Querelle des Investitures

Querelle des Investitures
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La querelle des Investitures est le conflit qui opposa la papauté et le Saint-Empire romain germanique entre 1075 et 1122. Elle tire son nom de l'investiture des évêques. Au Moyen Âge, l’investiture est un acte par lequel une personne met une autre en possession d'une chose. Au XIe siècle, les souverains estiment que le fait de confier à un évêque ou à un curé des biens matériels leur permet de choisir l'officiant et de lui accorder les investitures spirituelles. Cette mainmise du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel a comme conséquence une défaillance profonde du clergé, qui n'assure plus son rôle.

La réforme grégorienne qui débute au milieu du XIe siècle entend lutter contre les manquements du clergé à ses devoirs, ce qui incite le pape à vouloir le contrôler, au détriment du pouvoir politique. Les monarques du Saint-Empire romain germanique, pour qui les évêques sont aussi des relais de l'autorité impériale, s'opposent alors à cette prétention. Après une lutte sans merci entre les empereurs et les papes, la querelle des Investitures aboutit à une victoire provisoire du spirituel sur le temporel.

Dagobert Ier investit Audomar à la tête de l'évêché de Thérouanne. Vie de Saint Omer, XIe siècle.

Sommaire

Les origines de la querelle

Le règne des Ottoniens, à la tête du Saint-Empire romain germanique, commence le 2 février 962 par le couronnement à Rome d'Otton Ier par le pape Jean XII[1]. Ils vont exercer un contrôle total sur l'élection des papes et sur la nomination des évêques dans l’Empire. Pour asseoir leur autorité, les souverains germaniques ont dévolu des pouvoirs régaliens aux prélats. Les évêques présentent l'avantage de ne pas avoir d'héritier. Ne concéder les charges qu'à titre viager permet de récupérer les terres à la mort du vassal et évite donc la perte progressive des possessions. Cela permet aussi de conserver un moyen de pression sur ses vassaux dont la jouissance des terres accordées en précaire peut être retirée. Louis le Pieux avait précipité la fin de l'empire carolingien en rompant l'équilibre entre les biens fonciers fiscaux et les biens fonciers accordés en jouissance à la noblesse[2]. Dès lors, l'empereur n'était plus assez riche pour entretenir ses vassaux dont plus rien ne bridait les velléités naturelles d'indépendance. Dès sa fondation, le Saint-Empire est entravé par le peu d'institutions sur lesquelles l'empereur peut asseoir son autorité et par la faiblesse de ses revenus car les empereurs ne disposent que de leurs propres domaines pour financer leur politique[3].

Les Ottoniens évitent ce problème en donnant les investitures temporelles et spirituelles à des hommes de leur choix, souvent issus de la chapelle royale où ils ont pu être jaugés, fidèles à leur personne et à leur pouvoir. Ainsi, les évêques de la Reichskirche (littéralment l'Église impériale) forment l'ossature de l'administration impériale. Cette investiture est symbolisée par la remise de l'anneau et de la crosse par l'empereur à l'évêque entrant en charge. Cette pratique ne concerne pas que les diocèses mais aussi les monastères royaux, les grands chapitres séculiers[4]. L'arrivée au pouvoir de la dynastie salienne ou franconienne en 1024, avec l'élection de Conrad II ne change rien à cette organisation. Jusqu'au règne d'Henri III (1039-1056), ce système institutionnel fonctionne parfaitement.

La réforme grégorienne et les prérogatives impériales

Henri III du Saint-Empire - miniature de 1040

Au XIe siècle, cette politique va se trouver en totale opposition avec la réforme grégorienne mise en œuvre par la papauté qui estime que les difficultés dont souffre le clergé trouvent leur source dans la mainmise du pouvoir temporel.

