Question allemande

Question allemande

Unité allemande

L’unité allemande, aussi appelé la question allemande, concerne l'évolution du concept national du « peuple allemand » aux XIXe et XXe siècles et l’unité politique de ce peuple au sein d’un même État. Elle apparaît au XVIIIe siècle lorsque les quelques 300 États nés des traités de Westphalie en 1648 comprennent qu’ils ne peuvent jouer aucun rôle sur l’échiquier européen. L’unité allemande se réalise au XIXe siècle autour de la Prusse en excluant les populations germanophones de l’Empire d'Autriche.

La défaite allemande de 1918 entraîne des amputations territoriales qui relancent la question allemande. On considère la question allemande résolue[Qui ?] le 3 octobre 1990 quand la République fédérale d’Allemagne et la République démocratique allemande, créées en 1949, sont réunies.

Sommaire

La naissance du nationalisme allemand

L’Allemagne a connu, au Moyen Âge, le Saint-Empire romain germanique qui allait en s’affaiblissant et en se fractionnant. Les traités de Westphalie, en 1648, mettent certes fin à la guerre de Trente Ans mais surtout renforcent la dissolution du Saint-Empire en affirmant le pouvoir des centaines de micro-principautés (le Kleinstaaterei). Cette paix de Westphalie consacre la territorialité comme principe de la souveraineté et de la non-ingérence dans les affaires des autres États. Elle empêche donc la formation d’un État national allemand et territorialement uni[1].

Le sentiment national: naissance et développement

Le sentiment national allemand est né au XVIIIe siècle chez les Akademiker (« les diplômés de l’université »), hauts-fonctionnaires ou pasteurs luthériens. Ceci explique le développement d’un nationalisme allemand à caractère protestant, qui se veut éclairé, face à l’empire autrichien des Habsbourg catholique et perçu comme obscurantiste. Avec la Révolution française, le sentiment national, à l’origine l’apanage des intellectuels, se popularise.

La résistance à l’Occupation française

L’annexion de la Rhénanie par la France est perçue comme un amputation du territoire national. En 1803, le premier consul, Napoléon Bonaparte réorganise le Saint-Empire qui passe de plus de 300 États à une centaine, grâce, en particulier, à la dissolution de toutes les principautés ecclésiastiques. Le 6 août 1806, le dernier empereur du Saint-Empire romain germanique, François II, se soumet à un ultimatum de Napoléon Ier, renonce à la couronne impériale et délie tous les États allemands de leur allégeance [2]. Sous l’Empire, les armées françaises présentes sur le territoire vivent de réquisitions. Le blocus continental limite les échanges commerciaux même s’il permet le développement de la production de charbon dans la Ruhr en remplacement des importations anglaises.

Johann Gottlieb Fichte

À cette époque une nouvelle forme de nationalisme éclot. Il s’agit du romantisme politique fondé sur la glorification du passé médiéval et du noble travail du sol. Le philosophe Johann Gottlieb Fichte écrit, quant à lui :

« Pour les ancêtres germains, la liberté consistait à rester Allemands (…). C’est à eux, à leur langue et à leur manière de penser que nous sommes redevables, nous, les plus directs héritiers de leur sol, d’être encore des Allemands (…). C’est à eux que nous sommes redevables de tout notre passé national et, s’il n’en est pas fini de nous, tant qu’il restera dans nos veines une dernière goutte de leur sang, c’est à eux que nous devrons tout ce que nous serons à l’avenir  »

— Johann Gottlieb Fichte, Discours à la nation allemande, huitième discours, 1807-1808.

L’idée que le peuple allemand s’est soudé dans une histoire de lutte commune est très présente dans ses discours. Il souligne aussi combien le luthéranisme est enraciné dans la mentalité allemande : « seul il pourra lutter contre l’obscurantisme » romain, c’est-à-dire la religion catholique. Reprenant les termes de Herder, il insiste sur l’importance de la langue comme ciment de l’identité allemande.

