Parti communiste du Kampuchéa

Parti communiste du Kampuchéa
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Drapeau du Parti communiste du Kampuchéa.

Parti communiste du Kampuchéa (soit Parti communiste du Cambodge) est le dernier nom utilisé par un parti politique cambodgien, apparu en 1951 durant la guerre d'Indochine sous le nom de Parti révolutionnaire du peuple khmer et également appelé par la suite Parti ouvrier du Kampuchéa. Il était aussi désigné du nom d'Angkar padevat (« organisation révolutionnaire »), ou simplement Angkar (អង្ការ) (« organisation »). L'ensemble de ses militants et forces armées ont été désignés sous le nom de Khmers rouges, sans que les Khmers rouges et le parti ne soient totalement réductibles l'un à l'autre.

Sommaire

Historique

Création du parti

Durant la guerre d'Indochine, le Việt Minh décide en 1950 de réorganiser sa direction politique, ainsi que celle de ses alliés laotiens (Pathet Lao) et cambodgiens (Khmers issarak), et de créer pour chaque organisation un parti communiste chargé d'en constituer la structure politique, tout en exprimant une identité nationale spécifique. Le Parti communiste indochinois, organisation majoritairement vietnamienne depuis sa création, cède la place en février 1951 au Parti des travailleurs du Viêt Nam. Les Laotiens attendent 1955 pour fonder un parti communiste digne de ce nom (le Parti révolutionnaire populaire lao). Du côté du Cambodge, Nguyen Thanh Son, délégué du Việt Minh pour les affaires cambodgiennes, et son « Comité de travail pan-cambodgien », passent une partie de l'été à rédiger les statuts d'un parti, finalement promulgués le 5 août. Le Parti révolutionnaire du peuple khmer (PRPK), dont l'existence demeure clandestine, constitue désormais l'organe dirigeant du Front uni issarak, l'organisation des Khmers issarak communistes ; Son Ngoc Minh, chef du gouvernement provisoire, en prend la présidence[1] ; les autres membres fondateurs sont Tou Samouth, Sieu Heng, Tuk Nhung et So Phim. Nuon Chea, cousin de Sieu Heng, est nommé au comité central en septembre 1951[2]. La plupart des cadres du parti communiste cambodgien ont, durant les trois années précédentes, suivi auprès des Vietnamiens des cours de formation au marxisme-léninisme, au matérialisme dialectique et aux principes de la guérilla. Les premiers statuts du partis ne font néanmoins pas référence au marxisme, mais plutôt au socialisme, et le mouvement se pose en « avant-garde de la nation » plutôt qu'en avant-garde de la classe ouvrière. Les décisions demeurent contrôlées à tous les niveaux par les communistes vietnamiens[3].

Au cours de la guerre d'Indochine, le gouvernement des Khmers issarak communistes étend son contrôle sur une partie du territoire du Protectorat français du Cambodge. En trois ans, le parti attire plus de mille adhérents, principalement chez les paysans et les bonzes[4]. Malgré les menées des communistes cambodgiens, c'est finalement le roi Norodom Sihanouk qui parvient, en novembre 1953, à obtenir l'indépendance du pays. Lors de la conférences qui mène en 1954 aux accords de Genève, les Khmers issarak n'obtiennent pas de siéger ni, au contraire du Pathet Lao, de figurer comme signataires[5]. L'essentiel des troupes communistes cambodgiennes, dont Son Ngoc Minh lui-même, évacuent finalement le pays en octobre pour se réfugier au Nord Viêt Nam[6]. Dès l'été 1954, les Vietnamiens nomment un nouveau comité central provisoire du Parti révolutionnaire du peuple khmer, avec Sieu Heng comme secrétaire général, en remplacement de Son Ngoc Minh. Sieu Heng demeurant au Sud Viêt Nam jusqu'en 1956, seul Tou Samouth, parmi les cinq principaux responsables théoriques du parti, est d'emblée actif au Cambodge. Tou Samouth étant responsable des zones urbaines, les activités du parti se concentrent désormais essentiellement dans les villes[7].

