Histoire des techniques en Wallonie de 900 à 1800

Histoire des techniques en Wallonie de 900 à 1800

Avant le XIXe siècle, les sciences et les techniques sont deux choses différentes ; il y a peu d’interaction ou synchronisation. Le système technique de l'Antiquité et du haut Moyen Âge repose sur les métaux non ferreux, le fer au procédé direct, le bois, la force de l'homme et des animaux. Au Moyen Âge, un autre système se met en place avec l'énergie hydraulique et la fonte produite au charbon de bois. L’énergie hydraulique est détrônée par la vapeur lors de la Révolution industrielle, la fonte est fabriquée au coke, puis par un système acier-électricité, la chimie. La Wallonie a été à l'avant-garde de cette aventure humaine.

Chaque système se met en place à l'intérieur de l'ancien, débute avec des performances plus modestes, supplante graduellement le précédent, puis atteint à son tour la saturation.[1]

Sommaire

Fer plus fort que fer

Les Liégeois (et les Wallons) se vantaient de posséder fer plus fort que fer, feu plus chaud que feu, pain meilleur que pain, l'acier, la houille, le seigle. Les minéraux, épuisés depuis quelques siècles parfois, furent jadis abondants. Au XVe siècle, le Grec Nicandre visitant la Wallonie, écrit que l'on y trouve les sept grands métaux : or, argent, cuivre, étain, fer, plomb et même mercure. Il exagère. Mais c’est vrai que depuis l'époque romaine, on exploite le fer dans l'Entre Sambre et Meuse, et la calamine (carbonate de zinc) dans la région de, précisément, La Calamine. L'exploitation de la houille remonte à la même période, puisqu'on en a retrouvé sous la place Saint-Lambert. Les textes l’attestent au XIIe siècle. Il existe de petits gisements de blende, de pyrite et de galène qui ont fourni du plomb, et même un peu d'argent. On exploitera aussi l'alun pour la teinturerie, le soufre pour la poudre à canon, divers sulfates pour l'industrie chimique à ses débuts à partir de la Renaissance. Dans les Fagnes, l’or a été recherché depuis longtemps.

Les techniques les plus anciennes

Les artisans exploitent les ressources du premier système technique : fer produit au procédé direct, métaux non ferreux, le fer au bas fourneau.

Le bas fourneau

Le bas fourneau est un trou dans le sol où minerai, charbon de bois et fondants sont mélangés. On obtenait une loupe de fer, spongieuse à cingler avec vigueur. Avant l'an 1000, on passe au four à masse, construit en hauteur et on a des loupes de 100 à 300 kg. Le fer chauffé en présence de matières riches en carbone se transforme par cémentation et trempe à l'eau. On a de l’acier pour l’armurerie.

Le travail du laiton

Le travail du laiton est une spécialité wallonne dès le Moyen Âge. Le cuivre est importé d'Allemagne et réduit en feuilles. On le chauffe en creuset fermé, avec du charbon de bois et de la calamine calcinée dont le zinc s'allie au cuivre pour produire du laiton directement. Les Fonts baptismaux de Saint-Barthélemy, chef d'œuvre de l'Art mosan témoignent de cette expertise dans l'alliage et dans la coulée à cire perdue[2]. Le repoussage du métal, la batterie du laiton, la dinanderie a rendu Dinant célèbre. Les batteurs de cuivre dinantais s'établissent au XVe siècle dans le district de Stolberg riche en zinc. Au XIIe siècle, dans la Description des divers arts du prêtre Théophile l'état des arts et métiers wallons est bien reflété : Roger de Helmarshausen (OSB), avait été formé à Stavelot. Il consacre ses trois livres au vitrail, aux pigments et colorants et à la métallurgie.

La révolution industrielle du Moyen Âge

Jean Gimpel parle d’une révolution industrielle au Moyen Âge[3]. Un nouveau système se met en place, fondé sur l'énergie hydraulique. On peut superposer le réseau hydrographique en Wallonie et le développement industriel.

Réseau hydrographique et développement industriel

Des rivières à cours rapide font tourner les roues des moulins[4]. Cette invention romaine du moulin à eau se réintroduit à partir du IXe siècle, se développe aux XIIe et XIIIe siècles. L'arbre à cames transforme le mouvement rotatif en mouvement alternatif, et met en œuvre les marteaux à fouler, les bocards à concasser le minerai, les martinets et les soufflets de forges.

Introduction du haut fourneau

La soufflerie hydraulique, appliquée au four à masse, en augmente la température, la production. C’est une étape vers le haut-fourneau. Au XVe siècle, le haut-fourneau wallon existe, il est peint notamment par Bruegel, mais aussi Henri Blès[5], avec le marteau, le gueulard, la roue hydraulique, les chevaux, etc. On le lie à une colline : minerai, charbon de bois et fondant sont enfournés par le gueulard.