Depuis le Xe siècle, un courant de réforme monastique porté par des abbayes comme Cluny, Brogne ou Gorze s'efforce de moraliser la conduite du clergé. Henri III, pensant qu'il est l'oint du Seigneur et qu'il doit faire appliquer strictement ses préceptes[5], place directement sous sa protection les couvents réformés, les soustrayant à l'appétit des seigneurs laïcs[6].

À Rome, au même moment, les grandes familles de la ville se disputent la papauté. Ainsi, trois papes revendiquent la tête de l'Église catholique. Le synode de Sutri démet ces trois papes en décembre 1046. L'évêque de Bamberg, devenu pape sous le nom de Clément II, couronne Henri et sa femme[7]. Il nomme ensuite Léon IX, son cousin imprégné comme lui d'esprit de réforme, pour lui succéder au Saint-Siège. Ce dernier s'entoure de réformateurs (Hildebrand, le futur Grégoire VII, est l'un de ses principaux conseillers[8]) et son pontificat marque le début de la réforme grégorienne dès avril 1049 lorsqu'il réunit un concile à Rome condamnant la simonie et le nicolaïsme. La coopération entre "les deux moitiés de Dieu" profite, dans un premier temps, aux deux parties. Elle renforce le caractère sacré de l'empereur, qui doit être élu par les grands seigneurs du Saint-Empire[9].

Mais, en 1054, Léon IX meurt. À son tour, Henri III décède en 1056, ne laissant qu'un héritier de six ans. Profitant de la minorité d'Henri IV, alors roi des Romains, le pape Nicolas II décide en 1059 de réserver l'élection du pape aux seuls cardinaux. Le pape n'est donc plus l'homme de l'empereur. Parmi les réformateurs, certains, à la suite de Humbert de Moyenmoutier, pensent que l'inconduite du clergé est due à l'investiture laïque. Ils estiment que les laïcs ne nomment pas toujours la personne la plus compétente mais celle qui servira le mieux leurs intérêts. L'investiture laïque est donc condamnable, même si elle ne se fait pas en échange d'argent [10].

Hildebrand continue à s'opposer énergiquement à l'investiture laïque aux côtés des papes successifs[11] puis en tant que souverain pontife après son élection en 1073. Mais il a face à lui un jeune roi qui a une haute idée de ses devoirs et de ses droits et qui entend bien revenir sur les concessions faites aux princes germaniques et au pape pendant sa minorité[12].

Lors du concile du Carême de 1074, des décisions sont prises pour écarter les prêtres simoniaques ou concubinaires. Mais les évêques nationaux, principalement les germaniques, ne montrent aucun empressement à appliquer les décisions du concile. Dans un premier temps, le roi des Romains, Henri IV, propose de jouer les médiateurs entre les légats pontificaux et les évêques germaniques[13]. Lors du concile du Carême de 1075, non seulement les prêtres simoniaques et concubinaires sont menacés d'excommunication mais des évêques sont aussi condamnés[14]: « Si quelqu'un désormais reçoit de ta main de quelque personne un évêché ou une abbaye, qu'il ne soit point considéré comme évêque. Si un empereur, un roi, un duc, un marquis, un comte, une puissance ou une personne laïque a la prétention de donner l'investiture des évêchés ou de quelque dignité ecclésiastique, qu'il se sache excommunié »[15]. Grégoire VII publie également un décret interdisant aux laïcs de choisir et d'investir les évêques. C'est la première fois que l'Église prend position sur la question des investitures laïques.

Henri IV, qui vient de vaincre une rébellion en Saxe[10], veut compter sur le soutien d'une Église impériale dévouée face à la turbulence des grands seigneurs. Pourtant, dans un premier temps, Henri IV, qui n'est pas hostile à la réforme, cherche à négocier tout en continuant à nommer les évêques. Il a comme objectif de renforcer en Italie une Église d'Empire, Reichskirche, qui lui serait totalement fidèle[16]. Deux évêchés vacants sont donnés à deux fidèles d'Henri IV, ainsi que l'archevêché de Milan, contre l'avis du pape et des bourgeois de la ville[17]. Le pape proteste en des termes très vifs. Alors éclate le conflit. Au-delà de la question des investitures, c'est le sort du dominium mundi qui se joue, la lutte entre le pouvoir sacerdotal et le pouvoir impérial. Les historiens du XIIe siècle appellent cette querelle Discidium inter sacerdotium et regnum[18].

