Idée de la nation

Idée de la nation

Nation

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Le sens moderne de nation est assez proche de celui de peuple, mais ajoute souvent l'idée de gouvernement (souhaité, autonome ou indépendant).[1]

Ce terme n'est pas défini juridiquement, toutefois l'usage en politique internationale en fait un équivalent d'État souverain. Par exemple le Ministère des affaires étrangères français expose le système des Nations Unies en commençant par donner la liste des « États membres et observateurs », manifestant de ce fait une synonymie entre les termes de nation et d'État.[2] L'ONU se présente de manière similaire, tout en soulignant qu'un des « buts des Nations Unies énoncés dans la Charte » est le « respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».[3]

Un des sens admis en sciences humaines est « une communauté humaine identifiée dans des limites géographiques parfois fluctuantes au cours de l'histoire, mais dont le trait commun supposé est la conscience d'une appartenance à un même groupe »[réf. nécessaire].

Le mot nation vient du latin nascio ou natio qui signifie naître, et le terme latin nation désignait les petits d'une même portée et a signifié aussi groupe humain de la même origine[4], chez Ciceron le terme natio est utilisé aussi pour désigner une peuplade, un peuple ou une partie d'un peuple[5].

Sommaire

Définitions

Dans les dictionnaires

Dans le Nouveau dictionnaire universel des synonymes de la langue française de François Guizot - 1822, page 19, il est indiqué « un peuple est une multitude d'hommes, vivant dans le même pays et sous les mêmes lois. Une nation est une multitude d'hommes, ayant la même origine, vivant dans le même État et sous les mêmes lois[6] ». Deux notions différencient ainsi pour l'auteur la nation du peuple : l'État et l'origine.

Pour le Petit Robert, une nation est « un groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un territoire défini (…) et personnifiée par une autorité souveraine ».

Pour le Dictionnaire de la langue française, la nation est un « Ensemble de personnes vivant sur un territoire commun, conscient de son unité (historique, culturelle, etc.) et constituant une entité politique[7] ».

Politique

Au sens moderne du terme, « nation » a une signification à dominante politique. Une nation est d'une part un État (comme dans l'expression « Organisation des Nations unies »), et d'autre part un peuple ayant l'objectif politique de maintenir ou de créer un État. Dans cette seconde signification, une nation est en pratique un peuple dont une partie au moins des membres a des objectifs nationalistes.

Des groupes ne bénéficiant pas d'une organisation en État se définissent cependant comme une Nation, avec l'objectif de constituer un État, ou au moins une structure politique autonome. Les nationalistes bretons, juifs, corses, basques, écossais, algériens ou québécois ont ainsi revendiqué un État pour leur population de référence, certains finissant par l'obtenir.

Par exemple : au Canada, la Chambre de communes a voté, le 27 novembre 2006, à une majorité écrasante, en faveur d'une motion qui reconnait que « les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni », cette démarche se voulant surtout symbolique. Au Canada anglophone, les critiques ont fusé, beaucoup craignant qu'on ne donne de nouvelles armes aux souverainistes québécois.

Dans le but d'obtenir un État ou des droits spécifiques, les groupes se présentant comme une nation ont souvent tenté de définir la dite nation, et donc de la légitimer, par des critères historiques.

Sciences humaines

Il existe deux définitions principales, conçues à partir des expériences nationales françaises et allemandes : une issue de la philosophie allemande du début du XIXe siècle, défendue par exemple par Johann Gottlieb Fichte, selon laquelle les membres d'une nation ont en commun des caractéristiques telles que la langue, la religion, la culture, l'histoire, voire les origines ethniques, tout cela les différenciant des membres des autres nations. Une autre, issue de la philosophie française du XVIIIe siècle et liée à la révolution française, insiste par contre sur la volonté de « vivre ensemble », la nation étant alors le résultat d'un acte d'autodéfinition. C'est ainsi la vision d'Ernest Renan. La première définition est parfois nommée « objective », et la deuxième « subjective ».[8]

Dès lors, certains préféreront faire la distinction entre nation civique et nation ethnique[9].