L’anéantissement de la Grande Armée lors de la retraite de Russie provoque une guerre de libération qui s’achève avec le retrait français en novembre 1813 après la bataille de Leipzig. Le baron de Lützow crée un corps franc composé uniquement de volontaires recrutés essentiellement parmi les étudiants des universités. Il lutte contre la domination étrangère de Napoléon en Allemagne en 1813 et pour l’idéal d’une Allemagne unie. L’uniforme des recrues comporte un veston noir avec des revers rouges et des boutons dorés. Le corps franc du baron de Lützow subit des pertes considérables. Ses couleurs noir-rouge-or deviennent vite un symbole de l’unité allemande.[3]. De nombreux pamphlets réclament alors la fondation d’un État allemand groupant tous les peuples parlant l’allemand. Ainsi apparaît la notion de Volkstum, union de tous les hommes de langue et de culture allemande.

Le sentiment national du congrès de Vienne à la révolution de Mars (1815-1848)

Après le congrès de Vienne qui se clôt en juin 1815, le défunt Saint-Empire est remplacé par la Confédération germanique (Deutscher Bund) qui regroupe trente-neuf États sous la direction honorifique des Habsbourg qui ne portent plus que le titre d’empereur d’Autriche. La Diète de Francfort réunit des diplomates qui ne peuvent rien décider par eux-mêmes, réduisant la Confédération germanique à l’impuissance[4]. Mais la Prusse, plus homogène linguistiquement que l’Empire d’Autriche où les germanophones sont minoritaires, apparaît vite comme le principal moteur du sentiment national allemand face à l’empire d’Autriche multinational. Les partisans de l’unité allemande fustigent la faiblesse de la Confédération qui n’a aucun poids sur la scène internationale et qui dépend du bon vouloir de ses deux « grandes puissances ». Jusqu’en 1840, ils recrutent ses membres presque exclusivement dans les milieux universitaires. Les étudiants se regroupent dans le Burschenschaft. Dans cette association, ils s’entraînent à l’usage des armes, multiplient les beuveries, cultivent le sentiment anti-français et l’antisémitisme.Ils rêvent d’une démocratie issue des tribus germaniques des anciens temps avec l’élection du chef par acclamation et prend des décision dans une assemblée des guerriers[5]. Puis le mouvement s’étend aux libéraux qui veulent conjuguer nation allemande et liberté. La Révolution de juillet 1830 à Paris est interprétée comme une preuve du pouvoir du peuple. Les éditeurs Wirth et Siebenpfeiffer organisent une manifestation à Hambach dans le Palatinat. 30 000 manifestants de toutes les catégories sociales revendiquent non seulement l’unification de l’Allemagne mais aussi la liberté d’opinion, de réunion, la liberté de la presse ainsi que le droit de cogestion démocratique[3].

Dans les années 1840, le mouvement national connaît une nouvelle vigueur. Il s’affirme contre la France de Thiers qui remet en vigueur la théorie des frontières naturelles. Comme les associations politiques sont interdites, les aspirations libérales et unitaires s’incarnent alors dans les associations culturelles. Les Sängerbünde, associations de chant choral, sont des lieux d’expression du sentiment national. En 1847, se tient à Lübeck la Fête universelle des chanteurs allemands. Elle se transforme en manifestation pour l’unité allemande[6]. Le mouvement des Schützen veut promouvoir des valeurs de santé et proclame la nécessité de préparer les Allemands à la défense commune. Il revendique par là même des idées plus politiques. Enfin, les libéraux du Sud de l’Allemagne se rencontrent à Heppenheim en Hesse. Ils discutent de l’élection d’un parlement commun à toute l’Allemagne[7].

1848 ou l’échec de l’unité allemande par la volonté des peuples

La Révolution de Mars à Berlin.

En 1848, lors du Printemps des peuples, à la nouvelle des révolutions parisienne et viennoise, l’Allemagne s’embrase : c’est la Révolution de Mars. Les révolutionnaires soutiennent des revendications d’unité nationale, de liberté et de démocratie. Quelques patriotes (libéraux, ou démocrates comme Friedrich Hecker) réunis à Heidelberg, dans le duché de Bade décrètent l’élection d’une assemblée constituante élue au suffrage universel et concernant tous les Allemands.

