Matière invisible

Matière invisible

Matière noire

Page d'aide sur l'homonymie Ne doit pas être confondu avec énergie sombre ou Trou noir.

En astrophysique, la matière noire (ou matière sombre), traduction de langlais dark matter, désigne la matière apparemment indétectable, invoquée pour rendre compte deffets inattendus, notamment au sujet des galaxies. Différentes hypothèses ont été émises et explorées sur la composition de cette hypothétique matière noire : gaz moléculaire, étoiles mortes, naines brunes en grand nombre, trous noirs, etc. Cependant, les observations (ou plutôt le manque dobservations directes) impliqueraient plutôt une nature non-baryonique, et donc encore inconnue, encore que lon suppose fortement des super-partenaires tels que le neutralino (voir la page sur la supersymétrie). Ces particules exotiques sont regroupées sous le nom générique de WIMP, acronyme de langlais Weakly interacting massive particles.

La matière noire représenterait pourtant une abondance au moins cinq fois plus importante que la matière baryonique, pour constituer de 83 %[1] à 90 %[2] de la densité totale de lUnivers observable[3], selon les modèles de formation et dévolution des galaxies, ainsi que les modèles cosmologiques.

Sommaire

Détection indirecte de la matière noire

Premiers indices

En 1933 lastronome suisse Fritz Zwicky décide détudier un petit groupe de sept galaxies dans lamas de Coma. Son objectif était de calculer la masse totale de cet amas en étudiant la vitesse (ou plutôt la dispersion des vitesses) de ces sept galaxies. Il pouvait ainsià laide des lois de Newtonen déduire la masse dite « masse dynamique », puis la comparer avec la masse dite « masse lumineuse », qui est la masse déduite de la quantité de lumière émise par lamas (en faisant lhypothèse dune distribution raisonnable des populations détoiles dans les galaxies).

La dispersion des vitesses (ou autrement dit, comment les vitesses de ces sept galaxies diffèrent les unes des autres) est directement liée à la masse présente dans lamas par une formule semblable à la troisième loi de Kepler. En fait, un amas détoiles peut être comparé à un gaz, dont les particules seraient des étoiles. Si le gaz est chaud, la dispersion des vitesses des particules est élevée. Dans le cas extrême, les particules ayant une vitesse suffisante quittent le gaz (évaporation). Si le gaz est froid (et donc lourd), la dispersion des vitesses est faible.

Zwicky fut surpris de constater que les vitesses observées dans lamas de Coma étaient très élevées. La masse dynamique était 400 fois plus grande que la masse lumineuse. À lépoque, les méthodes et la précision des mesures nétaient pas assez bonnes pour ne pas exclure des erreurs de mesure. De plus, des objets massifs tels que les naines brunes, les naines blanches, les étoiles à neutrons et les trous noirs, tous des objets très peu rayonnants, étaient mal connus, tout comme leur distribution. De même pour la poussière interstellaire et le gaz moléculaire.

Zwicky fit part de ses observations à ses confrères, mais ceux-ci ne semblaient pas sy intéresser. De fait Zwicky navait pas très bonne réputation à cause de son fort caractère et, dautre part, ses mesures étaient critiquables en raison des grandes incertitudes de mesure.

Ce même phénomène a été observé à nouveau en 1936 par Sinclair Smith lors du calcul de la masse dynamique totale de lamas de la Vierge. Celle-ci était 200 fois plus importante que lestimation donnée par Edwin Hubble, mais elle pouvait, daprès Smith, sexpliquer par la présence de matière entre les galaxies de lamas. En outre, les amas de galaxies étaient encore considérés par un grand nombre dastronomes comme des structures temporaires dont les galaxies pouvaient séchapper, plutôt que des structures stables. Cette explication suffisait pour justifier les vitesses excessives.