Les analyses actuelles des historiens français sont plutôt basées sur des études socio-historiques de la constitution du sentiment d'identité nationale, en essayant d'en cerner les différents mécanismes individuels et collectifs, conscients et inconscients, volontairement construits et involontaires. Il semble, à l'issue de certaines de ces études, que l'État y joue souvent un rôle moteur, que les communications, en particulier économiques, soient déterminantes et qu'une telle identité mette souvent plusieurs siècles pour se consolider.[10]

Droit

Le terme nation n'est pas défini juridiquement[réf. nécessaire], alors que l'usage en politique internationale en fait un équivalent d'État souverain. Il ne faut pas confondre l'État souverain avec État (tout court) car certains États souverains, donc des nations, sont des États fédéraux constitués d'États dits fédérés et qui sont non-souverains. L'État souverain dispose des attributs de la souveraineté : possibilité d'avoir une armée, un gouvernement, une monnaie, de signer des traités internationaux...

S'agissant de la France, la dénomination de la personne morale de droit public est « l’État français » — expression à ne pas confondre avec l'utilisation juridiquement confusionnelle qui en a été faite à la période dite du « Régime de Vichy » — : lorsqu'il s'agit par exemple de condamner « la France » à verser des indemnités, que ce soit en droit international ou en droit interne par exemple à un particulier, c'est l'expression « l'État français » que l'on trouve dans les décisions juridictionnelles.

Le peuple, dans l'organisation des pouvoirs c'est (en France) la notion qui désigne au nom de quoi la justice est rendue (« Au nom du peuple français ») ; le pouvoir juridictionnel ne s'exerce pas au nom de l'État personne morale, mais directement au nom de la collectivité de fait des individus qui en sont ressortissants.
La nation est au sens constitutionnel, en France, la notion juridique désignant au nom de quoi est exercé le pouvoir législatif — d'où la dénomination actuelle de l'Assemblée nationale, anciennement Chambre des députés. Car selon la perspective politique à la française, en tant que mise en œuvre à titre juridique notamment par la Constitution actuelle de la République française, la nation est un ensemble de citoyens détenant la puissance politique.

Autres sens

Sont aussi une nation « L’ensemble des personnes nées ou naturalisées dans un pays et vivant sous un même gouvernement[11] » et « l’ensemble des citoyens considérés comme constituant un corps social distinct du gouvernement qui les régit[12] ».

Nation est cependant parfois utilisé sans aucune connotation politique (existante ou souhaitée), en total synonyme de peuple : on parle ainsi de nations indiennes. Cette acception fait de nation un synonyme de tribu ou ethnie ; ces termes étant le plus souvent utilisés pour faire référence à des populations ayant des modes de vie non européens et le terme tribu pouvant désigner une formation sociale existant avant la formation d'un État.[réf. nécessaire]

Dichotomie ethnique/civique

Pour certains pays, la distinction entre la nation au sens ethnique et au sens civique n’est pas nécessaire : par exemples, la France, l'Allemagne et le Japon, n'ont officiellement qu’une identité ethnique, on parle alors d'État-nation. Toutefois, « toute nation est par definition multiculturelle, le problème politique étant de savoir si la diversité culturelle, en termes de religion, de différences sociales, d'appartenance nationale, est susceptible d'être transcendée par un projet commun »[13],[14]

Cependant, le terme nation peut amener une ambiguïté lorsqu’il s’agit de pays tels que le Canada. En prenant en compte la dichotomie ethnique/civique (nation civique / nation ethnique), on peut alors donner sens à ce qui est d’une part la citoyenneté, et d’autre part l’ethnicité.

Histoire du sens donné au mot « nation » par les historiens français

Avant le XVIIIe siècle

Avant le XVIIIe siècle, le terme « nation » est essentiellement utilisé dans un sens proche de l'étymologie latine « groupe humain de la même origine », où le mot origine ne doit pas être compris comme obligatoirement dans le sens de origine de naissance et souvent sans connotation politique développée. La politique était alors plus du ressort des rois, des princes et des religions que des sujets.[réf. nécessaire]

On parle ainsi de saint Paul comme « apôtre des nations ». En effet, dans la Bible "Nation" désigne les peuples infidèles et idolâtres, par opposition aux chrétiens ou aux Juifs.[réf. nécessaire]

Dans l’ancienne Université de Paris, le terme était utilisé pour classer, suivant leur origine, les membres qui la composaient. On distinguait quatre nations : de France, de Picardie, de Normandie et de Germanie.[15]

