- Homotopie
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L'homotopie est une notion de topologie algébrique. Elle formalise la notion de déformation continue d'un objet à un autre. Deux lacets sont dits homotopes lorsqu'il est possible de passer continument de l'un à l'autre, comme illustré sur la figure de droite. Ce concept se généralise à bien d'autres objets que des lacets. Ainsi, les fonctions définissant les deux jeux de lettres de droite (les bleues et les rouges) sont aussi homotopiques.
L'homotopie fournit des informations sur la nature topologique d'un espace. Une bande circulaire d'un plan ne peut être équivalente, au sens de l'homéomorphisme, à un disque. Dans un disque, tout lacet est homotope à un point. Dans une bande circulaire, ce n'est pas le cas. Cette remarque est source de démonstrations, comme celle du théorème de d'Alembert-Gauss, du point fixe de Brouwer, de Borsuk-Ulam ou encore celle du théorème du sandwich au jambon, qui précise que trois solides mesurables et de mesures finies d'un espace euclidien de dimension trois étant donnés, il existe un hyperplan affine qui sépare chacun des solides en deux parties de mesures égales.
Sommaire
Définition
Homotopie entre deux chemins
Soit X un espace topologique. Un chemin continu de X est une application continue du segment réel [0, 1] dans X. Cette définition correspond à l'idée intuitive de chemin, au sens de sentier qui part d'un point pour arriver à un autre.
- Deux chemins continus γ0 et γ1 de X sont dits homotopes[1] lorsqu'il existe une application continue H de [0, 1]2 dans X telle que l'application qui à t associe H(t, 0) est égale à γ0 et celle qui à t associe H(t, 1) est égale à γ1.
Cette situation ne décrit pas encore exactement la situation représentée à droite. Sur l'illustration, les deux chemins γ0 et γ1 possèdent la même origine x ainsi que la même extrémité y. C'est-à-dire :
- Deux chemins continus γ0 et γ1 de X ayant même origine et même extrémité, sont dits homotopes strictement lorsqu'ils sont homotopes d'homotopie H et que, pour tout s élément de [0, 1] on dispose des égalités H(0, s) = x et H(1, s) = y[1].
Homotopie entre deux fonctions
Les définitions précédentes se généralisent à deux fonctions continues f et g d'un espace topologique X dans un espace topologique Y.
- Les deux fonctions f et g sont dites homotopes[2], d'homotopie H, si H est une fonction continue de X×[0, 1] dans Y telle que l'application qui à t associe H(t, 0) est égale à f et celle qui à t associe H(t, 1) est égale à g.
Il est possible de généraliser la deuxième définition. Soit A un sous-ensemble de X tel que les restrictions de f et de g à A soient égales.
- Les deux fonctions f et g sont dites homotopes relativement à A si f et g sont homotopes, d'homotopie H et que[2] :
Exemples
Convexe d'un espace euclidien
Article détaillé : Connexité simple.Soit E un espace euclidien de dimension n, où n est un entier strictement positif. On dispose de la propriété suivante :
- Tout lacet d'ensemble convexe C non vide de E est homotope à un point, c'est-à-dire à un lacet constant[3].
La figure de droite illustre le cas d'un lacet dans un disque. Ce lacet est manifestement homotope à un point, c'est-à-dire homotope à un lacet constant. Autrement dit, un convexe d'un espace euclidien (plus généralement d'un espace vectoriel topologique localement convexe) est simplement connexe.
Soit A est un élément de C, l'objectif est de montrer que tout lacet γ basé en A (c'est-à-dire ayant pour origine et extrémité A), est homotope au point A. Pour cela on définit une application H : [0 1]2 → C définie par :
L'application H est manifestement continue, comme γ(x) et A sont deux éléments de C, pour toutes valeurs de t et de s H(t, s) est élément de C car C est convexe. L'application H définit bien une homotopie entre le lacet constant et γ.