Activités du parti sous le gouvernement de Sihanouk

Sur instruction des Vietnamiens, les communistes multiplient les actions légales, semi-légales, et clandestines. Saloth Sâr (futur Pol Pot) est chargé, sur instruction de Tou Samouth, d'infiltrer le Parti démocrate. Keo Meas met sur pied le parti Pracheachon (littéralement Groupe du peuple), mouvement officiellement favorable à la monarchie, qui sert de vitrine légale au Parti révolutionnaire du peuple khmer clandestin. Le Pracheachon tente de profiter de la campagne des élections législatives de 1955 mais, victime notamment et comme les autres partis de manœuvres d'intimidation de la part du régime de Norodom Sihanouk, n'obtient aucun élu, pas plus que le Parti démocrate. Le système politique du Royaume du Cambodge indépendant demeure totalement dominé par Sihanouk et son parti, le Sangkum Reastr Niyum. Le Pracheachon est alors clairement identifié comme le parti communiste du Cambodge, que Sihanouk commence à l'époque à désigner du nom de Khmers rouges (par opposition aux Khmers roses du Parti démocrate) mais personne ne semble alors avoir soupçonné l'existence d'une autre organisation contrôlant le parti de l'intérieur[8]. Si Sieu Heng, basé dans une zone montagneuse, demeure secrétaire général du parti, l'activité essentiellement urbaine des communistes cambodgiens est sous la responsabilité de Tou Samouth. Le PPRK marque le pas et, en 1957, ses effectifs ont diminué de moitié par rapport à la fin de la guerre d'Indochine. Quand Ieng Sary retourne au Cambodge en janvier 1957, laissant à Khieu Samphân, le mouvement communiste khmer lui paraît moribond. Les protecteurs vietnamiens du parti, basés au Sud Viêt Nam, sont de leur côté en butte à la répression du régime de Ngô Đình Diệm et doivent pour un temps se réfugier eux-mêmes à Phnom Penh, ce qui les rapproche de leurs alliés cambodgiens mais les met hors d'état d'aider ces derniers[9].

C'est aussi à cette époque que les dirigeants du PRPK commencent à utiliser entre eux, pour se référer au parti, le terme Angkar padevat (organisation révolutionnaire) ou simplement Angkar (organisation)[10].

En 1957, Tou Samouth, Saloth Sâr et Nuon Chea entament la rédaction d'un nouveau programme politique, et de nouveaux statuts pour le parti, qu'ils conçoivent comme allié, et non plus subordonné, des communistes vietnamiens, et dont ils souhaitent affirmer l'identité marxiste-léniniste. Les élections de 1957 se déroulent dans un contexte de violence accrue, et quatre des cinq candidats du Pracheachon sont amenés à se retirer à force d'intimidation. Les travaux au sein du parti sont encore retardés par le contexte politique agité du Cambodge, où Norodom Sihanouk s'oriente de plus en plus vers le neutralisme à mesure que ses relations avec les États-Unis se tendent. Sieu Heng, secrétaire général du parti, ainsi qu'un autre membre, se révèlent en outre être en cheville avec le gouvernement, et avoir transmis des informations aux autorités. Sieu Heng fait défection au second semestre 1959 et rejoint le camp sihanoukiste.

Alors même que Sihanouk, au plan international, se rapproche des pays communistes, sur le plan intérieur, la campagne d'intimidation se poursuit contre la gauche cambodgienne. En 1960, un groupe de responsables du Pracheachon est arrêté, de même que Khieu Samphân, directeur de l'hebdomadaire pro-communiste L'Observateur; ils sont libérés au bout d'un mois. Au printemps 1960, les nouveaux statuts du parti cambodgien sont enfin transmis aux cellules militantes. Le Parti révolutionnaire du peuple khmer devient Parti ouvrier du Kampuchéa. Le congrès du parti élit le 30 avril une nouvelle direction, avec Tou Samouth comme secrétaire. Nuon Chea, Saloth Sâr et Ieng Sary occupent les postes suivants dans la hiérarchie. C'est alors la première fois que les communistes cambodgiens choisissent eux-mêmes leur hiérarchie, en dehors de la tutelle vietnamienne[11].

