Barbare

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Barbare — et le concept de barbarie qui lui est attaché — n'ont pas eu, de tout temps, une connotation péjorative[réf. nécessaire]. Le terme « barbare » est appliqué par les Grecs à tout peuple qui ne parle pas leur langue. Il a été ensuite utilisé par les Romains pour nommer tous les peuples qui se trouvent à l'extérieur du limes, dans le Barbaricum, la « terre des Barbares »[1]. Il faudra attendre les invasions de l'empire romain pour que le terme devienne péjoratif à l'image de l'action des Vandales.[réf. nécessaire] Aujourd'hui, ces termes peuvent traduire à la fois le mépris pour l’autre, l’étranger, ainsi que la crainte qu’il inspire. Cependant, pour Thucydide, il possède aussi un sens technique : celui des valeurs locales opposées aux valeurs supposées universelles du civilisé, par exemple l'intérêt du clan avant la justice générale.

Michel de Montaigne, qui vécut l’époque « barbare » des guerres de religion de la fin du XVIe siècle, exprime bien le premier sentiment, lorsqu’il écrit dans ses Essais : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »[2]. Pour autant, il ne récusait pas le concept de barbarie.

Au fil de l’histoire, le terme a revêtu différentes acceptions.

Sommaire

Étymologie

À l’origine, le terme barbare — emprunté en 1308 au latin barbarus, lui-même issu du grec ancien βάρϐαρος bárbaros (« étranger ») — était un mot utilisé par les anciens Grecs pour désigner d’autres peuples n’appartenant pas à leur civilisation, dont ils ne parvenaient pas à comprendre la langue. Bárbaros n’a à l’origine, aucune nuance péjorative[réf. nécessaire], il signifie « non grec » ou plus largement toute personne dont les Grecs ne comprennent pas la langue, quelqu’un qui s’exprime par onomatopées : « bar-bar ».

Apparition du concept dans l’Antiquité

Claude Yvon, dans l’article « Barbare (philosophie) » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, fait remarquer que « c’est le nom que les Grecs donnaient par mépris à toutes les nations qui ne parlaient pas leur langue, ou du moins qui ne la parlaient pas aussi bien qu’eux, pour marquer l’extrême opposition qui se trouvait entre eux et les autres nations qui ne s’étaient point dépouillées de la rudesse des premiers siècles ». Il s’agissait donc au départ d’un simple critère linguistique permettant de distinguer les individus dont le langage leur apparaissait comme un babil inintelligible (« ba ba ba »), une sorte d’onomatopée, comparable au bla-bla en français, évoquant le bredouillement.

Était donc barbare celui qui au lieu de parler grec — de posséder le logos — faisait du bruit avec sa bouche[3]. Le terme ne désignait donc pas des peuples moins « civilisés », puisqu'il était utilisé pour les Perses et les Égyptiens par exemple. En revanche, les peuples celtiques, germaniques, slaves ou encore asiatiques étaient considérés comme des barbares rustres et peu, voire pas du tout, civilisés.

Par extension, cette différence linguistique donnera une vision négative, méprisante, de l’autre, de l’étranger, qui se retrouvera dans la définition transmise par les Grecs au monde romain. Après la conquête de la Grèce, les Romains adoptèrent le terme grec et l’utilisèrent pour désigner les peuples qui entouraient leur propre monde. Était donc qualifié de barbare à Rome celui qui n’appartenait pas à la sphère culturelle gréco-romaine, quel que fût son niveau de civilisation. Ainsi, les premiers chrétiens furent qualifiés de barbares par les Grecs et les Romains[réf. nécessaire]. Ces derniers considéraient, par ailleurs, les Huns comme des « animaux à deux pieds », selon la description qu’en fit l’historien Ammien Marcellin, qui décrit leur arrivée en Europe, comme une « tornade dégringolant des montagnes »[4].

Soucieux de préserver la Gaule qu’il venait de conquérir du péril que représentaient les peuples germaniques qu’il était parvenu à repousser au-delà du Rhin et de sauver de la barbarie une province en voie de romanisation, César, dans une digression célèbre de la Guerre des Gaules[5] brosse un portrait fort peu amène de ces envahisseurs qu’il juge incapables même de désirer la « civilisation » : impudeur physique, alimentation fruste, religion sommaire, culte de la violence et de la destruction, sont les principaux traits qu’il prête à ces populations qu’il espère maintenir à l’extérieur de l’aire romaine.

