- Filtre (mathématiques)
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En mathématiques, et plus particulièrement en topologie générale, un filtre est une structure définie sur un ensemble, et permettant d'étendre la notion de limite aux situations les plus générales.
La théorie des filtres a été inventée, en 1937, par Henri Cartan[1],[2] et utilisée par Nicolas Bourbaki dans le Livre III : Topologie générale de ses Éléments de mathématique.
Les filtres ont permis en particulier la démonstration du théorème de Tychonov ; le cas particulier important des ultrafiltres joue un rôle fondamental dans la construction de prolongements d'objets classiques tels que les réels (donnant naissance aux hyperréels), ou les espaces localement compacts (permettant une construction du compactifié de Stone–Čech).
Sommaire
Avant propos
En mathématiques, la notion de limite est au cœur de nombreux phénomènes et donne lieu à une théorie appelée topologie. Quand on écrit , distinguons deux phénomènes. Le lieu où on calcule la limite, ici, c'est en , et la limite elle-même, ici c'est L. Souvent, on traite les deux problèmes de façon symétrique, en utilisant les voisinages. La définition la plus générale possible se fait dans un espace topologique. On peut en donner une version simplifiée dans un espace métrique.
Toutefois, le concept de voisinage se révèle assez vite insuffisant en analyse, même à un niveau très élémentaire. Comment conceptualiser les limites à droite et à gauche par exemple ? On se rend compte sur cet exemple que ce n'est pas tant la limite elle-même que le lieu où on calcule cette limite qui pose problème. Une façon élégante de s'en sortir est d'utiliser un filtre (ou une base de filtre, ce qui est équivalent mais un peu plus souple). La notion de filtre est très générale, elle unifie tous les différents types de limite que l'on rencontre.
Une alternative aux filtres consiste à généraliser le concept de limite d'une suite en utilisant un ensemble ordonné filtrant. Cette alternative (connue sous le nom de convergence des suites généralisées ou suites de Moore-Smith[3] ) est désormais obsolète et inutile en analyse. Toutefois, on l'utilise dans d'autres domaines. En algèbre, par exemple, elle permet de définir les limites inductives et les limites projectives.
L'intérêt des filtres est de définir la convergence sans avoir besoin de suite ou de fonction.
Définition
Soit E un ensemble, on appelle filtre sur E toute partie de (ensemble des parties de E) tel que :
- (1) est non vide.
- (2) ne contient pas l'ensemble vide.
- (3) Toute partie de E qui inclut un élément de est elle-même un élément de .
- (4) Pour tout couple (A,B) de parties de E, si A et B sont dans , est dans .
Exemples
- Soit E un ensemble non vide et x un élément de E. L'ensemble
est un filtre, qu'on dit être un filtre principal.
- Soit E un espace topologique et x un élément de E. L'ensemble de tous les voisinages de x est un filtre sur E appelé filtre des voisinages de x.
Dans le cas particulier où la topologie de E est discrète, on retombe sur un filtre principal puisque pour la topologie discrète, une partie de E est un voisinage de x ssi elle contient x.
- n'est pas un filtre sur E car il contient l'ensemble vide.
- Le filtre de Fréchet sur un ensemble infini E est l'ensemble des parties de E ayant un complémentaire fini dans E
Bases de filtre
Soit E un ensemble et un sous-ensemble de . On dit que est une base de filtre ssi l'ensemble est un filtre. On dit alors que est une base du filtre ou encore que est le filtre engendré par .
Pour que soit une base de filtre, il faut et il suffit que les trois conditions suivantes soient réalisées :
- est non vide
- est filtrant à gauche pour l'inclusion, i.e.
DémonstrationDe la définition de à partir de , on déduit que :
- ;
- ;
- vérifie toujours la propriété (3) de la définition des filtres ;
- donc si vérifie la propriété (4) alors en particulier , ce qui est une reformulation de la troisième condition ci-dessus ;
- réciproquement, si alors vérifie (4) car pour tout couple (A,B) d'éléments de , A∩B contient un élément de donc - comme vérifie (3) - A∩B est lui-même un élément de .
Étant donné un filtre , un sous-ensemble de en est une base si et seulement si tout élément de contient un élément de .
Exemples
- {{x}} est une base du filtre principal
- Soit E un espace topologique et x un élément de E. Une base de voisinages de x est une base du filtre des voisinages de x. On dit aussi système fondamental de voisinages.
- est une base du filtre des voisinages de 0 dans ; en est une autre ; en est encore une autre (cette dernière a l'avantage d'être dénombrable).
- Plus généralement, soit E un espace métrique et x un point de E, l'ensemble des boules ouvertes ou fermées) de centre x et de rayon r>0 est une base du filtre des voisinages de x.
- Dans , est une base du filtre des voisinages épointés de 0, permettant de définir la limite épointée (ou limite par valeurs différentes) d'une fonction en 0.
- Dans , est une base du filtre des voisinages à droite de 0 (épointés), permettant de définir la limite à droite en 0 (ou limite par valeurs strictement supérieures).
- Dans , est une base du filtre de Fréchet, permettant de définir la limite d'une suite.
Finesse d'un filtre et ultrafiltres
Article détaillé : Ultrafiltre.Soit E un ensemble, soit et deux filtres, on dit que est plus fin que si et seulement si .