Plus tard, le « Collège des Quatre-Nations », qui correspond à l’actuel palais de l’Institut, a été nommé en hommage aux « nations » rattachées au royaume par les traités de Westphalie (1648) et des Pyrénées (1659) : Alsace, Artois, Pignerol, Roussillon (et Cerdagne).[15]

Du XVIIIe siècle à 1870

Durant cette période les mots nation et peuple ont des sens partisans vis-à-vis de la politique intérieure française : désignant la population revendiquant légitimement le pouvoir, les membres de ce peuple seront, suivant les opinions des historiens du moment, les membres de l'aristocratie ou ceux des roturiers (en particulier les bourgeois) ; en discutant respectivement de leur légitimité, de leurs origines, de leur histoire, voire de leur composition.

En France, jusqu'à la révolution française 

Au cours du XVIIIe siècle, le terme prend une connotation politique dominante.

Des historiens au service du Roi commencent à rapporter les hauts faits de la « nation française ». Surtout Henri de Boulainvilliers développe une histoire de la noblesse en affirmant qu'elle descend des Francs, peuple victorieux dans ses conquètes, ce qui lui permet d'affirmer que « la noblesse est un privilège naturel et incommunicable d'autre manière que par la naissance » ; et Boulainvilliers critique Philippe le Bel d'avoir anobli des roturiers, ce qui aurait corrompu la noblesse. À ses yeux la noblesse incarne la nation. Gabriel Bonnot de Mably critique radicalement ce point de vue en soutenant qu'après la conquète franque, les différents peuples soumis, en particulier les Gaulois, se sont peu à peu mêlés pour ne faire qu'un. C'est le début de l'opposition entre la conception aristocratique de la nation (que l'on appellerait aujourd'hui « ethnique », et sur le « droit du sang ») et la conception des philosophes des Lumières (plus « assimilationniste », avec les Gaulois comme ancêtres).[16] Cette opposition est aussi fortement politique puisque la noblesse s'identifie à la nation, c'est-à-dire au pouvoir, alors que la bourgeoisie, à travers les philosophes, en identifiant l'ensemble de la population à la nation, affirme de la légitimité de l'intervention des roturiers dans le débat politique.

La théorie des climats est parfois brandie pour expliquer le bienfondé du « droit du sol » (par l'abbé Dubos, entre autres). Jean-Jacques Rousseau met en avant l'unité du peuple à travers le contrat social que ses membres sont appelés à signer. Sous la plume de philosophes la Nation devient l'expression politique du peuple français. À la suite de la brochure « Qu'est-ce que le Tiers État ? » de Emmanuel-Joseph Sieyès, la Révolution française officialisa ce sens en l'incluant notamment dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cette version de la nation, devenue la version officielle, a été pour la bourgeoisie un moyen de justifier l'abolition des privilèges de l'aristrocratie.[16]

Émergence de l'idée de nation en Allemagne, au XIXe siècle 

En réaction à l'invasion des États germains par les troupes de Napoléon 1er, et par opposition à la version française qui pouvait justifier l'assimilation des peuples germains à la nation française, des écrivains allemands développèrent des définitions des mots « peuple » et « nation » rejetant l'universalisme français. La définition allemande du peuple se base sur une unité de langue, de coutume, d'origine, etc : nul contrat collectif comme chez Rousseau, nul mélange des peuples d'origine, au contraire les origines sont exaltées. On dit aujourd'hui qu'il s'agit d'une définition « ethnique » du peuple (mot à peu près synonyme de nation) où l'État est vu avec méfiance comme un élément artificiel pouvant corrompre le naturel de la nation : l'organisation politique est plutôt envisagée dans de petites dimensions de telle sorte qu'il puisse y avoir une « présence physique du peuple », ce qui d'ailleurs est un point commun avec Rousseau. Il n'est pas question d'une supprématie d'une race sur une autre, mais plutôt de coexistence de peuples (ainsi définis) sans hiérarchie, bien que certains auteurs valorisent les races pures par rapport aux races mélangées.[16]