Les Dictatus papae

Le pape affirme son autorité sur l'Église universelle et sur les princes dans une lettre de mars 1075 conservée aux Archives vaticanes. Intitulée Dictatus papae (décrets ou affirmations du pape), elle comprend 27 points. Dans ce document, le pape soutient que, dans la société chrétienne dont le ciment est la foi, le pouvoir appartient à l'ordre sacerdotal. L'ordre laïque doit exécuter les commandements de l'ordre sacerdotal[19]. Grégoire VII affirme qu'il est, de par le Christ, le seul à avoir un pouvoir universel, supérieur à celui des souverains, qu'il peut déposer, et qu'il est le seul maître de l'Église. Il doit exécuter ses directives. Le pape s'estime l'héritier de l'Empire romain et par là même "l'empereur suprême". Tous les détenteurs du pouvoir temporel lui doivent donc obéissance. L'empereur n'est donc plus le coopérateur du souverain pontife, mais son subordonné. C'est au pape de se prononcer sur l'aptitude des princes à exercer leur fonction. L'empereur n'est plus un personnage sacré, car il n'est qu'un laïc[20]. Cela remet en cause l'Église impériale et le mode de gouvernement mis en place par les Ottoniens[10]. Il n'y a plus de relation de collaboration mais de sujétion. Grégoire VII pense que les papes ont certes des pouvoirs sans limites mais aussi des devoirs écrasants. Il écrit d'ailleurs à l'abbé de Cluny: "Les temps sont d'une extrême gravité, et nous portons le poids énorme des affaires spirituelles et séculières."

Les monarques y voient une atteinte à leur pouvoir et refusent de publier les Dictatus papae dans leurs États. Les Dictatus papae donnent naissance à une science canonique et à la progression de la puissance papale comme monarchie centraliste. Dans l'Église, le pape se fait législateur unique ; même les décrets des conciles lui sont attribués[21].

Le conflit entre le pape et Henri IV

L'abaissement d'Henri IV

Article détaillé : Pénitence de Canossa.
Henri IV fait pénitence à Canossa

Un synode d'évêques germanique, réuni à Worms en janvier 1076, reproche au pape son ingérence dans les affaires épiscopales. Il le déclare indigne de ses fonctions et lui refuse obéissance. En réaction à la lettre qui le conviait avec une grande brutalité à renoncer à sa charge, Grégoire VII fait déposer Henri IV par un autre synode en février 1076. L'empereur, dont les sujets sont déliés de leur serment de fidélité, est finalementexcommunié tout comme l'archevêque de Mayence Sigefroi Ier de Mayence. De plus, les évêques signataires de la lettre de Worms sont invités à se soumettre avant le 1er août 1076[22]. Très vite, des prélats germaniques déclarent leur soumission au pape; les ducs de Souabe, Carinthie et Bavière se déclarent contre Henri IV, avec l'appui des Saxons, qui reprennent les armes. Le 16 octobre 1076, à Trebur, les princes décident qu'un nouveau monarque sera élu si la sentence papale n'est pas levée dans un an[23] et demandent au pape de venir juger le souverain déchu[24]. Ils font bloquer les passages des Alpes pour empêcher Henri IV de rencontrer Grégoire VII.