Un ultrafiltre est un filtre maximal pour l'inclusion. En d'autres termes, est un ultrafiltre si et seulement si pour tout filtre plus fin que , on a .
Les filtres principaux sont des ultrafiltres (souvent aussi appelés ultrafiltres triviaux).
Tout filtre est inclus dans un ultrafiltre ; autrement dit, pour tout filtre , il existe un ultrafiltre plus fin que . C'est une conséquence classique de l'axiome du choix ou de son équivalent le lemme de Zorn ; mais, réciproquement, l'axiome du choix s'avère nécessaire pour pouvoir construire des ultrafiltres non principaux (il y a des modèles de ZF dans lesquels il n'en existe pas sur les entiers, par exemple).
Filtre convergent, point adhérent à un filtre
Soient E un espace topologique et x un élément de E. On dit que
- un filtre sur E converge vers x s'il est plus fin que le filtre des voisinages de x.
- une base de filtre sur E converge vers x si le filtre qu'elle engendre converge vers x.
- x est adhérent à un filtre (sur E) si tout voisinage V de x et tout élément F de vérifient . Autrement dit il existe un filtre qui contient à la fois et ou encore il existe un filtre plus fin que qui converge vers x.
L'ensemble des points adhérents à un filtre est un fermé : c'est .
Si un filtre converge vers x alors x est adhérent à . La réciproque est vraie si est un ultrafiltre.
Si E est un espace séparé et que converge à la fois vers x et vers y alors x = y.
Filtre image, limite d'une fonction
Soit E et F deux ensembles, f une fonction de E dans F et un filtre sur E. Le filtre image de par f est par définition l'ensemble des parties de F dont l'image réciproque par f appartient au filtre . Une base de ce filtre est l'ensemble des images directes des éléments de .
Lorsque que F est un espace topologique et y un élément de F, on dit que f converge vers y suivant si converge vers y.
Compacité
Les filtres permettent une caractérisation simple des espaces topologiques compacts : un espace topologique séparé E est compact si et seulement si tout filtre de E admet un point adhérent, ou encore si et seulement si tout ultrafiltre de E converge. Cette caractérisation permet de démontrer élégamment le théorème de Tychonov[6].
DémonstrationPar définition, un espace topologique est compact s'il est séparé et quasicompact, et un espace E est quasicompact si de toute famille de fermés de E d'intersection vide on peut extraire une famille finie d'intersection vide. On prouve ici l'équivalence[7] :
E est quasicompact si et seulement si tout filtre sur E admet un point adhérent. - On suppose que E est quasicompact et — en raisonnant par l'absurde — qu'il existe un filtre sur E n'admettant aucun point adhérent : . Par quasicompacité de E on peut extraire de la famille de fermés une famille finie telle que ce qui entraîne . Ceci est contraire à la définition d'un filtre d'où la contradiction.
- On suppose que tout filtre sur E admet un point adhérent. Soit une famille de fermés de E pour laquelle il est impossible d'extraire une famille finie d'intersection vide : pour tout sous-ensemble fini , l'ensemble FJ défini par est non vide. Alors la famille des FJ (indexée par les parties finies J de I) est non vide (car elle comprend au moins , égal à E par convention), elle est constituée d'ensembles non vides, et . C'est donc une base de filtre, et le filtre sur E qu'elle engendre admet par hypothèse un point adhérent : . L'inclusion entraîne . On a prouvé que toute famille de fermés dont les intersections finies sont non vides est d'intersection non vide, ce qui — par contraposée — exprime la quasicompacité de E.
Espace complet - Filtre de Cauchy
Article détaillé : Espace uniforme.Dans un espace uniforme, on peut définir d'une part la notion de filtre de Cauchy et d'autre part la topologie associée à la structure uniforme. On dit alors que l'espace est complet si tout filtre de Cauchy converge.
Notes
- H. Cartan, "Théorie des filtres". CR Acad. Paris, 205, (1937) 595–598.
- H. Cartan, "Filtres et ultrafiltres" CR Acad. Paris, 205, (1937) 777–779.
- Raymond Mortini, Topologie (ps) (On y trouve une étude de la relation entre filtres et suites généralisées. )
- Ouvrage de Bourbaki cité en bibliographie, chapitre I, § 6, p. 38, proposition 3
- C'est cette caractérisation qui est choisie comme définition d'une base de filtre p. 76 de l'ouvrage de C. Wagschal cité en bibliographie.
- Le théorème de Tychonoff O. Brinon,
- TG.I.59 et Wagschal p. 167-168 (cf bibliographie) prennent la caractérisation par les filtres comme définition de la compacité, mais démontrent aussitôt l'équivalence avec la propriété de Borel-Lebesgue. La preuve présentée ici est essentiellement la même. Bourbaki,
Bibliographie
- Laurent Schwartz, Analyse, Topologie Générale et analyse fonctionnelle, Hermann, Paris, 1970 (ISBN 9782705659004)
- N. Bourbaki, Éléments de mathématique, Topologie générale, chapitres 1 à 4, Springer (2006) (ISBN 9783540339366)
- Georges Skandalis, Topologie et analyse 3e année, Dunod, Collection Sciences Sup, 2004 (ISBN 9782100488865)
- Claude Wagschal, Topologie et analyse fonctionnelle, Hermann, 1995 (ISBN 9782705662431)
Liens externes
Catégories :- Système d'ensembles
- Topologie générale
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