Le romantisme allemand et la naissance des universités allemandes contribua à enrichir cette conception par de multiples travaux d'études dans diverses peuples européens et non européens (par Wilhelm von Humboldt notamment), par des travaux historiques, philologiques, etc. C'est dans cet esprit que naît en Allemagne la Volkskunde : science du peuple, début de l'ethnographie. Les études du droit valorisent les us-et-coutumes, et à l'État est opposé l'« esprit du peuple », identité collective inconsciente venue du fond des âges. Par la suite, certains auteurs valorisent au contraire l'État comme « donnant un corps à la communauté du peuple » et lui donnant « la capacité d'agir ».[16]

Évolution de l'école française au début du XIXe siècle 

Les deux conceptions du peuple et de la nation évoluent au cours du XIXe siècle, et s'influencent l'une l'autre ; en particulier vers 1830-1840 les historiens français apprécient ces méthodes de travail basées sur les études des témoignages, des archives. Augustin Thierry réhabilite l'explication des particularités historiques par la race plutôt que par le climat : à propos de l'Irlande par exemple il dit que « la persistance de deux nations ennemies sur le même sol [...] dérive[nt] comme d'un fond inépuisable de cette hostilité originelle : l'antipathie de race survivant à toutes les révolutions des mœurs, des lois et du langage, se perpétuant à travers les siècles [...] ». Cet historien reste préoccupé par la politique intérieure française dans son soucis d'identifier la nation au Tiers-État durant la période de la seconde restauration, et acceptant l'origine franque de la noblesse, et l'origine gauloise du Tiers-État, il décrit la France comme « deux nations sur la même terre », ne nie pas la fusion progressive des différents peuples qui vivaient il y a « bien des siècles » et appelle les historiens à réconcilier les différentes parties de la nation en racontant la « véritable histoire de France » qui exalte son « héros » : « la nation toute entière; tous les aïeux [devant] y figurer tour à tour ».[16]

Jules Michelet 

Jules Michelet mettra plus de trente-cinq ans à écrire son Histoire de France qu'il aurait pourtant conçue tout entière dans « un moment, l'éclair de juillet ». Son œuvre, foisonnante mais caricaturée par sa propre phrase « L'Angleterre est un empire, l'Allemagne un pays, une race ; la France est une personne », est vue aujourd'hui comme « un chef d'œuvre d'anthropomorphisme ». Il a tenté une synthèse des différentes définitions de nation et de peuple : il admet l'existence de races mais progressivement unifiées en un seul peuple au fil des siècles, bien que toujours marquées par des caractères décrits comme des stéréotypes ; les principaux processus historiques unifiant les différents peuples sont les guerres (« il en est des nations comme de l'individu, il connaît et distingue sa personnalité par la résistance de ce qui n'est pas elle, il connaît le moi par le non-moi. »), la « civilisation » vue comme une « victoire de soi sur soi » par le progrès et la « fusion intime des races » qui permet de vaincre les particularismes. Michelet n'a pas de tendance au passèisme, à ses yeux l'unification de la nation est un processus toujours en cours, il pense que le développement industriel contribue au progrès démocratique et considère que les classes populaires sont le ferment de l'identité nationale. Il exalte le comportement révolutionnaire du peuple, et voit dans sa capacité à transformer les nationalités (races) en nation une mission historique de libération de l'humanité. De l'œuvre volumineuse de Michelet, chacun retiendra ce qui l'arrange : les uns le culte de la nation-personne (développé par Michelet sous la forme : l'esprit, la tête = Paris, les membres = les provinces) ; les autres la dimension sociale et la vision dynamique de l'identité nationale.[16]

De 1870 à la fin du XIXe siècle

Les notions de peuple et de nation cessent d'être un sujet de polémique entre français. La nation allemande constituée et l'annexion de l'Alsace-Lorraine transformeront le plus grand nombre des intellectuels français, en particulier les historiens, en porte-parole de la communauté nationale. Les historiens français rejettent les anciennes querelles et se veulent des rassembleurs de tous les Français autour de la mémoire collective, leur passé, et des combattants face à l'adversaire allemand. Fustel de Coulanges et Ernest Renan, par exemples, mettent en avant la thèse de la « volonté collective » pour s'opposer à la thèse des historiens allemands. Une évolution similaire s'est faite jour chez les historiens allemands, avec par exemple Mommsen comme héraut. C'est cette crispation autour de ces définitions qui a justifié l'idée qu'il y avait une définition française et une définition allemande de la nation, bien distinctes et incompatibles[17].