À l'idée de voir se révolter une noblesse trop heureuse de contester le pouvoir impérial, Henri IV recule. Il quitte Spire en cachette avec une garde réduite, passe le col du Mont-Cenis par un froid intense et chevauche à la rencontre de Grégoire VII à Canossa, au nord de l'Italie. Le souverain pontife, qui se rendait à Augsbourg pour assister à une assemblée impériale, s'est réfugié dans cette ville car il se croit menacé. Henri IV attend trois jours, en habit de pénitent, que le pape daigne le recevoir, puis il s'agenouille devant lui pour implorer son pardon. En réalité, les trois jours se passent en négociations au cours desquelles Mathilde de Toscane et l'abbé de Cluny Hugues, parrain d'Henri IV, jouent un rôle fondamental. Le pape, en tant que représentant d'une religion qui prêche le pardon, n'a d'autre choix que de lever l'excommunication. Grégoire VII fait cependant savoir que si le pécheur a reçu l'absolution, il ne lui a pas pour autant restitué son pouvoir[10]. Par sa pénitence à Canossa, Henri IV est parvenu à écarter le danger d'une entente entre le pape et l'opposition des princes germaniques, mais le pape a pu s'ériger en juge des princes, droit que Grégoire VII juge naturel. Cependant la réhabilitation d'Henri IV n'empêche pas l'élection d'un nouvel empereur, Rodolphe de Rheinfelden, par les princes révoltés en 1077.

Henri IV reprend l'avantage

Henri et l'antipape Clément III. Mort de Grégoire VII

Soutenu par ses vassaux lombards, Henri IV renforce le nombre de ses partisans dans son royaume. Il ne modifie pas son comportement politique et religieux. Le synode du Carême de 1080 est l'occasion pour Grégoire VII d'interdire une nouvelle fois les investitures et de l'excommunier à nouveau. Pourtant, le clergé germanique reste aux côtés de son souverain. Il défait Rodolphe une première fois le 27 janvier 1080. Rodolphe est tué à la bataille de Mersebourg en octobre de la même année[15]. Dans la même période, Henri IV réunit un synode qui dépose le pape et élit un antipape, Clément III, qui ne parvient pas à s'imposer en dehors de l'Empire romain germanique, malgré l'appui des rois de Hongrie et d'Angleterre. Il cherche surtout à concilier les objectifs de la réforme grégorienne et ceux d'Henri IV et rédige un faux privilège d'Adrien Ier à Charlemagne, attestant que le pape a donné à l'empereur le droit d'élection pontificale[25].

En mars 1081, Henri quitte la Germanie pour l'Italie, où il se fait couronner roi d'Italie à Pavie[26] alors qu'au même moment ses détracteurs élisent le 26 décembre de la même année Hermann Ier, comte de Salm-Luxembourg, anti-roi de Germanie. Il met à sac les possessions de la comtesse Mathilde, puis marche sur Rome, qu'il ne parvient à prendre qu'en 1084 grâce à l'aide des nobles romains, qui lui ouvrent les portes de la ville[15]. Il se fait couronner empereur par Clément III le jour de Pâques. Grégoire VII est enfermé dans le château Saint-Ange, mais il est délivré par Robert Guiscard, le roi normand de Sicile qu'il avait excommunié en 1074 et avec qui il s'est réconcilié pour résister à Henri IV. Mais les Normands pillent la ville, ce qui vaut au pape l'hostilité des Romains. Grégoire VII quitte donc Rome pour Salerne[15]. Il y mourra épuisé, le 25 mai 1085. La situation devient confuse. Certains évêques germaniques répugnent à soutenir l'élection d'un antipape. La plupart des évêques de l'Italie du Nord ont été suspendus par Grégoire VII en 1085. Henri IV révoque tous les évêques germaniques partisans du pape. Dans plusieurs diocèses, les fidèles se retrouvent avec deux évêques, comme à Minden, où sont nommés le grégorien Reinhard et Folmar, partisan de l'empereur[27]. À Metz, les bourgeois prennent le parti de l'empereur et interdisent l'entrée de la ville aux évêques grégoriens jusqu'en 1122. Les monastères germaniques sont eux aussi entraînés dans la querelle. Le mouvement du renouveau monastique va dans le sens de la réforme grégorienne.

