- Democratie athenienne
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Démocratie athénienne
La démocratie athénienne désigne le régime politique mis en place progressivement dans la cité d'Athènes durant l'Antiquité et réputé pour être l'ancêtre des démocraties modernes. Le mot démocratie vient de deux mots grecs : demos (le peuple) et kratos (le pouvoir).
Au VIe siècle av. J.-C. les cités du monde grec sont confrontées à une grave crise politique, résultant de deux phénomènes concomitants : d'une part l'esclavage pour dettes, liant situation politique et situation financière, touche un nombre grandissant de paysans non propriétaires terriens : l'inégalité politique et le mécontentement sont forts dans le milieu rural ; d'autre part le développement de la monnaie et des échanges commerciaux fait émerger une nouvelle classe sociale urbaine aisée, composée des artisans et armateurs, qui revendique la fin du monopole des nobles sur la sphère politique. Pour répondre à cette double crise, de nombreuses cités modifient radicalement leur organisation politique. À Athènes un ensemble de réformes amorce un processus débouchant au Ve siècle sur l'apparition d'un régime politique inédit : la démocratie.
La cité
Athènes fut fondée formellement vers 800 av. J.-C. par le synœcisme de plusieurs villages, partiellement préservés par l'invasion des Doriens. Le pluriel du mot « Athènes », d'après Thucydide, est une trace des anciens villages qui fusionnèrent pour fonder la cité.
Le site fut choisi pour la forteresse naturelle que représente l'Acropole, les habitants purent résister aux hordes de pillards qui terrorisaient la région, augmentant avec les années sa fortification. À partir de 510 av. J.-C., cette fonction défensive est abandonnée, le lieu étant consacré aux cultes et notamment celui d'Athéna, déesse protectrice d'Athènes. Des remparts encerclent à partir de 478 av. J.-C. la ville et son port, le Pirée. Rares sont les bâtiments au-delà des quinze majestueuses portes, exception faite du populaire quartier du Céramique dont la production inonde le monde grec entier, ainsi seuls quelques gymnases et écoles de philosophie s'excentrent pour que leurs élèves profitent de la tranquillité et soient totalement isolés pendant les deux années de leur éphébie.
L'agora devient le centre social et politique de la cité avec l'installation des institutions démocratiques sur cette place. En été de nombreux débats houleux ou amicaux se tiennent à l'ombre du portique Sud et de la Stoa Poikilè, on discute et philosophe en regardant les centaines d'étals emplis de victuailles et leurs marchands qui s'égosillent pour appâter le client. L'hiver, ce sont les nombreuses salles situées en arrière qui sont envahies. Des joutes oratoires d'un autre genre se déroulent sur la Pnyx, colline sur laquelle sont votées toutes les lois athéniennes. La cité est donc le cœur de la démocratie.
Loin de ces ambiances festives plus ou moins décisives dans la direction de l'État, le monde rural vit aussi. Les riches propriétaires n'ayant pas déserté la campagne pour la ville profitent, avec les régisseurs de ceux partis, de la dolce vita faite de soleil, d'huile d'olive, et de belles esclaves pendant que se plient leurs autres esclaves au dur labeur imposé par le climat aride de l'Attique.
Mieux lotis, les pêcheurs bordant le pourtour de l’Attique mangent à leur faim sans pour autant avoir accès à l’état de grands propriétaires terriens nécessaire pour entrer dans les arcanes du pouvoir. Les femmes, comme les esclaves, n'avaient pas de pouvoir politique.
Genèse de la démocratie
Les origines de la démocratie athénienne : la crise de la cité grecque
La démocratie trouve son origine dans la grave crise de la cité grecque et les mutations propres à Athènes :
Paupérisation rurale
À partir du VIIe siècle , la plupart des cités grecques sont confrontées à une crise politique. Le commerce se développe, notamment avec l'apparition de la monnaie au VIe siècle , en provenance de la Lydie de Crésus, qui fut étroitement en contact avec les cités grecques avant sa défaite en -546 face au perse Cyrus. Ce développement extraordinaire du commerce méditerranéen a deux conséquences :
D'une part les agriculteurs grecs sont peu compétitifs face à la concurrence de plus en plus vive des terres fertiles de la Grande Grèce récemment colonisée. De plus en plus de paysans, incapables d'écouler suffisamment leur production, sont condamnés à se vendre comme esclaves pour faire face à leurs dettes. Cette main-d'œuvre servile est utilisée par les urbains et vient donc elle-même concurrencer les petits artisans indépendants. Ces sujets peu fortunés, sur lesquels reposent une part croissante de l'économie, viennent grossir le rang des chômeurs et manifestent leur mécontentement.