Le rejet de l'universalisme

L'universalisme révolutionnaire, le peuple (aux sens de classes populaires, ferment de la nation pour Michelet), le suffrage universel sont rejetés dans les discours comme responsables de la Commune et de la défaite de 1870. Le déterminisme historique, la continuité des traditions, la monarchie[18] sont valorisés dans les écrits. Par exemple, Ernest Renan écrit que les classes populaires sont semblables à « des frelons impatronisés dans une ruche qu'ils n'ont pas construite » et que « l'âme d'une nation ne se conserve pas sans un collège officiellement chargé de le garder. Une dynastie est la meilleure solution pour cela ». La thèse de Taine des « caractères nationaux », version historisante de la race, gagne en prestige[17].

L'Alsace-Lorraine et la nation

L'Alsace-Lorraine est l'exercice de style obligatoire pour tous les historiens français et allemands de cette époque. Les historiens allemands (dont Mommsen) évoquent des données « objectives » pour justifier que ces territoires font partie de la nation allemande : l'unité de la langue, des coutumes, voire de la race. Les principaux arguments que les historiens français trouveront à opposer sont des arguments de démocratie, issus de la conception révolutionnaire, notamment l'idée du « droit des peuples à disposer d'eux-même ». Ainsi, Ernest Renan écrit que la nation est « un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de la vie », et Fustel de Coulanges déclare que si l'Alsace est allemande de langue et de race, elle est française par le « sentiment de la patrie », et que depuis 1789 elle a suivi « toutes nos destinées, elle a vécu de notre vie »[17].

Si les historiens français opposent aux conceptions allemandes des contre-exemples tels que la Suisse et la Belgique qui dérogent à l'unité de langue et de coutume, les allemands montrent que les thèses de la nation-personne et de la « volonté générale » impliquent l'oppression des minorités récalcitrantes[17].

Une fin de siècle pleine d'avenir

Dans cette polémique entre les historiens des deux pays où le terme nation sert à légitimer la revendication de l'Alsace-lorraine, la nation est considérée comme un état acquis, une réalité constatée tournée vers le passé, et non plus comme un processus en cours. Il s'agit dès lors de déterminer la juste et rigoureuse (et pourquoi pas éternelle) définition[19] de cet état de faits et de valoriser les liens avec les ancêtres (liens généalogiques et symboliques). Cette valorisation de nos filiations avec nos ancêtres a préparé des arguments au nationalisme et au racisme qui apparaissent sur la scène politique, aidés par la crise économique qui frappe le pays : ses courants de pensées présentent les français comme la « race-résultat » d'un processus historique et biologique s'étalant sur dix siècles[20], et le thème « à bas les étrangers » apparaît dans les campagnes électorales, notamment du fait de Maurice Barrès[17].

De la fin du XIXe siècle à 1945

La nation est un thème brandi par nombres de mouvements politiques et sous la plume de multiples auteurs (par exemple George Montandon[21]) soit par esprit revanchard vis-à-vis de l'Allemagne, soit en se revendiquant du nationalisme, voire du racisme, et ce jusqu'en 1945.[22]

De nouvelles méthodes de travail universitaire s'imposent et modifient la manière d'appréhender le thème de la nation dans le monde intellectuel, en particulier en droit où s'élabore une définition technique de la nation ; en histoire s'impose une vision ethniste du peuple et de la nation.[22]

Une approche juridique

Une définition juridique de la nation s'ébauche, notamment sous la plume d'Adhémar Esmein qui écrit « l'État est la personnification juridique d'une nation ; c'est le sujet et le support de l'autorité publique », puis, entre autres, avec Carré de Malberg qui voit dans la nation une « collectivité invisible de citoyens » ; « un corps intemporel qui survit à la succession des générations ».[22] Cette approche sera confortée par la création de la Société des Nations en 1919 et par le développement du droit international.