La question de la différence entre la masse dynamique et la masse lumineuse nintéresse pas et sombre dans loubli pour plusieurs décennies. À lépoque, les astronomes avaient dautres questions jugées plus importantes, comme celle de lexpansion de lUnivers.

Les courbes de rotation plate des galaxies spirales

Ce nest quune quarantaine dannées plus tard, dans les années 1970, que la question de lexistence de cette matière manquanteque lon nommera « matière noire » (Dark Matter en anglais) — refait surface. À partir de lanalyse des spectres des galaxies, lastronome américaine Vera Rubin étudia la rotation des galaxies spirales. Le problème est le même que la comparaison entre la masse dynamique et la masse lumineuse des amas de galaxies. Il sagit de savoir si la « masse lumineuse », cest-à-dire la masse qui est déduite de la présence des étoiles, est bien égale (à quelques corrections près) à la masse dynamique.

La masse dynamique est normalement la seule masse véritable, puisquil sagit dune mesure de la masse déduite de son influence gravitationnelle. Toute masse étant soumise à la force de gravitation, il ny a aucune raison de penser que la masse dynamique observée est fausse. Ce nest pas aussi simple pour la masse lumineuse. Pour mesurer cette dernière, on fait lhypothèse que toute la masse de la galaxie (ou de lamas de galaxies) est constituée détoiles. Ces étoiles rayonnent, et si lon connaît (mais cest très difficile) leur distribution (masse, nombre, âge, etc.), linfrarouge proche est donc un bon « traceur » de masse (il est peu sensible au fort rayonnement des étoiles massives et permet de détecter lémission des étoiles moins massives qui piquent dans loptique et dans linfrarouge).

En analysant le spectre des galaxies spirales vues par la tranche, comme la galaxie dAndromède, il est possible den déduire la courbe de rotation. La courbe de rotation décrit la vitesse de rotation de la galaxie en fonction de la distance au centre. Cette courbe de rotation est une mesure directe de la distribution globale de matière dans la galaxie. La vitesse maximale de rotation dune galaxie spirale se trouve à quelques kilo-parsecs du centre, puis elle est censée décroître, en suivant une décroissance képlérienne. En effet, les étoiles à la périphérie de la galaxie sont en orbite autour du centre, de la même manière que les planètes sont en orbite autour du Soleil. Les étoiles en périphérie de la galaxie tournent donc moins vite que celles plus près du centre. La courbe de rotation, après un maximum, se met à redescendre.

La courbe de rotation prévue par les équations de Newton (A) et la courbe observée (B), en fonction de la distance au centre de la galaxie.

Or, Vera Rubin observa que les étoiles situées à la périphérie de la galaxie dAndromèdecomme pour dautres galaxies spiralessemblent tourner trop vite (les vitesses restaient pratiquement constantes au fur et à mesure que lon séloignait du centre). La courbe de rotation des galaxies spirales, ou en tous cas de certaines dentre elles, était plate. La vitesse ne décroissait pas alors que lon séloignait du centre. De nombreuses autres observations similaires sont effectuées dans les années 1980, venant renforcer celles de Vera Rubin. Cette observation pose de profondes questions, car la courbe de rotation mesure bien la masse dynamique. Aucune hypothèse au sujet de lâge, de la distribution de masse des étoiles nest nécessaire. La seule supposition est que les étoiles qui sont la source de la lumière qui forme le spectre analysé sont bien des traceurs de la masse de la galaxie. Comment imaginer alors que les étoiles, principales composantes de matière dans les galaxies spirales, tournent de manière non-képlerienne, cest-à-dire ne suivent tout simplement plus les lois de la gravitation ?