Révolution hoplitique : émergence d'une petite bourgeoisie
D'autre part, corrélativement à l'appauvrissement des masses paysannes, émerge une nouvelle classe de sujets aisés, faite de commerçants et d'artisans (notamment potiers à Athènes). Ceux-ci sont dorénavant suffisamment riches pour s’acheter des équipements d'hoplites : la guerre n’est plus l’apanage de l'aristocratie. Le système aristocratique basé sur la propriété agraire est battu en brèche face aux revendications égalitaires de ces nouveaux citoyens-soldats. On parle de révolution hoplitique.
Instabilité politique
Au sein de chaque cité les grandes familles s'appuient sur le mécontentement populaire (tant des paysans appauvris que des nouveaux riches urbains) pour mieux se disputer le pouvoir. Elles n'hésitent pas non plus à faire appel à des puissances extérieures pour renverser les tyrans. Ainsi, les cités se combattent fréquemment entre elles, ce qui nourrit souvent les révoltes, par ailleurs durement réprimées. Mais les guerres sont aussi parfois un facteur de cohésion interne des cités.
En outre, chaque cité grecque frappe désormais sa propre monnaie, forgeant ainsi une nouvelle composante majeure de son identité. Au Ve siècle , les cités grecques ne frappent plus la monnaie irrégulièrement et chacune appose un signe particulier sur la monnaie qu'elle frappe, l'épicène, qui permet de la reconnaître. Pour la monnaie athénienne, c'est une chouette. Qu'elles retardent ou précipitent l'éclosion d'un nouveau régime, les différentes mesures politiques (guerres, chutes de régime, répressions, levées ou baisses d'impôts, introductions de monnaies) n'y pourront peu : la donne sociale a définitivement changé.
Partout la nouvelle configuration des rapports de forces sociales fait émerger une nouvelle donne politique. Deux nouveaux modèles, appelés à s'opposer dans le siècle à venir, se distinguent par leur originalité : l'oligarchie militaire spartiate et la démocratie athénienne.
Les réformes politiques
Il est important de comprendre qu'à l’opposé d'autres démocraties, comme les États-Unis ou la République française, la démocratie athénienne ne naquit pas d’insurrections populaires mais de l'engagement de politiciens pour assurer l'unité de la cité. Voici les quatre principales réformes que l'on distingue, ainsi que leurs instigateurs :
Réformes de Dracon
Dracon est mandaté, en 621-620 avant J.C, pour mettre par écrit des lois ne s'appliquant qu'aux affaires de meurtre et dont la dureté devait rester légendaire - d'où l'adjectif draconien. Mesure limitée qui, cependant, affirme pour la première fois l'autorité de l'État au-dessus des parentés dans le domaine de la justice, instaure un droit commun pour tous et, par là même, porte atteinte à l'arbitraire des aristocrates. Six thesmothètes (gardiens de la loi écrite) viennent alors renforcer le collège des archontes. Malgré l'amplification de la crise, le monopole économique et politique des grandes familles athéniennes, les Eupatrides, n'est cependant en rien attaqué, les archontes (dirigeant collégialement la cité) étant toujours tous issus de ces milieux . Deux modèles résolvant ce problème émergèrent en Grèce au VIe siècle :
- soit l'arbitrage d'un législateur, chargé, dans une sorte de consensus, de mettre fin à des troubles qui risquent de dégénérer en guerre civile ;
- soit la tyrannie, qui, dans l'évolution de la Grèce archaïque, apparaît bien souvent comme une solution transitoire aux problèmes de la cité. Avec Solon, le législateur, puis avec les Pisistratides, Athènes fera successivement l'expérience de l'une et de l'autre.