Une nouvelle objectivité...patriotique

Il émerge à partir des dernières années du 19e siècle une vague d'historiens issus du moule universitaire qui c'est lentement mis en place dans le dernier tiers du siècle. Ces universitaires forment des pôles d'études diversifiées et spécialisées, se soumettent à des normes professionnelles, des méthodes de travail et d'archivage, et en viennent à critiquer le « dilettantisme » des générations précédentes. Ils resteront toutefois dans une posture de glorification de la patrie française et en opposition complète avec la pensée allemande.[22]

Les historiens, travaillant de manière collective et en collectant les informations et analyses de chacun suivant sa spécialité, œuvrent à réécrire l'histoire de la France dans un soucis d'« objectivité » en suivant la « méthode historique » : ils ne cherchent pas à définir la nation, mais à « consolider la mémoire nationale ». Ainsi, Ernest Lavisse publie-t-il son Histoire de France entre 1901 et 1914. Cette publication arrête sa chronologie au règne de Louis XIV en se voulant consensuelle (entre français) et au service de la patrie, en confondant souvent le « point de vue national » et le « point de vue universel ».[22]

La géographie comme identité de la France

Le premier tome du Lavisse commence par un exposé de la géographie de la France, disant « la France est là dès le départ, avant l'histoire, dans ses contours, son territoire, son caractère ». C'est là une illustration d'une vision statique de l'identité de la France, qui se poursuit dans des considérations sur la persistance du « tempérament national » malgré les bouleversements dus à l'industrialisation et à l'urbanisme, ajoutant que « l'homme a été chez nous le disciple longtemps fidèle au sol. L'étude du sol contribuera à nous éclairer sur le caractère des mœurs et les tendances des habitants ».[22]

Vers 1913, André Siegfried, historien et sociologue, pionnier de la sociologie électorale, propose ainsi des explications sur le vote des électeurs dans l'ouest de la France par des considérations sur « l'enracinement » et cherche à « deviner par là les tempéraments politiques divers des races et des classes », disant que « quand on en a découvert la clef, l'évolution du passé s'éclaire en même temps que, dans une certaine mesure, le lendemain se laisse présentir ». Vers 1921, Arnold Van Gennep définit la nationalité comme « la conscience d'une permanence autour d'un noyau d'origine ». Vers 1937, Maurice Halbwachs affirme la persistance de « traits d'origine » venant des « êtres collectifs » des différentes populations des régions françaises.[22]

L'identité française serait figée

Ces visions de l'identité française, à l'opposé de celle de Michelet qui voyait la nation comme une permanente dialectique des différences vers un avenir commun, figent ainsi les « ethnies » qui composent la nation et amènent Siegfried, par exemple, à dire qu'en « politique, les Normands ne sont pas Français » (1913) et plus tard que l'assimilation des Slaves et des Méditerranéens est difficile du fait de « la résistance instinctive de civilisations trop différentes, notamment en ce qui concerne la conception même de l'individu, de la famille ou du clan » (1946). Ces thèses alimenteront celles considérant que les immigrés font peser une menace sur l'identité française.[22]

Après 1945

Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, le thème de la nation suscite indifférence et parfois même rejet[23]. Ce discrédit est sans doute dû au rôle des idéologies nationalistes qui ont débouché sur des régimes totalitaires. À part quelques publications isolées sur ce thème (la fin de la publication du Lavisse, Raymond Aron en 1962,...), le sujet n'est plus abordé, sauf s'il concerne les revendications nationalistes dans les colonies ou les mouvements régionalistes (et dans ces cas, le sujet est encore abordé de manière polémiste). Les thèmes d'études qui en sont les plus proches sont interdisciplinaires et souvent dictés par une vision marxiste de la société : transnationaux, ils parlent d'économie, des classes sociales[24]...

Dans les années 1980, le thème de la nation retrouve une certaine légitimité : les causes en sont peut-être la construction de l'Europe, la vigueur retrouvée de partis nationalistes, l'éclatement de l'Union Soviétique. Dans les études socio-historiques qui se développent alors, les nations étudiées sont les États-nations, et la recherche essaie de cerner les intérêts et conflicts sociaux, ainsi que les moyens mis en œuvre dans l'élaboration de la nation et son appartenance ou non comme entités naturelles à l'individu. Dans certaines de ces études, l'État et les échanges économiques sont désignés comme des éléments décisifs dans la construction du sentiment identitaire des individus. Ces études tendent à se mettre dans une perspective comparatiste par l'intervention de chercheurs de nationalités différentes. D'origines diverses on trouve, dans ce mouvement de pensées, Eric Hobsbawm, Norbert Élias, etc. En France, on retrouve sur ce terrain Pierre Bourdieu, Jean-Loup Amselle, Dominique Schnapper, Gérard Noiriel, Ernest Gellner, etc[24].

