Histoire de la culture du sucre

Histoire de la culture du sucre

Histoire de la culture des plantes sucrières

La Caraïbe est devenue la principale région mondiale pour la production du sucre à partir du milieu du 17ème siècle, puis a connu une expansion à marche forcée au siècle suivant, marqué par le commerce triangulaire vers les îles françaises et anglaises. Elle n’a cédé cette place qu’à la fin du XIXe siècle avec l'abolition de de l'esclavage et le développement de la betterave en France tandis qu'au XXe siècle, Cuba est resté longtemps premier exportateur mondial de sucre.

La production sucrière a pris son essor en trois vagues: dans les années 1640 à la Barbade, au début des années 1670 dans l'ensemble Guadeloupe-Martinique-Jamaïque, puis à Saint-Domingue à la toute fin du XVIIe siècle. Son moteur est la très forte rentabilité des plantations, à une époque où les occasions de s'enrichir sont rares, faute d'industrie.

Cette expansion se fit dans un environnement très militarisé, dominé par les conflits politico-religieux entre monarchie et parlement anglais, puis par la nécessité de mettre au pas une immigration blanche sauvage qui alimenta les rangs des flibustiers, pour la remplacer par une immigration noire dans le cadre de la traite négrière. La Barbade sera premier producteur mondial jusqu’en 1700, année où la Jamaïque la rejoint, avant d'être à son tour dépassée par Saint-Domingue en 1720.

Sommaire

Une très lente genèse dans l'Antiquité et au Moyen-âge

La culture du sucre aurait commencé dans le Nord-Est de l'Inde ou dans le Pacifique Sud respectivement vers 10000 ou 6000 avant JC. D'autres témoignages archéologiques associent la culture du sucre avec la civilisation de la vallée de l'Indus[1]. Les Indiens ont découvert comment cristalliser le sucre pendant la dynastie des Gupta vers l'an 350.

Néarque, l’amiral crétois d’Alexandre le Grand, apprit l’existence du sucre aux Occidentaux vers 325 avant Jésus-Christ. Lors de l’une de ses explorations en mer des Indes, il parle d’un "roseau donnant du miel sans le concours des abeilles", reprenant une expression des Perses.

Vers 1390, une meilleure presse fut créée, ce qui permit de doubler le jus obtenu à partir de la canne. Cela a permis l'expansion économique des plantations de sucre à l'Andalousie et l'Algarve, malgré un climat trop frais pour cultiver des quantités importantes. Vers 1420, la production de sucre fut étendu aux îles Canaries, Madère et aux Açores.

Christophe Colomb introduisit à Hispaniola (Saint-Dominigue) des plants de canne à sucre en provenance des Canaries en 1493. Nostradamus ou Michel de Nostre Dame, installé à Salon-de-Provence, comme beaucoup d'Italiens, publia vers 1550 un livre sur l’utilisation du sucre en confiserie. Dans les années 1600, Olivier de Serres, agronome français, pressent la richesse en sucre de la betterave, mais celle-ci ne sera pas utilisée avant 1804 et l'échec de l'expédition de Saint-Domingue car pendant deux siècles, c'est la culture de la canne à sucre dans la Caraïbe qui va transformer l'économie sucrière mondiale.

Après Madère et les Canaries, le Brésil portugais

Au XVIe siècle, la marine hollandaise n'a pas encore pris son essor. Les portugais et les espagnols se partagent le monde dans le cadre du traité de Tordesillas. Les corsaires huguenots de Dieppe et La Rochelle les perturbent mais sans menacer leur domination. Dans l'empire espagnol, malgré la présence de plantations aux Îles Canaries, les visées esclavagistes ont été refroidies par le succès des thèses du père Bartolomé de las Casas qui a l'oreille de la Reine, à la cour de Castille. Les espagnols limitent l'importation d'esclaves noirs également dans le but de sécuriser leurs relations avec les amérindiens.

Les portugais vont développer les premiers la culture du sucre car ils ont accès aux prises d'esclaves sur la côte d'Afrique. Ils conquièrent peu à peu toute la côte du Brésil, aux dépens des comptoirs normands. Hans Staden écrit qu'en 1540 l'île de Santa Catarina comptait 800 sucreries et que la côte nord du Brésil en comptait 2 000, cependant de taille et de technologie modestes.