Réformes de Solon
Athènes est en pleine crise politique et sociale lorsque les adversaires se mettent d'accord pour choisir Solon comme arbitre. Archonte de -594 à -593, législateur, auteur d’un code de lois, il aurait effacé les dettes, interdit l’esclavage pour dettes et confirmé les lois draconiennes.
Il a surtout effectué des réformes constitutionnelles qui lui valurent la réputation d'être le père de la démocratie. Il existerait trois groupes socioéconomiques à Athènes alors : les aristocrates, ou Eupatrides composés de propriétaires fonciers les plus riches, les gémoroi constitués des autres propriétaires fonciers et les démiurges qui composaient le reste de la population vivant de leur salaire ou du commerce. Solon en tire quatre classes censitaires basés sur la fortune. D'après le nombre de mesures de blé, de vin et d'huile que le citoyen possède, le citoyen appartient à l'une des quatre « tribus » suivantes : les pentacosiomédimnes (qui possèdent plus de 500 médimnes de céréales), les hippeis (plus de 300 médimnes), les zeugites (plus de 200 médimnes) et les Thètes (moins de 200 médimnes). Les plus hautes magistratures ne seraient accessibles qu'aux plus hautes classes, les Thètes n'auraient eu accès qu'à l'Ecclésia et aux tribunaux. L'accès aux charges passait par une élection à l'Ecclésia toutefois. Aristote affirme qu'il aurait créé un deuxième Conseil de quatre-cent membres (à raison de 100 par tribu) au fonctionnement probouleumatique mais aucune preuve de son existence n'a été découverte à ce jour.
Ses réformes judiciaires furent les plus célèbres toutefois : il créa l'Héliée, un tribunal populaire ouvert à tous où, chose nouvelle, chacun avait le droit d'intervenir en justice contre quiconque aurait enfreint les lois, affirmant ainsi la responsabilité collective des citoyens.
Réformes de Clisthène
Articles détaillés : Clisthène (Athènes) et Réformes clisthéniennes.À travers sa réforme de -508 Clisthène, membre d’une des plus grandes familles d’Athènes, les Alcméonides, concéda au peuple la participation non seulement aux décisions politiques mais aussi aux fonctions politiques en échange de son soutien. Cette réforme repose sur la réorganisation de l’espace civique. Les anciennes structures politiques fondées sur la richesse et les groupes familiaux furent remplacées par un système de répartition territoriale. Un citoyen athénien ne se définit désormais plus que par son appartenance à un dème.
L’Attique est divisé en trois ensembles : la ville (astu), la côte (paralie), et l’intérieur (mésogée). Dans chaque ensemble se trouvent dix groupes de dèmes, nommés trittyes. La réunion de trois trittyes, une de chaque ensemble, forme une tribu : il y a donc dix tribus. Ce système, sur lequel se base la nouvelle organisation des institutions, casse la pratique du clientélisme traditionnel. On parle d'isonomie.
À la structure sociale et administrative hiérarchisée, :
Clisthène fait correspondre une structure hiérarchisée du pouvoir :
La Boulè passe ainsi de 400 à 500 membres, 50 pour chaque nouvelle tribu, et sert non plus à éclairer l'Aréopage mais à définir l'ordre du jour de l'Ecclésia. Malgré la création des tribunaux de l'Héliée, la mainmise sur le pouvoir judiciaire de l'Aréopage reste prédominante.
La réforme ne retint pas le vote comme mode principal de désignation des responsables politiques, lui préférant des tirages au sort (pour la désignation des bouleutes et des héliastes) et un système d'alternance régulière pour les prytanes, ce qui fait, pour partie, de la démocratie athénienne une stochocratie.
Réformes de Périclès
Vers le milieu du Ve siècle av. J.-C. en 451 av. J.-C. Périclès mit en place une indemnité journalière de présence au sein de l'Héliée et de la Boulê, ainsi qu'aux spectacles des Panathénées : c’est le misthos (« salaire ») destiné à faire participer les citoyens les plus pauvres et les plus distants de la ville. Elle leur permettait de chômer un jour pour assurer leurs fonctions civiques et politiques. Le montant du misthos passa de deux à trois oboles par jour sous Cléon, soit l'équivalent du faible salaire d'un ouvrier. Cette mesure renforça le caractère démocratique du régime athénien.