Notes

  1. Cf. la définition n°3 du mot nation dans Le Robert dès 1976
  2. l'ONU présenté par la diplomatie française
  3. « ABC des Nations Unies » sur leur site.
  4. Dictionnaire Le Petit Robert, édition 2002.
  5. Dictionnaire Latin-Français Gaffiot.
  6. Nouveau dictionnaire universel des synonymes de la langue française » de François Guizot - 1822, page 19, [1]
  7. Dictionnaire de la langue française , [2].
  8. Droit constitutionnel et institutions politiques par Jean et Jean-Éric Gicquel, Montchrestien-Lextenso éditeurs, (ISBN 9782707616).
  9. Rethinking nationalism, édité par Jocelyne COUTURE, Kai NIELSEN et Michel SEYMOUR, Calgary, Alta., Canada: University of Calgary Press, 1998. p.2
  10. Population, immigration et identité nationale en France : XIXème-XXème siècle, par Gérard Noiriel, Hachette éditeur, 1992, (ISBN 2010166779).
  11. nation, sur le Wiktionnaire
  12. nation, sur le Wiktionnaire
  13. Dominique Schnapper, La France de l'intégration. Sociologie de la nation en 1990, Paris, Gallimard, 1991, page 77.
  14. Toshiaki Kozakaï, L'étranger, l'identité, Paris, Payot & Rivages éditeur, chapitre II.
  15. a  et b Jean-Claude Caron, La nation, l'État et la démocratie en France de 1789 à 1914, Armand Colin éditeur, 1995, (ISBN 2200216440).
  16. a , b , c , d , e  et f Population, immigration et identité nationale en France : XIXème-XXème siècle, par Gérard Noiriel, Hachette éditeur, 1992, (ISBN 2010166779).
  17. a , b , c , d  et e Population, immigration et identité nationale en France : XIXe-XXe siècle, par Gérard Noiriel, Hachette éditeur, 1992, (ISBN 2010166779).
  18. Par exemple, Fustel de Coulanges écrit que « La France existe depuis Charles VIII [...], elle existe comme un corps bien organisé. »
  19. Par exemple, la nation est « une âme, un principe spirituel » pour Fustel de Coulanges
  20. Vacher de Lapouge dira « L'individu est écrasé par sa race et n'est rien. La race, la nation sont tout. »
  21. En 1935, George Montandon, dans son ouvrage « L'ethnie française » aux éditions Payot, p. 29, définit la nation comme « un groupement politique, créé par l'histoire et contenu dans l'armature de l'État. La nation, généralement, ne correspond pas plus à une race qu'à une ethnie; de façon habituelle, la nation comprendra plusieurs éléments raciaux et chevauchera plusieurs ethnies. Ainsi, la race est une conception savante, l'ethnie une conception naturelle, la nation une conception politique ».
  22. a , b , c , d , e , f , g  et h Population, immigration et identité nationale en France : XIXème-XXème siècle, par Gérard Noiriel, Hachette éditeur, 1992, (ISBN 2010166779).
  23. Le bulletin envoyé par l'UDR, mouvement gaulliste, à ses adhérents dans les années 60 ne s'en nommera pas moins La Nation.
  24. a  et b Population, immigration et identité nationale en France : XIXème-XXème siècle, par Gérard Noiriel, Hachette éditeur, 1992, (ISBN 2010166779).

Bibliographie

  • Samir Amin, Classe et nation dans l'histoire et la crise contemporaine, Minuit, 1979
  • Étienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, nation, classe - Les identités ambiguës, La Découverte, 1988 réédition 1997.
  • Rosa Luxembourg, La question nationale et l'autonomie, Le Temps Des Cerise, réédition 2001 (ISBN 2841092917).
  • Gérard Noiriel, Population, immigration et identité nationale en France : XIXème-XXème siècle, Hachette, 1992, (ISBN 2010166779).
  • Dominique Schnapper, La communauté des citoyens - Sur l'idée moderne de la nation, Gallimard, 1994.

Voir aussi

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