Le Parlement de Francfort se réunit et décide, en janvier 1849, de transformer la Confédération germanique en un État fédéral avec un empereur à sa tête. Elle décide par décret l’utilisation des trois couleurs noir, rouge et or comme couleurs officielles du drapeau allemand. Pour les députés, les Autrichiens germanophones doivent faire partie de cette union. C’est sans compter sur la Prusse qui ambitionne de réaliser l’unité allemande à son profit et suscite un parti de la petite Allemagne, c’est-à-dire sans l’Autriche, qui emporte finalement la décision.

En tant qu’empereur allemand, Frédéric-Guillaume IV de Prusse, ne veut tenir son pouvoir que de lui-même ou de la guerre. Il refuse la couronne que lui propose le Parlement de Francfort. Son discours est très clair à ce propos :

« Cette couronne n’est pas une couronne. La couronne que pourrait prendre un Hohenzollern, ce n’est pas (…) la couronne fabriquée par une assemblée d’un germe révolutionnaire, (…) c’est la couronne qui porte l’empreinte de Dieu, la couronne qui fait souverain par la grâce de Dieu celui qui la reçoit (…) qui associe toujours le dernier oint du Seigneur à l’antique lignée qui le précède. La couronne qu’ont portée les Ottoniens, les Hohenstaufen, les Habsbourg, un Hohenzollern peut la porter, cela va sans dire; elle est pour lui une surabondance d’honneur, un rayonnement de mille années d’éclat. Celle-là au contraire, (…) est déshonorée surabondamment par l’odeur de charogne que lui donne la révolution de 1848, la plus niaise, la plus sotte, la plus stupide.  »

— Frédéric-Guillaume IV, Correspondance, cité dans Les Mémoires de l’Europe, Paris, R. Laffont, 1972, t. V, p. 209

Fréderic-Guillaume IV propose alors, en vain, une union allemande avec, d’une part, l’Empire d’Autriche et, d’autre part, un Empire allemand dont il serait le souverain. L’Autriche refuse et même sa tentative d’établir une union restreinte de la Prusse et des petits États se heurte à l’hostilité internationale. Le Printemps des peuples échoue à faire l’unité allemande. Avec l’échec de la Révolution, le drapeau noir-rouge-or disparaît mais reste le symbole du mouvement démocratique allemand. Il ne sera cependant adopté comme drapeau national que pendant la République de Weimar et en RFA après 1945.

La Prusse, moteur de l’unité allemande de 1870

Dans les années 1850, la Confédération germanique s’industrialise. Le Zollverein (union douanière), la constitution d’un réseau ferré nécessairement transfrontalier, l’adoption d’une monnaie de compte unique par presque tous les États de la Confédération sont autant d’éléments d’une unité économique qui précède l’unité politique autour de la Prusse. Le courant unitaire qui était peu actif depuis l’échec du parlement de Francfort renaît en 1859. L’Union nationale (Nationalverein) reprend largement les idées développées en 1848. Le terme de « Realpolitik » apparait un essai de l’auteur libéral Ludwig August von Rochau, publié en 1853 sous le titre Grundsätze der Realpolitik, Angewendet auf die staatlichen Zustände Deutschlands (Les Principes de la Realpolitik appliqués au contexte étatique de l’Allemagne). La Realpolitik s’encombre peu du principe français du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : elle accorde plus d’importance à l’unité qu’à la liberté. Les idées sur l’unification allemande se trouvent également relayées par de nombreuses associations évangéliques des sociétés de bienfaisance, de tir, des chorales et des cercles de lecture. L’éducation joue également un grand rôle dans la propagation de l’idéologie unitaire. L’enseignement primaire est généralisé dans tout le royaume; celui de l’enseignement secondaire se popularise et compte en proportion deux fois plus d’élèves qu’en France.