Cependant, Périclès se distingua plus par ses actions militaires et diplomatiques ainsi que par les grands chantiers qu'il leva que par sa rénovation des institutions politiques.
Fonctionnement de la démocratie athénienne
La citoyenneté athénienne
Jusqu'en -451, pour être citoyen athénien, il faut être un homme né de père athénien, et avoir suivi l'éphébie de 18 à 20 ans, c’est-à-dire être capable de défendre la cité. L'éphébie est en effet une formation militaire et civique qui permet à la cité d'assurer sa défense sans avoir d'armée permanente ; elle prémunit aussi la ville des risques de tyrannie. En -451, Périclès modifie la loi et accorde la citoyenneté à la seule condition d'avoir un père citoyen et une mère fille de citoyen.
Les esclaves et les femmes considérés respectivement comme des biens et d'éternelles mineures, ainsi que les métèques (étrangers) furent exclus de la communauté politique, comme dans la plupart des cités grecques. Cependant, si un métèque non barbare (c’est-à-dire grec) accomplissait de hauts faits pour la cité, il pouvait recevoir à titre exceptionnel et en remerciement de ses actions la citoyenneté athénienne, moyennant finances. Une telle décision ne pouvait être prise qu'à la suite d'un vote de l'Ecclésia réunissant 6000 citoyens. Ces naturalisations sont donc très rares et solennelles.
La citoyenneté conférait un pouvoir politique, mais aussi une protection judiciaire (les citoyens ne pouvant ni être torturés sans poursuite ni être condamnés à la torture) et un avantage économique : seuls les citoyens pouvaient avoir une propriété foncière. Ce privilège s'explique par l'histoire de la démocratie athénienne ; héritier d'un passé aristocratique, le régime considérait l'agriculture comme le seul travail digne d'un citoyen, et valorisa la vie de rentier.
Le citoyen Athénien avait le droit de voter et d'être élu mais aussi il avait le devoir de faire la guerre, payer les impôts, les riches devaient financer les pièces de théâtre : liturgies et les pauvres devaient être aidés financièrement pour qu'ils puissent participer à la vie de la cité.
Les institutions politiques
Les institutions constitutives de la démocratie athénienne nous sont connues essentiellement grâce à la découverte inopinée, à la fin du XIXe siècle apr. J.-C. d'une Constitution d'Athènes attribuée à Aristote, et à ses disciples du Lycée, et rédigée aux environs de -330[1]. Bien que la démocratie athénienne n'eut jamais de constitution écrite officielle, les rôles de ses institutions n'en demeuraient pas moins clairement connus et distincts les uns des autres, leur évolution faisait donc l'objet de subtiles luttes politiques.
L'Ecclésia
Article détaillé : Ecclésia.C'est l'assemblée de citoyens qui se réunit sur la colline de la Pnyx. Elle vote les lois en général avec la présence de 6000 citoyens si l'on en croit Thucydide. Ces votes se font à main levée et à la majorité simple. N'importe quel citoyen peut prendre la parole (isegoria) et proposer une motion. C’est le propre de la démocratie directe. Une fois votée, la loi est exposée au public sur l'Agora. Selon un processus similaire, l'Ecclésia peut, pour se protéger de la tyrannie, voter une fois par an le bannissement d'un citoyen, c'est l'ostracisme, le nom venant du morceau de céramique (l'ostracon) sur lequel on inscrit le nom de la personne que l'on souhaite expulser. Cette réunion annuelle s'effectue après celle pendant laquelle les magistrats bouleutes et héliastes sont tirés au sort pour des mandats d'un an. Elle nécessite la présence de 6000 membres, c'est le fameux quorum 6000. Cette pratique disparaîtra en -417, après avoir frappé une dizaine de grands hommes politiques athéniens.