Recomposition du parti et rupture secrète avec les Vietnamiens

A partir de 1962, la direction nationale du parti (dite également Centre[12]) passe pour l'essentiel sous le contrôle des anciens étudiants parisiens[13], qui s'étaient connus dans les années 1950 à l'Association des étudiants khmers de France. En juillet de cette année-là, Tou Samouth, qui vivait au sud de Phnom Penh déguisé en ouvrier agricole, est arrêté et conduit, semble-t-il, dans une maison appartenant au ministre de la défense Lon Nol. Il est ensuite torturé, tué, puis enterré dans un terrain vague. Saloth Sâr assure l'intérim à la tête du parti dans les mois qui suivent. Lors du deuxième congrès du Parti ouvrier du Kampuchéa, il est élu au poste de secrétaire du parti : ce congrès secrèt n'aurait réuni que 17 ou 18 participants, et aurait eu lieu, selon des documents khmers rouges datant des années 1970, entre le 21 et le 22 février 1963 (Ieng Sary a pour sa part déclaré que le congrès avait eu lieu sur une seule journée, le 8 mars). La direction du Parti ouvrier du Kampuchéa décide ensuite d'abandonner les actions légales et semi-légales pour prendre le maquis, pour un temps indéterminé. Saloth Sâr quitte la ville le 31 mars 1963, pour rejoindre, au Sud Viêt Nam, un campement du Front national pour la libération du Sud Viêt Nam (Viêt Cong). Il est suivi par d'autres cadres du parti comme Son Sen, puis Ieng Sary[14].

Les communistes cambodgiens établissent leur propre camp, séparé de celui des Viêt Cong, au début de 1964. En janvier 1965, le comité central établit une résolution condamnant le « révisionnisme » tendance Khrouchtchev, et affirmant le rôle de la « violence révolutionnaire » contre les « laquais » de l'impérialisme, dont Sihanouk. Le parti tire également les conséquences de son échec à s'implanter dans les milieux ouvriers cambodgiens et décrète que les usines ont été « infiltrées » par ses adversaires : les ouvriers, considérés comme des « agents ennemis », se voient dès lors interdire l'adhésion au parti, une décision inédite pour un parti communiste. En avril, Saloth Sâr et Keo Meas se rendent à Hanoï, au Nord Viêt Nam. Ils y passent de longs mois et rencontrent Hô Chi Minh et le secrétaire général du parti vietnamien Lê Duẩn, ainsi que Son Ngoc Minh et des cadres de la première génération communiste khmère, pour la plupart recasés dans l'administration nord-vietnamienne. Les Nord-vietnamiens se montrant peu à l'écoute des problèmes spécifiques des Cambodgiens et leur conseillant de ménager Sihanouk, Sâr repart frustré, et décidé à se débarrasser de la tutelle vietnamienne ; les Nord-vietnamiens sont de leur côté méfiants face au radicalisme des « Khmers rouges ». Les Vietnamiens organisent également pour Sâr un séjour en République populaire de Chine en décembre 1965, qui convainc le chef du parti cambodgien de la similitude de ses vues avec l'approche maoïste du marxisme-léninisme[15].

A l'automne 1966, les principaux cadres du parti cambodgien se réunissent durant six semaines et prennent la décision de rebaptiser le parti du nouveau nom de Parti communiste du Kampuchéa. Seul le noyau dirigeant du parti est informé de ce changement, qui est caché aux membres de base comme aux Vietnamiens. Le quartier général du maquis cambodgien est également déplacé, ce qui permet au PCK d'échapper à la surveillance des Vietnamiens[16]. Les quatre membres du comité permanent du PCK sont Saloth Sâr, Ieng Sary, Nuon Chea et So Phim. En 1967, trois hommes politiques de gauche, Khieu Samphân, Hou Yuon (ancien ministre de Sihanouk) et Hu Nim, disparaissent et passent à la clandestinité, rejoignant les maquis khmers rouges. A la fin du printemps 1967, à la suite des premiers mouvements de révolte au Cambodge qui marquent le début de la guerre civile cambodgienne, les membres du comité permanent décident de lancer en hiver un soulèvement général[17].

Guerre civile

Le soulèvement proprement dit est lancé le 18 janvier 1968[18]. Le nom de Khmers rouges, inventé par Sihanouk pour désigner les communistes cambodgiens, est dès lors utilisé pour qualifier l'insurrection[19]. Baptisées Armée révolutionnaire du Kampuchéa[20], les forces khmères rouges entament les hostilités contre le gouvernement de Sihanouk, mais le rôle dirigeant et l'existence du PCK demeurent secrets.