Cercle
Dans le cas d'un cercle C, identifié ici aux complexes de module 1, la situation n'est pas équivalente à la précédente. Intuitivement, si un fil parcourt une boucle autour d'un cercle, il n'est pas possible de le ramener à un point sans que le fil ne quitte la surface du cercle et sans le briser. On définit le lacet α comme l'application de [0, 1] dans C, qui à t associe exp(2πi.t) et c le lacet constant qui à t associe 1.
On dispose de la propriété[4] :
- Le lacet du cercle α n'est pas homotope à c.
Cette vérité est en général démontrée dans un résultat plus large, établissant la structure du groupe fondamental du cercle, on peut néanmoins procéder plus directement ici. Intuitivement, si le lacet s'imagine comme un fil qui tourne autour du cercle, tirer suffisamment fort sur les deux brins que l'on trouve au point 1 pour ramener l'intégralité du fil en 1, va casser le fil. Trouver le point de cassure est une méthode pour exhiber une discontinuité.
DémonstrationOn raisonne par l'absurde.
- Soit H(t, s) une homotopie stricte du lacet α vers c.
- Pour une valeur de s donnée, la fonction t → H(t, s) n'est pas toujours surjective, par exemple pour s égal à 1, elle ne l'est pas car elle est constante. Soit N l'ensemble des points s de[0, 1] tel que t → H(t, s) ne soit pas surjectif. Cet ensemble ne contient pas 0, et est ouvert. En effet, si s est élément de N, il existe un point z de du cercle, qui n'est pas atteint par H(., s). L'image de H(., s) est un compact, car H est continue et H(., s) est définie sur un compact. Le complémentaire est ouvert donc z est élément d'un ouvert ne rencontrant pas l'image de H(., s). L'uniforme continuité de H, garantie par le fait que H est continue et définie sur un compact, montre qu'il existe un voisinage de s tel que l'image de H(., s) ne rencontre pas z. Soit s0 la borne inférieure de la composante connexe de N contenant 1. Cette borne inférieure est au moins égal à 0, strictement inférieure à 1 et ne fait pas partie de N, car N est ouvert.
Un instant s0 où se produit une déchirure est maintenant connu, il s'agit de trouver le point H(t0, s0), indiquant l'endroit où se produit cette déchirure pour trouver une discontinuité.
- Pour s élément de ]s0, 1], on définit Ns comme l'adhérence union des images suivantes :
- Soit z0 un élément de l'intersection IN des Ns, lorsque s décrit ]s0, 1]. Comme ces Ns forment un ensemble de fermés emboîtés non vides dans le compact C, l'intersection n'est pas vide et z0 existe bien. Comme s0 n'est pas élément de N, la fonction H(.,s0) est surjective et il existe un élément t0 tel que H(t0, s0) est égal à z0. Le « point de déchirure » (t0, s0) est maintenant trouvé.
Il faut encore montrer que ce « point de déchirure » est bien une discontinuité de H.
- On considère les deux points du cercle situés à une distance de 1/2 de z0 et t1, t2 leurs antécédents par la fonction qui à t associe H(t, s0). Comme H(., s0) est une fonction surjective, les deux valeurs existent bien. Comme la fonction H est uniformément continue, il existe un réel strictement positif δ, plus petit que 1 - s0 tel que :
- Comme z0 est adhérent à l'ensemble IN il existe une valeur z à une distance strictement inférieure à 1/4 de z0 et une valeur σ de l'intervalle ]s0, s0 + δ[, tel que H(., σ) ne contienne pas z dans son image. L'image de l'intervalle [t1, t2] par la fonction H(., σ) ne contient ni z ni -z, d'après la propriété (1). Sans ces deux points, le cercle contient au moins deux composantes connexes. Les points H(σ, t1) et H(σ, t2) sont dans deux composantes connexes distinctes. En conséquence, l'image de l'intervalle [t1, t2] par H(σ, .) n'est pas connexe, ce qui montre que H ne peut pas être continu.