Les Romains — soumis de bonne heure à des raids sur leurs frontières — percevaient les barbares comme une menace. Après une première alerte à l’approche du Ie siècle av. J.‑C. (Cimbres, Teutons), ils seront soumis cinq siècles durant à cette pression barbare, qui emportera finalement une partie de l’empire qu’ils avaient constitué et leur civilisation. La deuxième vague de ce qu’on appellera par la suite les invasions barbares a lieu au IIIe siècle (242, 253, 276), lorsque les Francs et les Alamans dévastent la Gaule, l’Espagne et l’Italie du Nord. Puis au IVe siècle, les Romains ne pourront résister aux grandes invasions, malgré l’ardeur de certains généraux comme Stilicon (d’origine germanique) et seront emportés par la vague barbare qui submerge la partie occidentale de l’empire.

Historiographie du Haut Moyen Âge

« Les hordes barbares de Crocus pillent le Languedoc ». Ici, le roi des Vandales, est devant Nîmes, en 407 (gravure de Ferdinand Pertus, XIXe siècle)

Plus tard, on utilise le terme d’invasions barbares pour qualifier les mouvements de population qui se produisent à partir du IVe siècle jusqu’au VIe siècle-VIIe siècle à travers l’Empire romain finissant. Ces migrations de peuples germaniques ayant envahi l’empire à partir de 406 sont considérées comme un déferlement de la barbarie destructrice sur la civilisation. Par extension, l’âge des Vikings et ses raids soudains et meurtriers perpétue la frayeur qu’inspirèrent auparavant les Huns, les Goths et autres Vandales, alors qu’à l’Est des peuples surgis des steppes de l’Asie bâtissent des empires nomades face aux murs de Constantinople[6] et que les Slaves investissent les Balkans.

Le passage de l'Antiquité au Moyen-âge transforme la définition du barbare en celui qui n'est pas catholique. Dès lors que les peuples barbares adoptent le catholicisme, ceux-ci se voient intégrés à la civilisation médiévale[7].

Dans l’empire bâti par Charlemagne, un autre terme semblable apparut avec le Sarrasin.

On emploie à cette époque une variante du terme pour désigner les pirates méditerranéens issus de pays à domination musulmane : les Barbaresques.

L’époque moderne

Article détaillé : Histoire moderne.

La supériorité technique et conceptuelle de l’Europe au sortir du Moyen Âge amène ses habitants à développer un sentiment teinté d’orientalisme à l’égard des autres peuples qu’ils découvraient, à la suite de leurs lointaines expéditions. Cette distinction, marquée parfois par un complexe de supériorité vis-à-vis de ces peuples inconnus, ne connaissant pas leur civilisation (la civilisation) perpétue le clivage du civilisé et du barbare au travers de celui du colonisateur et du colonisé. L’idéologie du colonialisme s’est développée sur ce concept de l’apport de la civilisation à des peuples qui en étaient jusque là dépourvus. Face à ces peuplades inconnues de lui et provenant du Nouveau Monde, l'Occidental conçoit — une fois les Grandes découvertes achevées — une classification tierce : c’est le mythe du bon sauvage.

Également, le terme "Barbarie" (Côte des Barbaresques) servait à qualifier sous l’Ancien Régime l'Afrique du Nord. Selon l’Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, la Barbarie était une "grande contrée d’Afrique, enfermée entre l’Océan Atlantique, la mer Méditerranée, l’Égypte, la Nigritie et la Guinée"[8]

Les acceptions contemporaines

Poster de propagande pour la conscription dans le contingent américain, Première Guerre mondiale
- Les Alliés exploitent l’image de barbarie en instillant l’idée de germanophobie dans le conflit en cours.
Article détaillé : Histoire contemporaine.

Au XVIe siècle, des humanistes italiens voulaient revenir à l'antiquité en matière d'art et de politique. Ils pensaient que les barbares avaient ravagés les merveilles de l'empire romain. Ex les Wisigoths. Le point de vue des italiens l'a emporté et, aujourd’hui, ce terme désigne un individu ou un groupe social considéré comme cruel, « inhumain », non éduqué, violent, de mœurs rustres, etc. En témoigne le terme de barbarisme en linguistique.

Dans le contexte de l’esprit de revanche qui se manifestait en Europe dans la première moitié du XXe siècle, renvoyer les descendants des peuples germaniques du haut Moyen Âge à un état de barbarie fut une attitude pratique et simplificatrice de la propagande et de l’historiographie française — également reprise par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale — pour se positionner par opposition en défenseur de la civilisation. Cette vision est corroborée par la découverte des camps, le nazisme rejaillissant sur une mort des concepts hégeliens par lesquels l’idéalisme allemand avait jusque alors gouverné l’Histoire des idées[9]. Les dégâts sont nombreux, les chantiers aussi : l’après-guerre s’ouvre alors sur une remise en cause de l’Historiographie, mettant fin à la simplification selon laquelle l’Histoire évoluerait soit dans un sens positif et éclairé, soit dans un sens négatif, sombre, en attribuant la cause à des barbares désignés comme autant de boucs émissaires[10].