Une explication possible est dimaginer lexistence dun gigantesque halo de matière non visible entourant les galaxies ; un halo qui représenterait jusquà près de 90 % de la masse totale de la galaxie, voire plus dans certaines galaxies naines. Dans les 2 000 galaxies quont cartographiées lastronome canadienne Catherine Heymans et sa partenaire, Megan Gray de Halifax, seulement 10 % était composé de gaz surchauffés et 3 % seulement de matière visible. Le reste était de la matière noire[4]. Ainsi toutes les étoiles se trouvent presque au centre de lextension véritable de la « galaxie » (cette fois-ci composée de la galaxie visible et du halo de matière sombre), et tournent donc normalement. Cela revient à dire que les étoiles, même celles à la périphérie visible de la galaxie, ne sont pas « assez loin » du centre pour être dans la partie redescendante de la courbe de rotation. Il reste à observer directement cette fameuse matière pour confirmer que cest la bonne explication. Personne ny est encore parvenu jusquà aujourdhui.

La présence de matière noire est lune des explications possibles, et aujourdhui la plus convaincante. Elle a limmense avantage dêtre simple et daller dans le bon sens. En effet, les astronomes se doutaient bien que les galaxies contiennent des astres très peu lumineux (comme les naines brunes, naines blanches, trous noirs, étoiles à neutrons) qui peuvent constituer une partie importante de la masse totale de la galaxie, mais qui ne sont pas visibles avec les instruments optiques habituels. Avec la mesure de la courbe de rotation plate le plus loin possible du centre, lobservation des galaxies spirales dans dautres longueurs donde (afin de mieux caractériser la présence dobjets peu lumineux dans le domaine visible) fut un des efforts majeurs de lastronomie pour étudier le problème.

Observations récentes

Daprès des résultats publiés en août 2006, de la matière noire aurait été observée distinctement de la matière ordinaire[5],[6] grâce à lobservation de lamas du boulet constitué en fait de deux amas voisins qui sont entrés en collision il y a environ 150 millions dannées[7]. Les astronomes ont analysé leffet de lentille gravitationnelle afin de déterminer la distribution totale de masse dans la paire damas et ont comparé cette distribution avec celle de la matière ordinaire telle que donnée par lobservation directe des émissions de rayons X en provenance du gaz extrêmement chaud des amas, dont on pense quil constitue la majorité de la matière ordinaire des amas (les galaxies y contribuant en fait très peu). La température très élevée du gaz est due précisément à la collision au cours de laquelle la matière ordinaire interagit entre les deux amas et est ralentie dans son mouvement. La matière noire quant à elle naurait pas interagi, ou très peu, ce qui explique sa position différente dans les amas après la collision.

La meilleure preuve de lexistence de la matière noire viendrait cependant dune observation véritablement directe, cest-à-dire de linteraction entre des particules de matière noire avec des détecteurs terrestres, tels CDMS, XENON ou WARP, ou de la création de telles particules dans un accélérateur (comme le LHC par exemple). Ce type de mise en évidence aurait lavantage de déterminer précisément la masse de telles particules et danalyser en profondeur la forme de leurs interactions.

Répartition de la matière noire dans l'Univers

Au sein des galaxies

À partir des vitesses de rotation des étoiles et des galaxies (au niveau des amas), il a été possible de mesurer la masse de cette matière noire, et den déduire également sa répartition. Une grande quantité de cette matière devrait se trouver au sein même des galaxies, non pas dans le disque galactique mais sous forme dun halo englobant la galaxie. Cette configuration permet une stabilité du disque galactique. De plus, certaines galaxies possèdent des anneaux perpendiculaires au disque et composés de gaz, de poussières et détoiles. encore, le halo de matière expliquerait la formation et la stabilité que de tels anneaux nécessitent. Par contre, il est impossible que la matière noire se trouve dans le disque galactique, car on devrait alors observer dans le mouvement des étoiles une oscillation perpendiculaire au disque ; oscillation que nous ne voyons pas.