Usages
Théorème de d'Alembert-Gauss
L'homotopie est source de nombreuses démonstrations. Un exemple célèbre est celui du théorème de d'Alembert-Gauss qui indique que tout polynôme à coefficients complexes et non constant admet au moins une racine dans C[5].
Pour le démontrer, on considère un polynôme unitaire p(z) n'ayant aucune racine dans C et on note n son degré. Pour chaque réel positif r, on définit le lacet αr par :
Par définition, αr est un lacet défini sur le cercle. Si r est égal à 0, on obtient le lacet constant égal à 1. Comme la fonction, qui à r et t associe αr(t) est continue, tous les lacets αr sont homotopes à un point.
Soit (aj) la suite presque nulle des coefficients de p et ρ un nombre réel plus grand que 1 et que Σ|aj| la somme des valeurs absolues des coefficients de p. Si z est un nombre complexe de module égal à ρ :
On définit le polynôme ps(z) et le lacet βs par :
La majoration (1) montre que le polynôme ps n'admet pas de racine de module ρ et le lacet βs est bien défini. Si s est égal à 0, le lacet β0 fait n tours autour de l'origine, d'après le paragraphe précédent. Comme la fonction si à s et t associe βs(t) est continue, le lacet β1 est homotope à β0. Or le lacet β1 est égal au lacet αρ. Comme le lacet αρ est homotope à un point c'est-à-dire qu'il fait 0 tour autour de l'origine, n est égal à 0. Autrement dit, les seuls éventuels polynômes n'ayant pas de racine dans C sont les polynômes constants.
Groupe fondamental
Article détaillé : Groupe fondamental.Si X est un espace topologique, on peut composer deux lacets de même base p (c'est-à-dire de même origine et même extrémité p) α1 et α2 en construisant un lacet parcourant d'abord la trajectoire de α1, puis celle de α2. Cette composition est compatible avec la relation d'équivalence est homotope à. Quotienté par cette relation d'équivalence, on obtient une structure de groupe appelé groupe fondamental ou groupe de Poincaré[6]. Cette notion se généralise et permet de définir une infinité de groupes d'homotopie.
Ce groupe est à l'origine de démonstrations. L'une des plus célèbres est celle du théorème du point fixe de Brouwer en dimension deux, qui indique que toute application continue du disque dans lui-même admet un point fixe[7].
Topologie algébrique
Article détaillé : Topologie algébrique.L'homotopie est l'un des outils essentiels de la topologie algébrique[8]. Le cas le plus simple, celui des lacets est la source de nombreuses démonstrations dans ce domaine. En plus du théorème de d'Alembert-Gauss ou de celui du point fixe de Brouwer, celui de Borsuk-Ulam est caractéristique d'une démarche de la topologie algébrique. En dimension deux, il indique que toute application continue de la sphère dans R2 admet deux points antipodaux de même image[9]. Autrement dit, il existe toujours sur terre deux points situés aux antipodes ayant exactement la même température et la même pression[10]. Il permet de résoudre par l'affirmative quelques questions célèbres comme celle du sandwich au jambon : existe-il un plan qui coupe trois solides bornés et mesurables (correspondant au jambon, au fromage et au pain d'un sandwich) en deux parties de volumes égaux pour les trois solides[11] ? Les raisonnements de topologie algébrique faisant usage de l'homotopie permettent aussi de démontrer que si trois fermés ont pour union la sphère, l'un d'entre eux au moins contient deux points antipodaux[12]. On peut citer encore la question du partage du collier et des deux voleurs : un collier ouvert, illustré à gauche, est formé de perles de deux couleurs différentes, avec un nombre pair de perles de chaque couleur. On montre de façon élémentaire que les deux voleurs peuvent se répartir équitablement les perles en coupant le collier par seulement deux coups de ciseaux. Le théorème de Borsuk-Ulam permet de démontrer que plus généralement, s'il y a t couleurs de perles, t coupes suffisent.