Bismarck

L’unité allemande est largement l’œuvre d’Otto von Bismarck. Ce noble prussien aux opinions très conservatrices représente la Prusse à la diète de Francfort de 1851 à 1859. Il en acquiert la conviction qu’il n’y a pas de place pour deux puissances en Allemagne. Il pense que tôt ou tard l’affrontement se produira entre les deux États. Ses écrits sont très clairs à ce propos :

« Il n’y a pas de place pour deux en Allemagne. Je veux venger la reculade d'Olmütz, je veux abattre l’Autriche. Je veux relever la Prusse et lui donner en Allemagne la situation prépondérante qui lui revient de droit.  »

— Otto von Bismarck, Pensées et souvenirs, 1899.

C’est Guillaume Ier, roi de Prusse depuis 1861 qui l’appelle au poste de ministre-président en 1862 pour résoudre le conflit entre le Landstag, le parlement prussien et le roi au sujet de la réforme de l’armée. Il instaure un gouvernement autoritaire et gouverne par décret, ce qui permet l’organisation d’une armée nombreuse, efficace et bien équipée. En effet, « le fer et le sang » sont pour Bismarck les moyens de réaliser l’unité allemande par le haut, c’est-à-dire sans le consentement des peuples.

La courte guerre des Duchés, en 1864, est la première étape de l’unité allemande. Le Schleswig, peuplé d’Allemands et le Holstein, peuplé d’Allemands et de Danois sont des propriétés personnelles du roi du Danemark sans faire partie de son royaume. En 1863, ce dernier les incorpore à son royaume. Ceci entraîne une guerre de la Confédération germanique menée par la Prusse et l’Autriche contre le Danemark en 1864. La rapide victoire permet à l’Autriche d’obtenir l’administration du Holstein et à la Prusse celle du Schleswig. Pour Bismarck, cet arrangement est provisoire. Il attend le moment propice pour affronter l’Autriche. Après s’être assuré la neutralité bienveillante de la France et l’alliance italienne grâce à l’entremise française, la Prusse multiplie les provocations à l’égard de l’Autriche et, sous un prétexte futile envahit le Holstein.

La bataille de Sadowa, 3 juillet 1866

Dans la guerre austro-prussienne qui s’ensuit, l’Autriche, bien que bénéficiant du soutien de la Confédération germanique, est sévèrement battue à la bataille de Sadowa le 3 juillet 1866. Quand l’armistice est signée le 22 juillet 1866, les armées prussiennes ne sont plus qu’à 60 km de Vienne. La Prusse qui bénéficie toujours du soutien français annexe le Schleswig-Holstein, le royaume de Hanovre, le duché de Nassau et la Hesse, ce qui permet à la Prusse d’avoir un État d’un seul tenant, de former la Confédération de l'Allemagne du Nord excluant l’Autriche et dans laquelle les États catholiques du Sud de l’Allemagne refusent de rentrer. Aucun plébiscite n’est organisé pour s’assurer de l’accord de peuples concernés par les annexions. L’unification se fait bien par le haut.

En 1867, la Confédération d'Allemagne du Nord regroupe vingt-et-un États. Chaque État garde son gouvernement local mais il existe au-dessus un gouvernement fédéral, comprenant deux chambres, dirigé par le président, Guillaume Ier et le chancelier fédéral, Bismarck. Une armée commune se compose des armées de chaque membre. Pour achever l’unité allemande, le chancelier doit combattre les sentiments anti-prussiens des États du Sud. Les maladresses de Napoléon III lui permettent de dresser l’opinion publique de tous les États contre la France. En effet, après l’éclatante victoire de la Prusse, l’empereur des Français qui n’avait jusque-là rien réclamé, demande des compensations pour sa neutralité, des territoires sur la rive gauche du Rhin d’abord, puis le Luxembourg. Bismarck, avec habileté, rend publiques ces revendications qu’il qualifie de politique des pourboires.