Fonctionnement du haut fourneau au XVe siècle

La charge descend par la cuve, le ventre, les étalages, l'ouvrage où aboutissent les tuyères, jusqu'au creuset en poudingue où se rassemblent le laitier et la fonte. À la base du fourneau, le fer coule. Car ce n'est plus de loupes qu'il s'agit mais d'un matériau nouveau, la fonte, c'est-à-dire du fer contenant beaucoup de carbone. Par sa coulabilité, la fonte se prête à être moulée en ustensiles de cuisine, taques de foyer, canons, boulets, tuyauteries et œuvres d'art. C'est le bronze du pauvre. Cassante, elle nécessite d'être décarburée pour être convertie en fer malléable. La méthode wallonne d'affinage qui est répandue dès la fin du XVe siècle consiste à réchauffer les gueuses de fonte dans un foyer à charbon de bois, dans l'atmosphère oxydante créée par le vent des soufflets. Le fer fondait goutte à goutte en se décarburant et formait une loupe qui pouvait être martelée au martinet hydraulique, ou aplatie au laminoir dont un ingénieur normand travaillant dans nos régions, Salomon de Caus, donne la première description en 1615. Dans les fenderies, des cylindres cannelés débitaient le fer en verges que les cloutiers transformaient en clous, tandis que dans les platineries, la tôle était martelée en ustensiles de quincaillerie[6].

Vers l'usage de la houille

La houille ne pouvait être utilisée dans le haut-fourneau à cause des matières volatiles. Mais on en faisait un usage domestique et dans d’autres industries. Son extraction atteignit des couches profondes, ce qui nécessita le développement de l’hydraulique : araines (canaux en pente amenant les eaux au pied des collines), chaînes à godets mues par des chevaux, pompes actionnées par énergie animale ou roues hydrauliques. Ces machines, décrites par Georgius Agricola dans son De re metallica de 1556, sont attestées à Liège.

Développement du capitalisme

Ernest de Bavière (1554-1612) marque le développement du capitalisme et l'expansion technologique, aux dires du mathématicien louvaniste Adrianus Romanus. Le Prince-Evêque s’intéresse de près aux richesses du sous-sol de Liège et son pays. Il donne mission à Gilles de la Rôlette d'Or d’étudier les gisements des métaux suivants : fer, cuivre, plomb, soufre, couperose (sulfate de cuivre), kisses (pyrites), alun et calamine. Il découvre lui-même en 1587, en Ardenne, des gisements de soufre, alun et vitriol. Plusieurs lois protègent tout ce développement. C'est la grande époque de la méthode wallonne de décarburation. On consomme tellement de bois que l’Ardenne devient une lande. La forêt d’Ardenne, bien moins fournie que maintenant, est victime de l’exploitation intensive. On se met à chercher d’autres énergies.

La mécanique de précision

Ces techniques se transfèrent dans le reste de l’Europe. Jean Curtius établit en Espagne des usines sidérurgiques et des fabriques de canons appliquant la méthode wallonne. Jean Mariotte en Allemagne occidentale, sur Rhin et la Lahn. Louis de Geer, fonde la sidérurgie suédoise et est à l’origine des Wallons de Suède (XVIe et XVIIe siècles). À la fin du XVIIe siècle, les Sualem se spécialisent dans l'exhaure des eaux. Rennequin Sualem, né le 29 janvier 1645, construit la machine du château de Modave, un système de pompes qui apportent l'eau de la Meuse à 40 mètres de hauteur. Il fait de même à Marly, de 1681 à 1687 : là, quatorze roues de 12 m de diamètre mettent en mouvement 300 pompes pour porter l’eau au château de Versailles. Au XVIIIe siècle, la technologie wallonne a sa place dans la littérature scientifique internationale avec Jars, Morand, Monnet, Hellot, Bouchu et de Courtivron, et dans l'Encyclopédie. Léopold Genneté, décrit la fabrication du vitriol à la Rochette, les houillères liégeoises et les mines de Vedrin.

Vers la révolution industrielle moderne

Pourtant ce système arrive à saturation. Après un voyage à Sulzbach, Jean-Philippe de Limbourg réussit à produire du coke en 1768, mais ses premiers essais de fonte au coke échouent. À Louvain, où la chimie pneumatique est à l'honneur, le Maastrichtois Jan Pieter Minckelers produit du gaz d'éclairage en chauffant de la houille dans un canon de fusil. Ni Limbourg, ni Minckelers ne mèneront leur découverte au stade industriel. Mais économiquement et idéologiquement le terrain est favorable à l’éclosion d’une Wallonie industrielle.

Liens internes

Liens externes

Notes et bibliographie

  1. Robert Halleux, Directeur du Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège, Anne-Catherine Bernès, Directeur-adjoint du Centre d'Histoire des Sciences et des Techniques de l'Université de Liège, Luc Étienne Conseiller au Cabinet du Ministre des Technologies, L'évolution des sciences et des techniques en Wallonie, in Atouts et références d’une région Institut Destrée, Charleroi, 1995, pp. 199-227, p. 206
  2. Catalogue de l’exposition Rhin-Meuse, Bruxelles, Cologne, pp. 238-240
  3. Jean Gimpel, La révolution industrielle au Moyen Âge, Seuil, Paris, 2002
  4. André Joris et Jean-Louis Kupper, Villes bourgs et franchises en Wallonie de 1250 à 1477, in La Wallonie, le pays et les hommes, Tome I, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1977, pp. 131-159, et en particulier pp. 136-139
  5. Jaquette du Tome I de La Wallonie, le pays et les hommes, La Renaissance du libre, Bruxelles, 1975
  6. Robert Halleux, Anne-Catherine Bernès, Luc Étienne, « L'évolution des sciences et des techniques en Wallonie », Atouts et références d’une région, Institut Destrée, 1995. Consulté le 4 juillet 2010

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