Le Brésil portugais compte 60 sucreries en 1575 (dont 23 à Pernambouc et 18 à Bahia), 130 sucreries en 1585 (dont 65 à Pernambouc et 45 à Bahia) et 436 sucreries en 1629 (dont 150 à Pernambouc 80 à Bahia et 60 à Rio). Après 1637, les portugais doivent céder aux hollandais la colonie de Pernambouc, qu'ils reprennent de force 17 ans plus tard en 1654[2]. A la fin du siècle, 200 des 400 sucreries portugaises du Brésil sont à Pernambouc, soit un tiers de plus qu'avant l'intermède hollandais. Entre 1570 et 1670, la production de sucre du Brésil est multipliée par cinq pour atteindre 15 millions de kilogrammes (15000 tonnes). Elle continue à progresser lorsque les jésuites chassent les hollandais en 1654 date importante de l'histoire de Pernambouc.

Au 17ème siècle, les hollandais éviteront les conflits dans l'Atlantique avec les portugais et les espagnols, pour ne pas se les aliéner dans l'océan indien, dont ils deviennent maîtres absolus. Ils deviennent de simples transporteurs d'esclaves pour l'Espagne, dans le cadre de l'asiento, un monopole qu'ils abandonnent vers 1670 aux anglais et aux français, dont la concurrence entraîne la faillite de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales.

La Barbade invente les grandes plantations esclavagistes en 1640

La Barbade, la plus petite, la moins montagneuse et la plus orientale des îles Caraïbes, est jugée la plus rassurante pour les premiers planteurs européens. Les pirates et les indiens y sont rares, puis rapidement maîtrisés. Colonisée en 1627, l’île compte 4000 habitants dès 1631 puis 37.000 en 1642, quand commence la guerre civile en Angleterre selon l'historien John A. Holm. Pour les historiens, l'immigration irlandaise à la Barbade serait donc liée aux expropriations des années 1630 plutôt qu'à la guerre civile des années 1640 ou aux guerres cromweliennes des années 1650, comme on l'a longtemps crû. Dès 1644, les colons anglais ont fait passer une loi contre l’immigration irlandaise, car ils préfèrent désormais importer des esclaves noirs.

Les colons ne cultivent au départ que le tabac, mais l'esclavage s'est développée après 1642 après l’introduction de la canne à sucre, la surproduction de tabac ayant fait chuter son prix. La première loi légalisant l'esclavage date de 1636[3] et les premiers esclavagistes sont sir Robert Rich et sir John Hawkins.

Un conseil des planteurs non-élus, sorte de milice, gouverne l’île de la Barbade : 18 des 22 membres sont des officiers. Parmi les grands planteurs de l'île, Thimothy Thornhill[4], Thomas Modyford et Richard Ligon vont chercher des esclaves en Afrique pour leur propres compte en 1647. La population d'esclaves noirs, estimée à quelques centaines en 1640 atteint 5680 personnes en 1645 puis 20000 en 1655, plus que dans tout l'empire portugais, et même 30000 en 1650, selon d'autres sources[3]. Une génération plus tard, en 1666, les esclaves sont 40000, selon les récits du Père Dutertre[3]. Leur nombre diminue lors des guerres anglo-néerlandaises, revenant à 32473 en 1673, mais deux générations plus tard, en 1685, ils sont près de 46000 à 60000, selon les sources.

Parallèlement, la population blanche, chassée par la flambée des prix de l'immobilier quitte l’île en masse pour rejoindre les flibustiers ou cultiver le tabac sur d’autres îles, phénomène démographique appelé « inversion démographique à la Barbade »[5]. Les historiens de la caraïbe ont identifié le parler irlandais de la Barbade comme la souche de la plupart des parlers créoles anglais dans tout le pourtour de la Caraïbe. A Marie-Galante, les boucaniers irlandais, appelés irois, vivent au contact des indiens caraïbes et font échec à la tentative d'installation de Constant d'Aubigné. Ils ont laissé leur nom à une anse de l'île, tout comme à Saint-Domingue.

À la restauration de 1661, une nouvelle compagnie royale est autorisée, avec l'autorisation de transporter 3000 esclaves noirs vers les Antilles[3].

Les années 1650 : laborieuses tentatives en Guadeloupe et Martinique

L'Angleterre est submergée en 1649 par la révolution parlementaire du Lord protecteur Oliver Cromwell. La Barbade devient le refuge des royalistes. Beaucoup d'aristocrates vont y vivre sur leurs terres[6]. Le parlement vote alors une loi interdisant l’installation de prêtres catholiques, pour donner un coup de frein à l'expansion de la Barbade, qui menace de devenir un foyer contre-révolutionnaire[7].