La lutte idéologique

Entre 1080 et 1085, 24 libelles polémiques sont écrits de part et d'autre. En tout, à peu près 150 écrits en latin ont circulé sur le thème de la querelle des Investitures[28]. Aux violentes dénonciations de la chancellerie d'Henri IV répondent les longues lettres que Grégoire VII envoie aux clercs d'Occident. Les uns interdisent de recevoir des sacrements d'un prêtre marié ou non chaste, les autres mettent en avant la menace de priver les fidèles de sacrements. L'interdiction de la simonie suscite elle aussi de nombreux débats sur la place du pouvoir royal dans l'Église, sur l'élimination du clergé de tous ceux qui tiennent leur pouvoir d'un antipape ou d'un partisan d'Henri[29]. Le pape peut compter sur un grand nombre des plumes ecclésiastiques, à une époque où le clergé est le principal dépositaire du savoir. Les monastères acquis aux thèses du pape sont un relais efficace en particulier Reichenau, Schaffhouse et l'abbaye de Hirsau[30]. Manegold de Lautenbach attribue même l'autorité royale à une délégation de pouvoir du peuple que celui-ci peut annuler si le monarque se conduit comme un tyran et n'agit pas dans l'intérêt du peuple. Le parti impérial reprend les thèses de l'institution divine de la royauté et de la mission sacrée de l'empereur, chef et protecteur du peuple chrétien[31]. Les juristes de Bologne et de Padoue mettent en avant une nouvelle lecture du droit romain qui fait de l'empereur, le monarque suprême et du pape un sujet comme les autres[32]. Sigebert de Gembloux place le débat dans une perspective historique. L'Empire est passé des Romains aux Francs, puis des Francs aux Germains. Tôt ou tard tous les royaumes rejoindront l'Empire, c'est la volonté de Dieu[33]. Il est difficile de mesurer l'impact de ces traités. Ils circulent en petit nombre et touchent surtout le clergé. Il ne faut pas oublier que l'enjeu de la lutte est surtout la fidélité du clergé à l'empereur.

La fin du règne d'Henri IV

Henri IV et son fils

À la mort de Grégoire VII, aucun pape n'est élu pendant deux ans. Ensuite le faible Victor III règne pendant dix mois. Henri IV commence à penser que la victoire est dans son camp. Il n'est cependant pas au bout de ses difficultés. Il s'oppose à Urbain II, le successeur de Victor III. Il doit faire face à un soulèvement de la Bavière en 1086 et, à l'instigation de la comtesse Mathilde, à une première révolte de son fils Conrad, duc de Lorraine, qui se fait élire roi de Germanie en 1087[26]. Entre 1093 et 1097, son fils Conrad lui interdit tout retour en Germanie en occupant les cols des Alpes. Urbain II, au même moment, entreprend un voyage en France et, au concile de Clermont de 1095, appelle la chrétienté à la première croisade. Il prend ainsi la tête d'une entreprise mobilisant toute la chrétienté occidentale[33]. En 1099, Pascal II, un moine clunisien succède à Urbain II.

La femme d'Henri IV, Praxède, puis son second fils, le futur Henri V qu'il a fait élire empereur en 1099, l'abandonnent et soutiennent le pape. Henri V fait déposer en 1100 son frère Conrad et prend la tête de la noblesse germanique. Après avoir fait prisonnier son père, il l'oblige à abdiquer lors de la diète de Mayence en 1105[26]. Henri IV meurt en 1106 à Liège, toujours excommunié : il ne recevra une sépulture religieuse qu'en 1111. L'Église germanique, lasse du conflit, se laisse convaincre des effets négatifs de la simonie. Les évêques attachent désormais moins d'importance aux affaires politiques et se montrent plus soucieux des aspects religieux de leur ministère[34]. Malgré la résistance opiniâtre d'Henri IV, la réforme grégorienne fait donc des progrès en Germanie.