La Boulè
Article détaillé : Boulè.La Boulè est le nom générique de conseils dans différents régimes grecs orthographié parfois Boulê. À Athènes, La Boulê était souvent appelée Conseil des Cinq Cents, car, à partir des réformes de Clisthène elle fut composée de 500 membres (bouleutes) à raison de cinquante par tribu. Les bouleutes sont tirés au sort parmi des listes dressées par chaque dème de citoyens volontaires âgés de plus de trente ans et renouvelés chaque année, un citoyen ne pouvant être au maximum que 2 fois bouleutes. Cette assemblée siège de façon permanente. La présidence et la coordination du travail sont assurées par les prytanes. Chaque tribu assure pendant un dixième de l'année (35-36 jours) la prytanie, c'est-à-dire la permanence. Le principal travail de la Boulé est de recueillir les propositions de loi présentées par les citoyens, puis de préparer les projets de loi pour pouvoir ensuite convoquer l'Ecclésia. La Boulé siège au Bouleuterion, bâtiment contigu au Tholos sur l'agora.
Les magistrats
Ils détenaient le pouvoir exécutif, c’est-à-dire ils géraient les affaires courantes et veillaient à l'application des lois. Parmi eux les 10 stratèges commandant l'armée et rééligibles élus, ainsi que les 9 archontes (littéralement, les « commandeurs ») tirés au sort parmi les citoyens de l'Ecclésia, et formant l'équivalent de nos gouvernements. Les magistrats doivent exercer leur pouvoir de manière collégiale et jamais de manière individuelle. Les magistrats et les ambassadeurs sont contrôlés à la fin de leur mandat. C'est la reddition de comptes. Cela permet aux Athéniens de contrôler efficacement les magistrats et d'éviter par la même occasion les dérives tyranniques.
La dokimasia est l'examen préliminaire que subissent les futurs magistrats pour limiter les effets malheureux du tirage au sort. Cet examen permet de vérifier que le candidat est bien citoyen, qu'il a bien l'âge minimum requis, qu'il n'a jamais occupé le poste et qu'il en est digne. Il se déroule soit devant l'Ecclésia, soit devant l'Héliée, soit devant les deux.
L'Aréopage
Article détaillé : Aréopage.L'Aréopage est une institution politique, précédant l'avènement de la démocratie et aux origines mythiques, qui eut pour but premier de « conserver les lois », c’est-à-dire de veiller au respect de la constitution, et ayant à cette fin des pouvoirs judiciaires très étendus. Il est formé d'anciens archontes, c’est-à-dire d'anciens nobles riches et puissants avant qu'ils ne fussent tirés au sort. C'est traditionnellement l'institution athénienne la moins démocratique et la plus aristocratique. Elle tient son nom de la colline d’Arès où siègent les aréopagites. Son emplacement, hors de l’Agora qui est le cœur de la cité, a une forte symbolique : le crime n'a, littéralement, pas le droit de cité.
Les réformes de Dracon permirent aux citoyens de former des recours auprès de l'Aréopage à l'encontre de magistrats les ayant lésés dans l'exercice de leurs fonctions. Celles de Solon renforcèrent encore le pouvoir de l'Aréopage, qui fît alors figure de conseil des Sages, protégeant la cité non seulement contre les menaces internes (et prévenant ainsi - paradoxalement - les complots ourdis contre la démocratie) mais aussi les menaces externes. À ce titre, l’Aréopage ne rendait compte de ses activités auprès d'aucune autre institution. Après les réformes de Clisthène et les guerres médiques, le pouvoir détenu par l'Aréopage devient donc prépondérant. Éphialtès et Thémistocle travaillèrent de concert pour réduire cette influence au profit de l'Ecclésia, de la Boulê, et des nouveaux tribunaux de l'Héliée. Ainsi, après -462, l'Aréopage ne dispose plus de pouvoir politique mais fait figure de vénérable institution jugeant les crimes de sang et ayant un rôle dans les affaires sacrées.