À linstar de la matière lumineuse, elle décroîtrait également au fur et à mesure que lon séloigne du centre de la galaxie, mais de façon beaucoup moins prononcée. Ainsi, la proportion de matière lumineuse varierait de dominante au cœur des galaxies à négligeable à la périphérie. Létude de galaxies satellites (petites galaxies tournant autour dautres galaxies) oblige à imaginer des halos très étendus : environ 200 ou 300 kpc. Par comparaison, le Soleil est situé à environ 8,6 kpc du centre de notre Galaxie. La galaxie dAndromèdegalaxie la plus proche de nousse situe à 725 kpc, soit un peu plus du double du rayon du halo de matière noire de notre galaxie. Du coup, ces halos devraient être communs entre galaxies voisines (comme des pépins dans une même pomme).

Entre les galaxies, à l'échelle des amas

Les mouvements de galaxies au sein des amas ont révélé le même problème que létude des mouvements des étoiles dans les galaxies et suggèrent donc la présence de matière noire entre les galaxies ; bien que rien ne prouve encore que ces deux problèmes soient liés. À léchelle des galaxies, le taux de matière noire serait jusquà dix fois celui de la matière lumineuse, mais au niveau des amas, il serait bien plus important : jusquà trente fois la masse « visible » de ces amas.

En 1996, lastrophysicien Yannick Mellier a entrepris avec son équipe de mesurer la quantité de matière noire dans tout lUnivers et de dresser une carte de sa distribution entre les amas de galaxies à laide du cisaillement gravitationnel. Lidée est de faire une étude statistique à grande échelle de la déformation des images des galaxies due à linteraction gravitationnelle de la matière noire présente entre la Terre et ces structures, déviant les rayons lumineux envoyés par celles-ci (leur image nous arrive donc déformée). Une étude statistique à très grande échelle (la région du ciel étudiée était de la taille apparente de la lune et sur une profondeur de cinq milliards dannées-lumière) permet de négliger les déformations locales dues aux autres amas de galaxies.

Cette étude a abouti en mars 2000 à une première cartographie (encore[Quand ?] sous forme débauche). La matière noire devrait prendre la forme de longs filaments qui sentre-croisent, la quantité de matière de lunivers devrait représenter un tiers de celle permettant datteindre la densité critique, le reste étant constitué dénergie noire.

Une nouvelle étude similaire est en cours[Quand ?], toujours par léquipe de Yannick Mellier, avec cette fois une caméra CCD plus grande, permettant détudier une surface vingt fois plus grande que lors de la première étude. Celle-ci permettra dobtenir une carte plus détaillée de la matière noire à grande échelle.[réfsouhaitée]

Formation des grandes structures de l'Univers

La matière noire pose de nombreux problèmes, mais peut en résoudre certains autres. On peut la faire intervenir pour expliquer la formation des grandes structures de lunivers (galaxies, amas de galaxies, superamas, etc.).

Le problème est le suivant : on suppose que peu de temps après le Big Bang, lUnivers, composé de protons, de neutrons, délectrons, de photons et autres particules est à peu près homogène, cest-à-dire uniforme en tout point, car sa température est trop élevée pour permettre aux particules qui forment les atomes de se regrouper. Aujourdhui, lorsque lon observe la répartition des objets dans lUnivers, on remarque quils ne sont pas distribués de manière uniforme ; on suppose donc quil a fallu que de la matière se concentre un peu plus en certains endroits, formant des fluctuations que lon appelle « fluctuations primordiales ».

Et pour repérer ces fluctuations de densité sur le fond diffus cosmologique, il suffit de repérer les différences de températures provenant de ce rayonnement fossile. La température moyenne relevée est denviron 2,7 K. Des zones légèrement plus chaudes indiqueraient une densité de matière un peu plus forte. Il suffisait que ces fluctuations soient de lordre du millième de degré pour expliquer la formation des galaxies à partir de ces regroupements de matière.

Malheureusement pour cette théorie, le satellite COBE lancé en 1992 ne révéla que des variations de température de lordre du cent millième de degré, ce qui est bien trop faible pour que les grandes structures de lUnivers puissent sêtre formées à partir de ces fluctuations primordiales en seulement 13,7 milliards dannées.