En 1650, la colonie demande à Anthony Rowse de fonder, avec 300 planteurs de Bridgetown et 2000 esclaves[8], un fort Willoughby et "Willoughbyland" le long des rivières de Surinam et Para, après avoir négocié avec les chefs amérindiens. Mais le parlement anglais interdit cette transaction illégale[9]. Et dès mai 1650, la flotte de l'amiral Georges Ayscue[8] encercle la Barbade, avec 2000 marins anglais, renforcés par 850 volontaires de Virginie, face aux 5000 miliciens alignés par Francis Willoughby le gouverneur de l'île[10]. Les troupes de Cromwell débarquent et détruisent des plantations[10]. Le colonel Sir James Drax, planteur depuis 1642, qui s'est fait construire une somptueuse demeure[11], est chassé en 1654 par le nouveau gouverneur Daniel Searl, bras droit de Georges Ayscue[12]. Il recrééra, à la restauration de la monarchie, un "Drax Hall" en Jamaïque. En 1655, l'amiral Penn s'empare de la Jamaïque espagnole, pour y installer une base de pirates. Bridées en territoire espagnol et anglais, les perspectives d'expansion sucrière se déplacent vers les îles françaises.

La Guadeloupe s'était lancée dans la canne à sucre dès 1643, après avoir massacré les caraïbes et importé des centaines d'esclaves dès 1641[13], mais sans succès car le gouverneur Charles Houël ne maîtrise pas la technologie sucrière. Sa Compagnie des îles d'Amérique fait faillite en 1649. Charles Houël rachète l'île pour une bouchée de pain. Passant outre aux réticences des jésuites, il invite en 1654 à la "baie des Flamands" près de 300 juifs hollandais chassés de Pernambouc au Brésil par la reconquête menée par les jésuites portugais. D'autres s'installent plus discrètement à la Barbade.

Dès 1656, la Guadeloupe compte 3.000 esclaves noirs, mais leur nombre stagne ensuite pendant quinze ans, tout comme en Martinique, où la Guerre de 1658 contre les indiens caraïbes s'acheve seulement. Ses leaders, comme Pierre Dubuc de Rivery reçoivent des terres nouvelles.

Colbert, arrivé au pouvoir en 1661, créé en 1664 la Compagnie des Indes Occidentales, censée peupler le Canada en utilisant l’argent du sucre de Guadeloupe. Il exproprie Houël et sa famille, augmente la taxe sur les sucres étrangers importés via la marine hollandaise, asphyxiant les planteurs de Guadeloupe, qui ont peu de navires et perdent leurs approvisionnement en esclaves. En 1666, ils se révoltent contre la création de la nouvelle compagnie.

Le système est assoupli en 1669. La nouvelle compagnie perd son monopole. En 1671, la canne à sucre n'occupe toujours que 12% des terres de Guadeloupe contre 4% au tabac, qui est alors beaucoup plus répandu en Martinique. La Guadeloupe ne compte toujours que 4.267 esclaves et la Martinique seulement 2.400.

L'essor sucrier ne vient qu'avec la création de la Compagnie Royale d'Afrique en 1672 et celle en 1673 de la Compagnie du Sénégal, dirigée par Jean-Baptiste Du Casse, pour que des esclaves soient vraiment importés en nombre

Après 1660, des "cavaliers" de Barbade passent en Jamaïque, Caroline et Montserrat

La restauration de la monarchie en Angleterre en 1660 voit l'avènement du roi Charles II d'Angleterre, héritier de la dynastie Stuart, dont le père avait été décapité sous Cromwell. Ses partisans, les "cavaliers", appelés aussi "baronnets", avaient été exilés vers les îles antillaises. Pour eux, le roi Charles II créé en 1661 à la Barbade 11 baronnies[14]. Il légalise leur implantation au Surinam. La Barbade, menacée et ponctionnée dans les années 1650 sous Cromwell, reprend son essor. Le prix des terres flambe, incitant les planteurs à en profiter pour essaimer un peu partout dans le Nouveau-Monde.

La fiscalité sur le sucre, en métropole anglaise, très favorable aux produits coloniaux, encourage cette croissance des plantations[15].