Proclamation de l’Empire allemand le 18 janvier 1871 dans la galerie des Glaces à Versailles

En 1870, une nouvelle pomme de discorde surgit entre les deux États. Les Espagnols qui ont chassé leur reine, proposent le trône, dans le plus grand secret, à Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen. Quand cette proposition est connue en juin 1870, le France s’émeut. Elle ne veut pas d’un souverain prussien au sud. Dans un premier temps, Guillaume Ier assure à l’ambassadeur français, le comte Vincent Benedetti qu’il ne s’opposera pas à un retrait de la candidature Hohenzollern en Espagne. Mais la France s’obstine et demande la garantie que le roi s’opposera à toute nouvelle candidature Hohenzollern. Guillaume éconduit l’ambassadeur et fait part de la rencontre dans un télégramme, la dépêche d'Ems, que Bismarck, qui n’en attendait pas tant, s’empresse de publier. Les États allemands voient dans l’insistance française un désir de les humilier.

La France, ulcérée par la publication du télégramme déclare la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. La guerre franco-allemande commence. L’impréparation française la conduit au désastre alors que les États d’Allemagne du Sud acceptent dès novembre 1870 d’entrer dans la Confédération d’Allemagne du Nord et que l’Empire allemand est proclamé le 18 janvier 1871 dans la galerie des Glaces du château de Versailles, jour anniversaire du couronnement de Frédéric Ier de Prusse, le premier roi de Prusse à Koenigsberg en 1701. La défaite française a fini de sceller l’unité allemande. Le traité de Francfort est signé le 10 mai 1871. La France cède à l’Empire allemand l’Alsace-Lorraine. L’antagonisme franco-allemand naît de cette annexion.

Cependant d’après les conceptions allemandes de la nation de l’époque, l’Empire est un État-Nation incomplet. En effet les Autrichiens, de langue allemande en sont exclus, l’intégration des minorités danoises et polonaises présente sur le territoire est un échec[8]. En 1886, Friedrich Nietzsche écrit que les Allemands sont « plus inconcevables, plus amples, plus contradictoires, plus inconnus, plus déconcertants, plus surprenants et même plus effrayants que d’autres peuples ne s’imaginent l’être. Ils échappent a toute définition et font, pour cette raison déjà, le désespoir des Français. C’est un trait distinctif des Allemands qu’on voit toujours reparaître chez eux cette question : « Qu’est-ce qui est allemand ? »[9] »

La question allemande au XXe siècle

L’Allemagne après le traité de Versailles

La première guerre mondiale et la défaite allemande sont lourdes de conséquences pour le territoire et le peuple allemands. Le traité de Versailles, que l’Allemagne signe le 28 juin 1919, est ressenti comme un diktat car il ampute le territoire allemand au profit de la Pologne renaissante. Le traité affirme la responsabilité de l’Empire allemand dans l’éclatement de la guerre. La séparation de l’Allemagne en deux territoires distincts, le corridor de Dantzig séparant la Prusse orientale du reste du territoire, l’interdiction faite à l’Autriche de s’unir à l’Allemagne alors qu’il n’y a plus d’obstacle à la réalisation de la grande Allemagne sont perçus comme autant d’injustices. De même, l’incorporation des régions habitées par les Allemands des Sudètes et appartenant à la nouvelle République tchécoslovaque est interdite. Ces interdictions ne parviennent pas à endiguer la résurgence du rêve d’une grande Allemagne. L’Allemagne vaincue sur le plan militaire et souffrant des conséquences de cette défaite, n’en est que plus sensible aux attraits d’un passé magnifié. Le Saint-Empire romain germanique du Moyen Âge redevient un modèle idéalisé.

Dans l’entre-deux-guerres, l’opposition au traité de Versailles mobilise aussi bien le parti communiste que la droite. Cependant la question allemande redevient plus aigüe avec l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933. Le nationalisme allemand prend un tour revanchard, ouvertement raciste et antisémite. L’occupation de la Rhénanie démilitarisée en mars 1936, le rattachement de l’Autriche en mars 1938, celui des Sudètes à l’automne de la même année, font grimper la popularité de Hitler à des taux record dans toutes les couches sociales. Le mythe de l’Empire et de sa mission historique, dont Hitler sait jouer remarquablement lui donne le soutien des classes cultivées.