Cest quon fait intervenir la matière noire pour sauver la théorie. Les protons, neutrons et électrons ne pouvaient se regrouper pour former les atomes à cause de la pression des photons. En revanche, la matière noire ninteragit pas avec les photons et naurait donc pas subi cette pression, ce qui lui aurait permis de créer des fluctuations de densité (invisibles) bien avant la matière ordinaire. Ces fluctuations auraient ainsi pu attirer, par gravitation, la matière ordinaire lors du découplage matière-rayonnement de la nucléosynthèse primordiale (découplage qui a libéré les photons et rendu lUnivers transparent).

Dans cette hypothèse, ce sont donc ces fluctuations de densité de la matière noire qui seraient à lorigine de la formation des galaxies et des amas de galaxies, répartis de façon non uniforme dans lUnivers. Reste malheureusement à expliquer pourquoi la matière sombre aurait adopté une distribution non homogène, à linverse de la matière ordinaire

Nature de cette matière sombre

Matière noire chaude et matière noire froide

Deux grandes théories saffrontent quant à la nature de cette matière noire : la matière noire chaude et la matière noire froide. Celles-ci reposent sur la masse des particules composant la matière noire et par conséquent, à leur vitesse. Dans le cas de matière noire dite « chaude », les particules ont des vitesses proches de celle de la lumière, tandis que celles composant une matière noire dite « froide » seraient plus massives et donc plus lentes.

La vitesse de déplacement de ces particules intervient dans lordre de formation des grandes structures de lUnivers. Si lUnivers était dominé par de la matière noire chaude, la très grande vitesse des particules la constituant empêcherait dans un premier temps la formation dune structure plus petite que le superamas de galaxies qui ensuite se fragmente en amas de galaxies, puis en galaxies, etc. Cest le scénario dit « du haut vers le bas », puisque les plus grosses structures se forment dabord, pour ensuite se diviser. Le meilleur candidat pour constituer la matière noire chaude est le neutrino. En revanche, si la matière noire froide dominait lUnivers, les particules vont parcourir une distance plus petite et donc effacer les fluctuations de densité sur des étendues plus petites que dans le cas de matière noire chaude. La matière ordinaire va alors se regrouper pour former dabord des galaxies (à partir de nuages de gaz), qui elles-mêmes se regrouperont en amas, puis superamas. Cest le scénario dit « du bas vers le haut ». Les candidats à la matière noire froide sont les WIMP et les MACHO.

Ces deux théories étaient défendues par Iakov Zeldovitch pour la matière noire chaude, et James Peebles pour la matière noire froide. Actuellement, cest le modèle de matière noire froide qui semble lemporter. En effet, les galaxies sont en équilibre dynamique, ce qui laisse penser quelles se sont créées avant les amasdont tous ne semblent pas encore stablesà qui il faut plus de temps pour atteindre cet équilibre. Cependant, les théories introduisent aujourdhui un peu de matière noire chaude. Celle-ci est nécessaire pour expliquer la formation des amas ; la matière froide seule ne pouvant la permettre en si peu de temps.

Recherches du côté de la matière ordinaire

Les scientifiques se sont dans un premier temps tournés vers la matière ordinaire (ou baryonique) pour effectuer leurs recherches et ont passé en revue tous les types dobjets qui pourraient contribuer à ce champ gravitationnel, tels les nuages de gaz, les astres morts ou les trous noirs.