L'année où Colbert annexe la Guadeloupe dans la Compagnie des Indes occidentales, les anglais en profitent pour augmenter leur part du marché mondial. La Barbade s'empare de l'île française de Sainte-Lucie en juin 1664. A la même époque, le Colonel Benjamin Berringer et John Yeamans quittent la Barbade pour fonder la colonie de Caroline au sud de la Virginie, avec leurs esclaves, qu'ils font travailler sur des plantations de tabac puis de riz.

Le gouverneur de la Barbade Thomas Modyford débarque à la Jamaïque le 4 juin 1664 avec 700 de ses esclaves, dans un repaire de pirates qui ne comte alors que 500 esclaves, volés sur des navires espagnols. Il est bientôt rejoint par le planteur le plus riche de la Barbade le colonel Sir James Drax, proche de la monarchie, qui avait fuit en 1654. Ce dernier recrée un Drax Hall en Jamaïque du nom de sa propriété à la Barbade. Il faut cependant attendre le tournant des années 1670, avec la mise au pas des redoutables pirates comme Henry Morgan, qui devient planteur de sucre en 1674, pour que d'autres planteurs de la Barbade osent les suivre.

D'autres notables de la Barbade essaiment ailleurs à la même époque: l'irlandais William Stapleton investit dans des plantations de sucre à Montserrat en 1669.

Le grand virage des années 1670, en France et en Angleterre

La Martinique ne se tourne vraiment vers la culture sucrière que dans la deuxième partie des années 1670. La production des deux îles françaises passe de 5.800 à 8.700 tonnes de sucres entre 1674 et 1682, soit un bond de 50%. Mais elle ne représente encore que la moitié de celle de la Barbade. C'est l'explosion des capacités de de transport de la Traite négrière, dans laquelle s'engouffrent les monarchies françaises et anglaises entre 1671 et 1674, ainsi que le désarmement des flibustiers, qui est le moteur de cette expansion sucrière soudaine.

Au cours de ces sept ans, on passe de 2.400 à 10.600 esclaves noirs à la Martinique avec l'arrivée de familles nobles françaises comme celle de Charles François d'Angennes, marquis de Maintenon, bientôt rejoint par son neveu Jean-Jacques Mithon de Senneville, puis des Irlandais de Nantes. La culture du sucre se généralise aussi en Guadeloupe et en Jamaïque, à Nevis et Montserrat, où l'irlandais William Stapleton, proche du Duc d'York Jacques Stuart développe la canne à sucre.

Le futur roi anglais créé en 1672 la Compagnie Royale d'Afrique, tandis que son cousin français Louis XIV fonde la Compagnie du Sénégal l’année suivante, après la dissolution de la Compagnie des Indes occidentales, qui détenait le monopole des activités avec l’Afrique et l’Amérique. Les esclaves importés par le Duc d'York sont marqués DY à l'épaule, au fer rouge, pour éviter que des pirates ne les libèrent et les enrôlent. Ceux importés par la Compagnie du Sénégal, dont Louis XIV est actionnaire, sont marqués d'une fleur de lys.

Louis XIV ne s'inquiète plus de l'opinion de Colbert. Il a besoin d'argent pour ses guerres et tombe amoureux de la Marquise de Maintenon, grandie à la Martinique, qui achète en 1674 le Château de Maintenon à Charles François d'Angennes, ex-gouverneur de Maire-Galante, devenu quelques années plus tard le plus riche planteur de Martinique. Il autorise aussi les négociants des ports de Saint-Malo, Nantes et Bordeaux à importer des esclaves africains vers les Antilles, afin de stimuler l’économie sucrière par la concurrence. Le commerce triangulaire n'en est alors qu'à ses débuts, faute de marché suffisant aux Antilles. Les Français et les Anglais évincent rapidement les hollandais de leur monopole du transport des esclaves de la côte africaine vers les Amériques.

Pour laisser la voie libre aux planteurs de sucre, Jacques II et Louis XIV doivent évincer les petits planteurs de tabac des Antilles, soupçonnés de collusion avec ces flibustiers. Louis XIV créé en 1674, contre la volonté de Colbert, un nouveau monopole, la ferme du tabac, dont les objectifs sont l'exact contraire de ceux de la Compagnie des Indes occidentales. Le prix d'achat du tabac aux planteurs est abaissé et le prix de vente est relevé, à coup de taxe. Du coup, la contrebande prend son essor, en particulier à l'île de Noirmoutier, les consommateurs préférant le tabac moins cher de Virginie du Maryland et de Caroline, colonies catholiques où Jacques II a octroyé depuis dix ans à ses fidèles "cavaliers" des terres pour créer d'immenses plantations de tabac, meilleur marché que celui des îles car reposant sur l’esclavage.