L'Héliée
Ce tribunal populaire était composé de 6000 citoyens, toujours âgé de plus de 30 ans et répartis en dix classes de 500 citoyens (1000 restant en réserve) tirés au sort chaque année pour devenir héliastes. L'accusation était toujours, en l'absence d'équivalent à nos « ministères publics », une initiative personnelle d'un citoyen. Celui-ci percevant, en cas de condamnation, une partie de l'amende, pour indemnisation et récompense de ses efforts pour la justice, certains citoyens firent de la délation leur métier, ce sont les sycophantes. Malgré des mécanismes limitant les dérives de ce système, celui-ci contribua à diviser la cité et servit d'argument fort au parti aristocratique contre le nouveau régime. Par un système compliqué et selon l'affaire, on désigne par tirage au sort (sous contrôle d'un magistrat instructeur) un plus ou moins grand nombre d'héliastes pour chaque procès. Ainsi, à titre d'exemple, pour un procès privé, 201 juges siégeaient normalement, 401 exceptionnellement. Pour les procès publics, ils étaient 501, 1001, voire 1501 juges. La tâche de juger était d'autant plus difficile qu'il n'y avait ni code de procédure, ni code pénal, offrant ainsi une grande liberté d'interprétation des lois (par ailleurs en nombre réduit).
De plus les verdicts étaient sans appel et immédiatement exécutoires, on comprend dès lors l'important rôle politique que les tribunaux de l'Héliée prirent. 200 réunions avaient lieu par an, chacune sous la présidence d'un magistrat qui ne prenait pas part au vote. Le tribunal des Ephètes (51 membres) fut celui qui a le plus accaparé les prérogatives de l’Aréopage, il pouvait siéger en quatre endroits différents selon les types d'affaires :
- au Prytaneion, ils jugeaient tout ce qui a pu amener mort d'hommes (objets, animaux) ;
- au Palladion, ils jugeaient les meurtres involontaires, les métèques et les esclaves ;
- au Delphinion, ils jugeaient la légitime défense ;
- à Phréattys (sur une plage), ils jugeaient les bannis qui ont connu un meurtre dans leur exil. L'accusé est alors sur une embarcation au large.
Équilibre et compétition entre l’Ecclésia et l’Héliée
Au cours du temps les tribunaux de l’Héliée ont pris le pas sur l'Ecclésia. En effet, en -416 la procédure de graphè para nomon (ἡ γραφή παρά νόμων) (mise en accusation d'une loi) fut introduite, pour se substituer à la pratique de l'ostracisme utilisée pour la dernière fois l'année précédente. Elle permet à n’importe quel citoyen de faire examiner par un tribunal de l’Héliée toute loi ayant été voté par l’Ecclésia ou en cours de proposition par l’Ecclésia. Si la cour juge la loi ou la proposition de loi contraire aux lois générales de la cité, non seulement elle est annulée mais son auteur et l’épistate dirigeant les débats au moment de son adoption (ou proposition) sont passibles de lourdes sanctions, allant jusqu’à l’atimie. Si le tribunal était appelé pour juger une loi en cours de proposition et qu’il l’a déclaré compatible avec la Constitution, cela entraînait son adoption sans réexamen par l’Ecclésia. Le graphè para nomon offre donc plus qu’un rôle de conseil constitutionnel à l’Héliée, rôle auparavant détenu par l’Aréopage, l’Héliée devient au fil du temps un co-législateur, partageant le pouvoir législatif avec la Boulê et l’Ecclésia. Résultat : à partir de -355 les luttes politiques ne se tiennent plus sur la Pnyx, mais dans les « tribunaux ».
Les grandes crises : guerre du Péloponnèse et coups d'État
L'année -430 marque le début du déclin d'Athènes, la désastreuse lutte contre Sparte conjuguée à une épidémie de fièvre typhoïde, fatale pour Périclès en -429, conduit inexorablement la cité désormais démoralisée à sa perte. L'occupation par les troupes spartiates aboutit au retour de la tyrannie en -411, avec le coup d'État des Quatre-Cents, renversée dans un premier temps puis revenant sous une nouvelle forme en -404 avec les « Trente tyrans ». Ceux-ci suppriment l'Héliée, restaurent les prérogatives passées de l'Aréopage, et relèguent l'Ecclésia à un simple rôle consultatif, s'assurant eux-mêmes les rênes du pouvoir. Ce régime, profondément réactionnaire et méprisant au plus haut point la démocratie, ne survivra pas au départ de l'occupant spartiate au début de l’an -403.