Les nuages de gaz

Dans les années 1990, des cartographies précises des sources démission de rayons X dans luniversobtenues grâce au satellite Rosatont mis en évidence la présence de gigantesques nuages de gaz ionisé au sein des amas de galaxies ; des nuages de plusieurs millions de degrés némettant pas de lumière visible. De plus, ces nuages semblaient contenir dix fois plus de matière (du moins, lumineuse) que les galaxies de ces amas, peut-être était-ce enfin la matière manquante recherchée ? Malheureusement non. Au contraire même, ces nuages sont la preuve de la présence de matière noire autour des galaxies. En effet, pour atteindre de telles températures, les particules constituant le nuage doivent être accélérées à des vitesses très élevées (environ 300 km/s), et cette accélération provient de la force de gravitation. Or la quantité de gaz est insuffisante pour générer un tel champ de gravité. De même, les étoiles ne peuvent à elles seules empêcher le nuage de gaz de séchapper. Linfluence gravitationnelle de la matière sombre est ici aussi nécessaire pour expliquer le confinement de ces nuages à proximité des galaxies. Dailleurs, la forme de ces nuages peut aider les astronomes à étudier la distribution de la matière noire aux alentours.

Conclusions des programmes MACHO, EROS et AGAPE

On estime que les trois quarts de la matière baryonique de lUnivers sont constitués dhydrogène. Les nuages dhydrogène atomique dans lesquels sont présentes les étoiles sont insuffisants pour expliquer cette forte interaction gravitationnelle qui fait tourner les étoiles en périphérie de galaxie plus vite que prévu, et ne multiplie quau mieux par deux la masse de la galaxie ; il manque encore au moins cinq fois la masse de la galaxie. Les astronomes se sont alors intéressés aux objets plus compacts et némettant pas de lumière (ou trop peu pour être détectés), tels les naines brunes (astres qui natteignent pas le stade détoile car pas assez massives) ou les naines blanches (étoiles mortes composées déléments lourds). Ces objets sont appelés « MACHO », pour Massive Compact Halo Objects (objets compacts massifs du halo).

La théorie des naines blanches a été confortée par les travaux dOppenheimer[Qui ?] (2001), mais fut contestée par la suite (notamment Bergeron[Qui ?], 2001, 2003, 2005). Cette hypothèse reste en suspens faute de mesure de parallaxe trigonométrique et donc de distance sur les naines blanches de leur étude. Daprès les travaux dOppenheimer, la limite inférieure de la contribution de la masse des naines blanches du halo à la masse manquante de la galaxie est de 3 %, à comparer à la limite supérieure fournie par EROS qui est de 35 %. Il existe néanmoins des problèmes avec cette hypothèse : la masse manquante des galaxies est tout de même assez importante et il faudrait donc dix fois plus détoiles mortes que détoiles vivantes. Or en observant dans lespace lointain, on devrait voir des galaxies peuplées de ces étoiles encore vivantes (leur lumière nous venant dune époque bien plus ancienne), donc des galaxies beaucoup plus lumineuses ; mais ce nest pas le cas. De plus, la proportion de supernovae devrait également être plus importante dans ces galaxies lointaines. Les supernovae libérant des éléments lourds, la proportion de ces éléments devrait aussi être dix fois plus importante que celle détectée actuellement.

Pour les naines brunes, le problème était de les détecter. En 1986, lastronome Bohdan Paczyński explique comment détecter ces objets massifs mais némettant pas de lumière, à laide de leffet de lentille gravitationnelle. Un objet massif passant devant une étoile dévierait les rayons lumineux émis par cette étoile. Concrètement, leffet de lentille va créer une seconde image de cette étoile et la superposer à celle de létoile ; la luminosité devient à ce moment (lorsque lobjet passe juste devant létoile) plus importante. Le problème était cependant la rareté du phénomène : le nombre de chances dobserver à un instant un effet de lentille gravitationnelle à une naine brune (en supposant que la matière noire en est essentiellement composée) est de un sur un million.