Dans les univers médiévaux-fantastiques ou d’heroic fantasy, les barbares sont des personnes souvent en pagnes douées d’une grande force, d’une grande musculature, pas forcément très intelligentes mais souvent d'un courage surhumain.

Citations

« Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par géhennes, un corps encore plein de sentiment, à le faire rôtir par le menu (…) (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraiche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et des concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion) que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé (…) »

— Michel de Montaigne, Les Essais, I, 31

« Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. »

— Michel de Montaigne, Les Essais, I, 31

« Les tyrans pour faire tous les deux ensemble, et tuer et faire sentir leur colère, ils ont employé toute leur suffisance à trouver moyen d'allonger la mort. Ils veulent que leurs ennemis s'en aillent, mais non pas si vite qu'ils n'aient loisir de savourer leur vengeance. Là dessus ils sont en grand peine: car, si les tourments sont violents, ils sont courts ; s'ils sont longs, ils ne sont pas assez douloureux à leur gré: les voilà à dispenser leurs engins. Nous en voyons mille exemples en l'Antiquité, et je ne sais si, sans y penser, nous ne retenons pas quelque trace de cette barbarie. Tout ce qui est au delà de la mort simple, me semble pure cruauté. »

—  Michel de Montaigne, Les Essais, II, 27

« Les barbares n'ont pas de champs, le massacre est pour eux ce que le labour est pour nous »

— Li Po (701-762), in Quand les Chinois cesseront de rire le monde pleurera de José Frèches

« Ces barbares, sans conserve d'aucunes lettres, avoient la cognoissance des choses advenues bien 800 ans auparavant. »

— de Jacques Amyot

« Civilisations barbares »

Cette assertion montre comment l’épithète idéologique mène à des oxymores lorsqu’il est employé. Le régime d’écriture par les chroniques ou histoires ecclésiastiques[11] a amené à amalgamer les Huns, les Germains et les Sarrasins (Maures) dans ce terme — empreint de négativité — d’ « invasions barbares ».

Ce terme englobe donc tout ce qui a pu causer du tort à l’Occident en général, en particulier à l’Occident chrétien. Cette notion existe aussi en Extrême-Orient ainsi Henri Michaux s'y est senti comme « un barbare en Asie ».

Les cartes produites en Europe jusqu’au XVIe siècle ont désigné le Maghreb sous le vocable de Barbarie (Côte des Barbaresques), auquel sont pourtant associés des adjectifs différents : barbaresque et barbe, qui désigne la race de cheval qui en est originaire. Le nom du peuple berbères a la même origine, ce qui n’implique pas qu’il ait été continuellement perçu comme « barbare » par les Européens.

Historiquement, le terme « civilisation barbare » a désigné :

  • À l’époque où ils commencent à commercer avec les Japonais, aux XVIe et XVIIe siècles, les Européens sont considérés par ceux-ci comme des Namban, c’est-à-dire des « Barbares du Sud »[13].

Divers

Le terme « Barbarie » désigne une région étrangère et inconnue dans le nom de l’espèce canard de Barbarie. Celui-ci est originaire d’Amérique du Sud, et était donc inconnu en Europe avant la découverte de l’Amérique.

Notes et références

  1. Bruno Dumézil, Les Barbares expliqués à mon fils, éditions du Seuil, 2010, p. 12.
  2. Michel de Montaigne, Les Essais, I, 31.
  3. Bruno Dumézil, Les Barbares expliqués à mon fils, éditions du Seuil, 2010, p. 9.
  4. Ut turbo montibus celsis, Histoire, XXXI, 3, 8.
  5. Jules César, la Guerre des Gaules, VI, 11-28.
  6. Cette aversion se poursuit lors du Bas Moyen Âge avec la prise de Moscou par les hordes mongoles en 1238.
  7. Bruno Dumézil, Les Barbares expliqués à mon fils, éditions du Seuil, 2010, p. 95.
  8. Diderot, Denis, Alembert, Jean le Rond d', Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, New York, Paris, éd. Compact, Pergamon Press, 1980, 3 vol.
  9. Histoire des idées : interwiki (en) History of ideas.
  10. Pour cette thématique, lire les travaux de Gilles Deleuze.
  11. Lire l’introduction de Metz au Moyen Âge
  12. Lire le monde méditerranéen au XIIe siècle
  13. Voir à ce sujet l’article époque du commerce Namban

Voir aussi

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Articles connexes

Antonyme

Sociologie

Bibliographie

  • Pierre Michel, Les Barbares, 1789-1848 : un mythe romantique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1981, 656 pages.

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Barbare de Wikipédia en français (auteurs)

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