Le compromis

Quand Henri V arrive au pouvoir, la question des investitures a été résolue en France comme en Angleterre. Il sait donc que négocier est possible. L'évêque français Yves de Chartres, spécialiste de droit canonique, avait en effet amorcé une solution en distinguant pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Les monarques avaient renoncé à donner les investitures aux évêques en utilisant des symboles religieux.

Le conflit entre Henri V et Pascal II

Henri V s'était appuyé sur les partisans de la réforme grégorienne pour affermir son pouvoir face à son père, mais, dès que son autorité est solidement assise, il s'oppose au pouvoir pontifical en se mêlant comme son père des nominations d'évêques. Il estime que, vu la symbiose entre l'Église et l'Empire, il était dangereux de trop desserrer les liens[35]. Le pape Pascal II, qui a renouvelé l'interdiction des investitures laïques, pense pouvoir négocier. En effet, Henri V veut être couronné empereur par le pape. Le souverain se rend en Italie pour négocier directement avec le pape. Le pape propose une solution radicale qui vise à rompre définitivement les liens entre l'épiscopat et l'Empire[36]. Les deux hommes signent le concordat de Sutri en février 1111[37]. L'empereur renonce alors aux investitures laïques. En échange, les évêques renoncent aux regalia, c'est-à-dire aux villes, duchés, marquisats, péages, monnaies, marchés qu'ils tenaient de leurs fonctions administratives dans l'Empire. En contrepartie, les églises sont libres avec toutes leurs possessions propres. L'accord est ratifié par le roi sous réserve de l'adhésion des évêques germaniques. Les concessions accordées par Pascal II suscitent une vive opposition de la part de la Curie romaine[38] et des évêques germaniques.

Le 12 février 1111, lors de la cérémonie du couronnement, devant la protestation bruyante des évêques, Henri V déclare l'accord inapplicable[39]. Le pape refuse donc de le couronner. Pascal II est emprisonné. Il est obligé de couronner Henri V et de signer l'accord du Ponte Mummolo le 11 avril 1111. Ce nouvel accord permet à l'empereur de donner les investitures à sa guise[34]. Le camp impérial semble triompher. Mais Le concile de Latran de 1112 revient sur toutes les concessions faites pendant la captivité du pape. De plus, Henri V doit faire face à un mécontentement général en Germanie. À l'est les Saxons se révoltent. Les troupes impériales sont battues à deux reprises[40]. Henri V est excommunié en 1114 et le clergé germanique se range cette fois du côte du pape. Deux évêques réformateurs sont même nommés à Metz et à Magdebourg[41]. Ceci n'empêche pas Henri V d'incorporer dans les domaines de l'Empire les fiefs italiens ayant appartenu à Mathilde de Toscane en 1115[42]. Pascal II meurt en 1118. Le nouveau pape Gélase II refuse de rencontrer Henri V de peur d'être emprisonné et quitte Rome à l'arrivée de ce dernier. Comme son père précédemment, l'empereur fait élire un antipape, Grégoire VIII.

Le concordat de Worms

Le sceau d'Henri V.

