Theoreme de Borsuk-Ulam

Theoreme de Borsuk-Ulam

Théorème de Borsuk-Ulam

Stanislaw Marcin Ulam conjecture le théorème, mais ne parvient pas à le démontrer dans le cas général.

En mathématiques, le théorème de Borsuk-Ulam est un résultat de topologie algébrique. Il indique que pour toute fonction f continue d'une sphère de dimension n, c'est-à-dire la frontière de la boule euclidienne de Rn+1, dans un espace euclidien de dimension n, il existe deux points antipodaux, c'est-à-dire diamétralement opposés, ayant même image par f.

Pour D. Leborgne, il fait partie des « quelques grands théorèmes concernant la topologie des espaces de dimension finie »[1]. Contrairement au théorème de Jordan, il est moins intuitif. Il indique, par exemple, qu'il existe deux points antipodaux de la Terre ayant exactement la même température et la même pression[2], et cela à chaque instant (même si ces points peuvent varier). On suppose ici que la température et la pression varient de manière continue.

Son premier usage concerne la topologie algébrique, il permet par exemple de démontrer[3] le théorème du point fixe de Brouwer qui lui est analogue à certains égards. Il permet de démontrer des résultats au titre aussi amusant que la démonstration est difficile, comme le théorème du sandwich au jambon ou encore celui du partage du collier volé. A partir des années 1970, il devient un outil pour démontrer des résultats de purs dénombrement, liés à la théorie des graphes[4].

Ce théorème fut conjecturé par Stanislaw Marcin Ulam et prouvé par Karol Borsuk en 1933[5].

Sommaire

Énoncé

Théorème — Toute application continue de la sphère Sn-1, d'un espace euclidien de dimension n dans un espace euclidien de dimension n - 1 est telle qu'il existe deux points antipodaux ayant même image[6].

Démonstrations

Dimension un

Article détaillé : Connexité (mathématiques).

En dimension un, la preuve est une conséquence directe d'un résultat analogue au théorème des valeurs intermédiaires. Soit f la fonction continue du cercle, choisi de centre le vecteur nul, dans R. On définit la fonction g du cercle dans R, qui à x associe g(x) = f(x) - f(-x). Le théorème revient à montrer que g possède un zéro. On remarque que la fonction g est impaire, c'est à dire que g(-x) = -g(x).

Soit x0 un point du cercle, si g(x0) est nul, le théorème est démontré. Dans le cas contraire, l'image de g est connexe car le disque l'est. Cette image contient donc le segment d'extrémités g(x0) et -g(x0). Ce segment contient 0, qui possède un antécédent.

Sous cette forme, le théorème n'est guère étonnant. Un corollaire est un peu plus surprenant, si deux fermés du cercle ont pour union le cercle entier, l'un des deux fermés contient deux points antipodaux. En effet, soit A et B les deux ensembles non vides et fermés dont l'union est égal au cercle. On considère la fonction f qui au point x du cercle, associe la distance de x à A. Le théorème assure l'existence de deux points x et -x ayant même image par f. Si cette image est 0, x et -x sont tous deux dans A, car A est fermé, et le corollaire est démontré. Dans le cas contraire, ils sont tous deux dans B et le corollaire est à nouveau démontré.

Dimension deux

Article détaillé : Groupe fondamental.

Une méthode élégante, en dimension deux, fait appel au groupe fondamental du cercle[7]. On raisonne par l'absurde et on suppose qu'il existe une fonction f de la sphère S2 dans R2 telle que tous les points antipodaux ont des images distinctes par f. On construit une fonction continue g de la sphère S2 dans le cercle S1. L'application g induit un morphisme g * du groupe fondamental de S2 dans S1. Comme S2 possède un groupe fondamental trivial car la sphère est simplement connexe, les images des lacets par g * devraient tous être homotopes à un point. On construit un lacet dont l'image ne l'est pas. Cette contradiction démontre le théorème. On définit la fonction g par :