L’effondrement du troisième Reich en mai 1945 représente une rupture bien plus profonde que la fin de l’Empire en novembre 1918. L’Empire avait subsisté en tant que territoire après la Première Guerre mondiale. Les vainqueurs, États-Unis, Union soviétique, Royaume-Uni et France, assument le pouvoir et décident de l’avenir de l’Allemagne. Les élites politiques et militaires perdent leurs biens et leur pouvoir. Les territoires à l’est de l’Oder et de la Neisse sont concédés à la Pologne ou à l’URSS. Les populations allemandes sont chassées de ces régions. Pourtant ces conditions plus dures et plus arbitraires qu’en 1919, n’ont jamais constitué un terreau pour les revendications nationalistes ou unitaires.[10]. Le départ de millions de réfugiés et d’expulsés allemands explique pourquoi le problème de l’inadéquation des limites de l’État allemand et des limites de la nation allemande a aujourd’hui disparu[11]. En 1945, le rêve d’une grande Allemagne prend définitivement fin. Allemands et Autrichiens développent alors leur propre conscience nationale[12].

Après 1945, l’Allemagne est de nouveau désunie. Le partage du pays entre zones d’occupation occidentales et soviétiques aboutit à la naissance de deux États indépendant en 1949, la République fédérale d'Allemagne, démocratique et libérale, et la République démocratique allemande communiste et totalitaire. Les ancrages politiques semblent marquer un fossé de plus en plus grand. La République fédérale d'Allemagne entre à l’OTAN en 1955, alors que la République démocratique allemande fait partie du pacte de Varsovie. L’occupation soviétique, en empêchant la formation d’un seul État allemand a créé une situation totalement artificielle, que le général de Gaulle a identifiée dès 1959, désignant la RDA comme un régime d’occupation[13].

Il faut attendre la fin des années 1980 pour que l’ordre d’après-guerre se mette à chanceler. À l’automne 1989, la pression des protestataires dans l’État est-­allemand est si forte que le régime communiste, discrédité, finit par capituler. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin, symbole de l’oppression communiste, tombe. L’année suivante, Les quatre puissances ayant des troupes stationnées en Allemagne signent le 12 septembre 1990 le traité « 4 + 2 » appelé aussi traité de Moscou[14]. La RFA absorbe sa consœur « démocratique » le 3 octobre suivant. Les Allemands sont enfin regroupés dans un État unitaire, débarrassé des scories expansionnistes.

Voir aussi

Références

  1. Werner Ruf, département des sciences sociales de l’université de Kassel La conception de la nation en France et en Allemagne
  2. La fin de la question allemande
  3. a  et b diplomatie allemande, « Les couleurs du drapeau allemand » sur [1]. Consulté le 18 avril 2008
  4. Jacques Droz, Histoire de l’Allemagne, PUF, 2007, p 21
  5. José Rovan, Histoire de l’Allemagne, Seuil, 1994, p 481
  6. José Rovan, p. 495
  7. José Rovan, p 496
  8. Michael Mertes, Claire Skalmowski, « Les questions allemandes au XXe siècle : identité, démocratie, équilibre européen », Politiques étrangères, 2000, n°4-5, p 800-801
  9. Par-delà le bien et le mal, 8e partie, paragraphe 244. Traduction de Geneviève Bianquis. Aubier, collection bilingue
  10. Éric Hosbawn, Nation et nationalisme depuis 1780, page 184 et 185
  11. Michael Mertes, Claire Skalmowski, p 806
  12. Michael Mertes, Claire Skalmowski, p 805
  13. Édouard Husson, dans L’Allemagne à l’aube du XXIe siècle www.diploweb.com
  14. P. Jardin/A. Kimmel, Les Relations franco-allemandes depuis 1963, La Documentation française (coll. Retour aux textes), Paris, 2001

Bibliographie

  • Divers articles de l’Encyclopædia Universalis, DVD, version 2007
  • Jacques Droz, Histoire de l’Allemagne, PUF
  • Albert Malet et Jules Isaac, La Naissance du monde moderne, Hachette, 1961.
  • José Rovan, Histoire de l’Allemagne, Seuil, 1994.

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