Les purges internes au parti, au bénéfice de la tendance la plus radicale, commencent dès 1971. Entre 1973 et 1975, le Centre écarte et élimine presque entièrement la tendance communiste favorable à Sihanouk, ou tout simplement modérée, dont le millier d'anciens Khmers issarak revenus de Hanoï pour rejoindre le soulèvement[21] et considérés par Pol Pot et son entourage comme une « cinquième colonne » pro-vietnamienne potentielle[22]. So Phim, responsable de l'insurrection dans la zone Est du Cambodge, doit renoncer à sa collaboration de longue date avec les communistes vietnamiens[21]. Les bombardements américains sur le Cambodge, notamment à partir de juillet-août 1973, contribuent à la radicalisation du PCK, l'équilibre du pouvoir basculant en faveur du Centre de Pol Pot. Durant cette même période, plusieurs des dirigeants modérés sont éliminés, certains étant assassinés par les alliés de Pol Pot, Ta Mok et Vorn Vet[23]. Avant même leur prise du pouvoir, les Khmers rouges doivent faire face à des soulèvements de population, et à la dissidence d'une partie de leurs troupes[24].

Norodom Sihanouk est renversé en 1970 par Lon Nol et Sisowath Sirik Matak, qui remplacent le Royaume du Cambodge par la République khmère. Le prince proclame alors la création du Front uni national du Kampuchéa et s'allie aux Khmers rouges : mais, dirigeant son gouvernement en exil, le Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa, depuis Pékin, il demeure totalement isolé du terrain et ne reçoit que de rares messages, adressés par Khieu Samphân au nom de la « faction intérieure », euphémisme désignant le Parti communiste du Kampuchéa[25]. En 1973, les Khmers rouges contrôlent déjà une partie du territoire cambodgien, où ils lancent un programme de collectivisation, entraînant la fuite d'environ 60 000 personnes hors des « zones libérées » ; ils reçoivent dans leur base la visite de Sihanouk, mais ce dernier n'a pas la possibilité d'un réel contact avec la population[26].

En février 1975, alors que le régime de Lon Nol est en plein effondrement, une réunion du Centre de l'Angkar décide de l'évacuation des villes après la prise du pouvoir. Les membres de la direction révolutionnaire ne sont informés qu'en avril de cette décision prise par « Frère Numéro Un et Frère Numéro Deux », noms de code de Pol Pot et Nuon Chea[27].

Au pouvoir

Saloth Sâr, alias Pol Pot, en 1978.

Les Khmers rouges entrent dans la capitale, Phnom Penh, le 17 avril 1975. Le nouveau pouvoir est désigné auprès de la population du seul nom d'Angkar, organisation à la fois sans visage et censément omniprésente[28], tandis que l'État cambodgien prend le nom de Kampuchéa démocratique. Les habitants de la ville commencent le jour même à être évacués vers les campagnes, dans des conditions désastreuses, qui entraînent la mort d'environ 10 000, voire 20 000 personnes[29]. Toutes les autres villes du pays sont évacuées dans les semaines qui suivent[30].

Du 20 au 24 mai 1975, le Centre réunit tous les secrétaires de district du parti pour une conférence, au cours de laquelle Pol Pot et Nuon Chea exposent leur plan, consistant notamment en l'évacuation de toutes les villes, la suppression de la monnaie et des marchés, la création de coopératives dans tout le pays, l'expulsion de l'ethnie vietnamienne du Cambodge et l'envoi de troupes aux frontières, notamment à la frontière vietnamienne. L'interdiction du bouddhisme est également prévue, ainsi que la mise au travail des moines dans les rizières[31].

Des dissensions se font vite jour au sein du parti, les dirigeants de la zone Est, comme Heng Samrin se montrant notamment hostiles à la rupture avec le Viêt Nam. Les zones est et ouest sont progressivement purgées[32]. Un gouvernement dirigé par le Centre du Parti communiste du Kampuchéa est formé en octobre 1975, incluant Pol Pot, Ieng Sary, Nuon Chea, Vorn Vet, Non Suon et Khieu Thirith. Khieu Samphân est le chef officiel du gouvernement, en tant que « responsable du Front ». Les responsables de la zone est comme So Phim et Chan Chakrey sont tenus à l'écart. La lutte contre « l'ennemi vietnamien » est une priorité de plus en plus marquée pour le parti[33].