\forall x \in \mathcal S^2\quad g(x) = \frac {f(x) - f(-x)}{\|f(x) - f(-x)\|}

Comme on suppose qu'il n'existe aucun couple de points antipodaux ayant la même image par f, la fonction g est bien définie. On suppose que la sphère S2, tout comme le cercle S1 est de centre le vecteur nul et de rayon 1. On considère le lacet α de S2, qui à t associe le point de coordonnées (cos(2π.t), sin(2π.t), 0). Comme la fonction g est impair, on dispose de l'égalité :

(1)\quad \forall t \in [0,1/2]\quad g_*\alpha(t+ 1/2) = -g_*\alpha(t)

Par ailleurs, il existe une fonction p de [0, 1] dans R tel que le lacet g *α de S1 s'écrive[8] :

\forall t \in [0,1]\quad g_*\alpha(t) = (\cos(p(t)),\sin(p(t))\quad\text{avec}\quad p(0)=0

La propriété (1) permet de déduire :

\forall t \in [0,1/2]\quad  2\Big(p(t+1/2) - p(t)\Big) \in \Z

La fonction, qui à t associe p(t + 1/2) + p(t) est continue, définie dans un ensemble connexe et à valeurs dans un ensemble discret, elle est donc constante. Cette constante est de la forme c/2 où c est un entier impair. Ce qui permet d'en déduire les égalités :

p(1) = p(1/2) + c/2 = (p(0) + c/2) + c/2 = c \;

Le fait que c soit un entier impair montre que p(1) est un entier non nul et donc que g *α n'est pas homotope à un point. En fait, le lacet g *α fait c tours autour du cercle[9]. Le morphisme g * est un morphisme de groupe trivial dans un groupe isomorphe à Z et possède une image différente de l'élément neutre. Cette impossibilité termine le raisonnement par l'absurde.

Corollaires

Partage d'une sphère

Si trois fermés recouvrent une sphère, l'un au moins contient deux points antipodaux.
Partage-d'une-sphère.jpg

Le corollaire démontré pour le cercle se généralise. Cette fois-ci, la sphère est divisée en trois parties fermées comme illustré sur la figure de droite, la bleue, notée A, la rouge notée B et la verte C. Dans l'exemple, c'est la zone verte qui contient les points antipodaux. Une fois encore, le centre de la sphère est placé sur le vecteur nul, deux points antipodaux sont ainsi opposés.

On considère la fonction, qui à x, associe f(x) = (dA(x), dB(x)), la première coordonnée indique la distance séparant x de A et la deuxième celle qui sépare x de B. La fonction f est continue, le théorème de l'article assure l'existence de deux points antipodaux ayant même image par f. Si cette image comporte une coordonnée nulle, les points x et -x sont, soit dans A, soit dans B, car A et B sont fermés. Dans le cas contraire, x et -x sont nécessairement tout deux dans C.

On peut se demander si 3 est bien le nombre maximal pour décomposer une sphère en fermés contenant nécessairement deux points antipodaux dans un même fermé. Pour s'en persuader, le plus simple est de placer la sphère dans un tétraèdre régulier circonscrit à la sphère, comme illustré sur la figure de droite. On associe à chaque face du tétraède, un fermé de la sphère de la manière suivante. On considère un point p de la sphère et la demi droite d'extrémité le centre de la sphère et passant par p. Si cette demi droite rencontre une face du tétraèdre, le point p est élément du fermé associé à cette face (certains points de la sphère sont associés à deux faces si l'intersection est une arrête). Aucun des quatre fermés ne contient de couple de points antipodaux.

Le raisonnement proposé ici se généralise pour une dimension quelconque[10].

Théorème du sandwich au jambon

Le théorème du sandwich au jambon annonce l'existence d'un plan qui coupe chacun des trois solides en deux parties de volumes égaux.