Bénéficiant de caméras CCD à grand champ (récupérées de programmes militaires), les astronomes ont pu au début des années 1990 étudier un grand nombre détoiles à la fois, augmentant les chances dobserver des effets de lentille gravitationnelle. Deux programmes dobservation sont nés : EROS (Expérience pour la Recherche dObjets Sombres) en 1990 et MACHO en 1992 ; le premier se concentrant sur la recherche dobjets moins massifs et plus petits. Ces programmes se sont arrêtés en 2003 et 2001, avec un bilan peu convaincant. Peu deffets de lentille gravitationnelle ont été observés et les scientifiques ont conclure que moins de 10 % du halo de notre galaxie pourrait être formé de naines brunes, ce qui est insuffisant encore une fois.

Le programme AGAPE (Andromeda Galaxy Amplified Pixel Experiment) a débuté vers 1994 et avait pour but de détecter des effets de lentille gravitationnelle en observant cette fois non plus le Grand Nuage de Magellan comme MACHO et EROS, mais la galaxie dAndromède. La distance étant plus grande, la probabilité que la lumière soit déviée par un objet compact lest aussi. Ici aussi, peu deffets de lentille sont observés.

Les trous noirs

Beaucoup plus massifs que les MACHO ou les étoiles, les trous noirs auraient pu être de bons candidats. Certains dentre eux pourraient atteindre une masse de plusieurs millions, voire de plusieurs milliards de masses solaires (notamment les trous noirs supermassifs, au centre des galaxies). Cependant, il faudrait, dans une galaxie, près dun million de trous noirs dune telle masse pour combler ce manque de matière ; un nombre trop important au vu des conséquences sur les étoiles à proximité dun trou noir. En effet, les trous noirs traversent par moment le disque galactique et perturbent le mouvement des étoiles. Avec un tel nombre de trous noirs, les mouvements de ces étoiles serait fortement amplifiés, ce qui rendrait le disque galactique bien plus épais que ce qui est observé actuellement.

Restent les trous noirs stellaires (de lordre de quelques masses solaires), difficilement détectables, et les trous noirs de quelques dizaines ou centaines de masses solaires, dont la nature de leur formation reste encore mystérieuse. Dans tous les cas, la piste des trous noirs comme étant la fameuse matière noire a été délaissée, et les astronomes se sont penchés sur une autre forme de matière, non baryonique.

De la matière non baryonique

La théorie du Big Bang permet de calculer le nombre de baryons de tout lUnivers, cest-à-dire le nombre datomes dhélium 4 et dhydrogène, formés lors de la nucléosynthèse primordiale. Les astronomes en sont arrivés à un taux de matière baryonique denviron 4 % de la densité critique. Or, pour expliquer la géométrie plate de lUnivers, la matière totale de lUnivers doit représenter 30 % de la densité critique (les 70 % restants étant de lénergie sombre). Il manque donc 26 % de la densité critique sous forme de matière non baryonique ; cest-à-dire constituée par dautres particules que les baryons.

Le neutrino

Le neutrino est une particule postulée pour la première fois en 1930 par Wolfgang Pauli, avant même la découverte du neutron (un an plus tard), et qui fut détectée en 1956 par Frederick Reines et Clyde Cowan. Cette particuleinsensible aux forces électromagnétiques et à la force nucléaire forteest émise lors dune désintégration bêta, accompagnée dun anti-électron, également appelé positron. Le neutrino interagit donc très peu avec les autres particules, ce qui en fait un bon candidat pour la matière noire.

La masse du neutrino était estimée très faible, voire nulle. Avec le problème de la masse manquante de lUnivers, les physiciens se sont demandés si le neutrino navait peut-être pas une masse, faible, mais non nulle. Dautant plus que le neutrino est la particule la plus abondante dans lunivers, après le photon. Cependant, les expériences Super-Kamiokande et SNO (Sudbury Neutrino Observatory) ont révélé une masse beaucoup trop faible pour que cette particule puisse constituer lessentiel de la matière noire. Les neutrinos peuvent représenter, au mieux, 18 % de la masse totale de lUnivers.