Après 1688, les guerres contre l'Espagne et l'Angleterre perturbent l'expansion

L’économie sucrière de la Caraïbe s'est développée dans les années 1680 avec le renforcement de la communauté des Irlandais de Nantes, des réfugiés religieux jacobites qui créront au siècle suivant de puissantes sociétés commerciales. Parmi elles, la Grou et Michel, société de Guillaume Grou, et la Société d'Angola, d’Antoine Walsh, puissant armateur issu d'une famille fidèle à Jacques II, chassé du trône en 1688 par la Glorieuse révolution. Les milliers d'immigrés jacobites, des militaires riches et puissants, forment l'ossature de la traite négrière dans les ports français.

La Glorieuse révolution de 1688 est cependant synonyme de retour à de violents conflits avec les anglais, rejoints par les espagnols, lors de la guerre de la ligue d'Augsbourg de 1692, ce qui freine l'expansion du sucre en raison de l'insécurité causée par le grand retour des pirates, transformés en corsaires pour cause de conflit militaire. Pour que la traite négrière reprenne son essor lentement, il faut attendre la paix de 1697 avec les anglais et les espagnols, qui reconnaissent alors officiellement la possession française de la moitié ouest de Saint-Domingue.

En 1686, le marché européen était déjà bien approvisionné, au point que les prix du sucre avaient baissé de 20% à 16 cents la livre contre une moyenne de 20 cents lors des dix années précédentes[16]. Ensuite, le prix du sucre augmente pour cause de conflit militaire, qui perturbe la traite négrière. Le nombre d'esclaves importés à la Barbade chute à 1100 en 1689 contre une moyenne de 3630 pour les années 1682 à 1685[16]. Ensuite, le prix du sucre flambe faute d'approvisionnements réguliers: il triple en 1688 [17] puis monte encore au tournant de 1700, puis baisse ensuite. Entre 1690 et 1713, en 23 ans, les valeurs importées en Angleterre ne progressent que modestement, malgré le boom de la demande intérieure[18].

Saint-Domingue, nouveau géant sucrier, passe devant la Jamaïque dès 1720

Saint-Domingue ne produit vraiment du sucre que vers 1700, grâce à quelques protégés du roi Louis XIV comme Jean Fournier de Varennes, Antoine Crozat, ou l'irlandais de Nantes Jean Stapleton, cousin de William Stapleton, gouverneur de l'île irlandaise de Montserrat, où il a installé plusieurs plantations. Mais dès 1720, elle a rattrapé son retard sur la Jamaïque.

La production sucrière de Saint-Domingue connaît un essor fulgurant : elle passe de 6 000 tonnes par an en 1715 à 10 000 en 1720 (contre 9000 à la Jamaïque)[19], avec 47.000 esclaves contre 3600 en 1686[20] tout comme en 1730, 40 000 en 1740, 43 000 tonnes en 1743, 62 640 en 1767 et elle atteint 77 155 en 1788. L’année suivante, la production se chiffre à 86 000 tonnes, constituant ainsi les deux-tiers du sucre produit dans les îles françaises[21]. Le nombre de bateaux de commerce français suit une courbe proche[22]. Saint-Domingue avait 80 000 esclaves en 1730 et 110000 en 1740.

En 1740, la Barbade produit 7 000 tonnes de sucre par an, la Jamaïque 10000, pour 24 000 tonnes au total dans les Antilles britanniques. Entre 1722 et 1730, le nombre d'esclaves en Jamaïque stagne à 80.000[23] et en 1730 le total des antilles anglaises est dépassé par celui des antilles françaises.

En 1671 encore, le Brésil était leader avec 30000 tonnes devant les 25000 tonnes des Antilles anglaises et les 10000 tonnes des antilles françaises[24]. En 1710 le Brésil est tombé à 15000 tonnes[25].

En 1691, la Jamaïque expédie 7 099 tonnes de sucre en Angleterre contre 5000 en 1680[26], rattrapant pratiquement la Barbade[27]. En 1698, la Barbade est à 15000 tonnes [28].