Le théorème du sandwich au jambon[11] dans le cas où n est égal à 3 s'exprime de manière suivante. Soit trois solides mesurables et bornés d'un espace euclidien de dimension trois. On les représente par deux tranches de pain et une tranche de jambon. Il existe un plan affine qui coupe chacune des trois figures en deux parties de volumes égaux. Plus généralement le théorème précise :

  • Soit n parties bornées et Lebesgue-mesurables de l'espace réel euclidien de dimension n, il existe un hyperplan affine divisant chaque partie en deux morceaux de mesure égale[12].

Cette question est initialement posée par Hugo Steinhaus dans le cas de la dimension 3 en 1938 et est résolue par Stefan Banach[13]. La réponse à cette question, d'apparence aussi ludique qu'anodine, est la clé de questions très sérieuses. Luis Paris remarque que : « .. c’est avec ces mêmes techniques que les mathématiciens ont établi l’existence d’enzymes appelées topo-isomérases qui effectuent des manipulations topologiques sur l'ADN »[14].

La démonstration est une conséquence directe du théorème de l'article. En dimension trois, la figure de droite illustre la preuve, avec pour solides, notés A, B et C, des solides de Platon en rouge. On considère une sphère de centre le vecteur nul et x un vecteur de la sphère. Pour chaque point p de la droite dirigé par x, il existe un plan orthogonal à x et passant par p. Si p varie continument, le volume de la zone du solide A qui se trouve dans le demi-espace placé du même coté que x, varie aussi continument. Ce demi-espace correspond à la zone qui n'est pas partiellement masqué par le plan illustré en jaune. Il existe une valeur de p, noté px telle que cette portion de volume soit exactement le moitié de celle de A. Soit f la fonction de la sphère qui associe à x deux réels, correspondant aux volumes des portions de B et C qui se trouvent dans le même demi-espace que celui considéré précédemment. La fonction f satisfait les conditions du théorème, il existe une valeur de x tel que f(x) soit égal à f(-x). Le plan orthogonal à x et passant par le point px vérifie la propriété annoncé par le théorème du sandwich au jambon. La démonstration se généralise aisément à une dimension quelconque.

Partage discret du collier

Collier-volé.jpg

Le problème du partage discret du collier est beaucoup plus délicat à démontrer, même si son apparence est des plus simples. On présente souvent ce théorème en narrant l'histoire suivante[15] : Deux voleurs dérobent un collier de valeur. Ce collier est composée de perles de t couleurs différentes (sur l'illustration de droite t est égal à 2). Le nombre de perles ayant l'une des t couleurs est toujours pair (dans l'exemple, on trouve 10 perles bleues et 10 vertes). Les deux malfrats souhaitent récupérer chacun le même nombre de perles pour chaque couleur. La chaîne étant en or, l'objectif est d'opérer le partage avec le minimum de coupes possibles. Le théorème indique que le nombre de coupes minimal ne dépasse jamais t.

Si t est égal à 2, deux coupes suffisent, la question peut-être vue comme une application du théorème de Borsuk-Ulam en dimension deux. Le premier solide est composé des perles bleus et le deuxième des perles vertes. Il existe une droite qui divise les deux solides en deux parties de volumes égaux. Ce résultat du théorème de l'article impose nécessairement une coupe passant par le milieu du collier. Cette coupe est illustrée sur la figure par la droite violette. Elle ne laisse pas nécessairement les perles intactes, mais les deux éventuelles perles coupées sont de même couleurs, car sinon chacun des deux voleurs recevrait non pas 5 perles bleues et 5 rouges, mais un nombre non entier de perles de chaque couleur. En pivotant l'axe violet pour que l'intersection de l'axe et du collier soit des points de la chaîne extérieurs aux perles, on obtient un axe de coupe (rouge sur la figure) qui répond à la question. On obtient bien deux coupes, qui sont les deux points d'intersection de l'axe rouge et du collier.