La propagande de l'Angkar diffuse douze « commandements révolutionnaires » :

  1. Le peuple des ouvriers et paysans, tu aimeras, honoreras et serviras.
  2. Le peuple où que tu ailles de tout ton cœur et de tout ton esprit tu serviras.
  3. Le peuple tu respecteras, sans porter atteinte à son intérêt, sans toucher à ses biens, ni à ses plantations, en t'interdisant de voler ne serait-ce qu'un seul piment, en te gardant de prononcer la moindre parole offensante à son égard.
  4. Au peuple tu demanderas pardon si tu as commis quelque faute à son égard. Si tu as lésé l'intérêt du peuple, au peuple tu restitueras.
  5. La règle du peuple tu observeras, que tu parles, dormes, marches, debout ou assis, que tu t'amuses ou que tu ries.
  6. Vis-à-vis des femmes rien d'inconvenant ne feras.
  7. En aliment et en boisson, rien qui ne soit produit révolutionnaire ne consommeras.
  8. Aux jeux de hasard, jamais ne joueras.
  9. À l'argent du peuple, point ne toucheras. Sur les biens collectifs de l'État ou du ministère, pour dérober fut-ce une boîte de riz ou un comprimé de médecine jamais la main ne porteras.
  10. Envers le peuple des ouvriers et des paysans, envers toute la population, très humble te feras. Par contre, envers l'ennemi, les impérialistes américains et leurs valets, ta haine avec force et vigilance nourriras.
  11. À la production du peuple sans cesse t'uniras et le travail tu aimeras.
  12. Contre tout ennemi, contre tout obstacle avec détermination et courage tu lutteras. Prêt à tous les sacrifices jusqu'à celui de ta vie pour le peuple, les ouvriers, les paysans, pour la Rénovation, pour l'Angkar, sans hésitation et sans relâche tu seras[34].

La politique de l'Angkar/PCK tente de faire passer la société cambodgienne directement au stade du communisme intégral, sans la phase de transition par le socialisme préconisée par l'orthodoxie marxiste-léniniste[35]. Sous le gouvernement du PCK, un effort extrême est fait pour remodeler l'esprit des Cambodgiens et aboutir à la création d'un « homme nouveau communiste », via la destruction de la « propriété privée matérielle et spirituelle ». Un document d'étude du pouvoir khmer rouge proclame : « La seule liberté véritable, c'est uniquement ce que l'Angkar dit, écrit et organise »[36]. La nature de l'Angkar demeure longtemps énigmatique ; ce n'est que le 27 septembre 1977 que Pol Pot, dans une allocution retransmise par la radio La Voix du Kampuchéa démocratique, déclare publiquement que l'Angkar est le Parti communiste du Kampuchéa[37]. A cette occasion, la direction du parti réécrit l'histoire du mouvement, en datant sa création non pas du 5 août 1951, mais du 30 avril 1960, date à laquelle le futur Pol Pot est entré au comité central du Parti ouvrier du Kampuchéa. Cette négation des neuf années précédentes a été analysée, notamment par l'historien David Chandler, comme une tentative de faire oublier la période durant laquelle la contribution de Saloth Sâr et de ses alliés au mouvement communiste cambodgien avait été secondaire, voire inexistante[38].

Le fonctionnement interne du parti, marqué par une paranoïa aigüe, est rythmé par les purges ; arrestations et exécutions se succèdent, sans le moindre procès. Après l'élimination des pro-Vietnamiens et des diplomates sihanoukistes, c'est Keo Meas, n°6 dans la hiérarchie du parti, qui est arrêté en septembre 1976. Le mensuel de l'Angkar, Tung Padevat (Drapeaux révolutionnaires), proclame en juillet 1978 : « Il y a des ennemis partout dans nos rangs, au centre, à l'état-major, dans les zones, dans les villages de base »[39]. En avril-mai 1978, la purge de la zone Est est lancée : les troupes de Ke Pauk et de Son Sen attaquent la zone. So Phim se suicide et les forces de Heng Samrin sont dispersées ; de violents combats ont encore lieu en juin et en juillet, et la population de la zone est évacuée[40]. Une politique de persécutions raciales est également mise en place par le Centre, avec une chasse aux Vietnamiens de souche et aux Khmers Krom, des massacres de l'ethnie musulmane des Chams et des assassinats de familles de souche chinoise[41].

Le gouvernement des Khmers rouges se solde, au Cambodge, par un nombre de morts particulièrement élevé, objet d'estimations très variables, allant jusqu'à deux millions[42].