Gélase II meurt en exil à Cluny en janvier 1119. Les prélats germaniques, las du conflit, espèrent une solution qui satisfera les deux partis. Le nouveau pape Calixte II entame, en 1119, des négociations avec l'empereur, qui n'aboutissent pas. Alors que l'armée impériale et les rebelles venus de Saxe sont prêts à s'affronter, les princes germaniques, réunis à l'initiative de l'archevêque de Trèves, enjoignent à Henri V de se soumettre au pape si celui-ci préserve "l'honneur de l'Empire"[43]. Une année de difficiles négociations commence. Lambert d'Ostie, légat du pape Calixte II, sait ménager l'empereur. Henri V, excommunié, est absous sans faire acte de pénitence[42]. Un accord est trouvé en 1122. Il est connu sous le nom de concordat de Worms. L'empereur renonce à l'investiture par la crosse et l'anneau. Il accepte la libre élection des évêques par le Chapitre canonial de la cathédrale. En cas de conflit lors de cette désignation, il peut arbitrer en faveur du candidat le plus digne. Il donne ensuite l'investiture temporelle sous la forme d'un sceptre pour les biens fonciers et les fonctions régaliennes de l'évêque. Ce dernier a l'obligation de s'acquitter des tâches que lui imposent les terres concédées par l'empereur[44]. Mais ce droit de regard sur l'élection épiscopale ne s'exerce que sur les possessions germaniques de l'empereur. Il perd donc son influence sur la nomination des évêques en Bourgogne et en Italie. Or, dans cette dernière région, les évêques étaient les plus fidèles soutiens de l'empereur et de gros pourvoyeurs de fonds pour le trésor impérial[45]. Cet accord met fin à la querelle des Investitures et sonne le glas du césaropapisme en Occident[46]. Toutefois, dans les faits, il est difficilement applicable.

La papauté a réussi, pour un temps, à soustraire les clergés nationaux au pouvoir des souverains. Elle renforce ainsi son prestige. Le pape Calixte II s'empresse d'ailleurs de réunir un concile œcuménique, le premier depuis celui de Constantinople en 843. Il reprend les dispositions du concordat de Worms et condamne de nouveau la simonie, le concubinage des clercs et la mainmise des laïcs sur les biens et les revenus de l'Église[47]. La papauté acquiert les éléments et les caractéristiques d'une monarchie. Mais le Saint-Siège n'a pas réussi à imposer son dominium mundi[48]. En séparant le temporel du spirituel, il permet la laïcisation progressive du pouvoir impérial, pouvoir qu’il contribue grandement à affaiblir. En effet, les excommunications et les interdits commencent à saper les structures de la pyramide féodale[49]. Le compromis est largement une défaite pour l'Empire. Les prélats ne sont plus les officiers du souverain temporel, mais des vassaux, comme les princes laïques. L'armature administrative des Ottoniens a perdu de sa solidité.

Le conflit n'est pas fini pour autant. Il rebondit dès 1154 avec le début de la Lutte du sacerdoce et de l'Empire et se solde par la défaite totale des empereurs germaniques, un siècle plus tard. Vers 1220, Frédéric II finit même par renoncer aux privilèges que lui avait concédés le concordat de Worms en terre germanique[49].

