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- Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
- Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
- Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
- Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.
- Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
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- Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
- Du passé lumineux recueille tout vestige !
- Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige
- Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
- Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Le Pantoun des Pantoun de René Ghil
Le poète René Ghil a publié en 1902 un long poème intitulé Le Pantoun des pantoun, sous-titré « poème javanais », qui ne respecte toutefois la forme du pantoum qu'à son début. Cette œuvre utilise abondamment des termes « javanais » (en fait, un mélange de javanais et de malais), et est d'ailleurs suivi dans son édition originale d'un « lexique » imposant. L'auteur, sensible aux « choses et [aux] êtres d'Orient et d'Extrême-Orient », avait été particulièrement marqué par les danses javanaises auxquelles il avait assisté lors des Expositions universelles de 1889 et de 1900 à Paris. Le poème a été réédité à l'identique à l'intérieur de l'ouvrage de Jacques Jouet indiqué plus loin.
Sources
- Pour en savoir plus :
- sur le pantun malais : La lune et les étoiles de François-René Daillie, Editions des Belles Lettres, coll. Architecture du verbe.
- sur le pantoum occidental : Échelle et papillons, de l'oulipien Jacques Jouet, aux mêmes éditions.
- René Ghil, Le Pantoun des pantoun, poème javanais, Paris et Batavia, 1902. Texte sur Gallica
- Auguste Dorchain, L'Art des vers, Garnier, 1919.
Notes
- XI des Orientales que Victor Hugo donne le poème malais, premier exemple de pantoum apparu en France. Il écrit : « ....Nous terminons ces extraits par un pantoum ou chant malai [sic], d'une délicieuse originalité : [...texte du poème...]. Nous n'avons point cherché à mettre d'ordre dans ces citations. C'est une poignée de pierres précieuses que nous prenons au hasard et à la hâte dans la grande mine d'Orient. » Note wikipédia. — C'est dans la note
- prao : barque des pirates malais. Praho ou
- Kriss : glaive à lame ondulée.
- Axis : gazelle.
Catégorie :- Poème à forme fixe
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