Les WIMP

Les WIMP (Weakly interactive massive particles) forment une classe de particules lourdes, interagissant faiblement avec la matière, et constituent dexcellents candidats à la matière sombre non-baryonique. Parmi celles-ci on trouve, le neutralino postulé par les extensions supersymétrique du modèle standard de la physique des particules. Lidée de la supersymétrie est dassocier à chaque boson un fermion et vice versa. Chaque particule se voit donc attribuer un super-partenaire, ayant des propriétés identiques (masse, charge), mais avec un spin différent de 12. Ainsi, le nombre de particules est doublé. Par exemple, le photon se retrouve accompagné dun photino, le graviton dun gravitino, le neutrino dun sneutrino, lélectron dun sélectron, etc. Suite à limpossibilité de détecter un boson de 511 keV (partenaire de lélectron), les physiciens ont revoir lidée dune symétrie exacte. La symétrie est dite brisée et les superpartenaires se retrouvent avec une masse très importante. Lune de ces superparticules appelée LSP (Lightest Supersymmetric Particle) est la plus légère de toutes. Dans la plupart des théories supersymétriques, dites sans violation de la R-parité, la LSP est une particule stable car elle ne peut se désintégrer en un élément plus léger. Elle est de plus neutre de couleur et de charge électrique et donc uniquement sensible à linteraction faible ; elle constitue à ce titre un excellent candidat à la matière sombre non-baryonique.

Cette particule supersymétrique la plus légère est en général (en fonction des modèles), le neutralino, une combinaison de ces superparticules : le photino (partenaire du photon), du zino (partenaire du boson Z0) ou des higgsinos (partenaires des bosons de Higgs). Les mesures récentes[Quand ?] au CERN indiquent que sa masse est supérieure à 32 GeV/c2. La LSP peut également être un sneutrino ou un gravitino (dans le cadre de certaines théories pour lesquelles la brisure de supersymétrie se fait par médiation de jauge). La LSP est stable (sans violation de la R-parité) donc très abondante au point de représenter lessentiel de la matière de lUnivers. Elle fait à ce titre lobjet de nombreuses recherches. La détection de matière noire peut être directe, par interaction dans le détecteur, ou indirecte, via la recherche des produits dannihilation.

La détection de matière sombre supersymétrique est un domaine de la physique extrêmement dynamique, en particulier du point de vue des techniques. La localisation des détecteurs est à limage de cette diversité : en orbite terrestre (AMS, PAMELA), sous la glace du pôle Sud (AMANDA, IceCube), en milieu marin (ANTARES), ou encore dans les laboratoires souterrains (EDELWEISS, MIMAC).


La Matière noire dans la littérature de science-fiction

  • Dans « Gidéon » de Linda Buckley-Archer, le père du personnage principal (Kate Dyer), étudie la matière noire et en parle comme dune sorte de ciment invisible qui expliquerait lorbite des corps célestes.
  • Dans la saga « À la croisée des Mondes » (His Dark Materials en anglais), la Poussière, autrement dit lélément au cœur de lhistoire, est assimilée à la matière noire.
  • Dans (Bobby Pendragon) de D.J.MacHale Les flumes qui transportent les voyageurs d'un monde à l'autre sont faits de matière noire.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Matière noire et autres cachotteries de lUnivers, Alain Bouquet et Emmanuel Monnier
  • Le nouvel élan de la cosmologie, Patrick Peter, in Pour la Science, no 361, novembre 2007, p. 74-81.

Liens externes

Notes

  1. site de la NASA2
  2. Site du LAPP6
  3. (en)Astrophysical constants and parameters, PDG consultable également sur table des constantes astrophysiques.
  4. Les astronomes tracent une nouvelle carte de la « matière noire » de lunivers, par Terry Theodore, La Presse Canadienne[1]
  5. (en)A direct empirical proof of the existence of dark matter, arXiv
  6. (en)Dark Matter Observed , SLAC Today
  7. (en) Direct constraints on the dark matter self-interaction cross-section from the merging galaxy cluster 1E 0657-56, arXiv
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