Notes et références

  1. Généalogie d'Otton Ier sur le site Medieval Lands
  2. Michel Balard, Jean-Philippe Genet et Michel Rouche, Le Moyen Âge en Occident, Hachette 2003, p 72.
  3. Encyclopaedia Universalis, article Allemagne médiévale
  4. Sous la direction de J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, Histoire du christianisme, tome 5, Desclée, 1991-2001, p 119
  5. Francis Rapp, Le Saint-Empire romain germanique, Tallandier, 2000, p 86
  6. Francis Rapp, p 90
  7. Francis Rapp, pp 91-92
  8. Francis Rapp, Léon IX, un grand pape, Heimetsproch.org
  9. Francis Rapp, p 129
  10. a, b, c et d Francis Rapp, Les relations entre le Saint-Empire et la papauté, d'Otton le Grand à Charles IV de Luxembourg (962-1356), clio.fr, consulté le 7 novembre 2007
  11. MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg et F.-Camille Dreyfus, Le pape Grégoire VII, La Grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts par une société de savants et de gens de lettres, Paris, Société anonyme de La Grande encyclopédie, 1885-1902, Encyclopédie universelle
  12. Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, Seuil, 1994, pp 116 et 117
  13. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 70
  14. En Germanie, Liémar, Werder de Strasbourg, Henri de Spire, Hermann de Bamberg
  15. a, b, c et d encyclopedie-universelle, « Le pape Grégoire VII: La querelle des Investitures » sur Encyclopédie universelle de la langue française. Consulté le 2 avril 2008
  16. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 71
  17. Joseph Rovan, p 119
  18. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 121
  19. Francis Rapp, p 132
  20. Francis Rapp, p 133
  21. Yves Congar, La papauté, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  22. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 72 et p 122
  23. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 122
  24. Jean-Marie Martin, Canossa, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  25. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 72
  26. a, b et c Memo, « Henri IV du Saint-Empire » sur MEMO. Consulté le 2 avril 2008
  27. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 123
  28. Joseph de Ghellinck, Littérature latine au Moyen Âge, Georg Olms Verlag, 1969, p.  80
  29. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 126
  30. Francis Rapp, p 142
  31. José Rovan, p 122
  32. José Rovan, p 123
  33. a et b Francis Rapp, p 143
  34. a et b J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 127
  35. Francis Rapp, p 145
  36. Francis Rapp, p 146
  37. Auguste Fliche, La réforme grégorienne et la reconquête chrétienne, Bloud & Gay, 1934, p 361
  38. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 89
  39. Le débat est posé sur les responsabilités d'Henri V. Certains historiens pensent que le couronnement ne devait servir qu'à la capture du pape. D'autres pensent que le roi était de bonne foi mais qu'il ne voulait pas s'aliéner les évêques germaniques donc sa volte-face du dernier moment. Francis Rapp pense que l'empereur a été déconcerté par les propositions révolutionnaires de Pascal II. Il les a acceptées avant de comprendre qu'elles étaient irréalistes, d'où son coup de force.
  40. Francis Rapp, p 147
  41. Pour Metz, il s'agit de Théoger, l'abbé réformateur du monastère de Saint-Georges en Forêt-Noire.
  42. a et b Anne Ben Khemis, Henri V, empereur germanique, Encyclopædia Universalis, DVD, 2007
  43. Francis Rapp, p 148
  44. Francis Rapp, p 149
  45. Joseph Rovan, p 126
  46. Jean Chélini,Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Hachette, 1991, p 293
  47. Jean Chélini p 292
  48. Michel Balard, Jean-Philippe Genêt, Michel Rouche, Des Barbares à la Renaissance, Hachette, 1973 p. 159
  49. a et b Valérie Sobotka, Grandeur et déclin du Saint-Empire, clio.fr

Bibliographie

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  • Michel Balard, Jean-Philippe Genêt, Michel Rouche, Des Barbares à la Renaissance, Hachette, 1973 (ISBN 2011455405)Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Jean Chélini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, Hachette, 1991. (ISBN 2012790747)Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Yves Congar, L'Église de Saint Augustin à l'époque moderne, Le Cerf, 1997. (ISBN 2-204-05470-4) disponible sur Ecclésiologie
  • J.-P Cuvillier, L’Allemagne médiévale, Tome 1 : Naissance d'un État (VIIIe-XIIIe Siècles, Payot, 1979.
  • Sous la direction de A Fliche et V Martin, Histoire de l'Église, des origines jusqu'à nous jours, Bloud & Gay :
    • Auguste Fliche, La réforme grégorienne et la reconquête chrétienne, 1934.
  • Sous la direction de J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, Histoire du christianisme, Tome 5, Desclée, 1991-2001 (ISBN 2-7189-0573-5) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Robert Folz, L'idée d'Empire en Occident du Ve au XIVe siècle, Aubier, Paris, 1953.
  • E Jordan, L'Allemagne et l'Italie aux XIIe et XIIIe siècles, Presses Universitaires de France, Paris, 1937-1939.
  • Marcel Pacaut:
  • Francis Rapp, Le Saint-Empire romain germanique, d'Otton le Grand à Charles Quint, Point Histoire, Seuil, 2003, (ISBN 2020555271) Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, Seuil, 1994, (ISBN 2020351366)Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article

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