En 1700, la Barbade produit 10 000 tonnes de sucre par an, la Jamaïque 5000, pour 22 000 tonnes au total dans les Antilles anglaises. La Jamaïque devient en 1700 le premier producteur mondial de sucre[29].

En 1683, les Antilles anglaises produisent 18000 tonnes, le Brésil 21000 tonnes et les Antilles françaises 9400 tonnes [30]

La partie française de l'île est devenue le premier producteur mondial de canne à sucre. En 1789, elle produit autant que toutes les îles britanniques réunies et dès 1776, elle compte plus de six cent mille esclaves.

La production jamaïcaine a été multipliée par 13 entre 1670-1675 et 1685-1689 pour ensuite diminuer de 14% en dix ans. Elle passe de 4000 à 6000 tonnes entre 1700-1704 et 1710-1714 (la Martinique est alors à 5900 et Saint-Domingue à 5012)[31]. La production de l'ensemble petites Antilles Antigua passe de 8000 à 13000 tonnes[32].

La production de toutes les Antilles britanniques passe de 19400 tonnes en 1700 à 22600 en 1710-1714, soit une progression de seulement 15%.

La Martinique atteint 15130 tonnes en 1730-1734 (seulement 1000 de moins que la Jamaïque) et 19901 en 1750-1754 pour revenir à 10.700 avant la révolution[33].

Dans les années 1760, la production jamaïcaine atteint 36000 tonnes[34], contre 16000 tonnes en 1739[35]. Ce chiffre dépasse 100000 tonnes en 1805, l'île devenant premier producteur mondial et assurant aussi un tiers du café.

Une partie des plantations de sucre de Saint-Domingue sont placées en 1776 sous contrôle espagnol, afin d'éviter les risques de relèvement des taxes sur le sucre, l'Etat français souhaitant alors plutôt donner un coup de pouce à l'histoire de la culture du coton, au moment où l'histoire des indiennes de coton en Europe bat son plein. L'environnement fiscal devient moins favorable. Un peu plus tôt, le Sugar Act de 1764, visant à brider les ventes de sucre de Saint-Domingue aux Treize colonies d'Amérique du Nord, avait provoqué des tensions dans l'empire britannique, ayant abouti en 1774 à la guerre d'indépendance américaine.

Seulement 44 000 esclaves étaient présents dans l’île de Cuba en 1774. Entre 1790 et 1819, les exportations de sucre augmentèrent de 147 %, les importations de captifs de 578 %. En 1861, l’île comptait 399 000 esclaves[36].

En 1780, Saint-Domingue a 29,8% du marché, la Jamaïque 17% et la Martinique 6,5%[37]. Les Antilles françaises ont 675000 esclaves [38], selon The Making of New World Slavery de Robin Blackburn

Année 1630 16 1671 1680 1683 1691 1700 1700-1704 1710-1714 1720 1726 1730 1740 1743 1767 1788 1789 1805 1815
Brésil 20 30 21 21[39] 15 20 40
Barbade 9,5[40] 8[41] 10 13[42] 10 15
Jamaïque 0,5[43] 5 5 7 5 4 6 9 12 16 23[44] 36 60[45] 100
Saint-Domingue 6 10 33 40 43 62,6 77 86 24[46] 1[47]
Martinique 3,8[48] 6 9,6 15 19 11 26,5
Cuba 16,7[49] 32,5[50] 45,4[51]

Les années 1790 voient naître deux nouveaux producteurs: Cuba et la Louisiane

Après l'abolition de l'esclavage en 1794, les planteurs blancs fuient par milliers Saint-Domingue, dont la production va s'effondrer. Les Réfugiés français de Saint-Domingue en Amérique récréent de grandes plantations en Louisiane et à Cuba, qui connaissent alors leur premier essor de la canne à sucre. Cuba deviendra ainsi un siècle et demi plus tard le premier exportateur mondial.

Près de 7 000 francophones s'installent dans la grande île, alors pilier fragile de l'empire espagnol, où les terres sont disponibles, et la production sucrière encore sous-développée. Ils doivent acheter des esclaves. Entre 1792 et 1807, Cuba a importé autant d'esclaves qu'en deux siècles. Mais les planteurs doivent fuir à nouveau dès 1806, car les guerres napoléoniennes opposent la France et l'Espagne. Les États-Unis les accueillent alors d'autant plus volontiers que ces planteurs, pour la plupart des officiers, avaient prêté main-forte à leur ami George Washington lors de la guerre d'indépendance américaine.