Si t est quelconque, la question est plus ardue, même si la réponse est conjecturée depuis longtemps. C'est en 1986 que le théorème est démontré pour la première fois[16]. La démonstration est considérablement simplifiée l'année suivante[17]. L'usage du théorème de Borsuk-Ulam est à l'origine de cette simplification. Le cas où le nombre de voleurs n'est pas 2 mais devient une valeur q quelconque, devient accessible. Il est traité l'année suivante par l'un des auteurs de la démonstration précédente[18], il faut t(q - 1) coupes, généralisant le résultat précédent. Les preuves sont néanmoins trop sophistiquées pour être présentées ici.

A la différence des exemples précédents, le théorème de l'article quitte ici son champ d'application naturelle : la topologie algébrique, pour devenir la cheville ouvrière d'un résultat de dénombrement.

Annexes

Bibliographie

  • (en) A. Hatcher Algebraic Topology Cambridge University Press (2001) (ISBN 0521795400)
  • (en) J. Matousek Using the Borsuk-Ulam Theorem: Lectures on Topological Methods in Combinatorics and Geometry Springer (2007) (ISBN 3540003622)
  • (en) G. E. Bredon, Topology and geometry Graduate Text in Mathematics 139 Springer (1993) (ISBN 9780387979267)

Liens externes

Références

  1. D. Leborgne, Calcul différentiel et géométrie Puf p 15 (1982) (ISBN 2130374956)
  2. Cette anecdote provient de A. Hatcher, Algebraic Topology, Cambridge University Press p. 32 (2001) (ISBN 0521795400)
  3. F. E. Su Borsuk-Ulam implies Brouwer : A direct construction Amer. Math. Monthly 104 (1997) pp 855-859
  4. L. Lovász Kneser's conjecture, chromatic number, and homotopy J. Combin. Theory Ser. A 25 (1978) pp 319-324
  5. K. Borsuk Drei Sätze über die n-dimensionale euklidische Sphäre Fund. Math., Vol. 20 (1933) pp 177-190
  6. A. Hatcher Algebraic Topology Cambridge University Press p 32 (2001) (ISBN 0521795400)
  7. La méthode utilisé ici est celle décrite dans : A. Hatcher Algebraic Topology Cambridge University Press p 33 (2001) (ISBN 0521795400)
  8. L'existence de la fonction p est démontrée dans l'article groupe fondamental au paragraphe Cercle
  9. Pour plus de détails voir le paragraphe Cercle
  10. A. Hatcher Algebraic Topology Cambridge University Press p 33 (2001) (ISBN 0521795400)
  11. Même si ce nom de théorème peut prêter à sourire, il est utilisé dans les revues les plus sérieuses : S. T. Vrecica R. T. Zivaljevic The ham sandwich theorem revisited Israel Journal of Mathematics Vol. 78, no1, pp 21-32 (1992)
  12. J. Matousek Using the Borsuk-Ulam Theorem: Lectures on Topological Methods in Combinatorics and Geometry Springer (2007) (ISBN 3540003622) p 47
  13. W. A. Beyer A. Zardecki The early history of the ham sandwich theorem pp 58–61 Vol. 111 (2004)
  14. L. Paris Les tresses : de la topologie à la cryptographie CNRS Institut de Mathématiques de Bourgogne
  15. F. Meunier Pleins étiquetages et configurations équilibrées : aspects topologiques de l'Optimisation Combinatoire Thèse soutenue à l'Université de Grenoble Chap 5 p 95 (2007)
  16. C. H. Goldberg D. West Bisection of circle colorings SIAM J. Algebraic Discrete Methods 6 pp 93-106 (1985)
  17. N. Alon D. West The Borsuk-Ulam theorem and bisection of necklaces Proc. Amer. Math. Soc. 98 pp 623-628 (1986)
  18. N. Alon Splitting necklaces Advances in Math. 63 pp247-253 (1987)
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