IVe siècle av. J.-C. : une cité faible et un régime mis en doute
Au IVe siècle av. J.-C., la cité, puissance déchue, est considérablement appauvrie. L'empire athénien a disparu, la démocratie athénienne n'est plus un modèle s'exportant. Toutefois, un renouveau de l'élan démocratique souffle sur la cité, l'extension du misthos (jusqu'alors réservé aux héliastes et bouleutes) aux citoyens se rendant à l'Ecclésia, provoque un afflux d'urbains de tous milieux (nobles, petits et grands commerçants, potiers, et dockers) dans l'assemblée, dont la souveraineté ne sera plus remise en cause. Ce succès populaire de la démocratie (qui est, rappelons-le, à l'origine une invention de politiciens aristocrates pour faire face aux revendications d'une petite bourgeoisie naissante) est critiqué. Pour Aristophane, qui critiqua notamment le passage à trois oboles du misthos sous Cléon dans sa pièce les Guêpes, mais aussi Aristote, les pauvres, de plus en plus impliqués dans l'exercice du pouvoir, sont plus sensibles aux arguments des démagogues. Ainsi la foule des citoyens, sous l'influence de la vindicte populaire, prend des décisions irréfléchies comme la condamnation à mort de l'exemplaire Socrate, le populisme est né. Il n'est donc pas étonnant que la critique intellectuelle de la démocratie apparaisse d'abord, sous une forme particulièrement sévère, chez le principal disciple de Socrate : Platon. Celui-ci hiérarchise dans la République les régimes politiques en plaçant la démocratie juste devant la tyrannie et derrière l'aristocratie, la timocratie, et l'oligarchie.
Ces critiques internes, bien qu'importantes sur le plan philosophique, ne rencontrèrent qu'un faible écho dans la population. Ce fut la conquête de la Grèce entière par Philippe II de Macédoine, avec la défaite de Chéronée en -338, que le vigilant Démosthène ne sut empêcher et qui se traduisit par la fin de l'indépendance des cités, et donc de tous les régimes préexistants, qui porta un coup fatal à la démocratie athénienne. Ses institutions furent abolies en -322, seul la Boulè perdura, cantonnée à un rôle de « conseil municipal ».
Voir aussi
Bibliographie
- Moses Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, Payot, coll. « Petite bibliothèque », 2003 (ISBN 2228897515).
- M. H. Hansen, La Démocratie athénienne à l'époque de Démosthène, Les Belles Lettres, coll. « Histoire », 2003 (ISBN 2251380248).
- Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1996 (ISBN 2080813498).
- Pascal Morisod, « D'Athènes à Berne, la voix du peuple... », dans Chronozones no 10 (2004), Lausanne (ISSN 1422-5247).
- Claude Mossé :
- Histoire d'une démocratie : Athènes. Des origines à la conquête macédonienne, Seuil, coll. « Points Histoire », 1971 (ISBN 2020006464),
- Politique et société en Grèce ancienne : le « modèle » athénien, Flammarion, coll. « Champs », 2000 (ISBN 2080814389).
- S. Price et O. Murray (s. dir.), La Cité grecque d'Homère à Alexandre, La Découverte, coll. « Textes à l'appui », 1992 (ISBN 2707121770).
- Jacqueline de Romilly
- Problèmes de la démocratie grecque, Herman, coll. « Agora », 1998 (ISBN 2705657819),
- L'Élan démocratique dans l'Athènes ancienne, De Fallois Eds, 2005 (ISBN 2877065561).
- Edmond Lévy, La Grèce au Ve siècle, de Clisthène à Socrate, Seuil, collection «Points Histoire», 1995
- (en) R. Sinclair, Democracy and Participation in Athens, Cambridge University Press, 1988 (ISBN 0521423899).
Articles connexes
Liens externes
- La citoyenneté à Athènes, dossier du projet Musagora de l'Educnet
- Textes sur la société athénienne à l'époque classique
- Textes sur la pensée politique grecque
- Naissance de la démocratie, Département des programmes éducatifs du Ministère hellénique de la Culture
Notes
- ↑ Aristote, Constitution d'Athènes [détail des éditions] [lire en ligne].
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