Chute du régime khmer rouge et dissolution du parti

En engageant les hostilités contre le Viêt Nam, le Kampuchéa démocratique entraîne sa propre chute. Le 2 décembre 1978, soixante-dix cadres et officiers khmers rouges dissidents fondent le Front uni de salut national du Kampuchéa, dont Heng Samrin prend la direction. Le 25 décembre, l'Armée populaire vietnamienne lance une invasion massive du Cambodge. Le 7 janvier 1979, le gouvernement khmer rouge fuit la capitale[43].

Le nouveau régime de la République populaire du Kampuchéa, dont de nombreux cadres sont d'anciens khmers rouges ralliés aux Vietnamiens, est immédiatement proclamé. Ce n'est qu'en 1981 qu'est réellement fondé le nouveau parti unique du Cambodge, le Parti révolutionnaire du peuple du Kampuchéa, qui se proclame l'unique héritier du Parti révolutionnaire du peuple khmer fondé en 1951[44].

Les Khmers rouges continuent la guérilla contre le nouveau régime pro-vietnamien. En décembre 1981, Pol Pot et Nuon Chea décident de dissoudre le Parti communiste du Kampuchéa, afin selon eux de pouvoir « s'unir avec d'autres forces nationales »[45]. Le PCK est officiellement dissout le 6 décembre[46]. À l'époque, la plupart des cadres Khmers rouges sont décontenancés par la décision de Pol Pot et Nuon Chea. Par ailleurs, en matière de relations publiques, les gains politiques pour les Khmers rouges sont minimes, leur évolution ne convainquant personne ; le mouvement perd en outre son ciment politique, en devenant pour l'essentiel une organisation purement militaire[45]. Un nouveau parti, le Parti du Kampuchéa démocratique, est créé pour être la vitrine politique des Khmers rouges ; il se présente comme un parti non plus communiste, mais « socialiste démocratique »[47].

Notes et références

  1. Arnold R. Isaacs, Gordon Hardy, Pawns of war: Cambodia and Laos, , Boston Publishing Company, 1987, page 22
  2. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 156
  3. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 76-78
  4. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, page 22
  5. Philippe Franchini, Les Guerres d'Indochine, tome 2, Pygmalion-Gérard Watelet, 1988, page 130
  6. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 137-138
  7. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 151
  8. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 140-146
  9. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 157-158
  10. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 159
  11. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 159-180
  12. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, page 24
  13. Danielle Domergue-Cloarec, in Des conflits en mutation ?, Complexe, 2003, page 80
  14. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 182-189
  15. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 190-194, 204-210
  16. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 210-211
  17. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 218-221
  18. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 226
  19. Jean-Louis Margolin, Cambodge : au pays du crime déconcertant, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997, page 632
  20. Karl R. DeRouen, Uk Heo, Civil wars of the world: major conflicts since World War II, ABC-CLIO, 2007, page 218
  21. a et b Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, page 25
  22. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 308
  23. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, page 32
  24. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 86-90
  25. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 310
  26. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 314-320
  27. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 44-45
  28. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, page 52
  29. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 355
  30. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 61-65
  31. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 69-74
  32. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 81-96
  33. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 121-122
  34. Mondes asiatiques, Numéros 6 à 12, Association pour une meilleure connaissance de l'Asie, 1976, page 162
  35. Jean-Louis Margolin, Cambodge : au pays du crime déconcertant, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997, page 632
  36. Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 411
  37. Henri Locard, Le "petit livre rouge" de Pol Pot, ou Les paroles de l'Angkar, L'Harmattan, 2000, page 78
  38. Camille Scalabrino, Affaires cambodgiennes : 1979-1989, L'Harmattan, 2000, page 33
  39. Jean-Louis Margolin, Cambodge : au pays du crime déconcertant, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997, pages 640-642
  40. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 461-477
  41. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 498-510
  42. Jean-Louis Margolin, Cambodge : au pays du crime déconcertant, in Le Livre noir du communisme, Robert Laffont, 1997, pages 643-645
  43. Ben Kiernan, Le Génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 519-529
  44. Sorpong Peou, Intervention & change in Cambodia: towards democracy?, Institute of Southeast Asian Studies, 2000, page 94
  45. a et b Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 535
  46. MacAlister Brown, Joseph Jermiah Zasloff, Cambodia confounds the peacemakers, 1979-1998, Cornell University Press, 1998, page 21
  47. Bogdan Szajkowski (dir), Revolutionary and Dissident Movements of the World, John Harper Publishing, 2004, page 54

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