Équivalence homotopique entre espaces topologiques
La notion d'homotopie entre deux fonctions permet de définir une relation d'équivalence entre espaces topologiques :
Deux espaces E et F sont dits homotopiquement équivalents (ou « de même type d'homotopie ») s'il existe deux applications continues et telles que :
- est homotope à idE, l'identité de E ;
- est homotope à idF, l'identité de F.
Un espace est dit contractile s'il a le même type d'homotopie qu'un point, ou ce qui est équivalent, si son application identité est homotope à une application constante. L'espace ℝn est contractile, ainsi que ses parties convexes, et même ses parties étoilées.
Deux espaces topologiques homéomorphes sont homotopiquement équivalents mais la réciproque est fausse, comme le montrent les exemples suivants :
- mis à part le point lui-même, les espaces contractiles ne sont pas homéomorphes (ni même équipotents) au point ;
- un cercle est homotopiquement équivalent à ℂ* c'est-à-dire un plan privé d'un point, mais ne lui est pas homéomorphe (le cercle privé de deux points n'est pas connexe, tandis que le plan privé de trois points l'est) ;
- l'intervalle réel, le disque dans le plan ou la boule dans ℝ3, de rayon 1, ouverts ou fermés, sont, tous les six, contractiles donc homotopiquement équivalents, mais deux à deux non homéomorphes (par des arguments analogues de connexité ou de simple connexité, voire – pour distinguer les ouverts des fermés – de compacité).
Diverses propriétés importantes en topologie algébrique sont conservées par équivalence homotopique, parmi lesquelles : la simple connexité, la connexité par arcs, les groupes d'homotopie, les groupes d'homologie et de cohomologie…
Isotopie
L’isotopie est un raffinement de l'homotopie ; dans le cas où les deux applications continues et sont des homéomorphismes on peut vouloir passer de à , non seulement continûment mais en plus par homéomorphismes.
On dira donc que et sont isotopes si et seulement s’il existe une application continue telle que :
- pour tout l'application partielle est un homéomorphisme.
La fonction est définie par .
La notion d'isotopie est notamment importante en théorie des nœuds : deux nœuds sont considérés identiques s'ils sont isotopes, c'est-à-dire si on peut déformer l'un pour obtenir l'autre sans que la « corde » se déchire ou se pénètre.
Notes et références
- Une première approche de l'homotopie dans le cadre continu, cours de Master de l'ENST. On trouve cette définition dans : L. Borel et P. Weiss,
- Lannes 2004, p. 13. On trouve cette démonstration dans
- H. Cartan, Cours de C3, Algèbre et géométrie : Groupe fondamental, revêtements, Orsay, 1968-1969, p. 8, traite le cas plus général d'un espace étoilé.
- Lannes 2004, p. 8. On trouve une approche plus complète qui permet de déterminer le groupe fondamental du cercle dans
- Hatcher 2001, p. 31
- Lannes 2004, p. 5
- Lannes 2004, p. 11
- Hatcher 2001, p. 1. L'homotopie est qualifiée de main idea of algebraic topology dans
- ISBN 2130374956), p. 16 D. Leborgne, Calcul différentiel et géométrie, Puf , 1982 (
- Hatcher 2001, p. 32. Cette anecdote provient de
- (en) Jiří Matoušek (de), Using the Borsuk-Ulam Theorem: Lectures on Topological Methods in Combinatorics and Geometry, Springer, 2003 (ISBN 978-3-54000362-5), p. 47
- Hatcher 2001, p. 33). Ce résultat est une conséquence du théorème de Borsuk-Ulam (
- (en) Allen Hatcher (en), Algebraic Topology, Cambridge University Press, 2001 (ISBN 0521795400)
- J. Lannes, Groupe fondamental, École Polytechnique, 2004
Articles connexes
Catégorie :- Théorie de l'homotopie
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