Les réfugiés importent en Louisiane une nouvelle variété de canne à sucre, la Otaheite, que le capitaine Bougainvillé avait introduit dans les îles Maurice et la Réunion, une variété qui est adaptée à un climat moins chaud que Saint-Domingue: "la Louisiane doit son avantage aux calamités de Saint-Domingue qui ont stimulé la demande de sucre de Louisiane et amené nombre de planteurs malheureux à s'installer le long du Mississipi", écrit dans ses mémoires Pierre-Louis Berquin-Duvallon, l'un des réfugiés. La basse-Louisiane compte 75 grandes plantations de sucre dès 1806, produisant cinq millions de tonnes.

Le blocus anglais de 1806 à l'origine du développement de la betterave en France

C'est sous Napoléon Bonaparte, avec le blocus imposé par l'Angleterre, que se développe la culture de la betterave sucrière, qui devient une grande spécialité de la France, par ailleurs privée de la canne à sucre des Antilles, à court terme en raison du blocus et à plus long terme par le sentiment que la révolte qui a éclaté en 1791 à Saint-Domingue finira par toucher un jour aussi la Martinique et la Guadeloupe.

Le 21 novembre 1806, deux ans après l'échec de l'expédition de Saint-Domingue, constitue une date charnière pour l'économie sucrière européenne. Pour répondre au blocus imposé par les armées britanniques sur les ports français, Napoléon Ier instaure le blocus continental : toutes les marchandises britanniques sont dès lors prohibées sur le sol français, ce qui inclut le sucre de canne provenant des Antilles. Pour compenser la soudaine pénurie de sucre de canne, l'empereur décide de soutenir activement la production de betteraves sucrières. En quelques années, de nombreuses usines de transformation sont créées. La première extraction industrielle de sucre fut l'œuvre d'un Français, Benjamin Delessert, en 1812.

Lorsque le blocus est levé, le sucre de canne des colonies inonde à nouveau le marché. Sous le poids de la concurrence, l'industrie naissante accuse le coup. Un grand nombre de sucreries ferment leurs portes après avoir subi d'importantes pertes. L'abolition de l'esclavage, en 1848, engendre une forte hausse du prix du sucre de canne et une diminution de sa production. Les betteraviers en profitent. D'autant que les sucreries améliorent progressivement leurs rendements grâce à la construction de grosses unités de production.

Voir aussi

Notes et références

  1. (en) JF Robyt, Essentials of Carbohydrate Chemistry, vol. 3, Springer Berlin / Heidelberg, octobre 1998, 400 p. (ISBN 8-0-387-94951-2) 
  2. http://books.google.fr/books?id=zLlPykZq80MC&pg=PA262&lpg=PA262&dq=pernambouc+sucre&source=bl&ots=zOjsO3FJzF&sig=F4LuttmoOf8-b_p4lgLz1AgAjPg&hl=fr&ei=g1TGSbieCYS2jAe9t5GeCw&sa=X&oi=book_result&resnum=10&ct=result
  3. a , b , c  et d http://books.google.fr/books?id=aUoYAAAAYAAJ&pg=PA301&dq=%22Thimothy+Thornhill%22+barabdos&ei=F5_KSaXoEo6gMrzWyOUH#PPA145,M1
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  5. http://books.google.fr/books?ct=result&id=b60zOrxI8mcC&dq=Martinique%2C+Patoulet&pg=PA306&lpg=PA306&sig=ACfU3U3D_jVCuo0BSprxItZ-SHW7NiKgCw&q=barbade+noirs#PPA296,M1
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Bibliographie

  • Histoire et civilisation de la Caraïbe de Jean-Pierre Sainton, Raymond Boutin
  • L'art de vérifier les dates par David Bailie Warden, Nicolas Viton de Saint-Allais, Jean Baptiste Pierre
  • (en)Sawh, Gobin, Ed. 1992. The Canadian Caribbean Connection: Bridging North and South: History, Influences, Lifestyles. Carindo Cultural Association, Halifax.
  • Histoire civile et commerciale de la Jamaique, de Drouin de Bercy
  • The Making of New World Slavery, de Robin Blackburn
  • Histoire du Portugal et de son empire colonial, par António Henrique R. de Oliveira Marques,

Articles connexes

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